Navigation – Plan du site

AccueilNuméros152Résumés des conférencesArt et archéologie de la Chine pr...

Résumé

Programme de l’année 2019-2020 : I. Les cultures régionales de la péninsule du Shandong à la fin de l’âge du Bronze (env. VIIIe s.-IIIe s. av. J.-C.). — II. Recherches sur les bronzes chinois des collections du musée Cernuschi.

Haut de page

Texte intégral

I. Les cultures régionales de la péninsule du Shandong à la fin de l’âge du Bronze (env. VIIIe s.-IIIe s. av. J.-C.)

  • 1 Kan Xuhang, 闞緒杭, Anhui sheng wenwu kaogu yanjiusuo, 安徽省文物考古研究所, et Bengbu shi bowuguan, 蚌埠市博物館 (...)
  • 2 Tombe de Bianzhuang, district de Fengyang 鳳陽卞莊 (Anhui) : Wenwu, no 8 (2009), p. 21-29.
  • 3 Ces briques crues sont appelées tǔ’oǔ 土偶, « statues de terre », bien que rien n’évoque dans ces b (...)

1Avant de présenter l’archéologie de la péninsule du Shandong, nous avons étudié deux tombes situées au centre de l’Anhui, soit à mi-distance entre la région du cours inférieur du Yangzi (pays de Wu 吳 et Yue 越) d’une part et la plaine Centrale d’autre part, à laquelle se rattache en grande partie la péninsule. La tombe du prince Bai de Zhongli 童 [鍾] 麗 [離] 君柏 (ca 560 av. J.-C.), sur le site de Shuangdun 雙墩, district de Bengbu 蚌埠, avait été mentionnée par le professeur Jessica Rawson lors d’un colloque à Heidelberg en octobre 20191. Elle supposait en effet l’existence de liens entre ce site et les cultures steppiques de l’Altaï en raison de la forme circulaire de la fosse, exceptionnelle dans toute l’histoire des pratiques funéraires de la Chine pré-impériale. Le seul site comparable n’est autre que la tombe d’un des fils du prince Bai à quelques kilomètres de Shuangdun, datée vers 540-530 av. J.-C., le prince Kang (鍾離公柏之季子康)2. De plus, elle a remarqué la disposition autour de la fosse d’une ceinture formée de 1 300 briques crues de forme sensiblement conique et de section ronde ou carrée (H 20-30 cm, ø à la base 18-20 cm) superposées sur trois niveaux3. D’autres blocs de même forme, au nombre de 853, sans compter les blocs trop cassés pour être décomptés, se trouvaient dans la terre de remblai. Leur forme conique permettait de les adapter à la configuration circulaire de la paroi. Selon elle, cette structure aurait son origine dans les cercles de pierres marquant l’emplacement des kourgan de l’Altaï. Tout en exposant de manière nuancée son audacieuse hypothèse sur l’existence d’échanges entre le monde des steppes et cette région du Centre-Sud de la Chine, elle a étayé son propos à l’aide d’exemples tirés de la culture matérielle, par exemple des pièces de harnachement pour les chevaux, des poignards bimétalliques (or et fer) provenant d’autres sites de la région du Centre-Sud, etc., qui ont leur pendant dans les cultures de l’Altaï. Les deux tombes rondes de l’Anhui, en dépit de leur caractère singulier, contenaient un mobilier comparable à celui des tombes de l’élite Zhou au vie s. av. J.-C. Les différents exemples produits par Jessica Rawson confortent son idée que dans l’antiquité des réseaux d’échanges ont pu se développer depuis les régions périphériques situées au nord des pays de culture chinoise jusque dans le Centre-Sud. D’autre part, comme le montrent de nombreuses pièces de mobilier placées dans leurs tombes, les princes de Zhongli entretenaient des relations avec d’autres principautés situées aussi bien à l’est de leur territoire comme Chu 楚, au sud-est (Yue 越 notamment), et au nord-est comme Qi 齊 et Lu 魯. Ils étaient donc bien intégrés dans un vaste réseau d’échanges.

