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Résumés des conférences

Érudition historique et philologique de l’âge classique aux Lumières

Jean-Louis Quantin
p. 379-381

Résumé

Programme de l’année 2022-2023 : Questions pascaliennes.

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Texte intégral

  • 1 Pascal, prophète et résistant, colloque du Centre international Blaise Pascal, 23, 24 et 25 mars 20 (...)
  • 2 Pascal : l’esprit de discernement, l’amour de la vérité, colloque international, fondation Singer-P (...)

1L’ensemble des conférences, au premier comme au second semestre, a été consacré à Pascal. Cette année 2022-2023, vingtième année d’enseignement du directeur d’études à la section, était surtout, en effet, celle du quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal, marquée par une série de commémorations, notamment des colloques à Clermont-Ferrand1 et Paris2, auxquels le directeur d’études a présenté des communications, en rapport avec le travail de l’année – on pourra donc se reporter aux actes, à paraître, pour plus de détails.

2I. La première partie de l’année a été consacrée à l’histoire de la réception catholique, ou plus précisément ecclésiastique, de Pascal, en prenant comme observatoire le traitement de son œuvre par les congrégations romaines de l’Index et du Saint-Office – que cette recherche se soit trouvée faire écho à certains débats très actuels n’était pas prémédité. On a spécialement insisté sur l’édition des Pensées publiée en 1896 à la Société de Saint Augustin de Desclée et De Brouwer par le chanoine Jules Didiot, professeur de théologie à l’Institut catholique de Lille. Si, du point de vue des pascaliens d’aujourd’hui, elle peut tout juste passer pour une curiosité, il s’agit de la seule édition des Pensées qui ait été, fût-ce de manière minimale, examinée par la congrégation de l’Index quant au texte même : l’édition genevoise de 1778 – l’édition de Condorcet de 1776 augmentée des notes complémentaires de Voltaire –, avait été condamnée par la Congrégation le 18 septembre 1789, mais uniquement pour son appareil éditorial. Il était en outre possible de s’appuyer sur des sources entièrement inédites, jamais utilisées jusqu’ici, ni par le directeur d’études ni par d’autres.

3L’édition Didiot des Pensées se voulait, non « pas seulement une nouvelle édition », mais « une nouvelle réfutation » des erreurs jansénistes de Pascal. D’autres éditeurs catholiques s’y étaient déjà essayés, mais Didiot fut le premier à condamner systématiquement, sur un ton volontiers virulent, « l’irrémédiable scepticisme » de Pascal au nom de la constitution Dei Filius de Vatican I, régulièrement citée en note. Un excès de zèle de l’évêque de Bruges, qui refusa l’imprimatur à l’ouvrage comme à un livre janséniste, n’en fit pas moins aboutir le livre à l’Index. Le mémoire apologétique présenté à la Congrégation par Didiot, et l’avis alors demandé à un consulteur, le capucin français Pie de Langogne – qui jugea les Pensées tout entières « infectées par l’esprit janséniste » –, éclairent le statut ambigu qui était alors celui de Pascal, mais aussi certaines fractures internes du catholicisme français. Si certains soulignaient les ressources apologétiques que pouvaient offrir les Pensées, leur auteur n’en restait pas moins tenu, en France comme à Rome, pour profondément suspect. Ce ne fut que dans la décennie suivante que commença la grande entreprise de déjansénisation de Pascal, et que le discours catholique dominant passa du dénigrement plus ou moins sourd à la récupération ouverte.

4II. Le procédé favori de cette entreprise de déjansénisation, au xxe siècle et jusqu’à nos jours, a consisté à mettre en exergue le désaccord entre Pascal, d’une part, Arnauld et Nicole, d’autre part, dans « les guerres civiles de Port-Royal », et à l’articuler avec les propos contre « ces Messieurs » supposément tenus par Pascal au P. Beurrier, curé de Saint-Étienne-du-Mont, qui lui administra les derniers sacrements.

5Ces guerres civiles de Port-Royal – l’expression est de Nicole –, en 1661-1662, pendant la dernière année de la vie de Pascal, portaient sur l’attitude à adopter vis-à-vis du formulaire antijanséniste, dont la souscription avait été rendue obligatoire en 1661. Une édition critique de l’ensemble du dossier fait cruellement défaut. Les Œuvres complètes laissées inachevées par Jean Mesnard ont le mérite de donner au t. IV (dernier paru, en 1992), tout le corpus conservé des écrits échangés de part et d’autre, dans un texte généralement sûr, même si tel ou tel choix peut être critiqué. L’édition est pourvue d’une importante introduction mais quasiment d’aucune annotation, pas même pour identifier les citations, ce qui se comprend si l’on considère que, de cet ensemble, trois pages au plus peuvent passer pour un écrit authentique de Pascal, mais ne facilite pas la tâche de l’interprète. Pour beaucoup de documents de première importance, en revanche, Jean Mesnard renvoie les lecteurs à un futur t. VII, dont il leur faut faire définitivement leur deuil.

