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HomeIssues152Résumés des conférencesÉtudes ottomanes (XVe-XVIIIe sièc...

Abstract

Programme de l’année 2018-2019 : I. Lecture et commentaire des Ġazavât-ı Hayr ed-dîn Paşa. — II. Lecture et commentaire de documents ottomans des archives du baile de Venise.

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  • 1 Présentation du texte, de l’auteur et des manuscrits dans mon rapport pour l’année 2008-2009. Nous (...)

1On a continué durant le premier semestre la lecture et le commentaire des Ġazavât-ı Hayr ed-Dîn Paşa (Geste de Hayr ed-Dîn Paşa), biographie des frères Barberousse rédigée par Seyyîd Murâd1. Le séminaire a été consacré aux folios 290r-311r, qui couvrent la période allant de la bataille de Préveza (27 septembre 1538) à la décision prise par Charles Quint de se lancer dans sa malheureuse expédition d’Alger, en 1541.

  • 2 Les références apparaissant dans les notes ci-dessous ne prétendent pas fournir un aperçu complet d (...)

2Le séminaire s’était achevé l’année précédente à la veille de la rencontre entre Hayr ed-Dîn et la flotte de la ligue chrétienne commandée par Andrea Doria. La bataille, sanctionnée par la défaite de ce dernier malgré la supériorité de ses effectifs, a donné lieu à une abondante bibliographie2, qui n’a pas toujours accordé à la chronique ottomane beaucoup d’attention. Elle permet cependant d’y voir un peu plus clair, ou du moins de saisir comment les Ottomans du temps comprirent le déroulement de l’affrontement.

  • 3 Paolo Giovio, Historiarum sui temporis tomus secundus, Paris, M. Vascobani, 1584, 209 c ; Giacomo B (...)
  • 4 Emmanuelle Pujeau, L’Europe et les Turcs. La croisade de l’humaniste Paolo Giovo, Toulouse, Presses (...)

3Le récit ottoman des événements du 26 septembre 1538 correspond peu ou prou à celui des sources occidentales. Une tentative de débarquement du côté du promontoire d’Actium, où Hayr ed-Dîn a été contraint par ses officiers de débarquer des hommes, est repoussée par une initiative de ses propres corsaires, qui prennent l’ennemi de flanc : il semble bien qu’on ait là une version ottomane des escarmouches rapportées par Giovio et Bosio3. Hayr ed-Dîn sort alors sa flotte et amène Doria à regagner la haute mer : ici encore, des sources chrétiennes mentionnent la sortie de cinquante galères ottomanes, mais Doria aurait préféré continuer sa route vers Leucade (et l’objectif fixé de Lépante) plutôt que de couper la retraite de son adversaire4. Faut-il y voir, comme E. Pujeau, le début de la bataille du 27 septembre ? Ce serait contraire à la chronologie proposée par les Ġazavât, mais aussi par le récit de Celâlzâde fondé sur le rapport envoyé sur le champ à Soliman par Hayr ed-Dîn, chronologie qui paraît cohérente et dont il n’y a pas de raison de douter a priori : croyant que l’ennemi est reparti vers Corfou, les Ottomans la nuit venue partent à leur poursuite et ce n’est qu’au matin du 27, depuis l’île de Paxi (au sud de Corfou), qu’ils comprennent leur erreur en voyant les chrétiens près de la côte occidentale de l’extrémité sud de Leucade.

  • 5 De même qu’elle répond à John Francis Guilmartin Jr., Gunpowder and Galleys. Changing Technology an (...)
  • 6 Cf. Pujeau, L’Europe et les Turcs, p. 243 ; Eadem, « La Préveza (1538) entre idéologie et histoire  (...)
  • 7 Edmond Jurien de La Gravière, Doria et Barberousse, rééd. Saint-Denis, Bouchène, 2018, p. 182-183 ; (...)
  • 8 Pujeau, L’Europe et les Turcs, p. 245-246 ; Eadem, « La Préveza », p. 166-168 ; Guglielmotti, La gu (...)

4Cette erreur sur les déplacements de l’ennemi (ajoutée au temps nécessaire à rembarquer l’infanterie de marine et l’artillerie), dont les historiens n’ont pas pris conscience, joue un rôle important dans la bataille, dans la mesure où elle explique l’heure tardive du combat5. La tactique de Doria est de laisser approcher l’ennemi, de lui opposer une décharge d’artillerie et de l’obliger à faire retraite. C’est donc la présence d’un fort contingent de gros bateaux ronds sur les ailes de sa flotte qui lui donne un avantage sur celle de son adversaire, qui ne compte que des bateaux à rames. Mais quand le vent tombe vers midi, les bateaux ronds sont bloqués et cet avantage est perdu6. L’affaire va désormais se jouer entre les galères. En attaquant l’aile droite de la flotte chrétienne, Hayr ed-Dîn se place entre celle-ci et le rivage, ce qui lui donne un avantage tactique. Doria réplique en ordonnant à ses galères des mouvements qui ont laissé perplexes les historiens, dont la lecture donne l’impression de mesures désordonnées et un peu désespérées7. Il n’en est que plus remarquable que les marins ottomans du temps, pour leur part, aient vu dans les mouvements des galères ennemies des intentions tactiques claires et rationnelles : en contournant à leur tour les Ottomans par la gauche et en les prenant à revers, les chrétiens pouvaient briser leur attaque et Hayr ed-Dîn, à en croire les Ġazavât, aurait dû le salut à la rapidité de sa réaction et à la discipline de sa flotte : il change aussitôt de direction et se porte contre l’assaillant chrétien, lequel fait marche arrière, se met à l’abri de ses bateaux ronds, puis tente d’attaquer de l’autre côté ; la tentative échoue devant la réactivité des Ottomans. Ce manège peut durer indéfiniment, bloquant la situation. C’est ce qui amène Hayr ed-Dîn à tenter le sort en pénétrant dans les lignes ennemies pour atteindre les galères : plusieurs gros bateaux sont endommagés, deux vaisseaux de transport incendiés, une nef et deux galères prises. Le vent se lève vers 17 heures et Doria se replie sur Corfou avec une flotte en grand désordre, bientôt protégée de la chasse ottomane par l’obscurité8.

5Les circonstances ont aidé le héros. Mais cette explication est insuffisante. Dans la nuit du 26, il avait sollicité et obtenu d’avoir en rêve des visions propres à le convaincre qu’il pouvait prendre le risque d’attaquer un ennemi plus puissant que lui (294v-295v). Au moment de combattre, il avait obtenu de Dieu qu’il fît tomber ce vent avantageux pour l’ennemi en plaçant deux versets du Coran de part et d’autre de sa propre galère (297r). La protection divine faisait donc de lui un chef invincible. C’était aussi, en partie de ce fait, un chef avisé et obéi : dans la soirée du 26, il avait d’abord trouvé le temps de répliquer posément à ‘Alî Bey, officier de terre qui critiquait ses choix à demi-mots, puis de tenir un divan où il avait su trouver les mots pour réunir autour de lui les officiers qui n’avaient pu que constater par les faits que lui seul avait raison et qu’ils n’avaient dû leur salut qu’à l’intervention des corsaires, les fidèles et sûrs compagnons de Hayr ed-Dîn :

  • 9 293v-294r.