  • 4 Huang Zhanyue 黄展岳, Gudai rensheng renxun tonglun 古代人牲人殉通论, Pékin, Wenwu chubanshe, 2004.

2Notre examen de la culture de la principauté de Qi a commencé par l’étude d’une sépulture princière caractéristique des environs de 500 avant notre ère. Bien qu’elle ait été pillée et que son mobilier soit très incomplet, la tombe de Langjiazhuang, près de Linzi 臨淄郎家莊, l’ancienne capitale de la principauté de Qi, conservait encore sa structure d’origine au moment de la fouille. Son aménagement est caractéristique de la région, avec une fosse peu profonde mais très vaste (411 m² au sol), soit près du double de celle de la tombe 1 de Leigudun, district de Suizhou 隨州擂鼓墩 (Hubei), qui fait environ 220 m². De telles dimensions permettaient de concilier la présence d’un cercueil extérieur en bois protégé par un large remblai de blocs de pierre au centre et celle de plusieurs tombes individuelles tout autour. De plus, les archéologues ont dénombré neuf victimes sacrifiées lors de rites pratiqués à la fermeture de la tombe. La distinction faite par Alain Testart entre sacrifices humains et morts d’accompagnement trouve à Langjiazhuang une parfaite illustration car neuf individus ont subi une mort violente, tandis que dix-sept autres ont été inhumés dans des cercueils avec un mobilier fourni et parfois de belle qualité. À côté de deux morts d’accompagnement, des individus avaient même été sacrifiés. Le statut de toutes ces personnes est donc bien différencié, à la fois dans la façon de mourir et dans le traitement du cadavre. Les individus sacrifiés sont dépourvus de tout bien et de toute sépulture, et les morts d’accompagnement sont enterrés dans une tombe avec le traitement d’une personne ayant un statut social. Cependant, la thèse de Testart n’apparaît pas vraiment concluante dans le cas de la Chine ancienne quand il affirme que « l’accompagnement est… le fait de très nombreuses sociétés qui ne connaissent aucune forme d'organisation étatique et ignorent complètement l'institution de la royauté ». En fait, aux vie-ve siècles avant notre ère la Chine avait déjà développé, à la cour des Zhou comme dans les principautés, des structures administratives qui relevaient de formes étatiques avancées. De plus, Testart indique dans son livre qu’habituellement les anthropologues ne font pas de différence entre les deux modes de traitement des individus, ce qui semble bien avoir été le cas au xxe siècle. Cependant, dans la Chine ancienne, on désignait déjà sous deux termes différents les femmes et les hommes « compagnons dans la mort » (renxun 人殉), qui suivaient leur maître par fidélité, par attachement physique, par devoir, ou pour toutes sortes de raisons, selon les termes de Testart, et les « personnes sacrifiées » (rensheng 人牲) considérées comme des offrandes humaines4. Enfin, des statuettes en terre cuite représentant des hommes dont la fonction était figurée par divers attributs ont été placées dans toutes les tombes d’accompagnement sauf les deux tombes sur lesquelles furent sacrifiées des victimes humaines. On peut donc se demander si les figurines faisant partie intégrante du mobilier des morts d’accompagnement ne seraient pas elles-mêmes les substituts de morts d’accompagnement, et non ceux d’individus sacrifiés comme on l’affirme habituellement.

3Sous les Zhou, seuls les princes, les membres de l’élite jouissant d’un haut rang et d’une renommée certaine se sont fait enterrer avec des morts d’accompagnement, et encore ne recouraient-ils que rarement à cette coutume, déjà dénoncée dans la société. De ce point de vue, la région du Shandong semble avoir été très en retard sur d’autres principautés ou royaumes, comme le royaume de Chu où l’on ne pratiquait pas de sacrifices humains, et où les morts d’accompagnement étaient plutôt rares, même dans les plus grandes tombes.

