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Résumé

Programme de l’année 2020-2021 : I. Villes, périphéries et nécropoles en Gaule romaine tardive : réflexions autour du cas de Lugdunum des Convènes. — II. Archéologie du geste. Rites et pratiques à Pompéi. — III. Actualité de la recherche sur la Gaule romaine.

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Texte intégral

  • 1 La fouille de la nécropole tardive de Saint-Just présentée ici est intégrée dans un projet collecti (...)
  • 2 W. Van Andringa, « Urbs nova. La ville du ive siècle en Gaule », dans Academia Libertas. Essais en (...)
  • 3 Pour une définition de l’archéologie recentrée sur le terrain et l’humain, voir W. Van Andringa, Ar (...)
  • 4 W. Van Andringa, « Le monument et la tombe. Deux façons de mourir à l’époque romaine », dans M.-D.  (...)
  • 5 S. Balcon-Berry et W. Berry, « Le site de Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun dans l’Antiquité tardive. (...)
  • 6 J. Quéré, W. Van Andringa (éd.), Archéologie au village. Une enquête en cours sur le territoire de (...)

1Les opérations archéologiques menées depuis 2016 sur le site de Saint-Bertrand-de-Comminges / Lugdunum des Convènes1 fournissent des questionnements nouveaux sur les nécropoles et les manières de présenter les morts dans une ville de l’Antiquité tardive, à une époque de profonds bouleversements de la morphologie urbaine2. Rappelons à cet égard que la fouille est l’acte central de l’archéologie dans le sens où c’est bien l’enregistrement de terrain qui génère les questionnements scientifiques et non pas les textes ou des sources extérieures qui, lorsqu’ils existent, donnent plutôt des clés de lecture aux phénomènes mis en évidence3. À ce titre, alors que la documentation textuelle n’aborde jamais vraiment le sujet et attribue les véritables changements funéraires à la ville chrétienne du ve siècle, la fouille de la nécropole monumentale de Saint-Just de Valcabrère, installée entre 250 et l’époque constantinienne à 500 mètres des limites de la ville, fournit un dossier inédit et relativement complet sur les modalités d’organisation d’une nécropole d’un type nouveau, fondée non plus le long des routes d’accès à la ville qui permettait d’exposer la mémoire civique des communautés du Haut-Empire4, mais sur un terrain privé à l’écart de l’espace urbain, en l’occurrence dans les décombres d’une grande villa. Or, ce type de cimetière n’est pas unique, il se retrouve à Saint-Pierre-l’Étrier près d’Autun / Augustodunum, également à Saint-Laurent-de-Grenoble et à Saint-Martin-des-Champs à Bourges5. Ainsi, la nécropole de Saint-Just de Valcabrère, toujours en cours de fouille (2017–), permet-elle de rouvrir le dossier des mutations profondes du ive siècle qui ont aussi touché le monde des morts et qui renvoie sans aucun doute à l’évolution même de la société des vivants et de la ville de Lugdunum devenue Convenae dès la deuxième moitié du iiie siècle apr. J.-C.6.

  • 7 S. Balcon-Berry et W. Berry, Le site de Saint-Pierre-l’Estrier, note 5.

2Si la chronologie précise fait encore défaut, il est désormais assuré que le site de Saint-Just, dominé à partir du xie siècle par une église romane, constitue un pôle de peuplement occupé dès le 2e âge du Fer. Antérieurement à la nécropole constantinienne, on trouve un complexe résidentiel monumental construit au iie siècle de notre ère, dans une parcelle limitée à l’ouest par un fossé (fig. 1). Le secteur est déjà occupé par des structures, probablement d’habitat, reconnues, malgré leur caractère très parcellaire, dans les secteurs G et J. La difficulté tient pour l’instant à l’interprétation de l’ensemble, composé de plusieurs corps de bâtiments articulés par des murs d’épaisseurs variées et d’orientation différentes. À l’emplacement du secteur K, on trouve un grand bâtiment compartimenté de pièces donnant au sud sur un possible portique (que suggère le relevé géophysique). Il est envisageable que ces murs s’articulent à l’ouest avec les tranchées de récupération de même orientation fouillées dans les secteurs F-J-H (ces murs ont dû contraindre ou même structurer l’organisation des sépultures jusqu’à leur démantèlement). En revanche, l’ensemble situé dans le nord de la parcelle (secteur L) constitue un corps de bâtiment d’orientation différente, peut-être organisé autour d’une cour et se développant au moins jusqu’au mur encore en élévation sur le parking actuel du cimetière. L’ensemble de ces structures monumentales recouvrent pour l’instant une surface de 2 000 m2, soit l’équivalent de la partie résidentielle d’une grande villa. Ce grand complexe est en ruine lorsque s’installent les premiers monuments funéraires de la nécropole tardive. En effet, d’une part, un grand mausolée est installé à l’intérieur même du bâtiment K, venant alors recouper tous les murs nord-sud, d’autre part, deux sépultures de périnataux en amphore sont aménagées dans le corps de bâtiment L (l’une est même installée sur la maçonnerie de la fondation), signant ainsi son abandon. Cette interprétation trouve un élément de comparaison avec la nécropole de Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun / Augustodunum, également établie dans une villa suburbaine abandonnée à la charnière du iiie et du ive siècle7.