N’ayez nulle inquiétude, beys, car si Dieu le veut – qu’Il soit exalté ! – l’occasion et la victoire sont à nous. J’ai encore une fois sollicité l’avis de Dieu et la réponse fut bonne. Plus d’une fois j’ai cherché des présages et la réponse fut bonne. Si Dieu le veut, la victoire encore une fois est à nous et [notre] zèle revient à Dieu. Prenez place maintenant pour le prier9.

  • 10 300r-v.

6Après les flottements et les heurts dans le haut commandement qui avaient marqué l’attente dans le golfe de Préveza, le chef avait repris les hommes en main : la chance lui sourit quand, se fiant à la protection divine, il lança ses galères à travers les lignes ennemies, mais plus encore sa capacité à imposer une parfaite discipline. Les chrétiens, nous dit la chronique, comptaient sur l’appât du gain pour l’emporter, espérant que « Son Excellence le pacha se détournerait vers les bârça et commencerait à piller et faire du butin, laissant ainsi les galères libres, et qu’eux pendant ce pillage trouveraient aisément l’occasion de s’emparer des galères des nôtres et de faire route »10. Ce calcul n’avait rien d’absurde, les exemples de pareils retournements ne manquant pas. Mais Hayr ed-Dîn avait déjoué le piège à l’avance, disant aux siens :

  • 11 300v-301r.

Ne vous intéressez pas au matériel et aux prisonniers, mais bonne chance à vous : bombardez et coulez les bârçâ qui viendront, puis sans vous en préoccuper plus, ayez aussitôt pour seul objectif les galères. Si Dieu (qu’Il soit exalté) vous a destiné quelque chose, ce ne sera pas perdu. Votre part et votre droit vous reviendront sans le moindre doute11.

7Cette parfaite discipline avait été, à Préveza, la clef du succès. Elle n’avait été possible que parce que les hommes savaient que dès lors qu’un chef doté comme Hayr ed-Dîn de la baraka divine promettait un butin futur, on pouvait s’y fier.

  • 12 Kenneth M. Setton, The Papacy and the Levant, III, Philadelphie, The American Philosophical Society (...)

8Commandant avisé, Hayr ed-Dîn ne prend pas le risque d’une poursuite à l’aveugle en pleine nuit : il passe la nuit sur place, brûle les restes de la flotte ennemie, se réapprovisionne, envoie son rapport au sultan, enfin regagne Préveza où il tient un divan (302r-304v). Ensuite seulement la flotte ottomane part vers le nord à la recherche de l’ennemi et, prise dans la tempête, perd huit galères et se réfugie dans le port de Vlorë. Cependant les chrétiens s’emparent de Hercegnovi, mais la sagesse consiste à rentrer à Istanbul (304r-306v). Bien entendu, il n’était pas question de renoncer à une parcelle du territoire ottoman. Les réactions de Soliman à la prise espagnole de Coron avaient été caractéristiques : non seulement il avait voulu récupérer la place, mais il s’était refusé à le faire par la négociation ; seule une reconquête par les armes pouvait laver son honneur12. C’est donc la tâche qu’il fixe à Hayr ed-Dîn pour la saison 1539 : cette opération est rapidement mais précisément narrée, par un récit conforme à ce qu’on peut trouver dans les sources occidentales (306v-307v). Un ajout mérite cependant l’attention : une fois la place prise et mise à sac, Hayr ed-Dîn autorise ses corsaires à lancer des raids en territoire vénitien. Ceci nous rappelle le poids de ces indépendants dans la marine ottomane du temps et plus particulièrement de la flotte privée de Hayr ed-Dîn, mise au service de la politique du sultan certes, mais dépendant de lui seul.

  • 13 Cf. Bosio, Dell’Istoria della Sacra Religione, II, p. 182 ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, p.  (...)
  • 14 Lâzım geldi ki : 304 v.
  • 15 Cf Colin Imber, « The Cost of Naval Warfare: The Accounts of Hayreddin Barbarossa’s Herceg Novi Cam (...)
  • 16 Celâlzâde Muṣṭafā gennant Ḳoca Nīşāncı, Geschichte Sultan Süleymān Ḳānūnīs von 1520 bis 1557 oder Ṭ (...)
  • 17 Francisco López de Gómara, Guerras de mar del Emperador Carlos V, Miguel Angel de Bunes Ibarra et N (...)
  • 18 Giovio, Dell’Istoria della Sacra Religione, II, 214 B ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, II, p.  (...)

9À y regarder de plus près, le récit des suites de la victoire de Préveza n’est pas dépourvu de biais. Il laisse entendre que la flotte chrétienne avait envisagé une attaque de Vlorë mais qu’elle avait fui vers le nord et que ce sont les dégâts provoqués aux Ottomans par la tempête qui lui avaient donné l’occasion de s’attaquer à Hercegnovi. Pourtant, selon la documentation chrétienne c’est Hayr ed-Dîn qui choisit de se replier par prudence et le projet d’attaquer Hercegnovi – il semble n’avoir jamais été question de Vlorë – avait été adopté d’emblée. Les forces ottomanes devaient-elles aller sur le champ à l’aide de Hercegnovi tombée le 27 octobre ? La saison était désormais dangereuse. Les sources occidentales confirment la violence de la tempête et l’importance des pertes subies par la flotte ottomane13. En l’occurrence, on peut se demander si le chef ne s’était pas montré un peu imprudent en n’attendant pas le retour de la saison maritime. Le chroniqueur en est bien conscient, qui l’exonère à l’avance de toute critique en assurant qu’il avait été « dans l’obligation »14 d’agir ainsi : il n’avait pas le choix, donc. Mais il se garde bien de nous dire pourquoi. Quant à la reconquête de Hercegnovi en 1539, les comptes de campagne publiés par C. Imber confirment le chiffre de 150 galères mobilisées15. Mais la chronique se garde de mentionner que Soliman avait doublé l’effort maritime d’une expédition importante par voie de terre, attestée par des auteurs ottomans contemporains16 et par López de Gómara, qui parle de 37 000 hommes17. Enfin on note que les Ġazavât passent pudiquement sous silence une tentative avortée de s’emparer du fort vénitien de Kotor, Hayr ed-Dîn ayant pour finir jugé plus prudent de se retirer sans combattre18. Il paraît donc clair que les Ġazavât s’efforcent systématiquement de mettre le héros en valeur, au prix ici d’un mensonge par omission.

