Histoire et civilisation du livre
Résumé
Programme de l’année 2022-2023 : Histoire du livre et des bibliothèques, XVIe-XIXe siècles.
Texte intégral
1En 2022-2023, la conférence d’Histoire et civilisation du livre a été consacrée aux usages du livre dans les milieux savants du xviiie siècle. Ils ont été scrutés à partir d’un observatoire privilégié, le fonds de papiers d’un savant nîmois, Jean-François Séguier (1703-1784), passé à la postérité pour avoir déchiffré l’inscription aujourd’hui disparue sur le fronton de la Maison carrée de Nîmes (inscrite depuis septembre 2023 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco). À la fois naturaliste et antiquaire, connu dans toute l’Europe pour sa Bibliotheca botanica (bibliographie botanique antérieure à celles de Linné et de Albrecht von Haller), sa collection de fossiles et ses talents d’épigraphiste, Séguier a laissé à l’académie de sa ville natale l’ensemble de ses papiers, sa bibliothèque et ses collections naturalistes et antiquaires, qui constituent aujourd’hui le fonds des musées et bibliothèque de Nîmes. Ces archives savantes permettent de saisir la place de l’écrit, du livre et de la bibliothèque dans les pratiques du travail érudit ; elles peuvent également être étudiées pour elles-mêmes : comment un ensemble de papiers, que Séguier désignait lui-même comme « le chaos de [ses] papiers », et une bibliothèque dont le catalogue autographe ne met en évidence aucune organisation rationnelle, ont traversé deux siècles sans (trop) d’encombres et constituent aujourd’hui des « archives savantes ».
2Après trois séances de mise en place biographique, les suivantes se sont concentrées sur différents aspects de ce rapport au livre. La dimension très européenne des réseaux de Séguier, de sa correspondance, de ses visiteurs à Nîmes et de sa trajectoire elle-même (puisqu’il a vécu vingt ans à Vérone auprès du marquis Maffei), a permis d’inscrire le « cas Séguier » dans une perspective beaucoup plus large, à partir d’une entrée provinciale qui constitue en elle-même une originalité (puisque la plupart des savants étudiés pour le xviiie siècle vivent dans une capitale). Il s’agissait aussi de familiariser les étudiants avec la démarche de la nouvelle histoire des savoirs, attentive aux gestes, aux lieux et aux outils du travail savant, ainsi qu’avec les méthodes de la nouvelle érudition appliquées à des écritures savantes modestes (la fiche, la carte à jouer, la liste de livres, le répertoire de correspondants, etc.). Les séances se sont ainsi concentrées sur trois aspects : la bibliothèque, le livre, l’archive.
La bibliothèque
3Chez Séguier et nombre de ses correspondants, les pratiques de la vie savante sont polarisées par la bibliothèque : c’est par-là que nous avons commencé notre exploration profonde des espaces de l’écrit savant. C’est l’unité la plus englobante, qui rassemble à la fois les livres, les manuscrits et les papiers même si, ici comme ailleurs, le matériau semble déborder de partout. Les livres ne sont pas confinés entre les murs de la maison : ils sont prêtés aux amis, envoyés aux correspondants. Ils sont consultés, copiés, longuement cités, parfois (mais rarement dans le cas de Séguier) annotés. Ils parviennent en flux réguliers depuis les boutiques des libraires ou sont âprement négociés dans les ventes publiques. La bibliothèque savante est une fenêtre qui ouvre sur de multiples réalités : la place des livres dans l’ordre matériel du savoir et l’anthropologie historique des pratiques savantes, le fonctionnement de la librairie dans une province communément considérée comme un désert de livres, la construction d’une éthique publique de la bibliothèque privée, lorsque la circulation entre amis est pensée comme une solution pour pallier l’absence d’une bibliothèque publique.
