Histoire du fait religieux dans le Japon prémoderne et moderne (XVIe-XIXe s.)
Résumé
Programme de l’année 2022-2023 : Histoire du premier christianisme japonais (XVIe-XVIIe siècles).
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1La conférence a porté sur la lecture suivie de deux documents de l’époque d’Edo (1603-1868) traitant – exclusivement ou en partie – de la diffusion du catholicisme dans l’archipel au xvie siècle, puis de son interdiction au xviie siècle. Le premier document s’intitule Kirishitan yurai-ki 吉利支丹由来記 (Chronique de l’origine de la religion catholique [au Japon]) et le second, Ōmura-ke hiroku 大村家秘録 (Notes secrètes du clan des Ōmura).
2Le manuscrit du Kirishitan yurai-ki utilisé pour la conférence est conservé à la bibliothèque de l’université de Tokyo. C’est une copie tardive, réalisée durant l’ère Meiji (1868-1912) – voire l’ère Taishō (1912-1926) –, d’un ouvrage probablement rédigé dans la deuxième moitié du xviie siècle. Le manuscrit contient deux autres textes antichrétiens de la première partie de l’époque d’Edo, le Kirisuto jikki 吉利斯督實記 (Chronique véritable [de la religion du] Christ ; c. 1610 ?), un récit fictif de plusieurs tentatives d’invasion du Japon par les armées du Pape, et le Yaso seibatsu-ki 耶蘇征伐記 (Chronique de la soumission [des adeptes de] Jésus ; début du xviiie siècle ?), une chronique de la révolte d’inspiration chrétienne de Shimabara-Amakusa (novembre 1637-avril 1638). Le colophon indique que le manuscrit est la copie d’ouvrages autrefois en possession de Suzuki Hakutō 鈴木白藤 (1767-1851), un penseur confucéen vassal des Tokugawa ayant été shomotsu bugyō 書物奉行 (« préfet des livres »), une fonction qui impliquait, entre autres, l’administration de la bibliothèque du shogunat (Momijiyama bunko 紅葉山文庫).
3Selon la catégorisation traditionnelle en usage parmi les historiens japonais, les textes antichrétiens sont répartis entre monogatari-teki haiyasho 物語的排耶書 (« textes antichrétiens du genre romanesque ») et kyōri-teki haiyasho 教理的排耶書 (« textes antichrétiens doctrinaux »). Alors que les auteurs des premiers ne sont pas connus, ceux des seconds sont des figures importantes du bouddhisme et du confucianisme proches du shogunat du début de l’époque d’Edo : Suzuki Shōsan 鈴木正三 (1579-1655), Sessō Sōsai 雪窓宗崔 (1589–1649) ou Hayashi Razan 林羅山 (1583-1657), par exemple. Après lecture, il est indubitable que le Kirishitan yurai-ki, qui ressemble, par sa structure et son contenu, au Kirishitan monogatari 吉利斯督物語 (Le conte des catholiques [au Japon] ; 1639), une œuvre séminale de la littérature antichrétienne de l’époque d’Edo, appartient à la première catégorie.
4Trois raisons ont motivé le choix de ce manuscrit pour la conférence : son caractère inédit – aucune édition du texte n’a été réalisée au Japon –, sa grande accessibilité pour les auditeurs et les étudiants – il ne nécessite pratiquement aucune compétence en paléographie japonaise – et les ressorts narratifs assez représentatifs de la prose antichrétienne de l’époque qu’il déploie. Seuls les spécialistes en littérature prémoderne japonaise se sont intéressés à ces « textes antichrétiens du genre romanesque », les historiens de la société et des religions jugeant leur contenu comme peu fiable. Or quelle lecture en faisaient les Japonais de l’époque, en particulier les élites guerrières ? L’objectif de la conférence a été de voir si leur contenu se retrouvait dans des documents issus de l’administration féodale.
