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Résumés des conférences

Histoire de la peinture italienne, XVIe-XVIIe siècle

Michel Hochmann
p. 312-315

Résumé

Programme de l’année 2019-2020 : La peinture à Rome dans les dernières décennies du XVIe siècle (suite).

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Texte intégral

1Nous avons poursuivi l’étude des cycles peints pendant le règne de Sixte Quint en examinant les fresques de la Scala Santa : une fois encore, l’équipe des peintres fut placée sous la direction de Cesare Nebbia et Giovanni Guerra. Pour le choix des sujets, on fit appel au cardinal Silvio Antoniano. Cette décoration fut de nouveau réalisée dans un délai extrêmement bref, puisqu’elle fut presque entièrement achevée en un an, en 1587. On a cherché à comprendre comment les deux maîtres d’œuvre exerçaient leur contrôle et de quel degré d’autonomie pouvaient jouir les différents artistes qu’ils avaient engagés. On note plusieurs emprunts à des estampes ou à des illustrations d’ouvrages imprimés, comme le Thesaurus sacrarum historiarum que Gérard de Jode venait de publier à Anvers en 1585. Une fois encore, le niveau des collaborateurs est extrêmement variable et les attributions sont difficiles. Dans l’ensemble, les chantiers de Sixte Quint permettent d’apprécier l’extraordinaire effort d’organisation déployé par Guerra et Nebbia. Les surfaces peintes sous leur direction sont impressionnantes, d’autant que la plus grande partie de ces décors furent exécutés en seulement deux ans, entre 1587 et 1589. Même s’ils ne donnèrent pas lieu à de véritables innovations, ils accélérèrent de manière considérable la production de peintures à Rome, mais aussi dans un grand nombre de centres artistiques, principalement dans les états pontificaux, car un bon nombre des artistes qui avaient participé à ces chantiers poursuivirent ensuite leur carrière en Ombrie ou dans les Marches en emportant avec eux la formation qu’ils avaient reçue à cette occasion. Certains d’entre eux participèrent ensuite à la nouvelle phase de l’art romain ouverte par les Carrache et Caravage (Baglione, Prospero Orsi par exemple).

2Nous avons ensuite abordé un thème qui fait, depuis longtemps, partie des grandes questions de l’historiographie de cette période, celui des rapports entre la peinture et la Contre-Réforme. Nous sommes partis d’une relecture de l’ouvrage célèbre et stimulant que Federico Zeri a consacré à Scipione Pulzone (Pittura e Controriforma. L’« arte senza tempo » di Scipione da Gaeta, 1957). Les idées qu’il a développées à propos de la prise de distance de certains artistes de l’époque par rapport aux acquis de la Renaissance, avec, notamment, le zèle religieux d’un peintre comme Jacopino del Conte, qui aurait provoqué une « irrémédiable catastrophe » dans les productions de la fin de sa carrière, ont été abondamment reprises et commentées par tous les spécialistes. Selon Zeri, ces évolutions seraient dues, davantage qu’à l’influence des jésuites qu’on évoquait traditionnellement, à ce qu’il appelle le mysticisme des années 1540. Toutefois, la catégorie d’antirinascimento qui joue un rôle fondamental dans cette reconstruction paraît à la fois séduisante et fragile ; regrouper dans un même camp Marco Pino, Venusti, Battista Franco, et Francesco Salviati pour les opposer à Taddeo Zuccaro et Daniele da Volterra est un peu artificiel. Zeri souligne aussi le rôle de certains mécènes comme le cardinal Alexandre Farnèse : ce n’est pas un hasard si le traité de Gilio est dédié à ce grand personnage, qui aurait favorisé cette scission entre l’art profane e l’art sacré, dont Zeri voit les prémices chez Taddeo Zuccaro et chez d’autres protégés du cardinal comme Giovanni de Vecchi. Zeri cherche aussi à définir l’action des ordres religieux, celle des jésuites en particulier, en étudiant les cycles de Santo Stefano Rotondo ou l’œuvre de Giuseppe Valeriano. Il en vient ensuite à Scipione Pulzone, qui est au centre de son travail et à propos duquel il élabore le concept d’arte senza tempo. Cet ouvrage est sans doute l’une des réflexions les plus argumentées et les plus stimulantes pour tenter de définir la peinture de la Contre-Réforme. Certains des phénomènes qu’il relève, comme le rôle de certains commanditaires ou l’importance du courant néo-vénitien à cette époque, restent encore aujourd’hui au cœur des analyses sur cette période. On peut cependant se demander si la place qu’il donne à Pulzone dans ce contexte n’est pas exagérée. Celui-ci a fait l’objet d’une exposition à Gaète en 2013 et d’un colloque sous la direction d’Alessandro Zuccari (Scipione Pulzone e il suo tempo, Rome, 2015) : or, Alessandro Zuccari remarque que Pulzone ne travailla jamais à fresque et ne participa donc pas aux grands chantiers de Sixte Quint ; on ne peut donc pas faire de lui une sorte de peintre officiel de la Contre-Réforme. Zeri avait totalement exclu tout rapport entre Caravage et Pulzone, qui, selon lui, s’exprimaient dans deux langages diamétralement opposés, alors que Zuccari souligne au contraire les rapports qu’ils entretiennent, notamment dans le domaine du portrait. Loin d’être une pittura senza tempo, son œuvre marquerait donc le passage entre l’héritage sophistiqué du maniérisme international et « une adhésion au naturel », qui caractérise la nouvelle phase de la peinture italienne inaugurée par Caravage et les Carrache. Nous avons également relu la série des lettres envoyées par Silvio Antoniano et Carlo Sigonio à Gabriele Paleotti à propos de l’Assomption que Pulzone devait peindre dans l’église de San Silvestro al Quirinale, qui permettent de comprendre quelles étaient alors les exigences des ecclésiastiques et des lettrés à propos de la peinture religieuse, notamment en matière de vérité ou de vraisemblance dans la représentation d’un miracle, exigences qu’ils cherchaient à concilier avec le respect de la tradition iconographique (la consuetudine).

