Philologie moyen-indienne
Résumé
Programme de l’année 2019-2020 : I. Initiation au pali. — II. Examen de travaux récents dans le domaine du moyen-indien et lecture de textes en pali.
Plan
Haut de pageTexte intégral
1L’auditoire de 2019-2020 consistait en étudiants bien formés et avancés aux intérêts variés. Nous avons donc jugé possible de poursuivre l’exploration de la littérature bouddhique en prakrit gāndhārī amorcée en 2018-2019, toujours en prenant pour base le pali ainsi qu’en procédant à des comparaisons avec les parallèles en sanskrit boud-dhique, et, le cas échéant, en d’autres langues. La synthèse magistrale de R. Salomon (2018) est à la fois un appui et une source excellente de textes bien choisis.
2Nous avons commencé l’année par la lecture du Bhikkhuvagga figurant dans le Dhammapada en pali (chap. 25), attirant l’attention en particulier sur les procédés rhétoriques à l’œuvre dans ce chapitre qui fait usage de jeux de langage (récurrence délibérée du chiffre « cinq » en 370) et d’un refrain définissant « le vrai moine » (pérennité d’une formule que l’on retrouve également dans deux leçons du canon jaina, cf. Alsdorf 1974 [1962] : p. 230-243, même si les contenus eux-mêmes ne sont pas superposables). Nous avons examiné de près les termes difficiles tels que mantabhāṇin (Dhp 363), pour lequel nous sommes parvenus à des conclusions que confirme l’article sous presse de Martin Straube (voir références ci-dessous). Bien que plusieurs savants aient proposé de faire correspondre manta à manda (en dernier Oberlies 2019, que nous avons présenté au cours des séances), cette hypothèse est peu convaincante, en particulier parce que manda a généralement des connotations négatives, qui sont en contradiction avec ce que veut exprimer la séquence récurrente mantabhāṇī anuddhato laquelle, au contraire, est très positive. À partir de là, il est préférable de relier manta à manta, de prendre au sérieux les équivalences avec paññā « intelligence » données par les commentaires et d’aller plus loin encore dans la démonstration sur la base des parallèles :
To sum up, in view of the evidence gathered together—scil., the semantic overlap between Pali mantā and mantabhāṇin which is also acknowledged by the commentaries, the testimony of the PDhp, and the Gāndhārī commentary on the Saṅgītisūtra—I would suggest to derive manta- in Pali mantabhāṇin from the absolutive mantā, and understand the whole expression to mean “speaking with/after reflection” (Straube sous presse).
3La lecture du chapitre a été comparative, renvoyant à l’Udānavarga en sanskrit ainsi qu’au Dharmapada de Patna (PDhp, cf. Cone 1989). En outre, pour accoutumer l’auditoire au style des commentaires palis, nous avons également étudié, à titre d’exemple, le commentaire relatif aux strophes 369-373. En plus des gloses, le passage élabore les termes techniques des strophes en fonction des grilles abhidharmiques. Le pāda formulaire final abbhā mutto va candimā « comme la lune libérée du nuage » (382) a été l’occasion de faire un point sur les dérivés moyen-indiens en –imā, et notamment sur la forme palie du nom de la lune (Caillat 1975). Cette exploration a été poursuivie par l’examen du sutta afférent dans la Saddanīti, grammaire palie du moine birman Aggavaṃsa (xiie s. ; éd. H. Smith, § 794, p. 793) qui défend candimā comme seule forme à admettre en pali, contre candamā qui est influencée par le sanskrit et, dit-il, n’est donc pas appropriée (abbhā mutto va candimā ti hi pāḷī dissati, keci pana sakkaṭabhāsato nayaṃ gahetvā candamā ti paṭhanti, taṃ na yuttaṃ). C’est un exemple parmi d’autres de l’attitude très claire de ce grammairien, unique en son genre, qui, partisan d’un purisme pali et soucieux d’établir une norme grammaticale typique de cette langue, cherche à en éliminer ce qui trahit la présence du sanskrit. Cette position est certainement liée au contexte birman de son époque où la tradition des lettrés sanskrits joue un rôle croissant. Munis d’une bonne compréhension de la version en pali du Bhikkhuvagga, nous nous sommes attaqués à la version en gāndhārī (chap. II, strophes 51-90) éditée par John Brough (1962). Les discussions relatives à l’interprétation des détails philologiques ont été nombreuses. L’un des mots problématiques pour la compréhension duquel Brough a montré l’utilité d’un parallèle tokharien est discuté ci-dessous par Timothée Chamot-Rooke, auditeur de la conférence, à qui on avait demandé de reprendre le dossier. En outre, il se trouve que cette section particulière du Dharmapada en gāndhārī est connue par un autre manuscrit (Lenz 2003). Cette situation est tout à fait unique, car les chercheurs sont généralement déjà fort satisfaits d’avoir à leur disposition un seul manuscrit en cette langue pour un texte donné (Lenz 2003, p. 14 et suiv.). On a tenté de tirer le meilleur parti de ce que permet cette comparaison, déjà fort détaillée dans le livre de Lenz.