10Il ne s’agit pas seulement, en fait, de travailler à la gloire immortelle du héros. Au moment où l’on se situe du récit, dont la rédaction semble presque contemporaine, Hayr ed-Dîn est en conflit politique avec un parti hostile, dont tout donne à penser qu’il lui a imposé un contrôle dont on voit l’effet dans les débats avec son état-major, qui l’ont contraint à prendre d’abord des mesures à son avis ineptes et dangereuses. Le déroulement du combat est venu confirmer le bien-fondé de son point de vue, ce qui permet à la chronique de présenter sa soumission à de mauvais avis comme l’élément d’une démonstration pédagogique. Le maître a réussi, avant la bataille, à convaincre ‘Alî Beg :

  • 19 293v.

Ô ‘Alî Beg, tu ne sais rien de ces choses. La guerre est une affaire sérieuse et sur les questions maritimes, tu ne sais rien non plus. Elles ont leur logique. On ne repousse pas l’ennemi étourdiment : il y a un temps pour cela. Maintenant fais-moi la grâce de regagner ton bateau et d’y installer tes gens, car les mécréants sont encore là : ils ne sont pas en haute mer. Si Dieu le veut nous aurons une rencontre demain : si tu as un courage d’homme, tu le manifesteras alors. Mais pour l’instant ton devoir d’homme est de tenir ton créneau19.

11Une fois la victoire obtenue vient le temps de la leçon lors du divan tenu à Préveza. Le calme est revenu dans les esprits et la séance de debriefing prend les aspects d’une conversation entre amis (ṣoḥbet), avec petits jeux et plaisanteries. La chronique s’y attarde (302v-304r) et le ton léger du passage permet de faire passer un message. C’est ‘Alî Bey qui s’en charge, en présentant un tuyau de pipe :

  • 20 303v-304r.

Quand on confie un apprenti à un maître ou un jeune garçon à un professeur, à chaque bêtise qu’il commet, ils le corrigent avec ce tuyau. Eh bien, Son Excellence le pacha, en vérité, est notre maître sur cette route et cette voie. Nous avons hier été insolents, n’avons pas respecté les usages et avons agi de manière inconvenante, tout ceci par ignorance. Eh bien, maintenant nous avons vu et nous avons compris que nos propos étaient stupides. Il faut donc nous corriger. Eh bien, le bon apprenti ne fait pas parvenir le bâton à son maître du bout du monde et il ne le perd pas : il l’apporte lui-même. Et moi, je suis un bon apprenti et j’apporte la badine de ma propre main. Qu’il en fasse ce qu’il désirera et qu’il m’en frappe autant qu’il voudra ! Un autre proverbe frappant dit : « Qui vient sur ses propres pieds ne saurait avoir d’ennuis. » Eh bien, nous avons pris nos têtes dans nos mains et sommes venus présenter des excuses, car on dit : « L’excuse est acceptée par les gens nobles. »20.

12Et les autres de le suivre alors :

  • 21 304r-v.

Dès qu’il eut [ainsi] prononcé quelques plaisants discours, les beys présents présentèrent tous leurs excuses. Pourquoi lors du combat être allés du côté de la terre et pourquoi abandonner leurs rangs ? Ils reconnurent et confessèrent que cela avait été une erreur, quand les mécréants étaient venus, de prendre la décision de débarquer les hommes. Et chacun pour son compte présenta force excuses. Son Excellence le pacha leur fit maintes caresses et leur donna quelques conseils : « Oubliez le passé ! Que ces propos ne sortent pas d’ici. Que rien de tout cela ne soit mentionné devant personne, de sorte que cela ne soit pas le prétexte d’affaires désagréables. » Mais eux, par peur qu’il n’en fît le rapport à son retour à la porte de félicité, se livrèrent à de vains discours et tinrent toutes sortes de propos inconvenants21.

  • 22 Sur la situation politique de Hayr ed-Dîn à Istanbul, cf Nicolas Vatin, « Hayr ed-Dîn Barberousse : (...)

13La leçon s’adresse aux officiers présents, mais plus encore à de plus grands personnages : ceux qui, en dépit du soutien accordé par Soliman au corsaire devenu pacha, l’empêchent de travailler convenablement et du haut de leur incompétence prétendent lui dicter son action et ses choix. Au début de la campagne de 1538, l’attitude des vizirs prétendant le contraindre à partir en mer avec de mauvaises chiourmes en avait donné un bon exemple. Qui pis est, la proposition de tout oublier n’est pas prise en compte par les beys qui prennent les devants par prudence, craignant que lui-même ne fasse sur eux un rapport défavorable. On en déduira qu’il y avait à la Porte des oreilles complaisantes pour ces calomnies et que ses succès n’avaient pas diminué l’hostilité dont Hayr ed-Dîn était l’objet. Lui-même avait tenu parole, puisque le texte de Celâlzâde, fondé sur son rapport, ne faisait aucune allusion aux discussions sur les choix tactiques, Hayr ed-Dîn assumant toutes les décisions prises, même contre son gré. Désormais le ton change et, à travers la chronique, il dit sa part de vérité22.

  • 23 Giovio, cité par Pujeau, L’Empire et les Turcs, p. 241 ; Bosio cité par Mercieca, « The Battle », p (...)

14La comparaison des sources permet de s’interroger sur la qualité des informations que les deux parties avaient mutuellement sur leurs adversaires. Ainsi, les auteurs chrétiens font état de débats au sein du commandement ottoman. De fait, ceux-ci avaient bel et bien existé, à propos des mesures de défense à prendre en cas de siège de Préveza. Or selon Bosio et Giovio, le différend aurait porté sur l’opportunité de sortir la flotte. Hayr ed-Dîn y aurait été contraint par des hommes du sultan menaçant de le dénoncer pour sa réticence à prendre le risque de se confronter à une flotte supérieure à la sienne23. En somme, les chrétiens n’étaient qu’à moitié informés de la réalité des discussions, mais ils avaient bien perçu l’existence d’un conflit entre le pacha-corsaire et l’establishment des ḳul du sultan. De leur côté, les Ottomans ont bien su que Doria avait décidé de tenter une action contre Lépante. En revanche ils ignoraient que ce n’était pas une option de second choix pour laver le déshonneur d’un échec devant Préveza le 26 septembre, mais le principal objectif de la Ligue. Il n’est donc pas étonnant que partant à la recherche de l’ennemi au petit matin, Hayr ed-Dîn se soit dirigé vers Corfou, au nord, alors que la flotte chrétienne faisait route au sud, vers le golfe de Corinthe. Comme souvent en matière de renseignement, les informations factuelles n’étaient peut-être pas inexactes, mais encore fallait-il les interpréter convenablement. Il n’en demeure pas moins qu’on savait bien des choses sur l’autre, qui apparaissent parfois dans la chronique de façon anecdotique. Il en va ainsi d’un curieux passage où le chroniqueur ottoman présente la garnison laissée par Doria à Hercegnovi comme constituée de la lie de la chrétienté :

  • 24 305v.