3Nous nous sommes ensuite intéressés à Girolamo Muziano, un peintre qui joua un rôle majeur dans l’évolution de l’art religieux pendant cette période. Il a fait l’objet de deux nouvelles études, la thèse de John Marciari (Girolamo Muziano and art in Rome, circa 1550-1600, Yale University, 2000) et l’excellente monographie de Patrizia Tosini (Girolamo Muziano 1532-1592: dalla Maniera alla Natura, Rome, 2008). Nous avons retracé ses années de formation, à Padoue et à Venise, et les débuts de sa carrière à Rome, au côté de Battista Franco, à la chapelle Gabrielli de Santa Maria sopra Minerva. Muziano, dès ses premières œuvres, transmit la nouvelle conception du paysage qu’il avait apprise en Italie du Nord. Son Apparition de l’ange à saint Joseph à Santa Caterina della Rota faisait découvrir à Rome la dramaturgie de la nature que Titien avait inventée dans son Saint Pierre Martyr. Il obtint son premier grand succès public avec sa Résurrection de Lazare (pinacothèque du Vatican), qui lui valut les louanges de Michel-Ange. En s’inspirant de la version du même sujet qu’avait donnée Sebastiano del Piombo, Muziano introduisait une manière de représenter l’histoire sainte qui rompait volontairement avec la virtuosité maniériste : il simplifiait sa composition et recentrait toute l’attention sur le miracle et sur le Christ. Un détail très surprenant témoigne de cette volonté de frapper le regard du fidèle pour souligner la puissance de l’épisode qu’il contemple : en effet, un homme s’empare du sexe de Lazare, comme s’il trouvait dans ce geste une preuve de sa résurrection. Le cycle des toiles que Muziano réalisa ensuite à Orvieto exerça également une influence déterminante, comme l’avait déjà noté Claudio Strinati : en effet, ces œuvres furent imitées par tous les artistes qui vinrent ensuite travailler dans la cathédrale (Federico Zuccari, Cesare Nebbia, Niccolò Circignani) et devinrent ainsi des modèles essentiels pour la peinture religieuse sous le règne de Grégoire XIII et de Sixte Quint. Cornelis Cort grava plusieurs de ses dessins, assurant également une vaste diffusion à ses inventions : ce fut le cas, en particulier, de sa série de saints ermites, qui contribua à l’éclosion d’un nouveau genre, celui du paysage sacré. Nous avons étudié cette suite de manière approfondie. Les sources témoignent aussi du succès que rencontrèrent les nombreux Saint François et Saint Jérôme que peignit l’artiste, en particulier pour divers membres de l’entourage de Grégoire XIII. C’est en effet auprès de ce pape que Muziano rencontra la consécration. Celui-ci le chargea notamment de décorer la chapelle Grégorienne de la basilique Saint-Pierre : encore une fois, ce décor fut un chantier capital, notamment pour la réintroduction des mosaïques pariétales dans les églises romaines. Nous avons pu constater le vaste écho des inventions de Muziano auprès des principaux peintres de l’époque, chez Baroche, chez Cigoli, chez Santi di Tito, chez Federico Zuccaro, mais aussi chez les Carrache. Nous avons rappelé qu’il fut l’un des peintres protégés par le grand cardinal Alexandre Farnèse, qui lui confia le retable du maître-autel du Gesù. Nous avons également étudié l’inventaire de la bibliothèque du peintre, qui n’a pas encore été véritablement analysé : c’est un document très rare dans sa précision pour un artiste de cette période, qui semblerait révéler un niveau d’éducation et de culture tout à fait exceptionnel, avec des livres en latin, en grec, en hébreux, dont un grand nombre de grammaires et d’ouvrages juridiques : ces volumes traduisent-ils la curiosité encyclopédique d’un artiste autodidacte ? Ou bien Muziano achetait-il ces livres pour afficher en quelque sorte une culture qu’il ne possédait peut-être pas ? Cet inventaire reste en tout cas surprenant. Nous avons terminé par l’analyse d’un poème didactique dédié au peintre, peu de temps après sa mort, par son élève favori Cesare Nebbia, intitulé Dell’eccellenza della pittura, visione di Cesare Nebbia. Ce texte, écrit au moment de la refondation de l’Académie de Saint-Luc grâce à Federico Zuccaro, prétend indiquer aux membres de cette institution la voie à suivre pour corriger les abus de la Renaissance : la peinture ne pouvait retrouver sa grandeur que par la conversion des artistes à un nouvel art sacré ; l’Académie aurait dû favoriser ce renouveau.