4La principauté de Qi 齊 couvrait une partie de la région nord de la péninsule du Shandong, entre le cours inférieur du fleuve Jaune et la mer, et de part et d’autre de la rivière Ji 濟. La capitale Linzi se situait au sud de cette rivière, non loin de l’actuelle ville de Zibo 淄博. Au sud du massif du Taishan 泰山 s’étendait le pays de Lu 魯, d’où Confucius fut originaire (dates traditionnelles, 551-479 av. J.-C.). Entre Qi et Lu, existaient de notables différences : de dimensions d’abord, car Lu occupait une petite superficie tandis que Qi, à l’économie florissante, ne cessa de s’agrandir au fil des siècles et s’imposa très tôt comme l’un des pays les plus puissants composant le monde chinois aux viiie-viie s. av. J.-C.

5Il n’est pas certain que l’entité politique Qi ait existé dès les Shang, à moins que le pays ait été connu sous un autre nom. Après quelques rappels historiques permettant de tracer un canevas utile pour la chronologie, notamment les généalogies du lignage de Qi et de Tian Qi 田齊 qui succéda à celui de Qi au tournant du ive s. av. J.-C., nous avons étudié plusieurs bronzes rituels de Qi et de Lu portant des inscriptions qui attestent leur origine : le Qi Jiang ding 齊姜鼎, le très étrange Lu Hou zun 魯侯尊 (appelé aussi Ming Gong gui 明公簋), l’un et l’autre datés de la période des Zhou de l’Ouest (env. 1050-771 av. J.-C.). Et nous avons constaté, grâce à d’autres bronzes inscrits découverts dans la péninsule, qu’elle était également le siège de nombreux petits territoires aux contours mal définis, associés à divers lignages (Chang 常, Xue 薛, Zeng 繒 (鄫), Teng 藤, Zhu 邾, et plus loin Cao 曹).

  • 5 Yan, Shendong, 燕生東 et Lan Yufu, 蘭玉富, « Lu bei yanhai diqu Xian Qin yanye yizhi 2007 diaocha jia (...)

6Le pays de Qi était naturellement assez bien protégé, avec à l’est la mer, au nord et à l’ouest des marais sur d’immenses superficies, alimentés en partie par les divagations du fleuve Jaune, et au sud le massif du Taishan culminant à 1 524 m, prolongé par un vaste ensemble de petites montagnes dont plusieurs sommets s’étagent entre 1 000 et 1 150 m env. Au viie siècle avant notre ère, Qi devait notamment sa puissance à la production de sel marin, une denrée de luxe dont les membres de son élite possédaient le monopole. Depuis les années 1990 surtout, l’archéologie a montré un fort intérêt pour les sites producteurs de sel, et un chercheur en particulier, Li Shuicheng 李水城 s’est spécialisé sur le sujet. Une série de sites ont été prospectés en 2007 le long de l’ancienne côte au nord de Qi. Ils ont révélé que l’exploitation du sel avait commencé dès la fin des Shang et s’était perpétuée jusqu’à la fin de la dynastie Zhou, formant une industrie à grande échelle, certainement très prospère5.

  • 6 Wang Qing 王青, Haidai diqu Zhou dai muzang yu wenhua fenqu yanjiu (海岱地區周代墓葬與文化分區研究), Beijing, (...)