On les avait sélectionnés dans toutes les contrées pour les installer sur le rivage de Roum dans un lieu qu’on aurait conquis. On en avait choisi un ou deux par [endroit], car là où on les recrutait, leurs querelles empêchaient un âne même de vaguer. C’est pourquoi on les avait extirpés et embarqués, dans l’intention d’en purger le pays24.

  • 25 Giovio, Dell’Istoria della Sacra Religione, II, p. 182 ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, p. 80.

15Or, ces propos ironiques, qu’on pourrait croire purement fantaisistes, font écho à ce qui se disait en Italie : c’étaient des vétérans qui avaient participé au sac de Rome et s’étaient rendus coupables de cruautés inouïes à Milan25.

  • 26 Gallotta, « Il Ġazavāt-ı Hayreddīn Paša di Seyyid Murād », Studi Magrebini, 13 (1981), p. 18-23.

16Un brutal saut chronologique se produit au folio 307v, puisqu’on passe de l’été 1539 au printemps 1541, avec le départ de Soliman pour une campagne de Hongrie. Dans la mesure où Hayr ed-Dîn ne semble pas être sorti en mer dans les années qui suivirent la reconquête de Hercegnovi, ce n’est pas entièrement surprenant. Au demeurant, il ne sera pas non plus question de lui dans les dernières pages de la chronique. Travaillant sur l’ensemble de l’œuvre et des manuscrits de Seyyîd Murâd, Aldo Gallotta était parvenu à la conclusion que les Ġazavât-ı Hayr ed-Dîn Paşa s’achevaient en 1537 et que c’est par la suite que les événements de 1538 et 1539, rédigés pratiquement sur le moment26, avaient été ajoutés, ce qui pourrait contribuer à expliquer le ton polémique particulier dont j’ai fait état. Quoi qu’il en soit, on quitte maintenant les aventures du grand marin pour un exposé de la situation politique en Hongrie après la mort le 22 juillet 1540 de Jean Zápolyai, roi vassal des Ottomans, prélude dans l’esprit de l’auteur à la décision prise par Charles Quint d’attaquer Alger à l’automne 1541. C’est cette expédition qui fera l’objet des derniers folios de la chronique : on peut y voir un lien avec Hayr ed-Dîn, mais celui-ci ne participa pas à cette nouvelle aventure, dont le héros fut son esclave Ḥasan Aġa.

17On n’est donc plus désormais dans la geste des Barberousse, mais dans l’histoire du règne de Soliman le Magnifique. Pourtant, c’est une figure féminine et chrétienne qui domine le passage : Isabelle, fille du roi de Pologne et veuve de Jean Zápolyai. Par le traité de Várad (1538), Ferdinand de Habsbourg avait reconnu la royauté de Zápolyai en échange de son héritage à sa mort. Or, deux semaines avant celle-ci lui était né un hériter naturel, Jean-Sigismond, que le sultan, sollicité par un parti hongrois et pour qui de toute manière la Hongrie était ottomane, allait prendre sous son aile. Cependant, aucune mention n’est faite dans la chronique des conseillers à qui Soliman va confier la réalité du pouvoir et qui ont envoyé des émissaires à Istanbul. C’est Isabelle qui décide de résister à Ferdinand et prend les mesures militaires nécessaires, puis appelle Soliman au secours. Qui plus est, elle reprend à son compte la thèse ottomane :

  • 27 308v.

Ce sont eux [les Turcs] qui avaient confié cette forteresse à mon mari en disant qu’elle était un dépôt de Dieu. Mon mari au moment de mourir m’en a remis les clefs et a émis ses dernières volontés en me donnant les instructions suivantes : « Son Excellence Sultan Soliman m’avait confié cette forteresse. Me voilà mourant à présent. Si je meurs, fais-y bien attention, ne remets ce dépôt à nul autre qu’à son maître. Si tu ne respectes pas ce dépôt mais le donnes à un tiers et t’inclines pieusement devant le bas-monde, tu m’en rendras compte dans l’autre monde. » Eh bien, je suis actuellement bien vivante. Il n’est pas question que je remette cette forteresse à des étrangers. Je la remettrai plutôt entre les propres mains du padichah, je ne la donnerai pas à un autre27.

18Ce ne sont donc pas les droits de son fils que la noble reine défend, mais ceux de Soliman seul en droit d’attribuer non pas le pays, mais la couronne, à la personne de son choix : en l’occurrence Jean Zápolyai et non pas son fils (puisque le lecteur sait déjà qu’il ne sera pas reconnu roi vassal de Hongrie mais de la seule Transylvanie). La version qui ressort du discours prêté au mourant par sa veuve est fausse, puisque contraire au traité de Várad. Les réalités historiques, un peu faussées, servent donc à donner un tour littéraire au récit. Le rôle donné à la noble princesse chrétienne prenant le parti du bon droit des musulmans nous place hors du champ de l’histoire (ta’rîh). Nous sommes bien dans le domaine des ġazavâtnâme : des récits épiques, mais fondés sur des réalités historiques récentes et aisément repérables.

19Le second semestre s’est déroulé dans des conditions inhabituelles en raison de la situation sanitaire qui nous interdisait de nous réunir. Plutôt que de recourir à la visioconférence, on a choisi de procéder par courrier : les fac-similés étaient envoyés chaque semaine avec une transcription, une traduction et des commentaires ; dans les jours suivants, le directeur d’études répondait par circulaire aux questions qui lui étaient posées en retour.

20Ce second semestre fut consacré à des documents tirés des archives du baile de Venise conservées à l’Archivio di Stato de Venise, présentés avec Mme Elisabetta Borromeo (CNRS) qui y travaille avec moi dans le cadre d’un projet d’inventoriage. Les documents étudiés cette année, tirés des buste 108-II et 127-I, complètent notre information sur les relations frontalières entre Ottomans et Vénitiens à la fin du xviie et au début du xviiie siècle, notamment sur les conséquences de la piraterie tripolitaine.