4Enfin, plus largement, le chapitre Bhikkhu de la mouvance Dharmapada s’attache à définir les frontières entre moine et maître de maison. Cette dernière notion ayant donné lieu à un riche ouvrage collectif (Olivelle éd. 2019) appelé à devenir incontournable, nous en avons brièvement porté le contenu à la connaissance du public de la conférence.
5La littérature narrative en gāndhārī sous la forme la plus élémentaire du pūrvayoga, qui fournit un canevas plus qu’un véritable récit et représente une forme à la frontière entre l’oral et l’écrit (dont on a des équivalents dans les histoires en style télégraphique qui parcourent les premiers commentaires en prose jaina, les cūrṇi), nous a ensuite occupés. Nous l’avons abordée d’une part avec l’histoire de Sudaṣa, qui, en quelques phrases, résume les thèmes principaux connus par l’histoire du prince Vessantara, modèle de générosité (Lenz 2003 : p. 157) et d’autre part avec celle du Bodhisattva marchand de mer. Cette dernière (Lenz 2003 : p. 150, pūrvayoga I), dont on a lu en parallèle la version sanskrite transmise par le Saṅghabhedavastu (sanskrit boud-dhique, éd. Gnoli 1978 : p. 13-14 « The story of the merchant Dhanaratha », donnée en appendice par Lenz 2003, mais dont il est préférable de consulter l’original), est d’une brièveté déconcertante. L’analyse fouillée de T. Lenz doit être complétée par la discussion de ce récit de vie antérieure figurant dans le compte rendu de von Hinüber 2004.
6Nous allions continuer l’exploration de la littérature narrative en gāndhārī à travers l’étude de poèmes contenus dans l’Anavatapta-gāthā en retenant celui consacré à Sumanas que nous voulions pour commencer aborder dans sa version sanskrite, lorsque la France est entrée en confinement. Un certain état de sidération et, à l’époque, le manque de familiarité avec les possibilités offertes par la visioconférence se sont conjugués pour entraîner, dans notre cas, l’annulation pure et simple des séances, ainsi que l’annulation de la tenue de la Quatrième semaine internationale d’études palies prévue pour juin 2020 (avec le soutien des actions ponctuelles de l’EPHE). Durant les mois de printemps, nous avons donc privilégié un suivi individuel des étudiants, qui ont remis les travaux nécessaires à la validation du séminaire puis ont poursuivi leurs recherches personnelles sans faillir. Ainsi, M. Victor Baptiste a complété un excellent mémoire de master 1 (dans le domaine des études indo-persanes, voir activités de la directrice d’études) puis présenté sa candidature au programme gradué en sciences des religions pour une bourse d’excellence de master 2, qu’il a obtenue. D’autre part, entre avril et juin, le directeur d’études a révisé plusieurs des travaux en cours de M. Javier Schnake (docteur EPHE 2018, boursier de la Pali Text Society et du Lumbini International Research Institute) : son édition critique du Vajirasāratthasaṅgaha précédée d’une introduction en anglais (sous presse à la Pali Text Society), l’édition et la traduction de l’Aḍḍhabhāganidāna, version en pali, pour un article qu’il prépare en collaboration avec M. Lorrillard (pour la partie lao), ainsi que l’édition et la traduction du Sotatthakimahānidāna qu’il a remises à l’éditeur à l’automne 2020 pour publication à Bangkok.
