Histoire de la médecine : maladies, malades, praticiens
Résumé
Programme de l’année 2021-2022 : I. Définitions et causes de maladie(s) dans la médecine occidentale. — II. Épistémologie de la science médicale à l'époque moderne. La médecine aux confins du naturel (XVIe-XVIIe siècles).
Texte intégral
1I. La première conférence (Définitions et causes de maladie(s) dans la médecine occidentale) a poursuivi les travaux entamés dans la conférence 2020-2021 (voir le rapport de celle-ci) et abordé les théorisations et les pratiques de définition et de mise en relation causale dans la pathologie de Galien, puis dans celles des médecins tardo-antiques et byzantins. Huit séances ont été consacrées à Galien (129-216 ?) dont l’œuvre monumentale contient la première pensée médicale élaborée ayant survécu sur les questions de définition et de causalité de la maladie, après la perte de celles des méthodiques (notamment de Soranos pour les définitions) et des empiriques. Galien, « médecin-philosophe », a en effet importé dans le champ médical, discuté et appliqué aux questions de santé et de maladie les réflexions des philosophes (Platon, Aristote et aussi des stoïciens) sur la définition et la causalité. Sa pensée s’est développée en relation dialectique avec les écoles médicales (qui avaient des positions opposées sur la question de la causalité, voir le rapport de la conférence 2020-2021), et la fermeté et l’originalité de cette pensée dépassent largement l’« éclectisme » dont on qualifie trop souvent sa démarche (qui n’aurait fait que « choisir » ce qu’il y avait de meilleur dans chacune des écoles). Toutefois il a dû aussi être souligné qu’il s’agissait une pensée en devenir, non aboutie et donc aux résultats variables selon les textes, marquée, comme le « galénisme » en général, par la coexistence d’explications rationnelles voire « matérialistes » et l’omniprésence d’une providence divine. Galien considéra la définition comme un processus actif, à la recherche de l’essence des choses, en lien avec l’enquête causale dans un cadre typiquement aristotélicien. Il montra aussi l’intérêt de la définition pour l’enseignement, notamment dans l’Ars medica. En matière de causalité, Galien reprit des réflexions de Platon, d’Aristote et des stoïciens ce qui lui semblait utile en accord avec sa position. Il fit un large usage de la cause finale, en physiologie et même en pathologie, y voyant l’effet la « nature », créée par un démiurge puissant, intelligent et providentiel ; de la cause efficiente, en introduisant les distinctions stoïciennes (procatarctiques, proegoumènes et synectiques) ; et encore, quoique plus rarement, de la cause matérielle pour certaines causes spécifiques, les venins voire les « semences ». À la différence des auteurs hippocratiques, Galien accepta l’intervention divine dans certaines situations particulières, comme les songes. Pour l’analyse des phénomènes morbides, Galien mobilisa une large gamme de causes particulières : les qualités, les humeurs, les pneumas (peu), mais aussi les obstructions, relâchements, resserrements, les « propriétés spécifiques » et la sympathie, qui furent généralement distinguées selon les structures (homéomères, organes, corps). Les états de santé et de maladie étaient opposés d’une manière dichotomique toute aristotélicienne sauf dans l’Ars medica où Galien définit une catégorie intermédiaire (l’état neutre) ainsi que la « latitude » de santé. Les dernières séances de la conférence ont permis d’examiner les productions des « encyclopédistes » (Oribase, Aetius d’Amide, Paul d’Égine et Alexandre de Tralles), des auteurs latins tardifs (Théodore Priscien et Cassius Felix), de Stéphane d’Athènes et des principaux byzantins (Leo, Paul de Nicée, Theophanes Chrysobalantes et Johannes Zacharias Aktuarios). À l’exception d’Alexandre de Tralles et plus encore de Stéphane d’Athènes, ces auteurs n’ont souvent produit que des connaissances pathologiques simplifiées, implémentant des définitions et des systèmes causaux très simples, non systématiques, sans réflexion développée et largement tributaires des autorités, et particulièrement de Galien. Si la présence des causes divines et démoniaques a augmenté dans la production tardo-antique et byzantine, le recours aux causes astrales y resta encore limité.
2II. La seconde conférence (Épistémologie de la science médicale à l’époque moderne. La médecine aux confins du naturel (xvie-xviie siècles), commencée cette année, se propose d’analyser la production de connaissances médicales sur des phénomènes situés « aux confins du naturel » et régulièrement qualifiés par la médecine du moment de « surnaturels » ou « transnaturels » (praeter, supra ou trans naturam) pour lesquelles l’action de puissances surnaturelles (divinités, démons, esprits) était incriminée ou discutée. En conservant l’approche méthodologique mise en œuvre depuis plusieurs années (voir les rapports des années 2014-2015 et suivantes) considérant la science médicale résolvant des problèmes posés dans la pratique des médecins, il est apparu judicieux d’analyser séparément et successivement les problèmes de pathologie (maladies et souffrances au sens large) et les problèmes de thérapeutique et de commencer par les premiers : les phénomènes de possession, d’extase, et de transformation supposée. Après deux séances introductives consacrées à une analyse de l’historiographie (peu fournie et insuffisante pour la période) et aux conceptualisations contemporaines de ces phénomènes par l’anthropologie (possessions et transes), la psychologie et la médecine (neurologique et psychiatrique), ont été considérés deux textes particulièrement significatifs rédigés par les médecins français au centre de l’enquête : le Dyalogus singularissimus et perutilis in magicarum artium destructionem, cum suis anexis de fascinatoribus, de incubis et succubis et de demoniacis (ca 1500) du médecin lyonnais Symphorien Champier (1472 ?-1539 ?) et les chapitres 11 du Livre I et 16 du livre II du De Abditis rerum causis Jean Fernel (1497 ?-1558). L’analyse de ces textes, qui ont fait l’objet d’éditions et d’analyses relativement récentes, respectivement par Brian P. Copenhaver (1978) et Jean Céard (2021), a permis de faire le point de la conceptualisation médicale des phénomènes de possession, d’extase, et de transformation ainsi que du domaine et des modalités d’intervention des démons dans le champ pathologique dans la première moitié du xvie siècle avant le déchainement des conflits religieux et la recrudescence, associée, de l’obsession diabolique en France. Elle a permis également de rappeler l’influence des néoplatonismes sur la médecine française des premières décennies du siècle.
Pour citer cet article
Référence papier
Joël Coste, « Histoire de la médecine : maladies, malades, praticiens », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 154 | 2023, 343-344.
Référence électronique
Joël Coste, « Histoire de la médecine : maladies, malades, praticiens », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 154 | 2023, mis en ligne le 22 juin 2023, consulté le 13 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/6426 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.6426
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