21Un dossier assez abondant de documents de natures diverses – procès-verbaux de cadis (ḥüccet), attestations sous seing privé (temessük), pétitions (maḥẓar), rapport (i‘lâm) de nâ’ib – (127-I, nos 155, 156, 157, 160, 161, 163, 164) concerne Ḳara Meḥmed Re’îs de Tripoli. Le 29 avril 1706, il s’était emparé des trois bateaux des capitaines Matteo Borniza, de Venise, et Kyrillos Pala et Giacomo de Perast, dans le port de Portik (nos 157, 160) ou Yeñiliman (nos 155, 156), qui doit être Portonovo. Trois jours après, le 2 mai, il les vendit à des individus originaires de Vlorë, à Vlorë. Les deux frégates étaient cédées pour 400 pièces d’or, le bateau de Kyrillos Pala pour 320 pièces d’or, soit 720 pièces d’or au total. Or, quelques temps après, la vente fut enregistrée devant le tribunal de Vlorë pour 750 – et non plus 720 – pièces d’or et les acheteurs, tous musulmans, comptaient outre ceux déjà connus trois individus originaires d’Ulcinj. Les deux documents suivants (nos 156 et 161) permettent de suivre le développement de l’affaire. Il s’agit d’abord d’un maḥẓar qu’on doit pouvoir dater du 14 mai 1706, envoyé à la Porte accompagné d’un i‘lâm du nâ‘ib Aḥmed daté du mois de ṣafer / 15 mai-12 juin 1706 et vraisemblablement, plus précisément, du 15 mai (no 161). On y apprend que ce sont les capitaines de Perast Kyrillos Pala et Giacomo qui avaient demandé aux acheteurs de leur ramener leurs bateaux à Durrës où ils les rachèteraient. L’i‘lâm no 161 est explicite : les capitaines lésés par Ḳara Meḥmed se sont rendus à Durrës et c’est là qu’ils ont chargé nos trois acheteurs d’aller [à Vlorë] dégager leurs bateaux à n’importe quel prix ; ils s’engageaient à rembourser. Les acheteurs ne sont donc, et depuis le début, que des intermédiaires, ce qui peut expliquer la différence de 30 pièces d’or entre le total de 720 pièces payé d’après les deux attestations sous seing privé et les 750 pièces mentionnées dans la ḥüccet : ces 30 pièces constituent une commission de 4 %. Les racheteurs ici mentionnés sont Murteẓà bin Muṣṭafà et Ḥüseyn bin Ḥasan, de Vlorë, et Şehbâz bin Ḥasan, Muṣṭafà bin Berhâm et İbrâhîm, d’Ulcinj, tous déjà apparus. En revanche, nombre des acheteurs que ceux-ci mentionnaient ont disparu. L’explication pourrait en être que nos six hommes parlaient pour eux-mêmes parce qu’ils étaient les victimes d’une mésaventure qui les amena à se tourner vers le pouvoir central, par l’envoi conjoint d’un maḥẓar et d’un i‘lâm. En effet, alors qu’ils amenaient les bateaux à Durrës pour les revendre aux capitaines lésés, ils subirent à leur tour un acte de piraterie : Kyrillos et Giacomo s’étaient entendus avec un compatriote de Perast, le capitaine Grgur, pour récupérer par la force les trois bateaux et s’exonérer ainsi de rembourser les intermédiaires. Ils refusaient de rendre soit les 750 pièces d’or, soit les trois bateaux. Nos sujets ottomans considéraient qu’il y avait rupture de l’accord, mais aussi de la paix et ne virent pas d’autre moyen pour récupérer leur bien que de demander une intervention diplomatique. Le document suivant (no 164) est d’au moins un mois postérieur (13 juin au 12 juillet 1706). Ce décalage permet de supposer qu’il est la conséquence de la réaction de la Porte à l’envoi le 15 mai du maḥẓar et de l’i‘lâm nos 156 et 161. On peut préciser la date un peu plus, car les deux bénéficiaires du document, qui durent apparemment se rendre à Durrës, y étaient le 23 juin (no 163). Le document no 164 peut donc avoir été signé aux alentours du 20 juin 1706. Il s’agit d’une attestation sous seing privé désignant deux des acheteurs de Vlorë, Ḥüseynşâh Aġa et Zeynel, pour aller récupérer l’argent versé. L’affaire aura donc été résolue au mieux des intérets de nos hommes, sans doute grâce à l’appui de la Porte : la somme devait les attende à Durrës, car ils se rendirent à Durrës dans ce même mois de juin 1706.

22Une attestation sous seing privé du 23 juin 1706 (no 163) est remise au consul à Durrës de Venise, Pietro Rosa, qui a rendu la somme avancée par un certain nombre d’associés (yoldaş) des signataires pour le rachat de trois bateaux de capitaines de Perast (le gripo de Cristoforo Palovik et les deux frégates de Giacomo Palço et Giovanni Karansik) pris devant Portonovo par « le Tripolitain ». Les signataires sont les mêmes Ḥüseynşâh Aġa et Zeynel qui avaient été envoyés pour récupérer les 750 pièces d’or du rachat de trois bateaux pris devant Portonovo par Ḳara Meḥmed Re’îs de Tripoli. Ce dernier doit être notre « Tripolitain », mais l’affaire est différente. Outre que les capitaines attaqués portent des noms différents, leurs bateaux ont été pris cinquante jours avant la rédaction de l’attestation, donc vers le 4 mai 1706, quelques jours après le 29 avril, date de l’attaque des trois premiers bateaux. À l’évidence, les mêmes intermédiaires interviennent au même moment pour deux séries de victimes différentes de Meḥmed Re’îs : ce sont apparemment des spécialistes.

23Notre dossier est complété par la copie d’une lettre envoyée au consul de Venise par Aḥmed Berîşe d’Ulcinj (127-I, no 176). Celui-ci, n’ayant pas de fonction officielle, doit également être un intermédiaire. Il fait état de sa capacité à faire pression sur le provéditeur général de Dalmatie, ce qui montre qu’il a de l’entregent, mais nous n’en savons pas plus. En l’occurrence, il s’agit de récupérer des mains du consul soit le prix du bateau d’İstôfân oġlı, soit le bateau lui-même. Cette obscure affaire de rachat pourrait avoir un rapport avec la tartane de Niḳôlâ Covân İstefônâ Lâzarôvîk prise devant Vlorë en 1018 / avril 1706-avril 1707 (127-I, no 175), ce qui serait un élément de datation. La tartane attend son sort au mouillage devant Durrës : nouvel exemple des procédés utilisés et du rôle crucial des intermédiaires et du consul vénitien.