Références bibliographiques
7Ludwig Alsdorf, « Uttarajjhāyā Studies », Indo-Iranian Journal, 6 (1962), p. 110-136 = Kleine Schriften, éd. A. Wezler, Wiesbaden, F. Steiner Verlag, 1974, p. 230-243.
8John Brough, The Gāndhārī Dharmapada, Londres, Oxford UP, 1962.
9Colette Caillat, « À propos de sanskrit candrimā “clair de lune” », dans Mélanges linguistiques offerts à Émile Benveniste, Louvain, Peeters, 1975, p. 65-74 ; reproduit dans C. Caillat, Selected Papers, N. Balbir, O. von Hinüber (éd.), Bristol, Pali Text Society, 2011.
10Margaret Cone, « Patna Dharmapada I », Journal of the Pali Text Society, 13 (1989), p. 101-218.
11Raniero Gnoli, The Gilgit Manuscript of the Saṅghabhedavastu. Being the 17th and Last Section of the Vinaya of the Mūlasarvāstivādin, II, R. Gnoli, T. Venkatacharya (éd.), Rome, Istituto Italiano per il medio ed estremo oriente, 1978.
12Timothy Lenz, A New Version of the Gāndhārī Dharmapada and a Collection of Previous-Birth Stories, Seattle, University of Washington Press, 2003.
13Timothy Lenz, « Once Upon a Time – An Avadānist from Gandhāra », Buddhist Studies Review 21, 2 (2004), p. 197-215.
14Thomas Oberlies, Pāli Grammar: The Language of the Canonical Texts of Theravāda Buddhism, vol. I. Phonology and Morphology, Bristol, Pali Text Society, 2019.
15Patrick Olivelle (éd.), Gṛhastha. The Householder in Ancient Indian Religious Culture, Oxford, Oxford University Press, 2019.
16Richard Salomon, Two Gāndhārī Manuscripts of the Songs of Lake Anavatapta (Anavatapta-gāthā), Seattle, University of Washington Press, 2008.
17Richard Salomon, The Buddhist Literature of Ancient Gandhāra. An Introduction with Selected Translations, Somerville (MA), Wisdom Publication, 2018.
18Martin Straube, « Pali mantā and mantabhāṇin », Journal of the Pali Text Society, 34 (2020) sous presse.
19Oskar Von Hinüber, Compte rendu de T. Lenz (2003) dans Journal of the American Oriental Society, 124, 4 (2004), p. 803-805.
20Site internet : www.gandhari.org
Appendice : « Note sur GDhp 67 et ses parallèles » par Timothée Chamot-Rooke
(auditeur de la conférence en 2019-2020 ; doctorant EPHE dans le cadre du projet ERC HisTochText sous la direction de M. Georges-Jean Pinault)
- 1 Sur cette double opposition dans le bouddhisme ancien, voir Chakravarti 1983.
- 2 Le Mahāvastu (III 422,13*) a un texte différent : viṣamāṁ dharmāṁ samādāya. L’adjectif sk. (...)