Fig. 1. — Phase du Haut-Empire : les structures de la villa.

3Dans la deuxième moitié du iiie siècle donc, la parcelle, toujours délimitée à l’ouest par un fossé, est réoccupée pour l’établissement d’une nécropole communautaire (fig. 2). Le strict alignement des mausolées A, G et B, D et leur constitution selon un même module indiquent que l’installation de cette nécropole monumentale a suivi une programmation planifiée, nécessairement par un pouvoir qui avait la volonté de créer un cimetière collectif. En effet, si les autorités publiques avaient simplement viabilisé une aire funéraire, et distribué ou vendu les lots, les monuments respecteraient des modules et des architectures variés. Le fait que les quatre mausolées A, G et B, D soient tournés vers le grand hypogée K et que ce dernier soit contemporain des premiers montre que le cimetière en question a été organisé autour d’un mausolée beaucoup plus grand que les autres (la crypte du mausolée K fait 3 m de profondeur, 4,5 m sous voûte et s’étend sur plus de 100 m2) attribué forcément au membre ou à la famille dominant du groupe (fig. 3). Ajoutons que le statut particulier et prééminent du mausolée K est confirmé par la longévité du monument jusqu’au xe-xie siècle, date de sa spoliation, alors que les mausolées B et D sont abandonnés très tôt et pillés dès la première moitié du ve siècle.

Fig. 2. — Phase de l’Antiquité tardive : les mausolées et les inhumations datés de la période 250-400 apr. J.-C.

Fig. 3. — Le grand mausolée K en cours de fouille : partie ouest de la crypte.

4Clairement, cette nécropole est établie selon des critères nouveaux. Ceux-ci ne respectent plus l’organisation des tombeaux du Haut-Empire qui étaient structurés par un axe viaire, nécessaire parce que la mort, à l’époque romaine, devait s’exposer sur le domaine public. La nécropole de Barsous, située dans la périphérie occidentale de la ville romaine, fouillée au xixe siècle et retrouvée en 2021 grâce aux images Lidar, confirme bien que les Convènes du Haut-Empire ont établi comme ailleurs leurs tombeaux le long des routes d’accès à l’espace urbain : c’est ainsi que l’on exposait la mémoire des communautés civiques urbaines à l’époque romaine. Ainsi, entre 250 et 300 apr. J.-C., une communauté supra-familiale (on compte sur le secteur fouillé au moins cinq mausolées, peut-être six) investit une parcelle occupée par un complexe bâti, une grande villa probablement, au moins partiellement en ruine comme indiqué précédemment. On peut se demander, comme le fait R. Golosetti si, effectivement, le choix d’insérer la crypte de l’énorme mausolée K dans le cœur du bâtiment du Haut-Empire n’a pas un sens mémoriel : le tombeau K n’est-il pas fondé volontairement dans une résidence identifiée comme la résidence familiale, désormais abandonnée dans le cadre de la restructuration de l’espace urbain et suburbain de Lugdunum ? Du moins, la question mérite-t-elle d’être posée. Ce mausolée central est en tout cas celui d’un grand dignitaire de la ville tardive, comme l’indique l’emploi dans la construction d’un grand appareil et de colonnes ou colonnes de pilastre en marbre blanc. Un tel tombeau pouvait contenir évidemment un grand nombre de sarcophages. On note également la présence d’une superstructure au-dessus de la crypte, qui pouvait accueillir d’autres tombes ou autre chose, une salle liturgique par exemple. Ce qui expliquerait du même coup la longévité du monument jusqu’au ixe siècle au moins. Enfin, c’est sans doute dans la seconde moitié ou la fin du ive siècle, en tout cas dans une seconde phase comme en témoigne son orientation, qu’intervient l’installation du monument F qui peut être identifié à un mausolée à pronaos. Son orientation montre qu’on a cherché à tourner celui-ci vers le monument K, possiblement dans le cadre d’un changement de statut de ce dernier.