7L’étendue de la péninsule du Shandong et la configuration de son relief expliquent la présence de plusieurs cultures distinctes, visibles dans les pratiques funéraires. On s’est appuyé pour les explorer sur les recherches de Wang Qing6. Deux cultures dans le sud se démarquent de la culture de la principauté de Qi, mais après s’être maintenues durant quelques siècles elles ont subi l’influence grandissante de leur voisine du nord. Cette évolution est également sensible dans le style des bronzes rituels produits dans la péninsule. En revanche, les mingqi en terre cuite faits à l’imitation des bronzes révèlent moins de particularités locales, sans doute parce que les artisans qui les fabriquaient se contentaient de formes et de décors (quand il y en avait un) standard. La vogue des imitations en terre cuite de vases rituels s’est développée dans la péninsule du Shandong comme dans le royaume de Chu et la principauté de Qin, mais avec de sensibles différences qui reflètent les caractéristiques de leurs bronzes respectifs. Ainsi, il était courant d’ajouter des anneaux fixes dressés verticalement sur les couvercles des vases de Qi fermant aussi bien les coupes à pied dou 豆, les tripodes ding 鼎, les boîtes que les coupes de forme ovale zhou 舟. Dans ces ensembles en terre cuite, les coupes dou, qui en général ne sont pas considérées comme des mingqi dans la mesure où leur réalisation en bronze est plutôt rare sous les Zhou (et inexistante sous les Shang), jouent un rôle important dans les ensembles rituels des cultures du Shandong. Ces coupes sont l’une des formes les plus emblématiques de la péninsule. Partant d’une coupe profonde et large, de forte contenance, elles ont évolué vers la forme d’un petit plateau rond dont le bord est à peine marqué et qui est monté sur un très haut fût. Il est probable que cette transformation traduit un changement non moins important de la nature des offrandes de nourriture qui y étaient déposées. L’évolution d’autres pièces composant les ensembles rituels de mingqi est également marquée. La comparaison entre les ensembles de mingqi de Qi et de Chu révèle plusieurs points communs, notamment la qualité très variable de leur fabrication, allant de médiocre à raffinée selon la richesse du défunt. Cependant, dans leur constitution les tripodes ding semblent avoir joué un rôle plus déterminant à Chu qu’à Qi. En particulier, dans un ensemble, ils forment en général une série à laquelle est ajouté un gros chaudron dont la contenance égale à peu près la somme des autres tripodes. À côté se trouvent des vases de formes plus variées que dans les ensembles de Qi. À titre d’hypothèse, on tire de ces comparaisons que les ensembles de Chu étaient peut-être destinés à symboliser la présence de plusieurs convives autour du défunt tandis que ceux de Qi ne servaient qu’au seul défunt. Il est certes vrai que les habitants du royaume de Chu jouissaient d’une plus grande aisance matérielle que ceux des autres principautés à l’époque des Royaumes combattants d’après le mode de construction de leurs tombes et la richesse du mobilier que celles-ci contenaient.

8La dernière séance sur la principauté de Qi avant le confinement a porté sur le site de la capitale, Linzi, d’une superficie comparable à celle d’autres principautés comme Chu ou Zheng 鄭, avec un rempart de quinze km. Rien dans son plan ne semble correspondre à la cité idéale que décrivent les textes de l’Antiquité. Il est clair même que sous les Zhou il n’existait pas de modèle commun.

II. Recherches sur les bronzes chinois des collections du musée Cernuschi

  • 7 Robert Bagley, Max Loehr and the Study of Chinese Bronzes: Style and Classification in the Histo (...)
  • 8 Robert Bagley, Shang Ritual Bronzes in the Arthur M. Sackler Collections, Cambridge, Harvard Univ (...)
  • 9 Jessica Rawson, Western Zhou ritual bronzes from the Arthur M. Sackler collections, Washington, D (...)

