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Chroniques de la section des Sciences historiques et philologiques – année 2022-2023

Jean-Claude Margueron (1934-2023)

Sophie Démare-Lafont
p. XXXI-XXXII

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Texte intégral

1Né à Madrid le 25 octobre 1934, Jean-Claude Margueron a effectué sa scolarité à Paris, aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand puis à l’École alsacienne. Passionné depuis l’enfance par l’histoire et la géologie, il rencontre par hasard, à l’adolescence, les enfants de l’archéologue André Parrot, inventeur de l’antique cité de Mari (Syrie). Il découvre alors comment l’action sur le terrain peut rejoindre les questionnements historiques et gardera toute sa vie cet intérêt combiné pour la réalité matérielle des choses et la fabrication de l’histoire.

2Dès 1954, il part sur le site de Mari en tant que photographe de la mission d’André Parrot, puis se lance dans une licence d’histoire à la Sorbonne. Plus attiré par la géographie physique que par l’histoire de l’art, il étudie les phénomènes d’accumulation et de transformation du terrain, ce qui le poussera ensuite, en tant qu’archéologue, à analyser la morphologie des tells et la topographie pour servir de grilles d’interprétation historique.

3Agrégé d’histoire en 1961, il devient professeur dans l’enseignement secondaire jusqu’en 1964, date à laquelle il intègre le CNRS en tant qu’attaché de recherche puis part à Beyrouth en 1965, en tant que pensionnaire de l’Institut français d’archéologie, alors dirigé par Henri Seyrig. Il y reste jusqu’en 1969.

4De retour en France, il devient assistant, maître-assistant puis professeur d’archéologie orientale à l’université de Strasbourg jusqu’en 1985. Dès 1983, il assure une charge de conférences à l’École pratique des hautes études, et devient en 1985 directeur d’études dans notre section, où il reste jusqu’à sa retraite en 2005.

5Son activité de terrain débute à Larsa, dans le Sud de l’Irak, dont il dirige la mission entre 1969 et 1971. Il se tourne ensuite vers la Syrie où il conduit les fouilles de sauvetage à Emar entre 1972 et 1978, tout en se consacrant au site côtier d’Ugarit, entre 1974 et 1976.

6Mais c’est en tant que fouilleur de Mari que Jean-Claude Margueron s’est surtout illustré, au cours d’une vingtaine de campagnes entre 1979 et 2004. Il a pu y vérifier et affiner les hypothèses de recherche qui avaient constitué la matière première de sa thèse d’État.

7Cette thèse, dirigée par Jean Deshayes à Paris I et soutenue en 1978, s’intitule Recherches sur les palais mésopotamiens à l’âge du Bronze. Elle a été publiée sous le même titre en 1982 dans la prestigieuse Bibliothèque archéologique et historique (BAH) de l’Institut français de Beyrouth, et a reçu en 1983 le prix de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. L’architecture palatiale, jusque-là explorée principalement par les archéologues allemands, a été profondément renouvelée par l’approche de Jean-Claude Margueron, qui en a analysé tous les paramètres pour reconstituer le volume originel des bâtiments à partir des ruines conservées. Au-delà des interprétations techniques et savantes, ce travail s’est concrétisé par la réalisation de maquettes du palais de Mari, dont l’une est encore exposée au Louvre. Grâce à la technologie 3D, une reconstitution virtuelle très éloquente est désormais accessible en ligne sur le site de la fouille (https://archeologie.culture.gouv.fr/​mari/​fr).

8Jean-Claude Margueron a proposé une lecture globale du site de Mari, en établissant l’existence d’un schéma d’urbanisme dès la fondation même de la ville au IIIe millénaire avant n. è. Cette méthode repose sur une étude des monuments dans leur contexte spatial et urbanistique, pour mieux comprendre le milieu humain dans lequel se développe l’architecture. Cette démarche critique a pu être mise au point, aux dires mêmes de son auteur, grâce à ses enseignements dans notre École. Il y relisait à nouveaux frais les interprétations archéologiques antérieures à la lumière des données de terrain fournies par les plans, les coupes et les photos, pour montrer les contradictions voire les erreurs de certaines analyses. Le site de Mari a ainsi servi de laboratoire pour tester des hypothèses très novatrices sur la formation et l’évolution de l’habitat palatial et domestique et des espaces sacrés en Mésopotamie.

9La richesse des trouvailles archéologiques et épigraphiques a stimulé le dialogue interdisciplinaire et débouché sur la création conjointe, avec Jean-Marie Durand, de la série Mari. Annales de recherches interdisciplinaires. Les huit volumes publiés en quinze années, entre 1982 et 1997, ont produit des études majeures témoignant de la fécondité de cet esprit collaboratif.

10C’est à partir de sa longue expérience de fouilles que Jean-Claude Margueron a théorisé la notion de ville nouvelle, exposée notamment dans l’ouvrage monumental sur les Cités invisibles (2013) et reprise dans des études plus synthétiques sur le temple d’Ištar et l’urbanisme circulaire en 2014 et 2017. Il y présente la ville syro-mésopotamienne comme une initiative volontaire et programmée, liée à l’essor des échanges commerciaux et à la production de biens matériels plutôt qu’aux contraintes de l’économie hydro-agricole.

11À travers la publication de huit ouvrages de synthèse et de 200 articles scientifiques, auxquels s’ajoute une centaine d’études de vulgarisation, Jean-Claude Margueron a construit une méthode inductive critique de déchiffrement des vestiges archéologiques et donné ses lettres de noblesse à l’architecture de terre, longtemps mal aimée et peu étudiée.

12Toutes ses conclusions, qu’elles concernent le modèle palatial, la structuration de l’urbanisme ou l’interprétation de la stratigraphie, n’ont pas fait l’unanimité, loin s’en faut. Mais c’est le propre des travaux pionniers que d’ouvrir des pistes de réflexion, de susciter les débats et d’alimenter la recherche.

13Tout en rejetant l’idée de prédestination, Jean-Claude Margueron aimait à rappeler qu’il était né l’année de la découverte par André Parrot de la statuette du roi Ishqi-Mari (alors appelé Lamgi-Mari), qui a permis l’identification du site de Tell Hariri. Ses dernières années ont été consacrées à la figure de l’architecte mésopotamien, titre d’une conférence de 2018 et d’un ouvrage rédigé pendant les derniers mois de sa vie, où il souligne le rôle essentiel de ce personnage dans l’aménagement urbain et la conception des villes.

14Chevalier des Palmes académiques, Jean-Claude Margueron a également reçu la Grande médaille d’argent de l’Académie d’architecture. Il s’est éteint le 6 avril 2023.

15Sophie Démare-Lafont

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Démare-Lafont, « Jean-Claude Margueron (1934-2023) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, XXXI-XXXII.

Référence électronique

Sophie Démare-Lafont, « Jean-Claude Margueron (1934-2023) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/6730 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t32

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Auteur

Sophie Démare-Lafont

Directrice d'études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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