Paléographie et histoire de l’écriture en caractères latins
Texte intégral
1L’année 2022-2023 marque l’introduction à l’EPHE-PSL d’un cycle de conférences dédié à l’histoire de la typographie latine, depuis ses origines jusqu'à ses manifestations contemporaines. Les grands modèles historiques en sont l’objet, et une attention particulière est accordée aux techniques de création et de production des caractères, ainsi qu’aux relations entre les différents acteurs impliqués dans leur production. Les conférences soulignent ainsi l'importance des interactions entre graveurs, fondeurs, imprimeurs et éditeurs et témoignent des étapes majeures qui ont permis à la typographie d’évoluer d’une pratique artisanale à une entreprise industrielle, jusqu’aux enjeux contemporains de création et d’usage des caractères numériques.
2Ce cycle s’appuie également sur un corpus de projets récents qui intègrent la création typographique comme l’un des moyens de la recherche dans le champ des humanités numériques, la mettant au service de disciplines diverses telles que la linguistique, la numismatique ou bien encore l’archéologie. Au fil des séances, de jeunes chercheurs et chercheuses, créateurs et créatrices de caractères typographiques, interviennent pour partager l’actualité de leurs recherches. Plusieurs de ces invités sont issus de l’Atelier national de recherche typographique, troisième cycle de l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, où enseigne la conférencière. Une séance de consultation des fonds patrimoniaux de la bibliothèque de l’École Estienne est également organisée à mi-parcours, qui permet aux auditeurs d’accéder aux ouvrages et caractères typographiques originaux étudiés tout au long du cycle de conférences.
3Une première séance d’introduction permet de poser certaines notions élémentaires, essentielles à la bonne appréhension du sujet : vocabulaire décrivant l’anatomie de la lettre imprimée et de la page, relation des formes typographiques aux outils et pratiques calligraphiques, classifications en usage, passage en revue des développements techniques majeurs du xve au xxe siècle (typographie au plomb, composition à chaud, photocomposition, publication assistée par ordinateur). Les auditeurs sont également sensibilisés aux techniques traditionnelles mises en œuvre dans la production de caractères typographiques, en particulier la gravure de poinçons qui engage un savoir-faire extrêmement spécifique et peu connu. Autant que possible, des corpus de recherche récents et le savoir-faire de praticiens contemporains sont mobilisés dès les premières séances. Ainsi les travaux des graveuses de poinçons Nelly Gable et Annie Bocel, jusqu’à récemment employées par l’Imprimerie nationale, permettent d’illustrer très concrètement certains aspects hautement techniques.
4L’émergence des grands modèles historiques est abordée au fil des séances, en suivant une trame chronologique : de l’apparition des premiers caractères typographiques gothiques à Mayence avec Johannes Gutenberg et Peter Schoeffer, jusqu’à la stabilisation du modèle romain dit « aldin » à Venise durant les trois dernières décennies du xve siècle, les états hybrides de la lettre entre ces deux archétypes sont considérés d’un point de vue formel, permettant de retracer la circulation des modèles à travers l’Europe occidentale durant les premières décennies de l’imprimerie. L’âge d’or du romain humanistique, dont l’épicentre se déplace de Venise à Paris dans la première moitié du xvie siècle, permet ensuite de nous intéresser aux activités d’imprimerie et d’édition en œuvre à cette période en France, et d’appréhender le rôle joué par d’illustres graveurs tels que Claude Garamont, Pierre Haultin et Robert Granjon dans l’élaboration d’un modèle qui restera largement immuable jusqu’à la fin du xviiie siècle. Ces séances sont aussi une opportunité de rétablir l’équilibre lorsque certaines figures ont été célébrées de manière disproportionnée par le passé, ou, à l’inverse, sous-estimées. Là encore, le recours à l’historiographie récente permet d’approcher ces figures de manière critique et nuancée.
5Les séances témoignent ensuite de la lente maturation à l’échelle européenne du modèle humanistique, qui voit émerger les prémices d’une modernité typographique avec la création du Romain du Roi à l’Imprimerie royale au tout début du xviiie siècle, puis avec les travaux de Pierre Fournier en France et de John Baskerville en Angleterre dans la seconde partie du siècle. Ces développements mènent à l’éclosion des différents modèles de caractères communément qualifiés de « modernes », tels que ceux promus par la famille Didot en France, par Giambattista Bodoni en Italie ou bien encore par Justus Erich Walbaum en Allemagne. Tout au long des conférences, ces développements sont mis en relation avec un contexte social, économique et technique favorable à l’émergence d’une nouvelle esthétique typographique, et animé par un idéal de progrès. Ce courant se déploie ensuite en dehors de l’espace du livre dans un foisonnement de variations typographiques, particulièrement dans les pays anglo-saxons où les évolutions sociales et techniques favorisent le développement de lettres de titrage spectaculaires, aux formes et proportions inédites.
6Le troisième volet est consacré aux grands courants typographiques du xxe siècle, envisagés sous deux prismes principaux : au travers de la relation qu'ils entretiennent aux différents mouvements graphiques et artistiques, d’une part, et du point de vue des évolutions techniques d’autre part. Ainsi une séance est dédiée aux tensions entre tradition et modernité telles qu’elles s’incarnent durant les trois premières décennies du xxe siècle dans plusieurs propositions typographiques diamétralement opposées. Une autre séance fait état de tensions similaires après la seconde guerre mondiale avec l’émergence de styles empreints d’identités nationales tels que le « style international suisse » d’une part, héritier des avant-gardes, et du mouvement de la « graphie latine » d’autre part. Le contexte technique d’émergence de ces courants est à nouveau au cœur de l’analyse, avec un intérêt particulier porté à l’industrialisation des procédés typographiques (émergence de la composition à chaud) puis de leur dématérialisation progressive (introduction des procédés photographiques puis de la publication assistée par ordinateur et des fontes numériques).
7En conclusion, une séance est dédiée à la scène typographique contemporaine ainsi qu’à l’apport de la typographie au champ des humanités numériques. La question de la représentation des systèmes d’écriture autres que l’alphabet latin est également abordée au cour des dernières séances, avec une intervention plus spécifique autour de la question des caractères japonais (avec Émilie Rigaud, doctorante à l’Inalco) et des hiéroglyphes Maya (avec Alexandre Bassi, étudiant-chercheur à l’Atelier national de recherche typographique).
Pour citer cet article
Référence papier
Alice Savoie, « Paléographie et histoire de l’écriture en caractères latins », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 252-253.
Référence électronique
Alice Savoie, « Paléographie et histoire de l’écriture en caractères latins », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/6965 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t3t
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