5On remarque également, dans l’ensemble de la nécropole, une hiérarchisation inédite de l’espace funéraire, avec des tombes datées de la période 250-350 apr. J.-C., installées à l’intérieur des mausolées, certaines dans des sarcophages comme dans les monuments B et D, d’autres dans des tombes bâties avec couverture en mortier comme dans le monument A, alors que dans le courant du ive siècle ou dans la deuxième moitié du même siècle, des sépultures sont progressivement organisées en rangées devant les mausolées A et G et peut-être aussi devant un mausolée qui reste à identifier dans le secteur L. Ce type de disposition en rangées, sur tout le secteur entre les monuments G, A et K, est particulier et se rencontre dans les nécropoles du ive siècle, comme à Saint-Martin-des-Champs à Bourges ou au boulevard Jamin à Reims ; il peut renvoyer à la mise en place d’aires funéraires communautaires et non plus seulement familiales comme auparavant (il n’y a en effet aucune trace d’enclos ou de limite qui permettrait d’attribuer ces sépultures à des familles). Répétons qu’il semblerait que ces sépultures disposées en rangées soient postérieures aux mausolées ; elles sont attribuées pour l’instant à une seconde phase qui place le phénomène dans le courant du ive siècle ou la seconde moitié du même siècle.

  • 8 E. Portat et al., Rencontre autour de la mort des tout-petits. Mortalité fœtale et infantile. Actes (...)

6À cette époque, le recrutement funéraire est en outre caractérisé par l’introduction d’une classe d’âge jusque-là écartée de la mémoire familiale : les enfants morts autour de la naissance (fig. 4). En effet, un espace leur est dédié dans le pronaos du mausolée A, de part et d’autre du passage qui permettait de rentrer dans le monument. On note toutefois la position intermédiaire de ces tombes qui ne sont pas installées dans la chambre sépulcrale, mais dans le vestibule formé par le pronaos, séparé de l’extérieur par un petit mur bahut. L’installation des périnataux dans l’entrée du monument ou dans les secteurs proches des mausolées indique l’attribution d’un nouveau statut donné à cette classe d’âge par la communauté qui installe ses morts sur le site de Saint-Just. Une telle disposition est complètement inédite dans l’organisation des tombeaux de l’époque romaine. En effet, on sait que les enfants morts autour de la naissance recevaient rarement une sépulture dans le tombeau familial, en tout cas jamais un espace qui leur était spécifiquement dédié. Le plus souvent, les tout-petits se voyaient attribués une sépulture dans un espace collectif distinct des nécropoles familiales (comme dans la nécropole de Reverdy à Chartres installée dans une carrière abandonnée) ou en dehors des espaces funéraires communautaires, dans et à proximité des lieux de vie ou d’activité8. Il est donc possible d’affirmer que la famille titulaire du mausolée A de Saint-Just a donné une place à une catégorie d’individus qui n’avait pas jusque-là de statut mémoriel ou familial spécifique, même si les tout-petits pouvaient recevoir une sépulture en bonne et due forme. Nous sommes alors à l’époque constantinienne. D’autres sépultures de périnataux, quatre exactement, ont été découvertes à proximité du monument, à l’emplacement du bâtiment G tout proche. Deux autres ont été mises en évidence dans le secteur L, à proximité d’un mausolée qui reste à identifier. Il est difficile de dire si dans ces deux cas, ces sépultures sont liées à un espace familial reconnu ou si elles étaient disposées dans un lieu qui leur était réservé.

Fig. 4. — Une sépulture de tout-petit installée dans le pronaos du monument A.

  • 9 G. Ladocsi, s.v. child, childhood, dans A. Di Berardino, Encyclopedia of the Early Church, Cambridg (...)
  • 10 M. Moliner (dir.), Bouches-du-Rhône, Marseille, 1 bis rue Malaval. Une église paléochrétienne et sa (...)
  • 11 P. Maçon (dir.), Formation et transformation, note 5.