4Nous avons ensuite cherché à définir quelles étaient les exigences et les goûts des prélats dans le domaine de la peinture religieuse. Nous sommes partis de l’examen de quelques collections significatives, celles du cardinal Matteo Contarelli, dataire de Grégoire XIII et commanditaire de Muziano, celle du cardinal Filippo Guastavillani, neveu de Grégoire XIII, et celle du cardinal Michele Bonelli, petit-neveu de Pie V : on y remarque la forte présence de tableaux vénitiens (notamment de l’atelier de Bassano), d’œuvres de Corrège, mais aussi de tableaux nocturnes : ce goût vénitien, qui est antérieur à l’arrivée à Rome des collections de Ferrare, en 1598, s’explique probablement par la recherche de la grâce, mais aussi par une forme de naturalisme, qui apparaissaient comme une sorte d’antidote à la virtuosité du maniérisme ; c’était aussi probablement la raison de la redécouverte de Corrège à cette époque. Nous nous sommes plus particulièrement attardés sur la personnalité de saint Philippe Neri, l’un des grands protagonistes de la Contre-Réforme. Nous avons plusieurs témoignages du rôle des images et des peintures dans sa vie spirituelle ; l’inventaire de ses biens comprend plusieurs œuvres d’art que l’on peut encore identifier aujourd’hui : il possédait lui aussi une Nativité de l’atelier des Bassano. Nous nous sommes également interrogés sur sa prédilection pour Federico Barocci, qui joua un rôle central dans la redécouverte de Corrège à cette époque. Cesare Baronio, son disciple favori, fut aussi, on le sait, un protagoniste central de la réforme des arts à cette période. Nous avons notamment étudié les grands travaux qu’il entreprit dans son titre cardinalice, l’église des Saints-Nérée-et-Achillée, mais aussi dans les oratoires de San Gregorio al Celio, à Saint-Césaire de l’Appia, dans le couvent des capucins de Sora, sa ville natale… On sait le rôle qui fut le sien dans la redécouverte et la conservation des témoignages des premiers âges du christianisme et de l’art religieux du Moyen Âge. Ses liens avec Francesco Vanni, qui était très influencé par Baroche, sont également caractéristiques, et nous avons cherché à faire la liste des artistes auxquels il s’adressa (Cristoforo Roncalli, Girolamo Massei…). On s’est souvent interrogé sur les liens que Caravage aurait pu entretenir avec la spiritualité des Oratoriens. Des découvertes récentes laissent penser que ces liens étaient beaucoup moins étroits qu’on a voulu le prétendre : la commande au peintre de la Mise au tombeau de la Chiesa nuova fut probablement l’initiative du titulaire de la chapelle, alors que les Oratoriens s’adressèrent à Baroche et à Pomarancio. En revanche, on saisit très bien l’influence de Baronio dans les grandes pale sur ardoise que Rubens réalisa pour le chœur de la Vallicella.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Hochmann, « Histoire de la peinture italienne, XVIe-XVIIe siècle »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 152 | 2021, 312-315.

Référence électronique

Michel Hochmann, « Histoire de la peinture italienne, XVIe-XVIIe siècle »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 152 | 2021, mis en ligne le 14 juin 2021, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/4538 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.4538

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Auteur

Michel Hochmann

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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