Histoire de la France féodale
Résumé
Programme de l’année 2022-2023 : I. La société féodale dans la littérature française du XIIe siècle. — II. Questions diverses.
Texte intégral
1La première conférence confronte un certain nombre de textes littéraires au reste de la documentation disponible. Elle commence par le duel qui termine la Chanson de Roland, dans ses diverses versions, en s’appuyant notamment sur des analyses de Philippe Haugeard, et en mettant en regard de la Chanson les duels évoqués, pour des causes il est vrai moins graves que la trahison du guerrier, dans des cartulaires. Le rituel de Magdalen College pris par Jean Flori (L’essor de la chevalerie, XIe-XIIe siècles, Genève, 1986, p. 382-384) pour celui d’un adoubement est identifié comme une bénédiction de champion en vue d’un duel, ce qui est presque un unicum puisqu’il n’y a normalement pas de liturgie pour cette forme d’épreuve, peu fréquemment présentée d’ailleurs comme un « jugement de Dieu ».
2Vient ensuite le rôle de dame Guibourc dans la Chanson de Guillaume pour obliger son mari à reprendre inlassablement le combat. On compare ce texte aux pages d’Orderic Vital sur les dames normandes instigatrices, Hauvide d’Évreux et Isabelle de Conches. En regard des diatribes figurant dans Girart de Roussillon contre les vilains devenus chevaliers sont mises les pages de Galbert de Bruges sur les Erembaud et une notice de Marmoutier sur Ascelin fils Ohelme, condamnant ou freinant des ascensions de serfs par leur rôle d’agents seigneuriaux, ainsi que les légendes des familles nobles colportées ou remaniées par Richer de Reims et Raoul Glaber sur les promotions originelles de guerriers valeureux d’origine médiocre. Dans la même veine, on entend d’autre part un bel exposé de M. Jacques Berlioz (DR honoraire au CNRS) sur une page de Joinville consacrée à l’humiliation d’Artaud de Nogent. L’examen des propositions de paix qui jalonnent la vendetta de Raoul de Cambrai est suivi par celui des médiations dans les haines mortelles relatées, pour la Flandre de 1060, par les Miracles de saint Ursmer. L’épisode initial de Garin le Lorrain évoque les tensions entre chevaliers et clercs ou moines à propos de l’usage des seigneuries pour financer la guerre contre les Infidèles, présentée comme une défense de la France envahie, et il a paru intéressant de les confronter aux chartes et notices de monastères faisant état d’aide aux croisés en partance, notamment par la pratique du mort-gage (Auguste Bernard et Alexandre Bruel, éd., Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, t. V, Paris, 1903, nos 3703, 3840 et 4001, pour Achard de Montmerle, Robert Dalmas). Enfin, la lecture de La conquête de Jérusalem, chanson de croisade, attire l’attention sur une valorisation de Thomas de Marle et de La Fère, manifestement pour faire contrepoids à la sévère sentence du concile de Beauvais de 1114 et au déshéritement d’Amiens, relatés par Guibert de Nogent et par Suger. Il faut se méfier des récits de croisés entrés premier(s) à Jérusalem, car ils peuvent avoir la fonction de défendre et illustrer des chevaliers qui, après leur retour en France, dans la suite de leur vie en conflits, ont commis des crimes ou ont fait l’objet de dénigrements et de condamnations très rudes.
3La deuxième conférence revient sur les Miracles de saint Benoît, étudiés dans ce séminaire entre 1997 et 2000, qui ont fait l’objet en 2019 d’une belle édition critique et d’une traduction de très grande qualité (à peu de réserves près). On y a lu pour la première conférence les deux récits de duels judiciaires (VI.2 et VIII.11), on revient ici sur le livre VIII dû à Raoul le Tourtier, qui comporte un miracle de vengeance dont les cibles sont exceptionnellement élevées puisqu’il ne s’agit de rien moins que du jeune frère du roi Henri Ier et d’un évêque (VIII.1 et VIII.24). On remarque surtout dans ce livre VIII que les « miracles » sont très peu miraculeux : au lieu de grandes ruptures de l’ordre naturel comme le plus souvent dans les livres précédents, il ne s’agit plus ici que d’interprétations d’accidents assez communs ou, dans le duel judicaire, d’un coup habile.