21La strophe 67 du Dhammapada en gāndhārī se présente comme suit dans l’édition de John Brough : na bhikhu tavada bhodi | yavada bhikṣadi para | veśma dharma samada’i | bhikhu bhodi na tavada || (Brough 1962 : 128). La traduction qu’en donne Richard Salomon dans The Buddhist Literature of Ancient Gandhara est la suivante : « One does not become a monk merely by begging from others; as long as he lives a domestic life, he is no monk. » (Salomon 2018 : 194). La strophe renvoie dos à dos les religieux errants qui se contentent de mendier sans s’adonner à la doctrine (sk. parivrājaka) et les maîtres de maison (sk. gr̥hastha)1. Outre le parallèle du Dhammapada pāli (Dhp 266), on possède pour cette strophe deux parallèles sanskrits (Ud 32.18 et Mv III 422,13*) ainsi qu’un parallèle bilingue sanskrit-tokharien A (A 360). Le parallèle du Dhammapada pāli a un texte un peu différent de la version en gāndhārī : na tena bhikkhu hoti | yāvatā bhikkhate pare | vissaṃ dhammaṃ samādāya | bhikkhu hoti na tāvatā || (Dhp 266, texte cité d’après le site Gretil). L’hypothèse désormais admise pour expliquer pā. vissaṃ (acc. sg. ou pl.) est de voir dans ce mot le correspondant exact au point de vue formel et sémantique de sk. veśman-, gdh. veśma « maison » selon le développement régulier en pāli de ĕ (< e par abrègement) en i devant une palatale en syllabe fermée : sk. veśma(n)- > pā. *vĕśśa- > vissa-, cf. pā. issāmi « j’irai », ānissāmi « j’apporterai », paṭivissaka- « voisin » en face de sk. eṣyāmi, āneṣyāmi, prativeśya[ka]- (Oberlies 2019 : 81-82, Norman 1997 : 152). Cette lecture de pā. vissaṃ au sens de « maison » s’appuie également sur le texte sanskrit, tel qu’édité par Franz Bernhard (Bernhard 1965 : 436), de la strophe correspondante de l’Udānavarga (32.18c : veśmāṃ dharmāṃ samādāya), ainsi que sur le texte sanskrit du fragment bilingue sanskrit-tokharien A 360, qui présente un texte presque identique (veśma-dharmāṃ samādhāya)2.
22Le fragment bilingue sanskrit-tokharien (A 360) est l’un des sept fragments (A 359-A 365) d’un manuscrit qui nous est parvenu dans un état lacunaire et qui constitue une sorte d’anthologie de textes bouddhistes plus ou moins longs, glosés par une traduction en tokharien A (sur A 360-361, voir récemment Weiss 2017 : 4 et suiv.). La strophe sanskrite de ce fragment a été identifiée par Sieg et Siegling (TS : 201) comme parallèle aux strophes citées de l’Udānavarga et du Dhammapada (sur la réception de l’Udānavarga dans la région où les langues tokhariennes étaient parlées, voir Peyrot 2016, avec références antérieures). Elle figure isolée entre deux textes de longueur plus importante. Nous en reproduisons ici le texte d’après le site Cetom :
- 3 Noter la différence avec la racine employée dans l’Udānavarga de Bernhard. Dans les textes en sans (...)
11 /// penu näṣ | 5 10-5 suträ | bhikṣur na tāvatā bhavati | ṣāmaṃ mā täppreṃ ṣolār mäskaträ ///
12 /// pā(n)äṣträ ālyeksäṣ | veśma-dharmāṃ samādhāya3 | waṣtaṣiṃ wkäṃ etsu(räṣ) ///
13 /// täppreṃ ṣolār tākiṣ | 10-6 suträ || yugaṃ vā | mu ///
- 4 Ici, la traduction tokharienne n’a que valeur de glose, ce qui est conforme à l’affirmation de M. P (...)
- 5 Dans la traduction chinoise du Mahāparinirvāṇasūtra, il est aussi question de nonnes qui, en fa (...)
23La strophe et sa traduction en prose, pāda par pāda4, sont introduites à la ligne 11 par le mot suträ et le chiffre 15. Le texte sanskrit des pāda b et d ainsi que le début de leur traduction en tokharien ont disparu dans la lacune. À la fin de la ligne 13 (dernière ligne du fragment), les mots yugaṃ vā appartiennent au début d’un autre texte (voir Weiss 2017 : 4). Le composé sanskrit veśma-dharmāṃ (acc. pl.), que l’on peut traduire par « devoirs relatifs à la maison, responsabilités du maître de maison »5, est rendu par tokharien A waṣtaṣiṃ wkäṃ « mode de vie relatif à la maison », selon le procédé, courant en tokharien, qui consiste à traduire le premier membre d’un composé sanskrit tatpuruṣa par un adjectif relationnel en -ṣi, cf. naḍa-āgāra- « maison de roseaux » = kärwāṣi waṣt (A 354 b6), dharma-vinaya- « discipline de la loi » = märkampalṣi enäṣlune (A 354 b6), jāti-saṃsāra- « cercle des (re)naissances » = cmolwāṣiṃ sark (A 354 b6), etc. On peut donc raisonnablement supposer, comme le fait K. R. Norman (Norman 1997 : 152), que le texte en gāndhārī présente le même composé veśma-dharma (à l’acc. pl.), ce qui, d’un point de vue sémantique et syntaxique, est bien plus satisfaisant que d’y lire deux mots indépendants.