24L’affaire de Meḥmed Re’îs Ferrara, également de Tripoli, se situe dans le même contexte. Un document sous seing privé rédigé par le commandant de l’artillerie du fort de Durrës, Muṣṭafà, en date de ramaẓân 1118 / 7 décembre 1706-5 janvier 1707 (127-I, no 151) transcrit un accord non judiciaire entre deux parties (ṣulḥ). Conformément à la pratique (réelle ou fictive), des intermédiaires se sont entremis pour trouver un arrangement à l’amiable. En l’occurrence l’intermédiaire doit être le signataire et peut-être les témoins instrumentaires, officiers de la garnison eux-aussi et notables du chef-lieu, Elbasan. Les parties sont une patrouille de garde-côtes vénitiens (trois galions comme nous l’apprend le document no 173) et de l’autre Meḥmed Re’îs Ferrara de la milice (ocaḳ) de Tripoli, qui commande un navire de course important (40 canons, 400 hommes) avec lequel il a pris en course deux bateaux de commerce vénitiens, entre l’île de Sazan, au débouché du golfe de Vlorë, et Durrës. Attendu que c’est contraire à la paix, la patrouille vénitienne le bloque près de Durrës. La situation est sans issue et, sauf à en venir à des actes de guerre, le consul vénitien à Durrës et Meḥmed lui-même n’ont d’autre choix que d’écrire à la Porte pour trouver une solution entre le baile et le divan. C’est parce que la réponse n’arrive pas et que la situation s’éternise qu’intervient le ṣulḥ qui prévoit : a) que les bateaux vénitiens pourront repartir ; b) qu’en gage de bonne foi Meḥmed déposera ses voiles et son gouvernail dans le fort (donc sous le contrôle du signataire sans doute intercesseur et des témoins), ce qui représente un dépôt de valeur et l’assurance qu’il ne repartira pas ; c) que quand il repartira, les deux parties s’engagent à ne pas s’agresser mutuellement entre Durrës et Sazan, donc l’embouchure de Vlorë : c’est-à-dire que l’Adriatique (ou golfe de Venise) est zone de trêve, mais que le Tripolitain considère qu’il est libre de faire le corso dans la mer Ionienne. Une quinzaine de jours plus tard, le 17 janvier 1707, Meḥmed Ferrara signe une attestation sous seing privé (127-I, no 174). Entretemps, un firman a été émis, en réponse à un maḥẓar et un i‘lâm de cadi qu’il a sollicités (ainsi qu’allusion en est faite dans le document no 151). Le firman a vraisemblablement avalisé l’accord de non agression mutuelle qui a fait l’objet d’un ṣulḥ précédemment et Meḥmed Ferrara s’engage à le respecter par cette attestation remise au consul de Venise, peut-être au moment où il reprend la mer. Le 18 janvier 1707, au lendemain de la rédaction de l’attestation, le cadi de Durrës émet un procès-verbal (ḥüccet) qui enregistre l’accord, mais traite aussi d’autres sujets et enregistre le firman émis à la suite à la fois du maḥẓar et de l’i‘lâm de Meḥmed Ferrara et de la lettre du consul Rosa. On apprend que les Vénitiens se plaignaient plus largement des agissements des corsaires tripolitains, dont Ḳara Meḥmed. Quant à Meḥmed Ferrara, ils lui reprochaient d’avoir amené sa proie à Durrës et c’est pour protéger les bateaux vénitiens dans ce port que leurs trois galions y avaient bloqué Meḥmed Ferrara, qui de son côté se présentait comme l’innocente victime d’une agression injustifiée. Les Vénitiens reprochaient encore aux autorités ottomanes de s’être opposées à leurs justes opérations : le commandant de la flottille d’Ulcinj, Muṣṭafà, aurait été jusqu’à menacer le consul pour qu’il contraignît le galion vénitien à se retirer. Les Vénitiens se réclamaient du traité de paix (‘ahdnâme). Le gouvernement ottoman se reporte donc au texte du traité, qui prévoit la libre circulation sur terre et sur mer, ce qui protège à la fois les sujets vénitiens et tous ceux qui voguent sous le pavillon de saint Marc. Rappel à la loi et au traité sera fait aux régences d’Alger, Tunis et Tripoli. À la suite de la réception de ce firman, une liste (no 175) est dressée de prises faites par les corsaires tripolitains dans la zone d’Igoumenitsa à Durrës, donc sur les côtes de l’Albanie ottomane, en 1117 / 1705-06 et 1118 / 1706-07.

25Un troisième petit dossier concerne İbrâhîm Beg de Tripoli, dont le bateau chargé de pèlerins a été déporté par la tempête depuis les eaux égyptiennes jusqu’à Durrës. La seule vue d’un bâtiment tripolitain suffit pour pousser Domenico Meror et son équipage à fuir à terre : la piraterie est à l’évidence un fléau particulièrement actif dans la zone en ces années. İbrâhîm en profite pour se saisir du bateau et de sa cargaison. Cette fois, autorités vénitiennes et ottomanes sont d’accord, puisque le bateau vénitien transportait des marchandises de deux sujets ottomans de la région. Ajoutons que le droit ottoman ignore le droit d’épave : si le bateau s’était retrouvé en déshérence, il serait revenu au Trésor. En tout cas, le recours au gouvernement central ottoman est le seul moyen pour tenter d’agir à Tripoli.

26Ainsi, quelques années après la conclusion du traité de Karlowitz, les relations sont loin d’être parfaitement apaisées entre Vénitiens et Ottomans. La course tripolitaine semble particulièrement active en 1706, au détriment des intérêts vénitiens. Ce qui n’empêche pas la collaboration de navires de cabotage vénitiens chargeant des marchandises d’Ottomans. Au niveau supérieur, les États montrent la volonté de collaborer et de faire respecter le traité auquel chacun se réfère, notamment en rappelant à l’ordre les corsaires des Régences barbaresques. On peut se demander si c’était bien efficace, car au niveau local, les autorités ottomanes étaient loin de montrer une collaboration entière avec les autorités vénitiennes voisines et faisaient même pression sur elles en protégeant les pirates tripolitains. C’est qu’indépendamment de questions de rapports de force, il y avait là toute une activité très rentable. Le mémorandum signale systématiquement le rachat des prises par des musulmans d’Ulcinj ou de Vlorë. De fait, la meilleure façon de tirer parti d’un butin de piraterie est de le revendre au plus vite contre de l’argent, moins encombrant et plus utile. Aussi nos capitaines tripolitains entrent-ils dans les ports ottomans apparemment sans être inquiétés malgré leur activité contraire aux traités et y revendent-ils leur prise immédiatement. La différence entre le prix réellement payé pour une prise rachetée et le prix affiché devant le tribunal du cadi permet de repérer un bénéfice de 4% réalisé par les acheteurs intermédiaires. Deux choses frappent : ce sont les mêmes qui réapparaissent et ils sont apparemment assez nombreux. C’est donc sinon un métier, au moins une activité financière d’intermédiaires organisée et qui doit rapporter, car les sommes en jeu sont importantes, et qui est pratiquée par des individus bien connus, puisque les victimes vénitiennes savent à qui s’adresser quand elles cherchent un intermédiaire. Ce qui explique sans doute aussi pourquoi ces musulmans sont assez nombreux à s’associer : une seule personne n’a sans doute pas les moyens de mobiliser 750 ducats en quelques heures. On a d’ailleurs l’impression que des rachats de parts ont lieu assez rapidement, ce qui augmente le nombre des associés. Cette activité est peut-être moralement douteuse, mais elle s’affiche comme légale, en sorte que quand nos intermédiaires perdent leur mise, ils font en toute bonne conscience intervenir les autorités ottomanes auprès des autorités vénitiennes et semblent obtenir gain de cause. Dans tout cela, le consul vénitien à Durrës joue un rôle de premier plan comme intermédiaire et négociateur entre toutes les parties : les autorités ottomanes locales, le provéditeur général de Dalmatie, le baile à Istanbul et le gouvernement ottoman, enfin les acteurs locaux qu’il a la charge de dédommager.

