Navigation – Plan du site

AccueilNuméros154Résumés des conférencesConcepts et pratiques de la gouve...

Résumés des conférences

Concepts et pratiques de la gouvernance impériale ottomane, 1876-1918

Thomas Kuehn
p. 72-74

Texte intégral

1L’objet des quatre conférences était d’étudier des concepts et pratiques de la gouvernance impériale ottomane pendant le règne d’Abdülhamid II (1876-1909) et la Deuxième Période Constitutionnelle (1908-1918). L’accent était mis sur le cas particulier du Yémen qui a été reconquis par les Ottomans à partir des années 1840, après une interruption de plus de deux cents ans. Bien que souvent négligé par des ottomanisants, le Yémen est néanmoins un cas important pour illustrer le fonctionnement de l’Empire ottoman comme puissance impériale durant la période en question. Si certains historiens ont affirmé que les Ottomans « … ont abandonné les façons impériales de gouverner » à partir des Tanzimat (Karen Barkey) ou que l’Empire pendant ses dernières décennies « fonctionnait de plus en plus à la manière d’un État-nation » (Janet Klein), nous avons montré que les notions proposées par Frederick Cooper et Jane Burbank pour expliquer le fonctionnement des empires sont valables pour le Yémen ottoman. Selon Cooper et Burbank, gouverner différemment des communautés et régions différentes et équilibrer les politiques d’incorporation et de différence étaient des éléments clés de la gestion d’un empire.

I. Les contractants impériaux et la gouvernance du Yémen ottoman, 1872-1914 (9 mai 2022)

2À partir des sources ottomanes, arabes et européennes, cette conférence a étudié les rôles et fonctions des élites locales dans la gouvernance de la province du Yémen (Yemen vilayeti). L’accent était mis sur un type particulier d’élites multifonctionnelles qui combinait l’affermage d’impôt (iltizam) avec des contrats d’approvisionnement de l’armée ottomane, des postes au sein de l’administration provinciale et parfois des services militaires. Les élites en question opéraient pour la plupart depuis Hudayda, la principale ville portuaire du Yémen ottoman, mais leurs différentes fonctions étaient cruciales pour assurer la présence ottomane dans l’ensemble de la province. Il s’agit donc des contractants impériaux (imperial contractors) qui jouaient un rôle clé dans la gestion de l’Empire avant les années 1830 et qui ont été étudies en détail par Dina Khoury, Ariel Salzmann et Ali Yaycıoğlu. Par contre, les historiens n’ont pas considéré ce type d’élites locales comme faisant partie du répertoire de la gouvernance impériale ottomane depuis les Tanzimat, ainsi donnant l’impression que ceux-ci disparaissent de la scène socio-politique de l’Empire. Le fait que des contractants impériaux « de style pré-Tanzimat » aient joué un rôle de premier plan dans la gestion d’une province ottomane reconquis au début des années 1870 nous permet de réévaluer des interprétations de la gouvernance de l’Empire à cette époque, encore dominante dans la littérature : celles-ci insistent souvent sur la trajectoire d’un empire très différencié vers un État de plus en plus centralisé et unitaire mettant fortement l’accent sur la territorialité, l’uniformité et la normalisation.

II. Revendiquer une patrie ottomane-yéménite : les élites yéménites et la politique de l’ottomanisme, 1908-1918 (16 mai 2022)