- 6 Pour la traduction de l’optatif sanskrit par un optatif en tokharien, voir par exemple A 461 b2 : v (...)
24La traduction tokharienne du pāda d suppose un texte sanskrit légèrement différent de celui qui nous est transmis par la recension de Bernhard de l’Udānavarga. L’optatif tokharien P3 sg. tākiṣ (de la racine nas- « être ») ne peut traduire que sanskrit bhavet6, alors qu’au même pāda l’Udānavarga de Bernhard a le présent bhavati, comme au pāda a : bhikṣur na tāvatā bhavati | yāvatā bhikṣate parān | veśmāṃ dharmāṃ samādāya | bhikṣur bhavati na tāvatā || (Ud 32.18). La traduction tokharienne, qui suit scrupuleusement l’ordre des mots du sanskrit, suppose en outre un ordre des mots différent de celui de l’Udānavarga tel qu’édité par Bernhard. La strophe bilingue du fragment A 360 peut donc, sur la base des parallèles cités plus haut et de la traduction tokharienne, être restituée de la manière suivante :
- 7 Klaus T. Schmidt restitue ici kospreṃ-ne d’après Couvreur (Schmidt 1974 : p. 147). L’expression tä (...)
a bhikṣur na tāvatā bhavati | ṣāmaṃ mā täppreṃ ṣolār mäskaträ (|
b yāvatā bhikṣate parān | kos-ne7) pā(n)äṣträ ālyeksäṣ |
c veśma-dharmāṃ samādhāya | waṣtaṣiṃ wkäṃ etsu(räṣ |
d bhikṣur na tāvatā bhavet | ṣāmaṃ mā) täppreṃ ṣolār tākiṣ
On n’est pas moine dans la mesure
où on réclame l’aumône auprès d’autrui ;
ayant endossé les responsabilités de [maître de] maison,
dans cette mesure on ne saurait être moine.
- 8 Le procédé de versification qui consiste, dans un śloka, à employer l’optatif bhavet en fin de pā (...)
25Au pāda d, la valeur d’impossibilité exprimée par la négation suivie de l’optatif bhavet est cohérente avec l’absolutif du pāda c, qui a presque une valeur conditionnelle ici : « si on endosse…, on ne peut pas… ». De plus, cette restitution présente pour le quatrième pāda un texte sanskrit plus satisfaisant au plan métrique que celui de l’Udānavarga tel qu’édité par Bernhard8. Tout se passe comme si les deux versions sanskrites « du nord » représentaient deux sanskritisations indépendantes plus ou moins fidèles de la strophe en gāndhārī :
Gāndhārī Dh. 67 | Udānavarga 32.18 | A 360 (Sanskrit) |
na bhikhu tavada bhodi yavada bhikṣadi para | veśma-dharma samada’i bhikhu bhodi na tavada. || | bhikṣur na tāvatā bhavati yāvatā bhikṣate parān | veśmāṃ dharmāṃ samādāya bhikṣur bhavati na tāvatā || | bhikṣur na tāvatā bhavati (yāvatā bhikṣate parān |) veśma-dharmāṃ samādhāya (bhikṣur na tāvatā bhavet ||) |
Références bibliographiques
26Baums, S. et Glass, A., A Dictionary of Gāndhārī. http://gandhari.org/dictionary, 2002–
27Bernhard, F., Udānavarga. Band I: Einleitung, Beschreibung der Handschriften, Textausgabe, Bibliographie, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1965.