  • 28 Cristian Luca, « The Dynamics of Commercial Activity in the Ottoman Port of Durazzo during the Cons (...)

27Les dossiers sur lesquels nous travaillons concernent évidememnt souvent les consuls sur place, notamment un certain Giorgio Cumano, personnage bien connu, Grec sujet vénitien qui avait une longue expérience de marchand et d’agent consulaire dans la région, particulièrement dans le commerce de la cire, quand il fut nommé consul à Durrës au lendemain du traité de Karlowitz en 169928.

28Quelques documents abordent la question des droits consulaires. Une ḥüccet d’un nâ’ib à Durrës de ramaẓân 1115 / 8 janvier-6 février 1704, contresignée par la suite par le cadi de Shkodrë (sans doute quand celui-ci a été amené à en faire une copie conforme), permet de comprendre que les adversaires en justice du consul Giorgio Cumano ont tenté de profiter de ce qu’il réside à Durrës pour s’exonérer des droits consulaires à Shkodrë, où ils habitent. Ce sont des sujets musulmans, qui sont contribuables dans la mesure où leurs marchandises sont transportées sous pavillon vénitien. Le consul a dû faire intervenir la capitale et c’est en arguant d’un firman ad hoc qu’il s’est porté devant le tribunal de Durrës pour obtenir le paiement des droits. Il est probable que le témoin instrumentaire Ḥasan Aġa, çavuş de la Porte, doit être le çavuş même qui a apporté l’ordre. Parmi les autres témoins on remarque la présence de l’emîn ‘Osmân : peut-être s’agit-il de l’emîn de la douane, qui est intéressé à la question. Une liste de droits dus au consul, très vraisemblablement par les trois adversaires de celui-ci, fait à l’évidence suite à la séance du tribunal (nos 169). Deux copies d’un même ordre de la décade du 10 au 19 septembre 1705 (nos 179 et 180), qui présentent de menues variantes en partie liées au niveau culturel des copistes, ne sont pas d’interprétation évidente : les Vénitiens exigent désormais que les droits consulaires soient payés non pas sur place dans les échelles ottomanes, mais à l’arrivée à Venise. C’est en effet curieux, d’autant plus que, si tel est le problème, il serait plus naturel de se tourner vers les autorités vénitiennes que d’envoyer un ordre au cadi des échelles.

29Deux autres documents (nos 150 et 167) concernent les suites du décès de Giorgio Cumano. C. Luca date celui-ci d’avant le 18 novembre 1702. Nos documents permettent plus précisément de conclure qu’il mourut quelques jours au plus avant le 27 octobre 1702. La question est celle de la succession de Cumano, sujet vénitien, dont les biens ne peuvent pas être saisis par le beytü-l-mâl auquel reviennent normalement les biens en déshérence. Qui plus est ses héritiers sont connus. Mais peut-être faut-il faire la part de ce qui revenait à l’homme et de ce qui revenait à la charge. D’où la nécessité d’un inventaire confié à Giorgetta, son petit-fils, qui lui servait de secrétaire. Le cadi fait donc savoir à l’emîn de l’échelle, qui contrôle sans doute la douane et peut-être d’autres impôts, qu’il ne doit pas s’opposer à la mise sous séquestre par Giorgetta de biens qui sont sans doute pour partie des marchandises. Le second document est une lettre à l’ambassadeur de Venise à Istanbul de ce même Ḥasan Çavuş déjà cité qui, le 27 octobre 1702, suggérait la nomination par intérim de Giorgetta, mais aussi demandait le paiement de trois ans de salaire. La lettre n° 150 de décembre 1703-janvier 1704 permet d’y voir plus clair sur ses fonctions. C’est un firman impérial qui l’a mis au service de Cumano. Il s’agit donc d’un çavuş de la Porte chargé d’appuyer de son autorité officielle la mission consulaire de Cumano à Durrës et dans les environs. Apparemment, il faisait des déplacements dans la circonscription pour faire les levées (de droits consulaires ?) au nom du consul. On sait qu’il était plus généralement un homme de confiance, à la fois ḳapı ḳulı et employé du consul, puisqu’on le voit dans la décade du 31 décembre 1702 au 9 janvier 1703 représenter Giorgetta avec le drogman Dimitris au tribunal du cadi Muṣṭafà, sans doute de Vlorë, dans une affaire d’inventaire de bateaux échoués (122-I-II, no 91). Aussi bien en 1702 à la mort de Cumano qu’à la fin de 1703 ou au tout début de 1704 dans le document étudié, Ḥasan Çavuş demande le paiement de son salaire : mis à la disposition d’un consul vénitien, c’est par lui qu’il devait être rémunéré. En 1702, il demandait le versement d’un arriéré de trois ans, ce qui correspondait à la durée intégrale de son service auprès de Cumano depuis la nomination de celui-ci à Durrës jusqu’à sa mort. On vient de voir qu’il avait continué son service, cette fois auprès de Giorgetta et, puisque nous sommes à la fin de 1703, il demande logiquement quatre ans de salaire. Apparemment ni lui ni les autres employés n’ont été payés, sans que cela semble étonner quiconque. La difficulté semble être liée au règlement de la succession de Cumano : de bonne foi ou non, Giorgetta assure ne pas pouvoir vendre les biens mis sous séquestre. C’est donc une affaire vénitienne et non ottomane et on comprend que Ḥasan s’adresse à l’ambassadeur. Il ne semble pas à ce stade vouloir faire intervenir les autorités ottomanes…

30La seconde partie du semestre a été consacrée à des documents un peu plus anciens, du xviie siècle, conservés dans le dossier 108-II. On y voit (nos 18 et 19) se manifester, dans l’été 1632, une certaine solidarité entre Vénitiens dalmates et Ottomans : des hommes de garnison n’hésitent pas à défendre une autorité vénitienne (le provéditeur général de Dalmatie Antonio Civran) contre de fausses accusations lancées par leur propre supérieur, le sancaḳbegi de Kırka. La plainte contre Antonio Civran donne un autre éclairage sur les relations frontalières : il aurait « fait retourner des hommes musulmans et non-musulmans et il les aurait ferrés aux galères ». La question est de savoir ce que siginifie döndürmiş. Une hypothèse pourrait être qu’il s’agit de faire revenir, en l’occurrence en territoire vénitien, des sujets ou des contribuables passés de l’autre côté de la frontière et qui, une fois récupérés, sont punis. Bref ce serait une image de la concurrence démographique entre les deux pouvoirs frontaliers.

