Sources et méthodes en histoire des sciences du vivant et de la santé (Moyen Âge, début de l’Époque moderne)
Résumé
Programme de l’année 2020-2021 : I. Savoirs physiologiques et res naturales dans les œuvres de pratique médicale (XIIIe-XVIe siècle). — II. Les mouvements corporels : théories et controverses (XIIIe-XVIIe siècle).
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I. Savoirs physiologiques et res naturales dans les œuvres de pratique médicale (XIIIe-XVIe siècle)
1Au premier semestre, nous avons poursuivi notre étude des discours physiologiques au sein du même corpus de practicae que l’an dernier, s’étendant de la première moitié du xiiie siècle (Compendium medicinae de Gilbert l’Anglais) à la première moitié du xvie siècle (practica d’Alessandro Benedetti, 1539).
2Dans un premier temps, nous nous sommes attachés aux discours relatifs à la génération. Après un rappel des points communs et des différences existant entre les théories hippocratiques, aristotélicienne et galénique (existence ou non d’une semence féminine, contributions paternelle et maternelle, modalités d’élaboration de la semence incluant pangenèse, hypothèse encéphalo-myélique, résidu ultime de la nourriture, produit d’une ultime coction au niveau testiculaire impliquant sang et pneuma), nous avons analysé les discours présents dans notre corpus portant sur l’anatomophysiologie des membres sexuels masculins (physiologie de l’érection et du désir ; spermatogenèse) ; l’anatomophysiologie sexuelle féminine et les menstrues ; la contribution féminine à la génération et la question du sperme féminin ; la grossesse / le développement du fœtus (formation, nutrition) et la question des âmes de l’embryon et de l’infusion de l’âme humaine.
3Nous avons ensuite analysé les discours ayant trait aux sens dits externes (vue, ouïe, odorat, goût, toucher) et ceux qualifiés d’internes, abordés avec une terminologie et une classification variables (sens commun, fantasia, imaginatio, imaginativa, virtus cogitativa, virtus estimativa, memoria) dans la médecine médiévale. Après avoir rappelé les théories exposées par Aristote (principes de la perception sensorielle ; sensibles propre et commun, dans De anima, De sensu et sensato, De animalibus) et par Galien notamment dans De utilitate particularum ou De iuvamentum membrorum, nous avons mis en évidence certains aspects médiévaux du traitement des sens externes dans les practicae : leur caractérisation commune et leur distinction par rapport aux vertus appréhensives internes, la précision et la diversité des discours portant sur l’anatomo-physiologie de la vision, les discussions sur les principes de la perception sensorielle communs à l’ensemble des sens externes, les discours de physiologie comparée (comparaison du degré de perfection des sens entre animaux), les aspects spécifiques à chacun de ces sens (par exemple, la question de l’existence ou non d’un medium de diffusion pour le toucher, les relations entre toucher et douleur, le rôle plus ou moins identifiable d’un spiritus ou pneuma dans la perception des différents sens externes, la noblesse variable attribuée à chacun des sens en fonction de sa participation à la survie ou de sa contribution à la connaissance intellective), les modalités d’utilisation des connaissances anatomo-physiologiques pour la compréhension des troubles et de la pathologie des sens externes.
4Enfin ont été examinés les discours des auteurs de practicae relativement aux sens internes et à l’intellect, après avoir exposé certains aspects des doctrines d’Aristote, de Galien et d’Avicenne sur ces sujets. Nous nous sommes particulièrement intéressés aux questions complexes de la catégorisation et de la terminologie des sens internes ainsi que les distinctions variables entre ratio et intellectus, avant d’analyser les discours sur l’imagination (effets de l’imagination sur les opérations corporelles, mobilisation du physiologique pour rendre compte du pathologique : rage, miction et pollution nocturne, hereos) et sur la mémoire (objets conservés, modalités et lieux de conservation, lien entre mémoire et complexion, conseils d’optimisation mémorielle et de soin des troubles de mémoire). Cet examen s’est achevé sur une étude du cas de la manie et de la mélancolie, propre à mettre en évidence la complexité des fonctions et interactions entre sens internes.