4La question des outils de gestion des bibliothèques privées – l’histoire des catalogues – a été récemment renouvelée. Les historiens interrogent non seulement les classifications (l’armature intellectuelle de la bibliothèque, qui renvoie à une épistémologie), mais aussi les supports matériels et les gestes de la logistique des savoirs. En 1760, Séguier dresse le catalogue de sa bibliothèque. C’est un registre d’environ 350 pages, intitulé Catalogue des livres de J. François Séguier en 1760 [et années suivantes], riche de près de 7 000 titres. L’objet appartient à la famille des catalogues domestiques, rédigés par le propriétaire des livres pour son usage personnel, un type d’outil qui se généralise au xviiie siècle. Il est difficile de savoir si les livres étaient rangés dans le même ordre sur les étagères de la bibliothèque, car le catalogue ne contient aucun système de renvoi vers l’espace physique de la collection. L’ordre du catalogue ne préjuge pas de celui des livres : il est tout à fait possible (et c’est d’ailleurs le plus probable) qu’il ait été un outil de gestion intellectuelle de la bibliothèque déconnecté de sa manipulation pratique. Séguier a, d’après ses contemporains, une excellente mémoire : comme d’autres savants, il est capable de se repérer sans appui dans une collection qu’il connaît intimement, de retrouver les ouvrages dont il a besoin en mobilisant la mémoire des lieux et de la contiguïté des livres. La collection est d’ailleurs de taille raisonnable, ce qui permet encore de s’y retrouver sans trop de difficultés. Le catalogue est très proprement écrit, du moins en ce qui concerne la colonne de gauche, rédigée d’un seul tenant – tandis que la colonne de droite est destinée aux acquisitions ultérieures. Sa rédaction est forcément la dernière étape d’un travail plus long dont les phases intermédiaires ont disparu : Séguier a-t-il procédé à ce travail préparatoire à l’aide de petites fiches, sous forme de languettes, portant la référence de chacun des ouvrages, ensuite collées en un registre d’attente ? A-t-il utilisé un répertoire à onglets alphabétiques, dont on trouve d’autres exemples dans son fonds de papiers, de manière à opérer un premier classement des auteurs ?
5L’histoire de la constitution de cette collection est une seconde entrée. L’édification d’une bibliothèque est toujours le résultat d’une rencontre entre une inclination intellectuelle et un ensemble de contraintes matérielles, incluant le caractère limité des ressources financières, les capacités de la librairie locale, l’inégale distribution de l’information bibliographique, mais également les tarifs douaniers, l’état des routes ou les perturbations liées aux épisodes guerriers. Contrairement aux savants qui constituent l’essentiel de leur bibliothèque à partir des ressources locales de Nîmes, de Montpellier ou d’Avignon, ceux dont la notoriété et la crédibilité intellectuelles reposent sur leur capacité à rester en prise avec l’actualité scientifique, développent des réseaux capables d’atteindre les confins de l’Europe savante. Ceux de Séguier sont de trois types : les libraires locaux (notamment le nîmois Gaude, de bonne réputation) qui lui procurent les produits de la librairie parisienne ; les libraires lyonnais (principalement les frères de Tournes et leurs successeurs, mais aussi Duvillard et Duplain), auxquels il s’adresse pour obtenir les ouvrages de l’espace suisse et allemand ; enfin ses propres connaissances, correspondants et voyageurs, qu’il utilise dans les espaces mal ou non atteints par les libraires, l’Angleterre, la Suède, l’Italie ou l’Espagne.
6Un autre moyen courant de se procurer des livres consiste à fréquenter les ventes publiques. Bien loin d’être un événement extraordinaire, ces ventes sont une réalité assez courante à l’époque moderne. Il s’agit parfois de bibliothèques très importantes, que des collectionneurs en manque de liquidités ou leurs héritiers confient à des libraires pour en organiser la vente, mais aussi de collections beaucoup modestes, négociées de la main à la main. Ces ventes sont depuis longtemps un lieu privilégié pour l’histoire des pratiques de la librairie, de la bibliographie et des classifications, ou pour suivre la structuration d’un marché du livre rare au xviiie siècle. Mais les considérer depuis le monde savant permet de comprendre comment les milieux lettrés se sont appropriés cette modalité d’accès au livre. Comme le montrent les correspondances, leur implication dans les ventes de livres, loin d’être apaisée et évidente, est parcourue de tensions. La première oppose le profit attendu à la certitude de la perte que représente la dispersion de la collection. Car si les ventes publiques constituent, sur le moment, une occasion d’acheter des ouvrages rares ou à bon prix, la disparition des bibliothèques prive les savants de ressources parfois cruciales dans l’économie intellectuelle de la région. La seconde met en évidence les limites des solidarités traditionnelles de la République des lettres dans une économie enflammée par la bibliophilie : l’impuissance des savants méridionaux à pénétrer les ventes lyonnaises et parisiennes, voire à tirer parti des ventes locales, en témoigne.