5Le Ōmura-ke hiroku a servi en quelque sorte de « baromètre ». Il s’agit d’un document produit par les autorités du fief d’Ōmura certainement vers la fin du xviiie siècle, car le dernier événement mentionné date de la cinquième année de l’ère Tenmei 天明 (1785). Le clan a la particularité d’avoir imposé la conversion au catholicisme à ses sujets dans les années 1570, puis d’avoir été, au début du xviie siècle, l’un des premiers fiefs christianisés à avoir rompu ses liens avec la Compagnie de Jésus. Lors de la conférence, nous avons mis en regard la transcription de ces « notes secrètes » figurant dans le premier tome du Shiseki zassan 史籍雑纂 (Kokusho Kankō-kai 国書刊行会, 1911) et le Go-hiroku 御秘録 (Les notes secrètes), un manuscrit partiel du Ōmura-ke hiroku conservé aux archives municipales de la ville d’Ōmura (actuel département de Nagasaki). Cet exercice a permis de proposer de nouvelles possibilités de transcription et de compléter l’édition faite au début du xxe siècle, car certains passages du manuscrit n’y figurent pas.
6La lecture successive des quatre parties du Kirishitan yurai-ki – « Shūmon ranshō no koto 宗門濫觴之事 (Des origines de la religion [catholique au Japon]) », « Shūmon kyōhō no koto 宗門教法之事 (De l’enseignement de la religion [catholique]) », « Kirishitan on-seikin konpon no koto 吉利支丹御制禁根本之事 (Des fondements de l’interdiction du catholicisme [au Japon]) » et « Ōkubo Iwami-no-kami kodomo shioki no koto 大久保石見守子共仕置之事 (Des peines infligées aux enfants de Ōkubo Iwami-no-kami [Nagayasu]) » – et des passages du Ōmura-ke hiroku portant sur l’histoire du catholicisme japonais a permis de montrer la forte perméabilité du second à certains topoï utilisés dans la prose narrative symbolisée par le premier.
7Les deux éléments suivants sont notamment dignes d’intérêt : 1) la distribution par les missionnaires (bateren 伴天連) de richesses et de curiosités « barbares du Sud » (nanban 南蛮) aux seigneurs féodaux pour s’attirer leurs faveurs et diffuser plus facilement le catholicisme ; 2) la révélation aux autorités guerrières par un apostat connaissant intimement la religion étrangère d’un complot ourdi contre le Japon par les missionnaires et de puissants seigneurs convertis : si dans le Kirishitan yurai-ki, c’est un ancien frère coadjuteur (iruman 印留慢) qui avertit les Tokugawa d’une attaque imminente, dans le Ōmura-ke hiroku, c’est Miguel Chijiwa Seizaemon 千々石清左衛門 (1569 ?-1633 ?), un ancien séminariste ayant représenté des seigneurs catholiques japonais à l’occasion d’une ambassade auprès de la cour d’Espagne puis du Vatican dans les années 1580, qui révèle les ambitions bassement territoriales des missionnaires à son seigneur, Ōmura Yoshiaki 大村喜前 (1569-1616).
8Les séances de la conférence dédiées à ces « notes secrètes » ont toutefois montré qu’il s’agissait d’un texte éminemment composite mêlant à ces idées stéréotypées des informations relativement fiables (car vérifiables par d’autres sources ibériques ou japonaises) sur différentes facettes de la présence catholique à Ōmura telles que la campagne de destruction des temples bouddhistes et des sanctuaires shintō menée entre 1574 et 1577 ou le développement commercial et urbain du port de Nagasaki dans les années 1570-1580. On a aussi constaté que l’auteur s’employait à disculper le premier seigneur japonais à avoir choisi le catholicisme, Bartolomeu Ōmura Sumitada 大村純忠 (1533-1587), et qu’il exagérait l’influence de la politique antichrétienne d’Ōmura Yoshiaki – le fils de Sumitada – sur la décision du shogunat, dans les années 1610, d’expulser les missionnaires et de proscrire la pratique de leur religion aux Japonais.
Pour citer cet article
Référence papier
Martin Nogueira Ramos, « Histoire du fait religieux dans le Japon prémoderne et moderne (XVIe-XIXe s.) », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 499-501.
Référence électronique
Martin Nogueira Ramos, « Histoire du fait religieux dans le Japon prémoderne et moderne (XVIe-XIXe s.) », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7563 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t56
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