II. Les mouvements corporels : théories et controverses (XIIIe-XVIIe siècle)
5Après avoir, l’an dernier, étudié les théories et controverses portant sur les mouvements cardiaques du xiiie au xviie siècle, nous avons abordé au second semestre la question des mouvements locaux organiques et corporels, en recherchant les principes, facultés et instruments mobilisés dans différentes théories antiques et médiévales.
6Dans le corpus aristotélicien, nous avons étudié les passages évoquant les mouvements locaux et la distinction entre mouvements « selon le gré » de l’animal ou individu (ou volontaire), « sans gré » (ou non volontaire) et « contre le gré » de l’animal ou individu (ou involontaire) ainsi que la caractérisation de la puissance ou vertu motrice et les modalités d’intervention de l’âme, du cœur, du pneuma, de l’appétit ou du désir et de l’intellect dans la réalisation des mouvements locaux volontaires. Les discordances doctrinales de Galien avec les théories d’Aristote ont ensuite été identifiées à travers la distinction établie par le médecin de Pergame de catégories de mouvement « volontaire » et « naturel », sa reconnaissance de mouvements « obscurs » ou « mixtes », et sa théorie des mouvements volontaires reposant sur l’hêgemonikon, un siège cérébral, l’intervention d’un pneuma animal, des nerfs et des muscles. À travers quelques textes médicaux et non médicaux datant du vie au ixe siècle (Isidore de Séville, Étymologies ; Raban Maur, De anima et De universo ; Théophile le Proto-spathaire, De corporis humani fabrica), nous avons ensuite pu souligner la présence continue d’une conception encéphalocentrique sur cette période, conception faisant de la tête ou du cerveau le siège de l’âme, entendue souvent comme âme rationnelle, le siège corporel responsable de la réalisation des mouvements.
7Dans un dernier temps, nous nous sommes focalisés sur des textes de médecine et de philosophie naturelle adaptés ou traduits en latin à partir du xie siècle : Pantegni, Constantin (d’après Haly Abbas), Isagoge, Johannitius ; De natura hominis, Némésius d’Émèse, Canon medicinae et De anima, Avicenne ; Colliget et Grand commentaire au De anima d’Aristote, Averroès. Nous avons également examiné le commentaire au De motu animalium de Michel d’Éphèse (philosophe byzantin, appartenant au cercle d’Anna Komnene, auteur des seuls commentaires en grec qui nous soient parvenus pour le De motu animalium et le De incessu animalium d’Aristote) et celui d’Albert le Grand (De principiis motus processivi), pour lequel nous avons conjointement analysé son commentaire au De anima et son œuvre originale De motibus animalium. Dans l’ensemble de ces œuvres, les auteurs évoquent les facultés du mouvement selon le lieu ainsi que les principes et les instruments corporels en jeu. Les conceptions se différencient tout particulièrement en fonction de la partie corporelle considérée comme principe de la faculté motrice : le cœur, dans la perspective aristotélicienne, ou le cerveau, dans une perspective platonico-galénique. Dans son Canon medicinae, Avicenne rappelle ces deux conceptions, considérant la première, rattachée aux philosophes, comme plus conforme à la vérité, la seconde, adoptée par la plupart des médecins comme conforme aux sens et suffisante à l’exercice médical. C’est la conception cardiocentriste qu’Averroès a adopté tant dans son grand commentaire au De anima que dans le Colliget, précisant comment le cœur exerce son action grâce à la chaleur naturelle qu’il envoie jusqu’aux membres. Par ailleurs, le traité De l’âme d’Avicenne, le grand commentaire au De anima d’Averroès, les commentaires de Michel d’Éphèse et d’Albert le Grand au corpus aristotélicien se sont avérés constituer une source très riche pour interroger la façon dont ces auteurs ont conçu les relations corps-âme dans le cadre de la réalisation des mouvements corporels et l’intervention de la vertu désidérative ainsi que des facultés telles que l’imagination, la vertu estimative, la cogitative, l’intellect.
Pour citer cet article
Référence papier
Laetitia Loviconi, « Sources et méthodes en histoire des sciences du vivant et de la santé (Moyen Âge, début de l’Époque moderne) », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 153 | 2022, 369-371.
Référence électronique
Laetitia Loviconi, « Sources et méthodes en histoire des sciences du vivant et de la santé (Moyen Âge, début de l’Époque moderne) », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 153 | 2022, mis en ligne le 13 juin 2022, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/5623 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.5623
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