7Quoi qu’il en soit, le nombre pour l’instant recensé de sépultures d’enfants morts autour de la naissance (40 % des sépultures du ive siècle, en comptant celles des sarcophages disparus) est anormalement élevé pour une nécropole communautaire. Il témoigne à notre sens d’une nouvelle pratique, très certainement insufflée par le groupe fondateur de la nécropole ou certaines familles l’occupant. Si aucun document n’explicite un changement de statut des tout-petits au ive siècle, on doit reconnaître une prise en considération progressive de cette classe d’âge par les communautés chrétiennes9 (Ladocsi, 1992). Cette intégration des tout-petits est en tout cas actée au ve siècle, comme en témoigne la centaine de sépultures en amphore découvertes autour de l’église paléochrétienne de la rue Malaval à Marseille qui signe l’intégration des périnataux dans la mort sociale et communautaire10. Dans tous les cas, la nécropole de Saint-Just indiquerait que cette transformation des pratiques et sociale des enfants morts autour de la naissance est intervenue au ive siècle dans le cadre de la fondation d’un pôle funéraire nouveau. La place donnée aux périnataux dans le mausolée A trouve un élément de comparaison avec l’un des monuments funéraires du ive siècle de la nécropole de Saint-Martin-des-Champs de Bourges. Dans la chambre hypogée, un sarcophage fut dans un premier temps réservé aux tout-petits : quatre individus morts autour de la naissance furent ainsi successivement introduits dans le réceptacle. Puis, un espace réduit de 2 m de large fut ajouté pour recevoir les sépultures de trois immatures. Les comparaisons ne s’arrêtent pas à ce seul monument : la nécropole de Saint-Martin-des Champs est, comme Saint-Just, établie à l’écart des nécropoles antérieures ; elle se caractérise par des mausolées dont l’un a donné naissance au premier lieu de culte chrétien11.

  • 12 S. Esmonde-Cleary, J. Wood, Saint-Bertrand-de-Comminges, III. Le rempart de l’Antiquité tardive de (...)

8Les indices de pillage et de récupération des matériaux relevés dans les mausolées B et D, également dans le mausolée F, pour la première moitié du ve siècle témoignent probablement d’une période d’instabilité politique bien attestée par ailleurs, sans que l’on doive évoquer bien entendu les invasions des peuples germaniques. Si l’on excepte le cas du grand mausolée K, les monuments de la nécropole ne furent pas protégés du pillage. On peut également penser que ces récupérations ont été commanditées dans le cadre de la recherche de matériaux de construction pour la muraille urbaine dont la date de construction a été fixée au début du ve siècle, ou lors de la récupération des sarcophages enlevés pour être réutilisés par les dignitaires de l’époque12. En tout cas, cette période, la première moitié du ve siècle, semble bien correspondre à une période de latence et de moindre occupation. La phase funéraire suivante intervient dans la deuxième moitié du ve siècle et surtout au vie siècle.

  • 13 J. Guyon, J.-M. Paillet, « À l’occasion du centenaire des premières recherches archéologiques à Sai (...)