7La constitution d’une bibliothèque de travail n’est donc pas chose facile. Les livres sont chers et il est souvent difficile de se les procurer, alors que la connaissance de l’état de l’art fait partie des premières préoccupations des lettrés. La circulation des livres entre savants permet de remédier en partie à ces difficultés. Cette civilité est un principe fondamental de la République des lettres, dont les savants font volontiers vitrine. En plus d’être une nécessité matérielle dans un contexte de ressources rares, elle participe à la cohésion d’un milieu savant qui place l’échange au cœur de son éthique. L’espace que dessine la communication privée des livres est pensé comme une sorte de bibliothèque sans murs, au sein de laquelle les correspondances permettent d’actualiser la connaissance des ressources des uns et des autres. En pratique, la circulation des livres s’effectue à l’intérieur d’un périmètre relativement limité. À une époque où tout déplacement est coûteux, où tout envoi comporte une part de risque, le critère de l’éloignement est forcément important. Le prêt à des voyageurs ou à des savants plus lointains suppose un arbitrage délicat entre le risque encouru et la qualité sociale de l’emprunteur : on en a examiné plusieurs exemples, à l’issue plus ou moins heureuse pour Séguier.
Le livre
8Le livre a constitué la seconde échelle de notre réflexion. Séguier fait partie de ces savants qui ont du mal à achever un livre. Comme il le dit d’un de ses contemporains, le médecin Mahudel, « le don de la conclusion d’un ouvrage est rare dans certaines personnes ». Malgré tout, Séguier a publié quelques ouvrages dont la Bibliotheca botanica (1740), bibliographie botanique qui constitue à son époque un utile instrument de travail pour les botanistes, et encore plus pour les bibliothécaires. La genèse de cet ouvrage est un excellent observatoire de la manière dont on « fait » un livre au xviiie siècle, dans sa double dimension intellectuelle et matérielle.
9L’idée germe lors du voyage que Séguier fait à Paris en compagnie du marquis Scipione Maffei, dont il est l’assistant, entre 1732 et 1735. Les deux hommes visitent la Bibliothèque du roi qui vient d’être agrandie et est encore en chantier. Surtout, pendant six mois, entre la fin de 1733 et le début de 1734, Séguier travaille au cabinet des estampes à reclasser et à cataloguer la collection des Vélins du roi, somptueux ensemble de dessins de fleurs et d’animaux commencé dans les années 1630 à l’initiative de Gaston d’Orléans et confié successivement à différents peintres et graveurs, dont Nicolas Robert, Abraham Bosse et Claude Aubriet. Le jeune savant a découvert la collection à travers les Éléments de botanique, ou Méthode pour connaître les plantes (1694) de Joseph Pitton de Tournefort, illustrés par Claude Aubriet. L’ouvrage est de ceux dont la lecture a façonné les aspirations de toute une génération de botanistes, mais Séguier a sans doute été particulièrement sensible à la beauté des planches. Formé au dessin et à la peinture par un des frères Natoire, il a lui-même un bon coup de crayon et un certain talent de coloriste. L’inaccessible collection royale est devenue un morceau du rêve parisien. Outre le travail de classement des planches, Séguier doit en dresser le catalogue, identifier, « en suivant le langage et la méthode de M. de Tournefort », les planches qui manquent à la collection pour en faire un instrument le plus complet possible, et enfin associer aux plantes les différents noms qui leur ont été attribués par les principaux auteurs de botanique. De cette dernière partie du travail, et des difficultés qu’il rencontre à ce propos, naît le projet d’un catalogue de tous les auteurs de botanique.
