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Résumés des conférences

Histoire de la peinture italienne (XVIe-XVIIe siècles)

Michel Hochmann
p. 332-334

Résumé

Programme de l’année 2022-2023 : Le métier de peintre à Venise au XVIe siècle (fin).

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Texte intégral

1Nous avons consacré l’année à l’étude de la condition sociale des peintres. Dans une république comme Venise, où les classes sociales étaient définies par les lois, on pourrait penser que les artistes eurent plus de difficulté qu’ailleurs à s’émanciper de la condition artisanale. D’ailleurs, depuis Martin Warnke, on considère souvent que les peintres, les sculpteurs et les architectes trouvèrent dans les cours, grâce à la protection des princes, et non dans les villes, des formes de reconnaissance, comme l’ennoblissement, qui permirent leur ascension à partir de la fin du Moyen Âge. Pourtant, contrairement à l’hypothèse de Martin Warnke, c’est à Gênes, l’autre grande république de la Péninsule, que les peintres virent pour la première fois légalement reconnu le caractère libéral de leur art et qu’on leur ouvrit l’accès au patriciat. Comme nous l’avons déjà dit, on a souvent souligné, à l’opposé, le conservatisme des Vénitiens, puisqu’à Venise, à la différence de Florence, de Rome, de Bologne ou de Milan, on ne créa pas d’académie de dessin : les peintres continuèrent donc à vivre sous les règles de la corporation et, donc, à être mélangés avec les autres arts mécaniques. Cela n’empêcha pas plusieurs peintres de travailler pour les cours et d’être ennoblis, et Titien représenta sans doute l’un des exemples les plus éclatants de la réussite sociale des artistes au xvie siècle, avec Michel-Ange et Raphaël : il fut d’ailleurs considéré comme un modèle de ce point de vue au siècle suivant, en particulier par Rubens ou Velasquez. On sait cependant qu’il ne fut pas le premier peintre vénitien à connaître une telle consécration, puisque, dès 1469, à l’occasion d’une visite de Frédéric III à Venise, Gentile Bellini reçut de l’empereur le titre de comte palatin. Les idées développées en Italie sur le statut libéral des arts du dessin avaient évidemment pénétré la Sérénissime. On peut citer de nombreux textes à ce propos, qui émanent de membres éminents du patriciat vénitien.

2L’une des indications les plus précises dont on dispose sur la richesse des peintres vénitiens au xvie siècle provient des dots qu’ils recevaient de leur femme ou qu’ils accordaient à leurs filles. Nous pouvons ainsi comparer leur situation avec celles des autres professions et des autres classes sociales à Venise. Nous savons que les épouses ou les filles des artisans ou des popolani avaient en général une dot de cent ducats ou moins encore. À l’autre extrémité, les dots des patriciens se comptaient en dizaines de milliers de ducats. Les dots reçues par les peintres confirment que la majorité d’entre eux appartenaient à la classe des artisans. Elles se situent en effet, pour la plupart, aux environs de cent ou deux cents ducats. Quelques cas exceptionnels montrent toutefois qu’une toute petite partie des peintres réussit à accéder à une situation sociale très supérieure à celle de la grande majorité de leurs collègues. C’était déjà le cas au xve siècle, puisque, dans son testament du 15 mai 1463, la veuve de Jacobello del Fiore déclare que sa dot se montait à 600 ducats, ce qui, à l’époque, devait constituer une belle somme. La femme de Giovanni Bellini lui apporta en dot cinq cents ducats. Titien est naturellement l’un des cas les plus remarquables : on sait en effet qu’il donna à sa fille 1 400 ducats lorsque celle-ci épousa Cornelio Sarcinelli en 1555.