9Cette phase qui voit l’installation de sépultures entre 450 et 600 apr. J.-C. est marquée par un développement de l’aire funéraire dans le prolongement sud de la nécropole du ive siècle et possiblement au sud du mausolée K (un ensemble funéraire pour l’instant non daté a été mis au jour lors de la campagne 2021). À cette époque, seul le monument K semble encore en fonction ; les autres mausolées sont à l’état de ruine. Le monument A conserve une partie de son élévation ; la voûte de l’hypogée B est encore en place alors que les mausolées D et F ont été rasés jusqu’au sol, ne laissant apparaître que la base des murs qui oriente l’organisation des sépultures. Les tombes continuent d’être disposées en rangées, parfois serrées comme à l’emplacement du porche du monument F. On note, comme auparavant, l’absence de mobilier dans les sépultures, à l’exception d’un couteau déposé dans la sépulture d’un immature. Il est possible toutefois qu’une partie des sépultures ait été pillée comme en témoignent certaines cavités au niveau de l’abdomen, à l’emplacement habituel des parures de cette époque. Ce phénomène n’est en tout cas pas une surprise comme en atteste le témoignage de Sidoine Apollinaire à propos de la sépulture d’un membre de sa famille. Une autre particularité est que les tombes de cette époque sont moins profondes qu’au ive siècle ; le défunt était inhumé soit dans un cercueil dont on conserve les clous ayant fixé les planches, soit en pleine terre. Dans un cas, le mort, non retrouvé, a été enterré dans un sarcophage en calcaire jaune. On remarque également que ce cimetière du vie siècle se démarque de l’aire funéraire développée dans et autour de l’église du Plan identifiée par Jean Guyon comme une ecclesia urbaine13. Clairement, dans l’église du Plan, installée dans la ville tardive, l’édifice religieux structure l’organisation des sépultures. Faut-il penser qu’à Saint-Just, le monument K, dans sa transformation du haut Moyen Âge, structure également le pôle funéraire du vie siècle ? Dans la comparaison des deux nécropoles, on note également que les sépultures en sarcophage sont moins nombreuses à Saint-Just : on ne doit pas oublier toutefois que les sarcophages contenus dans la crypte du monument K ont disparu et que l’église romane est construite en grande partie en remplois constitués de parois de cuves de sarcophages. Pour une raison qui nous échappe, le viie siècle ne semble pas encore représenté sur le site de Saint-Just, mais on est là, peut-être, tributaires des éléments sélectionnés pour les datations 14C. Si ce hiatus exprime une réalité, il donne sens en tout cas à un glissement du pôle funéraire avéré à partir du viiie siècle. Le déplacement du gisement funéraire est daté pour l’instant du xe siècle qui correspond sans doute à la création d’un cimetière associé à la première église de Saint-Just.

  • 14 E. Rebillard, Religion et sépulture. L’Église, les vivants et les morts dans l’Antiquité tardive, P (...)
  • 15 S. Balcon-Berry et W. Berry, Le site de Saint-Pierre-l’Estrier, note 5.

10On doit admettre que le caractère particulier de ces nouveaux pôles funéraires constitués au ive siècle n’a pas vraiment attiré l’attention. Parce que les sources écrites sont ambigües et ne permettent pas d’établir l’existence de nécropoles chrétiennes avant le ve siècle14, sans doute aussi parce que les témoignages archéologiques de cette époque ont le plus souvent été détruits par les reprises multiples des lieux de culte à partir du ve siècle. Saint-Pierre-l’Étrier à Autun constitue un premier dossier comparatif. Comme à Saint-Just de Valcabrère, nous l’avons vu, la nécropole est installée en périphérie de l’agglomération (à 2 km au nord-ouest d’Autun) et à l’écart des grandes nécropoles suburbaines traditionnelles du Breuil d’Arroux et du Champs des Urnes. Et comme à Saint-Just, on trouve des mausolées sur les ruines d’une villa du Haut-Empire. Dans les deux cas, il s’agissait d’enterrer les morts en rupture avec l’époque précédente. Les vestiges de ces mausolées ont été reconnus sous l’église de Saint-Pierre ; d’autres ont été fouillés récemment à une cinquantaine de mètres de là. Une série d’inscriptions atteste en outre de la présence de tombeaux de chrétiens dans la nécropole qui aurait abrité Pectorios, un grec d’Alexandrie considéré comme un clerc, et d’autres membres de la communauté chrétienne d’Autun au ive siècle15.

  • 16 R. Colardelle, La ville et la mort, note 5.

11Un autre dossier saillant (parce que publié) est celui de Saint-Laurent de Grenoble16. La nécropole est là encore située en position suburbaine (sur la rive de l’Isère opposée à la ville) et débute avec l’installation de mausolées et d’inhumations au ive siècle. Trois de ces mausolées ont été reconnus pour cette période, A, H et C, ce dernier conservant des enduits peints et des graffiti. Selon R. Colardelle, il s’agirait d’une aire cimétériale qui continuait la nécropole du Haut-Empire localisée près du gué ou du pont, une affirmation toutefois étayée par aucun témoignage (aucune sépulture antérieure ne semble avoir été découverte à cette endroit de la ville). Considérant les sites de Saint-Just et Saint-Pierre-l’Étrier, il n’y aurait en vérité aucune objection à considérer que le pôle funéraire de Saint-Laurent a été, lui aussi, fondé au ive siècle sur une ancienne propriété privée. Le grand mausolée B de Grenoble, identifié à un martyrium ou une memoria et situé sous l’église actuelle, est considéré comme l’élément polarisateur de la nécropole. Toutefois, il serait postérieur aux mausolées A, H et C puisqu’il est daté du début du ve siècle.