9Ayant pour objectif de réaliser un catalogue complet des bronzes du musée, depuis les plus anciennes pièces jusqu’aux bronzes du début de l’empire, nous avons commencé par passer en revue les catalogues de musées et de collections privées pour en montrer l’évolution sur les cinquante dernières années, en rappelant les travaux pionniers de Max Loehr et Bernhard Karlgren dont les approches ont été comparées par Robert Bagley7, lui-même auteur en 1987 du meilleur catalogue de bronzes Shang publié à ce jour8. Cet examen a mis en lumière les différentes approches des spécialistes, notamment en comparant la méthode de R. Bagley avec celles de J. Rawson et de Jenny So, dont les publications font partie de la même collection (Ancient Chinese bronzes from the Arthur M. Sackler collections), mais portent sur des périodes différentes, les Zhou de l’Ouest pour la première, les Zhou de l’Est pour la seconde9. Bagley met surtout en avant la définition du style, et les rapports entre le style et la technique, en adoptant une approche rigoureuse et logique. Dans ses comparaisons, il se réfère souvent à des bronzes appartenant à des musées situés en dehors de la Chine, en général sans provenance connue. À sa décharge cependant, les bronzes issus de découvertes archéologiques restaient à l’époque où il a préparé son étude limités en nombre et très mal publiés, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Jessica Rawson, quant à elle, a posé des questions différentes de celles de Robert Bagley, relatives notamment à la provenance et à l’évolution des motifs. Elle s’est moins préoccupée du style. Elle ne s’est pas non plus penchée sur les inscriptions, qui pour les Zhou de l’Ouest sont fondamentales, mais forment en soi une spécialité. Du reste, en Chine même, les spécialistes des inscriptions se soucient peu des bronzes sur lesquels elles apparaissent, et les historiens d’art s’intéressent d’abord au style et à la fonction des bronzes, en laissant souvent de côté les inscriptions. Jenny So a rencontré dans son étude des difficultés inhérentes à l’époque considérée, surtout pour les trois premiers siècles de la période qu’elle couvrait (viiie-vie s. av. J.-C.) encore mal connus dans les années 1980-1990. Elle a examiné la question complexe des ateliers régionaux, avec une certaine réussite, mais sans approfondir la question de la chronologie. On le voit, la préparation d’un catalogue de bronzes Shang et Zhou couvrant une période de plus d’un millénaire sur un territoire aussi vaste n’est pas chose aisée. Cependant, aujourd’hui les outils et les informations dont nous disposons grâce aux fouilles archéologiques et à la diffusion des connaissances qui s’y rapportent ont changé complètement les conditions de la recherche.

10Nous avons passé en revue l’ensemble des acquis scientifiques permettant l’établissement d’un catalogue. Ces acquis portent sur l’évolution des formes, sur le style, sur les motifs, sur la place de chaque vase et sa fonction au sein d’un ensemble rituel, sur les vestiges d’ateliers et les techniques de fonte, sur les productions métropolitaines et régionales, sur l’apport des inscriptions à la connaissance des élites qui utilisaient ces bronzes pour le culte aux ancêtres. À ces différents aspects s’ajoute l’étude des réseaux de diffusion et d’échanges entre les foyers culturels ou les principautés, et toutes les analyses en laboratoire.

  • 10 Théodore Duret, Voyage en Asie : le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, l’Inde, Paris, Mi (...)
  • 11 Inaga Shigemi, « Théodore Duret et le Japon », Revue de l’Art, no 79 (1988), p. 76-82.
  • 12 Critique d’avant-garde, Paris, G. Charpentier et Cie éditeurs, 1885.

11La formation de la collection du musée a été retracée, depuis le voyage que fit Henri Cernuschi (1821-1897) autour du monde avec son ami Théodore Duret (1838-1929) entre la fin de 1871 et le début de 187310. Riche négociant en cognac, Duret avait eu la révélation de l’art japonais à l’occasion de l’exposition universelle de 1862 qui se tenait à Londres11. C’est ce qui amena Cernuschi à l’emmener avec lui. Duret est surtout connu pour avoir fréquenté intimement les impressionnistes, après sa rencontre avec Manet en 1865, et pour avoir défendu leur art auprès du public12. Nous avons commencé par brosser le portrait de Cernuschi, dont la personnalité fut des plus originales : républicain engagé – ce qui lui valut d’être jeté en prison et par deux fois d’échapper de très peu à la mort, financier avisé, il était également un amateur d’art éclairé. Il légua à la ville de Paris l’intégralité de ses collections ainsi que l’hôtel particulier donnant sur le parc Monceau dans lequel il vivait sous la protection d’un grand buddha en bronze rapporté du Japon.

12Nous avons donc exploré une partie de la collection réunie par Cernuschi afin de définir les critères de goût ayant inspiré la première collection d’art asiatique jamais formée en France, dans le dernier tiers du xixe siècle. Plus de cinq cents bronzes furent réunis par Cernuschi lors de son voyage, parmi lesquels se mêlent des œuvres chinoises et japonaises, qu’aujourd’hui nous distinguons aisément, mais que l’on confondait alors. Aux œuvres authentiques étaient mêlés des copies ou des faux, des bronzes de l’antiquité et des bronzes des époques Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911). La qualité de la fonte varie considérablement d’une pièce à une autre sans que les acheteurs en aient eu vraiment conscience. Parfois, une inscription a été gravée à froid sur un vase authentique afin de conférer à celui-ci une valeur supérieure. Nous avons donc considéré toutes ces situations à l’aide d’exemples concrets.

