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Résumés des conférences

Histoire de l’architecture et des jardins du Japon

Jean-Sébastien Cluzel
p. 493-495

Résumé

Programme de l’année 2022-2023 : Représenter l’architecture à l’époque d’Edo. Livres illustrés, manuels de dessin, livres de modèles pour artisans, romans illustrés.

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Texte intégral

  • 1 Il s’agit de perspectives métriques : cavalière, axonométrique ou isométrique.

1L’architecture commence à être représentée au milieu du xviie siècle dans les livres japonais, notamment dans les monographies locales consacrées aux grandes villes du pays, dont les plus anciens exemples sont le Kyō warabe 京童 (Un enfant de Kyōto) de 1658 et l’Edo meishoki 江戸名所記 (Récit sur les sites renommés d’Edo) de 1662. L’architecture est également abondamment montrée dans les « albums illustrés des sites renommés » (meisho-zue 名所圖會), dont le Miyako meisho-zue 都名所圖會 (Album illustré des sites renommés de la capitale) de 1780 et l’Edo meisho-zue 江戸名所圖會 (Album illustré des sites renommés d’Edo) publié en 1834 et 1836. Ces ouvrages présentent essentiellement des vues d’ensemble de sites célèbres – un temple, un sanctuaire, un palais ou un quartier animé –, dessinés selon la perspective traditionnelle, dite « à vol d’oiseau »1.

2En revanche dans les manuels de dessin et les livres de modèles (appelés ehon 絵本 ou edehon 絵手本), l’architecture est peu présente. Les premiers artistes à s’intéresser directement à sa représentation sont Tachibana Morikuni 橘守國 (1679-1748) dans le Morokoshi kinmō zui 唐土訓蒙圖彙 (Encyclopédie illustrée de la Chine) de 1719 et Shimokōbe Shūsui 下河邉拾水 (?-1798) dans le Kinmō zui 訓豪圖彙 (Encyclopédie illustrée [du Japon]) publié à partir du milieu du xviie siècle. Certaines parties de ces ouvrages sont de véritables catalogues de bâtiments. Toutefois, ces livres ne sont pas conçus pour proposer des modèles de dessin aux apprentis-dessinateurs, leur objectif premier est l’éducation. Ainsi le célèbre manuel chinois, le Jieziyuan huazhuan 芥子園畵傳 (Les Enseignements du la peinture du Jardin du grain de moutarde), importé à la fin du xviie siècle dans l’archipel, fut une source essentielle pour les peintres japonais qui se sont intéressés à la représentation des édifices. Dans ce traité de peinture, adapté et réédité de nombreuses fois jusqu’au xixe siècle, l’architecture est présentée comme un élément de second plan d’une composition picturale. Elle est essentiellement envisagée comme un décor permettant d’animer un paysage plus vaste et seul son pouvoir évocateur semble importer.

  • 2 On se reportera à J.-S. Cluzel (dir.), Hokusai. Le vieux fou d’architecture, Paris, Seuil, BNF, 201 (...)

3Le maître de l’estampe, Katsushika Hokusai 葛飾北齋 (1760-1849), sera l’un des premiers à consacrer deux livres d’enseignement du dessin à la représentation de l’architecture2. Le premier livre de modèles (edehon) que Hokusai dédie à ce thème est le cinquième volume de sa série très populaire Hokusai manga 北齋漫畵, intitulé Kiku junjō (規矩準縄 Règles de construction), paru en 1816. Le second est publié vingt ans plus tard, en 1836, sous le titre Shoshoku ehon. Shin-hinagata 諸色絵本 新雛形 (Livre de dessins pour artisans. Nouveaux modèles). Dans ce registre éditorial, faire de l’architecture le thème principal était alors inédit. L’analyse du corpus iconographique de ces deux albums, ainsi que du lexique qui agrémente les légendes des dessins, révèle que le peintre s’est appuyé sur des manuels de dessin qui s’adressent aux artistes, mais également sur de nombreux et parfois très rares livres de modèles de charpenterie 雛形 (hinagata), dont l’un des tout premiers du genre, le Shōmei 匠明 (Mise en lumière [des techniques de charpentiers]), compilé entre 1608 et 1615 par Heinouchi Masanobu 平内政信 (1583-1645), ainsi que sur des ouvrages plus populaires, tel le Shinsen daiku hinagata 新撰大工雛形 (Modèles pour charpentiers nouvellement choisis), publié en 1759. Hokusai apparaît ainsi comme l’instigateur d’un rapprochement entre deux mondes jusque-là distincts : celui des artistes peintres et celui des artisans charpentiers.