3À travers des sources ottomanes, arabes et européennes, dont des journaux, des procès-verbaux des débats parlementaires et des pétitions locales, cette conférence a analysé les efforts des élites yéménites, en tant que fonctionnaires, marchands et membres du parlement ottoman, de réclamer et négocier pendant la Deuxième Période Constitutionnelle (1908-1918) une forme de citoyenneté impériale qui incorporait le Yémen dans une patrie ottomane par la reconnaissance officielle et l’institutionnalisation de la différence locale. Ces dernières incluaient des responsabilités élargies pour les tribunaux de charia locaux, la restitution des privilèges fiscaux d’avant la conquête ottomane et, finalement, la dévolution des pouvoirs fiscaux et judiciaires à l’imam Zaydite Yahya b. Muhammad Hamid al-Din qui finira par être réglée dans l’accord de Da’an signé par les représentants de la Sublime Porte et l’Imam en 1911. Les élites en question représentaient ces politiques de différenciation comme des expressions de la « liberté » (hürriyet), ainsi proposant une interprétation particulière d’une des notions centrales que la révolution constitutionnelle de 1908-1809 cherchait à propager. Bien que les dirigeants du Comité Union et Progrès aient souvent insisté sur l’uniformité des droits et obligations de tous les sujets ottomans à l’échelle de l’empire et aient essayé de limiter, voire d’abolir les formes d’autonomie dans plusieurs provinces, ils ont néanmoins reconnu que la citoyenneté fondée sur la reconnaissance de la différence était le seul moyen de garantir la loyauté d’une région frontalière de l’empire où les moyens militaires n’avaient pas réussi à établir un contrôle stable.

III. Abdülgani Seni : réflexions sur l’importance de savoir local pour la gestion de l’Empire (23 mai 2022)

4Depuis la période des Tanzimat, des fonctionnaires ottomans insistaient souvent sur l’importance de gouverner les différents peuples de l’Empire « selon leurs mœurs et coutumes » (adat ve emzice). À partir des sources ottomanes, notamment des rapports, des articles de journaux et des récits de voyage, cette conférence s’est interrogée sur l’évolution des notions de savoir local parmi les fonctionnaires publics ottomans au cours des dernières décennies de l’Empire. Plus particulièrement, on a analysé la manière dont ils conceptualisaient ce que signifiait être expert en matière des coutumes des habitants de différentes régions de l’empire. On a évoqué surtout les publications du fonctionnaire et intellectuel Abdülgani Seni (1870-1950) sur ce sujet. Abdülgani Seni est un excellent exemple pour une génération de fonctionnaires qui est apparu au début des années 1900 et qui, pour la première fois, affirmait qu’un administrateur avait besoin d’une formation en sciences sociales pour gouverner les habitants « selon leurs mœurs et coutumes ». En même temps, il est l’un des rares fonctionnaires de sa génération à avoir réfléchi à cette question de manière aussi détaillée et à avoir partagé ses réflexions avec un public de lecteurs ottomans.

IV. L’environnement et la gouvernance impériale au Yémen ottoman, 1872-1914 (30 mai 2022)

5Cette quatrième conférence s’est intéressée au lien entre la connaissance de l’environnement et les pratiques de gouvernance impériale ottomane au Yémen à partir des années 1870. On a analysé des correspondances gouvernementales ainsi que des journaux, périodiques et monographies en ottoman dans lesquels des fonctionnaires civils et militaires examinent le problème du contrôle de grands espaces inhospitaliers, tels que les déserts et les zones montagneuses en tant qu’aspect crucial du gouvernement de cette province. Tandis qu’un État ottoman de plus en plus interventionniste avait transformé l’environnement local par le biais de projets d’irrigation ou de technologies d’approvisionnement en eau améliorées en Égypte, au Hedjaz et dans différentes parties de l’Anatolie, le pouvoir central était incapable de réaliser des projets comparables au Yémen. Au lieu de cela, des politiques plus limitées ont été menées, qui visaient non pas à la transformation de l’environnement au Yémen, mais à minimiser les risques qu’il posait pour des soldats et fonctionnaires, en adaptant les pratiques gouvernementales à ces réalités environnementales. Alors que des historiens comme Alan Mikhail ont soutenu que les fonctionnaires ottomans de cette période avaient tendance à rejeter les connaissances environnementales des communautés locales, nous avons démontré que le gouvernement provincial ottoman au Yémen cherchait à intégrer ces formes locales de connaissances dans la gouvernance de cette province.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Kuehn, « Concepts et pratiques de la gouvernance impériale ottomane, 1876-1918 »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 154 | 2023, 72-74.

Référence électronique

Thomas Kuehn, « Concepts et pratiques de la gouvernance impériale ottomane, 1876-1918 »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 154 | 2023, mis en ligne le 22 juin 2023, consulté le 13 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/6001 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.6001

Haut de page

Auteur

Thomas Kuehn

Directeur d'études invité, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques, Simon Fraser University (Canada)

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search