13Après le confinement des mois de mars-avril, trois séances ont été consacrées à l’étude de quatorze bronzes du musée Cernuschi. Pour ce faire, notre collègue Olivier Venture s’est joint à notre groupe afin de présenter, commenter et traduire les inscriptions portées sur quelques-uns d’entre eux. Le terme « inscription » est pris ici au sens large dans la mesure où les plus anciens témoins Shang sont identifiés comme des emblèmes de clans qu’on ne peut traduire. Plusieurs points ont été abordés : la relation existant entre les vases en bronze et la poterie, la fonction des vases, l’évolution du décor, la fabrication des moules segmentés et leur relation avec la forme des vases et leur décor, la question des restaurations, la détermination de l’authenticité d’un bronze rituel.

Haut de page

Notes

1 Kan Xuhang, 闞緒杭, Anhui sheng wenwu kaogu yanjiusuo, 安徽省文物考古研究所, et Bengbu shi bowuguan, 蚌埠市博物館 (éd.), Zhongli Jun Bai mu (鐘離君柏墓), Pékin, Wenwu chubanshe, 2013, 3 vol.

2 Tombe de Bianzhuang, district de Fengyang 鳳陽卞莊 (Anhui) : Wenwu, no 8 (2009), p. 21-29.

3 Ces briques crues sont appelées tǔ’oǔ 土偶, « statues de terre », bien que rien n’évoque dans ces blocs une quelconque représentation figurée.

4 Huang Zhanyue 黄展岳, Gudai rensheng renxun tonglun 古代人牲人殉通论, Pékin, Wenwu chubanshe, 2004.

5 Yan, Shendong, 燕生東 et Lan Yufu, 蘭玉富, « Lu bei yanhai diqu Xian Qin yanye yizhi 2007 diaocha jianbao » (鲁北沿海地區先秦鹽業遺址2007年調查簡報), Wenwu, no 7 (2012), p. 4-15.

6 Wang Qing 王青, Haidai diqu Zhou dai muzang yu wenhua fenqu yanjiu (海岱地區周代墓葬與文化分區研究), Beijing, Kexue chubanshe, 2012.

7 Robert Bagley, Max Loehr and the Study of Chinese Bronzes: Style and Classification in the History of Art, Cornell University, East Asia Program, New York, 2008.

8 Robert Bagley, Shang Ritual Bronzes in the Arthur M. Sackler Collections, Cambridge, Harvard University Press, 1987, 598 p.

9 Jessica Rawson, Western Zhou ritual bronzes from the Arthur M. Sackler collections, Washington, D.C., Cambridge (MA), Arthur M. Sackler Foundation: Arthur M. Sackler Museum, Harvard University, 1990, 776 p. ; Jenny F. So, Eastern Zhou Ritual Bronzes from the Arthur M. Sackler Collections, Washington, D.C., New York, Arthur M. Sackler Foundation: in association with the Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution, 1995, 524 p.

10 Théodore Duret, Voyage en Asie : le Japon, la Chine, la Mongolie, Java, Ceylan, l’Inde, Paris, Michel Lévy frères, éditeurs, 1874.

11 Inaga Shigemi, « Théodore Duret et le Japon », Revue de l’Art, no 79 (1988), p. 76-82.

12 Critique d’avant-garde, Paris, G. Charpentier et Cie éditeurs, 1885.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Alain Thote, « Art et archéologie de la Chine pré-impériale »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 152 | 2021, 393-398.

Référence électronique

Alain Thote, « Art et archéologie de la Chine pré-impériale »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 152 | 2021, mis en ligne le 14 juin 2021, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/4814 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.4814

Haut de page

Auteur

Alain Thote

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques, membre de l'Institut

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search