6La conférence a donc repris de première main l’ensemble du dossier. On a pu ainsi remettre au jour au moins deux textes ignorés ou négligés jusqu’ici, l’un concernant l’usage que l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, fit de la déclaration qu’il avait tirée du P. Beurrier sur les derniers sentiments de Pascal, l’autre concernant les instructions données par Pascal, sur son lit de mort, à sa sœur Gilberte Périer. S’ils ne remettent pas fondamentalement en cause les conclusions auxquelles étaient déjà parvenus les meilleurs spécialistes de la seconde moitié du xxe siècle – Jean Orcibal, Henri Gouhier, Jean Mesnard –, ces deux textes permettent de préciser la chronologie de la controverse et le rôle qu’y tinrent tant les religieuses de Port-Royal que la famille de Pascal.

7Le directeur d’études, au terme de ce parcours, a proposé sa propre interprétation du débat interne à Port-Royal sur le formulaire. Ce qui s’y jouait au fond, c’est que Pascal avait vu et reconnu que les papes avaient condamné sa doctrine, la doctrine de Jansénius, qui était pour lui la vérité, alors qu’Arnauld s’obstinait à le nier, et à soutenir que le pape, en parlant du sens de Jansénius, avait dans l’esprit une certaine doctrine qu’il croyait celle de Jansénius mais qui ne l’était pas. Sainte-Beuve l’avait déjà très bien dit : « Ainsi Arnauld plaidait l’orthodoxie du pape, que niait Pascal : c’est ce que toutes les explications jansénistes ont vainement essayé d’obscurcir. » Sans doute, la sévérité ironique avec laquelle Sainte-Beuve jugeait les longs développements d’Arnauld n’est plus aujourd’hui recevable. Les analyses d’Arnauld sur la nature des propositions, le fonctionnement du langage, la certitude humaine sont passionnantes, et des pages entières de ses écrits sur la signature sont passées presque telles quelles dans la Logique de Port-Royal. Sitôt, pourtant, qu’il s’agit des faits, de ce qui s’est vraiment passé à Rome, Arnauld s’aveugle volontairement : pour le dire familièrement, il prend ses désirs pour des réalités.

8Jean Mesnard a écrit que, dans cette dispute, Arnauld agit en prêtre alors que Pascal se sent prophète. La formule n’est pas très heureuse – sauf peut-être à la prendre dans un sens violemment anticlérical qui n’était certes pas celui de Jean Mesnard. Il vaudrait mieux dire que Pascal parle en prophète, alors qu’Arnauld parle en docteur de Sorbonne, en théologien de profession qui a été formé à serrer au plus près les contours de l’orthodoxie : il s’arrête au point précis où il entrerait en territoire dangereux, il pèse les conséquences qu’on pourra tirer de ses propos, il devance les objections. Il y a de la tactique dans sa défense de la vérité. Pascal dénonce ces ménagements : « la manière dont on s’est pris pour se défendre contre les décisions du pape et des évêques […] a été si peu nette et si timide qu’elle ne paraît pas digne des vrais défenseurs de l’Église. » C’est dans cette détermination à mettre la vérité au-dessus de toute chose – au-delà de l’aspect technique de la question du fait et du droit qui n’intéresse que quelques spécialistes –, qu’éclate, aujourd’hui encore, la grandeur spirituelle de Pascal : c’est cela qui touche encore et qui fait de ce débat sur la signature, dans la culture française, au moins depuis Sainte-Beuve, un lieu de mémoire.

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Notes

1 Pascal, prophète et résistant, colloque du Centre international Blaise Pascal, 23, 24 et 25 mars 2023, organisé par Dominique Descotes, Laurence Plazenet et Laurent Thirouin.

2 Pascal : l’esprit de discernement, l’amour de la vérité, colloque international, fondation Singer-Polignac, 19, 20 et 21 juin 2023, organisé par Vincent Carraud.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis Quantin, « Érudition historique et philologique de l’âge classique aux Lumières »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 379-381.

Référence électronique

Jean-Louis Quantin, « Érudition historique et philologique de l’âge classique aux Lumières »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7278 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t4h

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Auteur

Jean-Louis Quantin

Directeur d’études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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