28BHSD = Edgerton, F., Buddhist Hybrid Sanskrit Grammar and Dictionary, vol. 2. Dictionary, réimpr. Delhi, Motilal Banarsidass, New Haven (CT), Yale UP, 1953.
29BHSG = Edgerton, F., Buddhist Hybrid Sanskrit Grammar and Dictionary, vol. 1. Grammar, réimpr. Delhi, Motilal Banarsidass, New Haven (CT), Yale UP, 1953.
30Blum, M. L., The Nirvana Sutra (Mahāparinirvāṇa-sūtra), vol. I, Berkeley (CA), Bukkyō Dendō Kyōkai America, 2013 (BDK English Tripiṭaka Series).
31Brough, J., The Gāndhārī Dharmapada. Edited with an introduction and commentary by John Brough, Londres, Oxford UP, 1962 (London Oriental Series, Volume 7).
32Cetom = A Comprehensive Edition of Tocharian Manuscripts. http://www.univie.ac.at/tocharian/.
33Chakravarti, U., « Renouncer and Householder in Early Buddhism », Social Analysis: The International Journal of Social and Cultural Practice, 13 (1983), p. 70-83.
34Nakatani, H. (éd.), Udānavarga de Subaši. Édition critique du manuscrit sanskrit sur bois provenant de Subaši, t. I. Texte et fac-similés, Paris, Collège de France, 1987 (Publications de l’Institut de civilisation indienne, 53).
35Norman, K. R., A philological approach to Buddhism. The Bukkyō Dendō Kyōkai Lectures 1994, Londres, School of Oriental and African Studies, 1997 (The Buddhist Forum, Vol. V).
36Oberlies, T., Pāli Grammar: The language of the canonical texts of Theravāda buddhism, vol. I. Phonology and Morphology, Bristol, Pali Text Society, 2019.
37Peyrot, M., « The Sanskrit Udānavarga and the Tocharian B Udānastotra: a window on the relationship between religious and popular language on the northern Silk Road », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 79, 2 (2016), p. 305-327.
38Salomon, R., The Buddhist Literature of Ancient Gandhāra. An Introduction with Selected Translations, Somerville (MA), Wisdom Publications, 2018.
39Schmidt, K. T., Die Gebrauchsweisen des Mediums im Tocharischen, thèse, Georg-August-Universität zu Göttingen, 1974.
40SSS = Sieg, E., Siegling, W. et Schulze, W., Tocharische Grammatik, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1931.
41TS = Sieg, E. et Siegling, W., Tocharische Sprachreste. [Sprache A.], vol. I. Die Texte, A. Transcription, B. Tafeln, Berlin, Leipzig, Walter de Gruyter, 1921.
42Weiss, M., « Le proto-tokharien : langue de non-paysans ? », 36th East Coast Indo-European Conference (ECIEC), Ithaca (NY), 2017.
Notes
1 Sur cette double opposition dans le bouddhisme ancien, voir Chakravarti 1983.
2 Le Mahāvastu (III 422,13*) a un texte différent : viṣamāṁ dharmāṁ samādāya. L’adjectif sk. viṣama- « irrégulier » est issu d’une rétro-formation fautive à partir de la variante dialectale visama citée dans le commentaire pāli au Dhammapada à côté de pā. vissa « maison » (Norman 1997 : p. 152).