10Le projet n’est pas original. Il relève du genre des bibliographies thématiques qui se multiplient depuis que l’explosion de la production imprimée a rendu irréalistes les projets de bibliographies universelles. Il prendra la forme d’un catalogue des auteurs organisé en trois parties : la botanique, les usages pharmaceutiques des plantes, l’agriculture et l’art des jardins. Cette entreprise occupe Séguier bien au-delà de son séjour parisien, jusqu’à l’arrivée à Vérone ; elle organise d’une certaine manière sa fréquentation des bibliothèques européennes. Le registre des prêts d’imprimés de la Bibliothèque du roi permet de rentrer au plus près de la « fabrique de la bibliographie ». Entre le 29 avril 1735 et le 9 février 1736, Séguier retire régulièrement des livres, une trentaine en tout, sans compter ceux qu’il examine sur place. Il se sert principalement des classes Q (Bibliothecari) et S (Historia naturalis), soit pour consulter les livres de première main, soit pour compiler les bibliographies existantes. Parmi les autres bibliothèques parisiennes fréquentées, la plus importante est celle du médecin parisien Camille Falconet, riche de 45 000 volumes. Passé la Manche, la découverte des richissimes bibliothèques anglaises relance le chantier, dans celle d’Hans Sloane, secrétaire de la Royal Society, qu’il visite tous les jours, à la maison de campagne de lord Oxford, à Wimple dans le comté de Cambridge, etc.
11Quelle trace les bibliothèques fréquentées laissent-elles dans la Bibliotheca ? À quel point ce qui se présente comme un tableau exhaustif et idéal de la pensée botanique est-il tributaire de ces séjours et de ces haltes, de ces immersions et de ces incursions, des commodités institutionnelles ou des facilités interpersonnelles ? À la différence d’autres ouvrages dans lesquels les bibliothèques fréquentées sont simplement citées dans la préface, en signe de reconnaissance, Séguier inscrit fréquemment, dans la notice elle-même, la source de son information bibliographique : actes académiques, bibliographies et auteurs de référence, catalogues de bibliothèques et bibliothèques elles-mêmes. Au seuil de l’ouvrage, juste après la préface, le lecteur trouve une table des abréviations qui pointe vers ces ressources. Outil destiné à faciliter la lecture, il appartient à la grande famille des péritextes développés par le monde de l’imprimé. Mais placé en tête du volume, il manifeste aussi que le jeune savant connaît ses classiques et qu’il a ses entrées dans les bibliothèques parisiennes, celles de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor et de Saint-Germain-des-Prés, chez Camille Falconet, à la Mazarine et à la Bibliothèque du roi à Paris, dans les bibliothèques du duc de Malborough, d’Hans Sloane et du médecin Richard Mead à Londres, du comte d’Oxford « Wimple juxta Londinum », dans celles de l’empereur et du prince Eugène à Vienne, chez Jan Frederik Gronow à Leyde, au monastère Saint-Georges et à la Marciana à Venise, chez le cardinal Passionei à Rome. La Bibliotheca botanica a beau appartenir à la famille des « bibliothèques sans murs », elle n’en est pas moins fortement localisée, arrimée aux bibliothèques bien réelles qui l’ont nourrie. Cette liste masque toutefois des régimes de fréquentation très différents. Travailler un jour, un mois ou trois ans dans une bibliothèque n’est certainement pas la même chose. La centaine de références liées à la bibliothèque Mazarine ou à celle de Camille Falconet témoignent d’une immersion longue et de dépouillements nombreux. Le mois passé chez Hans Sloane enrichit la Bibliotheca botanica de plus de cinquante notices, tandis que les références à la bibliothèque du médecin Mead, à celle de Gronovius à Leyde, ou aux ouvrages conservés à Wimple, « in bib. Com. Oxon. », ne sont qu’une poignée.
12Le travail bibliographique a produit une immense quantité de papiers que Séguier conserve jusqu’à sa mort : des centaines de petits bouts de papier, minuscules rectangles ou fines languettes, de titres isolés, attrapés au vol d’une lecture, d’une lettre ou d’une conversation. La présentation matérielle de certains morceaux de papier rappelle les solutions pratiques employées pour la rédaction des catalogues, un matériau intermédiaire, facilement agençable.
13Enfin, la confection de la Bibliotheca botanica confronte pour la première fois le jeune savant au monde des marchands libraires. Après avoir espéré se faire éditer à Paris, c’est en Hollande qu’il parvient à trouver un libraire en la personne de Jean Neaulme, grâce à l’entremise de Jacobus Gerhard Van Swinden, un avocat à la cour de La Haye dont la connaissance lui a été procurée par un de ses parents de la diaspora huguenote, Reynaud de Lascours, et qu’il a aidé dans son entreprise d’édition des manuscrits d’Apollodore. L’aventure éditoriale de la Bibliotheca botanica, précisément retracée, témoigne de la dimension européenne du marché du livre érudit. Soutenu par l’existence de langues « universelles » (Neaulme voulait faire paraître l’ouvrage en français, Séguier réussit à imposer le latin) et les réseaux commerciaux de la diaspora huguenote, il permet à un Nîmois vivant à Vérone de se faire imprimer à La Haye (chez Neaulme). Dans le même temps, l’épisode révèle les difficultés de se faire publier à distance, lorsqu’il s’agit de surveiller le processus éditorial, de corriger ses épreuves et d’obtenir ses exemplaires d’auteurs.