4Comme annoncé l’an dernier, j’ajoute ici des rectifications de traduction ou d’annotation sur des éditions de sources, résultant du travail du séminaire.
5Dans Les miracles de saint Benoît (2019), il faut se féliciter de la traduction de mancipia par serfs dès le livre I (p. 153 et 155), en date du ixe siècle, même si miles est ensuite trop souvent traduit par « homme d’armes » ou même « soldat » et pas assez souvent par « vassal », comme dans beaucoup de traductions actuelles. On se félicite aussi des rectifications proposées à mes propres traductions (de 1999, p. 375 et 377, notes 65 et 67). De manière générale la qualité de cette édition et de cette traduction, achevées et revues par Annie Dufour, à laquelle je rends un hommage appuyé, tranche nettement sur de nombreuses défaillances de traducteurs récents. Cependant les livres dus à André de Fleury (IV à VII) sont d’un latin particulièrement ampoulé et sophistiqué, plein de périphrases et d’allusions cryptées, et il n’y a rien de surprenant à ce que l’on ait à proposer (sans résoudre tous les problèmes) quelques améliorations :
- ainsi p. 321, l. 17 (V.2), tous les hommes « du même diocèse » (parrochiales) plutôt que « de la même paroisse » ;
- p. 333, l. 20 (V.7), le testis falsitatis est un homme qui se porte témoin en faveur d’une revendication fausse, non le « témoin d’une supercherie » qui dénoncerait celle-ci ;
- dans le récit d’ordalie (p. 341, l. 38 V.13) l’homme mis à l’épreuve, autre testis falsitatis, ne pose pas « sa main déloyale sur le fer brûlant sans se brûler comme c’est le cas pour les coupables » (ce qui surprendrait) mais il est ensuite « arrêté » (mis sous bonne garde) « et sa main laissée sans cautérisation, comme c’est l’usage pour les inculpés » (on attend en effet normalement trois jours avant d’examiner l’état de la main) ;
- à la fin du récit de duel (p. 353, l. 11) ce qui est conservé dans l’église n’est pas « cet acte insigne », mais « cet objet remarquable » (le bouclier miraculeux) ;
- p. 355, l. 8 (VI.3), on préférera la sentence unanime (des grands de Troyes) à « la clameur générale » pour omnium conclamatio, et l. 25 on comprendra que la terre « rend ce service à Benoît de s’associer aux offenses subies par les amis de Dieu » en rejetant le cadavre de son adversaire, plutôt que d’accorder « à Benoît cet élément servile comme complice des outrages faits à l’ami de Dieu » ;
- p. 375, l. 17 (VI.14), André de Fleury prétend que si le roi Henri Ier est surnommé municeps, donc châtelain, c’est parce qu’il a pris beaucoup de châteaux ; et si André précise non a captione munerum, cela ne parait pas être parce qu’on lui reprochait d’« en avoir emporté les butins », mais parce qu’il avait coutume d’exiger des cadeaux, certainement pour les investitures de religieux, comme le lui reproche avec vigueur Humbert de Moyenmoutier, et sans doute aussi dans le cadre de l’interaction féodale : il faudrait donc traduire « et non parce qu’il extorquait des cadeaux » (il n’était donc pas qui munus capit) ;
- p. 453, l. 28 (VIII.21), Château-Gordon (Sancerre) se trouve « au pays berrichon » et non « biterrois » ;
- p. 459, l. 21, il me semble que le régisseur Joscelin plutôt que de « s’emparer des cens de ses seigneurs », est un serf ministérial qui « se soustrait au cens de ses seigneurs » (au chevage qu’il devait aux moines).
Pour citer cet article
Référence papier
Dominique Barthélemy, « Histoire de la France féodale », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 308-310.
Référence électronique
Dominique Barthélemy, « Histoire de la France féodale », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7135 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t44
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