3 Noter la différence avec la racine employée dans l’Udānavarga de Bernhard. Dans les textes en sanskrit bouddhique, la racine sam-ā-dā- signifie « adopter, prendre sur soi », en parlant d’une obligation morale ou religieuse (BHSD : 568b ; Stefan Baums et Andrew Glass traduisent gā. samadadi par « takes up » dans leur Dictionary of Gāndhārī) ; elle est très souvent employée à l’absolutif et précédée d’une forme conjuguée de la racine vr̥t- au sens de « mettre en pratique ». On la recontre par exemple avec dharmān (acc. pl.) pour objet dans le Mahāparinirvāṇasūtra, dans l’expression récurrente imān […] dharmān samādāya vartiṣyante « ayant adopté ces (bons) dharmas, ils les mettront en pratique » (MPNS 1.38, 2.13, 2.28, 2.36). La racine sam-ā-dhā-, quant à elle, n’appartient pas spécifiquement à la phraséologie bouddhique ; elle s’emploie notamment au sens d’« endosser, enfiler » un vêtement, mais aussi « s’adonner, se consacrer à » (+ acc.). Le sens des deux racines est proche, et elles ont pu être confondues. En TA, l’expression wkäṃ entsa- signifie « prendre, adopter, embrasser le mode de vie », cf. YQ II.14 a2-3 pᵤkis ārtunt wkäṃ näṣ penu eṃ(tsäsmār) « I, too, am going to embrace the way revered by everyone » (= « the way of monkhood », a2 ṣāmnuneṣiṃ wkäṃ) [trad. Cetom].
4 Ici, la traduction tokharienne n’a que valeur de glose, ce qui est conforme à l’affirmation de M. Peyrot selon laquelle « speakers of Tokharien preferred the Udānavarga in the Sanskrit original to a translation into their native language. » (Peyrot 2016 : p. 324).
5 Dans la traduction chinoise du Mahāparinirvāṇasūtra, il est aussi question de nonnes qui, en faveur du dharma religieux, « dénigrent le dharma domestique » (« disparage the domestic dharma » selon la traduction de Mark L. Blum (Blum 2013 : p. 10). Blum précise en note le sens de cette expression : « In other words, they complained openly about what was expected of them as homemakers. There are many kinds of dharmas from many different sources presented in the MPNS, with the Buddha’s dharma usually identified as such. In this particular case, the allusion is to dharma in the sense of social duty. » (Blum 2013 : p. 340).
6 Pour la traduction de l’optatif sanskrit par un optatif en tokharien, voir par exemple A 461 b2 : vivecayet • lyutkāṣiṣ. On pourrait objecter qu’un contre-exemple se trouve en 387 a4 : tat kiṃ-niśṛtaṃ bhavatīti • säm kuc-semum«†ä» tākiṣ tanne wkäñ(yo) « celui-ci, sur quoi repose-t-il ? », où sk. bhavati est glosé par l’optatif tākiṣ. Mais dans notre texte, on ne voit pas bien pourquoi le traducteur tokharien aurait choisi de traduire bhavati par mäskaträ dans le pāda a et par tākiṣ dans le pāda d si le texte sanskrit ne comportait pas cette nuance, d’autant plus que la traduction tokharienne, en prose, n’est sujette à aucune contrainte métrique.
7 Klaus T. Schmidt restitue ici kospreṃ-ne d’après Couvreur (Schmidt 1974 : p. 147). L’expression täpreṃ… kospreṃ-ne signifie « aussi souvent… que » (« wie oft » selon SSS : p. 186, § 314). Toutefois le sens de tāvat(ā)… yāvat(ā) serait mieux rendu par täpreṃ… kos-ne « autant… que », cf. A 213 a2 où sk. yāvad vyāmena est rendu par kos-ne kaṣyo (SSS : ibid.). Les deux constructions täpreṃ… kos-ne et täpreṃ… kospreṃ-ne sont bien attestées (voir SSS : ibid.).
8 Le procédé de versification qui consiste, dans un śloka, à employer l’optatif bhavet en fin de pāda pair et le présent bhavati en fin de pāda impair est très courant dans l’Udānavarga, l’inverse étant exclu. Ainsi placée en fin de pāda impair, la forme bhavati induit presque toujours un pāda hypermétrique (U — UU X, à lire U — — X), ce qui prouve qu’elle recouvre une forme sanskrite hybride contractée bhoti (BHSG : 28a), attestée par ailleurs sporadiquement dans l’Udānavarga de Subaši (voir par exemple 6c, 59d, 274a dans l’édition de Nakatani 1987 ; malheureusement la strophe qui nous intéresse est perdue).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 152 | 2021, 384-390.
Référence électronique
Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 152 | 2021, mis en ligne le 14 juin 2021, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/4759 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.4759
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page