Les archives
14Enfin, un certain nombre de séances ont porté sur les papiers de Séguier, devenus aujourd’hui des « archives dans la bibliothèque » à Carré d’Art de Nîmes. Cette réflexion s’est déployée en deux volets. D’un côté, l’histoire des milieux savants ne peut faire l’économie d’une interrogation sur leur rapport à l’archive. Pas seulement, donc, sur les pratiques de l’écrit, la gestion de l’information et la production de connaissances, mais sur les logiques et les formes matérielles de l’archivage domestique, la manière de se débrouiller dans le « chaos de papiers ». Ce rapport à l’archive inclut aussi le rapport aux archives des autres, la quête des papiers des savants disparus (cf. la reconstitution virtuelle de la correspondance Peiresc par les savants du xviiie siècle) et l’importance des héritages intellectuels qui sont aussi de papier, comme le montre la transmission des fogliolini de Scipione Maffei à son compagnon et disciple, devenu une sorte de « gardien du temple de papier ».
15D’un autre côté, lorsqu’on travaille sur un fonds de bibliothèque, il importe de s’interroger sur l’ensemble des opérations professionnelles, archivistiques ou bibliothécaires, à travers lesquelles ces papiers nous sont donnés à voir aujourd’hui. Ce que l’on pourrait appeler le « fonds Séguier » est le produit de la transformation d’une masse de papiers, inégalement organisée du vivant de leur propriétaire, en une « archive de chercheur » facilement identifiable dans les catalogues collectifs.
16Comme d’autres, les papiers de Séguier ont suivi une trajectoire en plusieurs étapes. Dans son testament de 1778, le savant les lègue avec l’ensemble de ses collections à l’académie royale de Nîmes. À sa mort en 1784, les académiciens entrent en possession de l’ensemble. Ils commencent alors à trier, classer, indexer et faire relier les papiers ; ils essaient aussi de reconstituer la correspondance active de Séguier, lorsque la Révolution interrompt le travail. La suppression de la compagnie par le décret de la Convention du 8 août 1793 donne l’occasion de dresser un premier état des possessions académiques. Cet inventaire constitue l’état des lieux le plus précis que l’on ait, près de dix ans après la mort de Séguier. Mais comme on le sait, la période qui suit la suppression de l’académie est une période sombre pour l’histoire des bibliothèques, qui souffrent des transferts d’un bâtiment à l’autre, des mauvaises conditions de conservation matérielle et des déprédations. Livres et papiers de Séguier confluent dans les dépôts littéraires, puis dans la bibliothèque de l’École centrale de Nîmes, devenue le noyau de la bibliothèque municipale fondée en 1803. La période révolutionnaire est marquée par de nombreuses pertes, notamment dans les dossiers de correspondance et de travail qui n’étaient pas encore reliés. En 1833, le passage à Nîmes de Guillaume Libri conduit encore à la disparition de correspondances italiennes qui finissent par revenir à Paris dans les années 1880, après le combat mené par Léopold Delisle pour la restitution des manuscrits volés et transférés à Londres par le bibliomane italien. Aujourd’hui, la numérisation de tout le fonds, disponible sur Gallica, marque une nouvelle étape de la vie des papiers.
17Travailler sur le fonds Séguier est ainsi une manière de reparcourir l’histoire des bibliothèques de la fin du xviiie siècle au début du xxie siècle et de saisir la manière dont les acteurs successifs – Séguier lui-même, puis les académiciens, les autorités politiques révolutionnaires, les bibliothécaires et les collectionneurs – ont compris l’intérêt de ces archives.
Pour citer cet article
Référence papier
Emmanuelle Chapron, « Histoire et civilisation du livre », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 338-343.
Référence électronique
Emmanuelle Chapron, « Histoire et civilisation du livre », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7208 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t49
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