  • 17 J.-L. Schenck, dans Pulchra Imago. Fragments d’archéologie chrétienne, catalogue d’exposition, Toul (...)
  • 18 Pulchra Imago, note 17, p. 51-68.

12À Saint-Just, la nécropole est moins étendue, mais elle concentre comme à Saint-Pierre-l’Étrier, des témoignages précoces de la communauté chrétienne locale. Certes, la plaque de fermeture d’une loge funéraire découverte au xixe siècle dans le cimetière de Saint-Just porte l’inscription d’un praesbyter et d’un chrisme qui fait débat, associée à celle d’une Valeria Severa datée de 34717. La plaque de scellement provient bien d’un mausolée dans lequel étaient aménagées des loges funéraires. Malgré l’imprécision de ce texte, on peut toutefois également verser au dossier une dizaine de fragments de sarcophages historiés du ive siècle, tous provenant de Saint-Just et renvoyant à des scènes bibliques dûment identifiées ou très probables, ce qui a fait dire à J. Guyon que ces fragments « peuvent laisser croire à l’existence d’une nécropole chrétienne antique à l’est de l’antique Convenae, non loin de l’actuelle église de Saint-Just de Valcabrère »18. Certes, on pourra objecter que ces fragments proviennent de remplois ou d’abandons tardifs, qui remontent à la construction de l’église romane et au-delà, alors que la spoliation des mausolées B et D est bien datée de la première moitié du ve siècle, celle du mausolée K du xe siècle.

13Au total et en attendant la poursuite de la fouille, les séances du séminaire organisé en 2021-2022 ont permis d’explorer ce qu’il convient d’appeler une transition funéraire, contemporaine de l’évolution tardive des villes de Gaule romaine. Entre 250 et 350 apr. J.-C., en même temps que le tissu urbain se rétracte, qu’apparaissent les premières traces d’abandon des bâtiments civiques et religieux, alors que les grands chantiers des murailles urbaines démarrent (la plupart du temps entre 300 et 350, un peu plus tard à Saint-Bertrand-de-Comminges), on voit apparaître un nouveau type de nécropole suburbaine, non plus structuré par les routes d’accès à la ville, mais installé au contraire à l’écart des ensembles funéraires antérieurs. Signe des temps nouveaux, à Saint-Just, le nouveau cimetière accueille une classe d’âge jusque-là écartée des tombeaux familiaux. Dernier élément et non des moindres, c’est dans ces champs funéraires nouveaux qu’apparaissent les premiers tombeaux chrétiens.

14Le séminaire a également été l’occasion de présenter les différents chapitres d’un livre désormais paru : Archéologie du geste. Rites et pratiques à Pompéi, Paris, Hermann, 2021, 195 p.

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Notes

1 La fouille de la nécropole tardive de Saint-Just présentée ici est intégrée dans un projet collectif de recherche intitulé « Saint-Bertrand-de-Comminges / Valcabrère : entre ville et campagne. Archéologie d’un territoire de la protohistoire à aujourd’hui ». Celui-ci est piloté par l’École pratique des hautes études, PSL (UMR 8546 Aoroc, CNRS, ENS-Paris) et reçoit le soutien du ministère de la Culture, du département de la Haute-Garonne et de la région Occitanie.

2 W. Van Andringa, « Urbs nova. La ville du ive siècle en Gaule », dans Academia Libertas. Essais en l’honneur du professeur Javier Arce, Brepols, 2020, p. 247-263.

3 Pour une définition de l’archéologie recentrée sur le terrain et l’humain, voir W. Van Andringa, Archéologie du geste. Rites et pratiques à Pompéi, Paris, 2021, p. 9-31.

4 W. Van Andringa, « Le monument et la tombe. Deux façons de mourir à l’époque romaine », dans M.-D. Nenna, S. Huber et W. Van Andringa (éd.), Constituer la tombe : honorer les défunts en Méditerranée antique, Alexandrie, Centre d’études alexandrines, 2018 (Études Alexandrines, 46), p. 381-402 ; également W. Van Andringa, Archéologie du geste, note 3, p. 151-171.