3Nous avons examiné aussi les condizioni di decima, les déclarations des peintres vénitiens concernant leurs revenus fonciers : encore une fois, la plupart d’entre eux possédaient très peu de biens immobiliers, en dehors de quelques-uns, comme Titien, dont les revenus annuels étaient proches de ceux que déclaraient certains imprimeurs à la même époque (mais très éloignés de ceux de la plupart des patriciens). Les testaments et les inventaires après-décès contiennent en revanche peu d’indications sur la fortune des peintres, même s’ils peuvent donner quelques informations sur leur mode de vie (vêtements, mobilier, collections). La société vénitienne était organisée autour de trois classes, celle des patriciens, qui avaient le monopole du pouvoir politique, celle des cittadini, auxquels étaient réservés le droit de commercer et les postes de l’administration qui assistait les magistratures vénitiennes, et, enfin, les popolani, le peuple, qui exerçaient les arts mécaniques. Les peintres, qui appartenaient à une corporation de métier, étaient donc rangés dans les popolani. Toutefois, certains d’entre eux appartenaient à la classe intermédiaire des cittadini par leur origine familiale. C’était justement le cas de Giovanni Contarini et de Pietro Malombra, qui refusèrent de payer les taxes de la corporation des peintres à la fin du xvie siècle et se défendirent en affirmant la noblesse de leur art et en prétendant se distinguer des simples artifici, ces peintres-artisans qui tenaient une boutique. Nous avons examiné d’autres cas de peintres appartenant à la classe des cittadini, qui était elle-même divisée en plusieurs sous-catégories, celle des citoyens par privilège et celle des cittadini originari. Les citoyens par privilège pouvaient exercer un art mécanique, et on rencontre en effet parmi eux, en 1582, un enlumineur. En revanche, les cittadini originari devaient démontrer que leur famille n’avait pas exercé d’art mécanique pendant au moins trois générations. Le cas des descendants de Giuseppe Salviati, qui réussirent à obtenir ce privilège malgré la profession de leur ancêtre, paraît donc montrer que le statut libéral de la peinture pouvait parfois être implicitement reconnu par les magistratures vénitiennes. Quelques peintres au xvie siècle avaient même des ascendances patriciennes : c’était le cas, notamment, de Domenico Molin, un peintre de second rang dont le père était patricien, même si lui-même, pour des raisons inconnues, ne fut pas inscrit au livre d’or.

4Nous nous sommes aussi intéressés à l’entourage des peintres : ceux-ci fréquentaient d’autres artistes, des peintres et des sculpteurs, mais aussi des artisans travaillant dans le domaine du luxe, comme les orfèvres et des joailliers, ainsi que des imprimeurs et des polygraphes. Comme on l’a souvent relevé, ils étaient souvent liés avec des personnages plus ou moins hérétiques, et beaucoup d’entre eux connurent les tensions religieuses qui marquèrent cette période. Nous sommes revenus sur l’abondante historiographie qui a été consacrée à la religiosité des peintres vénitiens, celle, notamment, concernant Lorenzo Lotto. Nous nous sommes également penchés sur les relations que les peintres les plus célèbres, Titien, au premier chef, entretenaient avec les cours d’Italie et d’Europe, ainsi qu’avec les ambassadeurs et les envoyés de ces princes à Venise.

5Nous avons enfin terminé par une étude de la culture des peintres : on a fréquemment opposé Venise à Florence de ce point de vue, en affirmant que les artistes vénitiens n’auraient pas eu les prétentions intellectuelles de leurs collègues d’Italie centrale. La situation est certainement plus nuancée. Titien ne prétendit jamais être lui-même un lettré et il fit appel aux lettrés de son entourage pour l’aider à rédiger l’abondante correspondance qu’il entretenait avec les princes de toute l’Europe. Mais le traité sur la peinture de Paolo Pino, un peintre mineur, montre que celui-ci possédait une culture relativement étendue (Pino avait même peut-être des rudiments de latin). On connaît aussi, à Venise comme à Florence, quelques peintres qui composaient des comédies (Gigio Artemio Giancarli) ou des poèmes (Giambattista Maganza) ou qui étaient musiciens (Heteroclito Zancarli, Silvestro dal Fontego). Giuseppe Salviati, qui était originaire de Toscane, mais qui fit l’essentiel de sa carrière à Venise, composa plusieurs manuscrits sur l’architecture, sur la musique, la linguistique et l’astrologie, et il était en relation avec les cercles érudits de la ville (il était notamment très proche de Giacomo Contarini). La participation des peintres à l’iconographie de leurs œuvres est également très révélatrice de leur culture et de leurs intérêts : nous avons évoqué à ce propos le goût de Lorenzo Lotto pour les imprese et les hiéroglyphes ou les recherches de Véronèse dans le domaine des personnifications ou des allégories religieuses.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Hochmann, « Histoire de la peinture italienne (XVIe-XVIIe siècles) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 332-334.

Référence électronique

Michel Hochmann, « Histoire de la peinture italienne (XVIe-XVIIe siècles) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7643 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t5d

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Auteur

Michel Hochmann

Directeur d’études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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