4Hokusai, le « vieux fou de peinture », comme il aimait se nommer, persévéra sur cette voie jusqu’à la fin de sa vie. À plus de quatre-vingt-cinq ans, résidant chez son élève Takai Kōzan 高井鴻山 (1806-1883) dans le village d’Obuse près de Nagano, il travaille aux côtés de charpentiers à l’ornementation de deux chars destinés aux festivités locales et peint sur les plafonds et les tabliers ses figures fétiches : vague, dragon, phénix (1845). Dans ce village, il réalise également l’un de ses derniers grands décors peints, un phénix multicolore sur le plafond du temple Ganshōin 岩松院 (vers 1840). Ces œuvres, plus singulières les unes que les autres, renvoient à ses deux manuels d’architecture publiés en 1816 et 1836, dans lesquels l’artiste avait synthétisé en quelques pages son approche de l’art d’édifier.

  • 3 L’une des trois perspectives coniques (centrale, oblique, aérienne) également appelées perspectives (...)

5Dans le décloisonnement des savoirs entre le monde des dessinateurs et celui des charpentiers, ces deux manuels n’étaient pas une première tentative pour le maître de l’estampe, mais plutôt un aboutissement. En effet, Hokusai s’est en partie fait connaître par sa maîtrise de la perspective centrale3, dès les années 1790. Il a ainsi largement participé à la diffusion de cette technique de dessin d’origine occidentale, introduite au Japon vers 1740, particulièrement utile pour représenter l’architecture et rendre avec plus de véracité l’illusion de profondeur. Quoi qu’il en soit cette technique de représentation, considérée comme étrangère, n’a pas reçu l’adhésion des écoles de peinture lettrées et encore moins celle des charpentiers.

  • 4 M. Ishikawa (texte), K. Hokusai (ill.), Suminawa. Le Charpentier des dieux, traduction française et (...)
  • 5 R. Kōda, La pagode à cinq étages et autres récits, traduction française et présentation de N. Molla (...)
  • 6 R. Akutagawa, Rashōmon et autres contes, traduction française de A. Mori, Paris, Gallimard, 1965.

6Hokusai a également concouru à la promotion du monde des bâtisseurs dans la littérature. Il s’est attelé à cette tâche dès les années 1800, avec son ami poète Ishikawa Masamochi 石川雅望 (1754-1830), dit Rokujuen 六樹園 (également auteur de la préface du cinquième volume du manga). Sur la demande insistante de Hokusai, Rokujuen rédige une nouvelle qui relate l’épopée d’un charpentier douée de magie. Ce récit fantastique, inspiré de la tradition chinoise, fut publié en 1808 sous le titre Hida no takumi monogatari 飛騨匠物語 (Histoire d’un artisan de Hida)4, dans une version illustrée par Hokusai. Cette histoire insolite utilise la littérature pour faire l’éloge de l’artisanat et apparaît à l’avant-garde d’autres romans, comme Gōju no tō 五重塔 (La pagode à cinq étages)5 de Kōda Rohan 幸田露伴, publié en 1891-1892, ou Rashōmon 羅生門6 d’Akutagawa Ryūnosuke 芥川龍之介, publié en 1915.

7Les conférences ont présenté les formes de représentation de l’architecture à l’époque d’Edo dans toute la diversité des sources imprimées. Il s’est agi de montrer les interactions entre les productions imprimées propres à différentes catégories sociales – lettrés, artistes, artisans – dans les années 1790-1830. Les analyses proposées ont essentiellement porté sur l’appareil iconographique des ouvrages et sur le lexique architectural qui accompagne leurs illustrations. Au début de l’époque d’Edo, les thématiques, les techniques de dessin, les canons esthétiques, tout comme le vocabulaire semblent spécifiques aux différents registres éditoriaux. Les conférences ont montré comment ces diverses traditions littéraires se sont doucement entremêlées à partir de 1760 et comment le phénomène s’est accéléré avec les différentes publications, notamment celles de Hokusai.

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Notes

1 Il s’agit de perspectives métriques : cavalière, axonométrique ou isométrique.

2 On se reportera à J.-S. Cluzel (dir.), Hokusai. Le vieux fou d’architecture, Paris, Seuil, BNF, 2014.

3 L’une des trois perspectives coniques (centrale, oblique, aérienne) également appelées perspectives linéaires.

4 M. Ishikawa (texte), K. Hokusai (ill.), Suminawa. Le Charpentier des dieux, traduction française et présentation de J.-S. Cluzel, Paris, Nouvelles éditions Scala, 2023.

5 R. Kōda, La pagode à cinq étages et autres récits, traduction française et présentation de N. Mollard, Paris, Les Belles lettres, 2009.

6 R. Akutagawa, Rashōmon et autres contes, traduction française de A. Mori, Paris, Gallimard, 1965.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Sébastien Cluzel, « Histoire de l’architecture et des jardins du Japon »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 493-495.

Référence électronique

Jean-Sébastien Cluzel, « Histoire de l’architecture et des jardins du Japon »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7540 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t54

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Auteur

Jean-Sébastien Cluzel

Maître de conférences (Sorbonne Université), École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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