5 S. Balcon-Berry et W. Berry, « Le site de Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun dans l’Antiquité tardive. Remarque sur le rapport entre l’évolution cimétériale et le cadre architectural », dans N. Achard-Corompt, M. Kasprzyk et B. Fort (dir.), L’Antiquité tardive dans l’Est de la Gaule, II. Sépultures, nécropoles et pratiques funéraires en Gaule de l’Est – Actualité de la recherche, suppl. à la RAE, 41, p. 155-177 ; R. Colardelle, La ville et la mort : Saint-Laurent-de-Grenoble. 2 000 ans de traditions funéraires, Turnhout, 2008 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive, 11) ; P. Maçon (dir.), R. Durand, N. Rouquet, J. Troadec, Formation et transformation d’un cimetière médiéval : Saint-Martin-des-Champs. De l’oratoire au prieuré (VIe-XVIe siècle), Bourges, 2010 (Bituriga. Archéologie de la cité).

6 J. Quéré, W. Van Andringa (éd.), Archéologie au village. Une enquête en cours sur le territoire de Lugdunum des Convènes, catalogue d’exposition, conseil général de la Haute-Garonne, 2022. Sur l’évolution tardive de Lugdunum des Convènes, Pulchra Imago. Fragments d’archéologie chrétienne, catalogue d’exposition, Toulouse, 1991.

7 S. Balcon-Berry et W. Berry, Le site de Saint-Pierre-l’Estrier, note 5.

8 E. Portat et al., Rencontre autour de la mort des tout-petits. Mortalité fœtale et infantile. Actes de la IIe rencontre du Gaaf à Saint-Germain-en-Laye (2009), Saint-Germain-en-Laye, 2016, notamment l’article de E. Portat et al., p. 113-146 sur la nécropole de Chartres ; voir également N. Baills-Barré, M. Tirel, « Les sépultures de nouveau-nés et de nourrissons découvertes hors des contextes funéraires traditionnels en Gaule Aquitaine (ier s. av. – ve s. apr. J.-C.) », Aquitania, 33 (2017), p. 173-212.

9 G. Ladocsi, s.v. child, childhood, dans A. Di Berardino, Encyclopedia of the Early Church, Cambridge, p. 161-162.

10 M. Moliner (dir.), Bouches-du-Rhône, Marseille, 1 bis rue Malaval. Une église paléochrétienne et sa nécropole, rapport de fouille, Inrap Méditerranée, 2011. Cette intégration est même plus tardive selon C. Treffort, « Archéologie funéraire et histoire de la petite enfance. Quelques remarques à propos du haut Moyen Âge », dans R. Fossier (dir.), La petite enfance dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 1997, p. 93-107.

11 P. Maçon (dir.), Formation et transformation, note 5.

12 S. Esmonde-Cleary, J. Wood, Saint-Bertrand-de-Comminges, III. Le rempart de l’Antiquité tardive de la ville haute, Éditions de la fédération Aquitania, 2006.

13 J. Guyon, J.-M. Paillet, « À l’occasion du centenaire des premières recherches archéologiques à Saint-Bertrand-de-Comminges (Lugdunum Convenarum), retour sur l’établissement chrétien du quartier du Plan, CRAI, 154-3 (2010), p. 1265-1302.

14 E. Rebillard, Religion et sépulture. L’Église, les vivants et les morts dans l’Antiquité tardive, Paris, 2003.

15 S. Balcon-Berry et W. Berry, Le site de Saint-Pierre-l’Estrier, note 5.

16 R. Colardelle, La ville et la mort, note 5.

17 J.-L. Schenck, dans Pulchra Imago. Fragments d’archéologie chrétienne, catalogue d’exposition, Toulouse, 1991, p. 51.

18 Pulchra Imago, note 17, p. 51-68.

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Table des illustrations

Légende Fig. 1. — Phase du Haut-Empire : les structures de la villa.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/docannexe/image/5319/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 110k
Légende Fig. 2. — Phase de l’Antiquité tardive : les mausolées et les inhumations datés de la période 250-400 apr. J.-C.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/docannexe/image/5319/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 149k
Légende Fig. 3. — Le grand mausolée K en cours de fouille : partie ouest de la crypte.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/docannexe/image/5319/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 280k
Légende Fig. 4. — Une sépulture de tout-petit installée dans le pronaos du monument A.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/docannexe/image/5319/img-4.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

William Van Andringa, « Histoire et archéologie de la Gaule romaine »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 153 | 2022, 207-217.

Référence électronique

William Van Andringa, « Histoire et archéologie de la Gaule romaine »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 153 | 2022, mis en ligne le 10 juin 2022, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/5319 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.5319

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Auteur

William Van Andringa

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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