  • 29 R. Predelli (éd.), I Libri commemoriali della Republica di Venezia, vol. VII, Venise, 1907, doc. 41 (...)

31Les documents 16 du 8 novembre 1612 et 17, qu’on peut dater du début de novembre 1612, évoquent un différend entre sujets vénitiens de Zara et sujets ottomans de Zemünik. Un accord est conclu entre autorités locales ottomanes (Halîl Beg, sancaḳbegi de Kırka et les aghas de Kotor) et vénitiennes (Gerolamo Foscari, provéditeur de la cavalerie en Dalmatie de juin 1612 à 1614). L’interprétation de ces documents difficiles est facilitée par le recours à d’autres documents du dossier 108-II et aux Libri commemoriali de la République de Venise29. Après cinq mois de négociations, Halîl Beg et Gerolamo Foscari arrivent en novembre 1612 à trouver une solution à un conflit survenu du temps de leurs prédécesseurs respectifs Şahbâz Beg et Camillo Trevisan. Les incursions continuelles des haydouks et martolos depuis 1610 à la frontière de l’enclave vénitienne de Zara avaient culminé, probablement au début de 1612, avec un vol de bétail aux conséquences funestes : poursuivis par le provéditeur Trevisan, plusieurs sujets ottomans de Zemünik étaient morts. Cette affaire avait fait beaucoup de bruit, arrivant aux oreilles du beglerberlegi de Bosnie Muṣṭafà Paşa et remontant jusqu’au pouvoir central ottoman, au baile de Venise à Constantinople et au doge. Quoique les documents ne le disent pas, il est probable que c’est à la suite de ces événements que les autorités vénitiennes destituèrent Trevisan et nommèrent un nouveau provéditeur à la cavalerie, Gerolamo Foscari, arrivé à Zara en juin 1612, cinq mois avant la pacification du conflit. De même, du côté ottoman, Halîl Beg prit la place de Şahbâz Beg comme sancaḳbegi de Kırka. Cette affaire, même si elle nécessita l’intervention des pouvoirs centraux ottoman et vénitien, révèle encore une fois une certaine solidarité entre autorités locales ottomanes et vénitiennes.

32Le cours d’une heure d’initiation à l’ottoman a été perturbé par le confinement. Les étudiants ont été invités à poser des questions au directeur d’études prenant appui sur son manuel, qui leur avait été remis en début d’année. Les échanges n’ont pas été nombreux. En revanche, l’examen de fin de semestre a pu être organisé.

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Notes

1 Présentation du texte, de l’auteur et des manuscrits dans mon rapport pour l’année 2008-2009. Nous travaillons sur le fac-similé reproduit, avec un apparat critique, par Aldo Gallotta, « Il Ġazavāt-ı Hayreddīn Paša di Seyyîd Murâd », Studi Magrebini, 13 (1981). Une transcription de ce manuscrit vient de paraître en Turquie : Barbaros Hayreddin Paşa Gazavâtnâmesi ve Zeyli, Abdullah Gündoğdu, Hüseyn Güngör Şahin et Dilek Altun éd., Ankara, Panama, 2020.

2 Les références apparaissant dans les notes ci-dessous ne prétendent pas fournir un aperçu complet des sources ou des travaux d’historiens.

3 Paolo Giovio, Historiarum sui temporis tomus secundus, Paris, M. Vascobani, 1584, 209 c ; Giacomo Bosio, Dell’Istoria della Sacra Religione et Illustrissima Militia di San Giovanni Gierosolimitano, Rome, Guglielmo Faccioto, 1594-1602, II, p. 178 sq.

4 Emmanuelle Pujeau, L’Europe et les Turcs. La croisade de l’humaniste Paolo Giovo, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2015, p. 241, qui présente ces opérations comme le début de la bataille du 27 septembre.

5 De même qu’elle répond à John Francis Guilmartin Jr., Gunpowder and Galleys. Changing Technology and Mediterranean Warfare in the 16th Century, Londres, Conway Maritime Press, 2003 (édition revue de la publication de 1974) qui s’étonne, p. 67, de la lenteur du déplacement de Hayr ed-Dîn.

6 Cf. Pujeau, L’Europe et les Turcs, p. 243 ; Eadem, « La Préveza (1538) entre idéologie et histoire », Studi Veneziani, n.s. 21 (2006), p. 155-204 (p. 165 sq.) ; Alberto Guglielmotti, La guerra dei pirati e la marina pontificia dal 1500 al 1560, I, Florence, Le Monnier, 1876, p. 49-53.

7 Edmond Jurien de La Gravière, Doria et Barberousse, rééd. Saint-Denis, Bouchène, 2018, p. 182-183 ; Pujeau, « La Préveza », p. 167 ; Eadem, L’Europe et les Turcs, p. 244…

8 Pujeau, L’Europe et les Turcs, p. 245-246 ; Eadem, « La Préveza », p. 166-168 ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, p. 55-58 ; Simon Mercieca, « The Battle of Preveza 1538. The Knights of Malta’s Perspective », dans Marina Vrelli-Zachou et Christos Stavrakos éd., Πρεβεζα Β, 2010, II, p. 107-120 (p. 116).

9 293v-294r.

10 300r-v.

11 300v-301r.

12 Kenneth M. Setton, The Papacy and the Levant, III, Philadelphie, The American Philosophical Society, 1984, p. 175-176.

13 Cf. Bosio, Dell’Istoria della Sacra Religione, II, p. 182 ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, p. 77-80 ; Mercieca, « The Battle », p. 117 ; Pujeau, L’Europe et les Turcs, p. 247-249.

14 Lâzım geldi ki : 304 v.

15 Cf Colin Imber, « The Cost of Naval Warfare: The Accounts of Hayreddin Barbarossa’s Herceg Novi Campaign in 1539 », Archivum Ottomanicum, 4 (1972), p. 204-216, repr. dans Idem, Studies in Ottoman History and Law, Istanbul, Isis, 1996, p. 71-84. Les travaux d’Imber fournissent un chiffre de 151 galères et 4 transports d’artillerie. Il faut d’ailleurs ajouter les corsaires pour se faire une idée de l’effort consenti.

16 Celâlzâde Muṣṭafā gennant Ḳoca Nīşāncı, Geschichte Sultan Süleymān Ḳānūnīs von 1520 bis 1557 oder Ṭabaḳāt ül-Memālik ve Derecāt ül-Mesālik, Petra Kappert éd., Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1981, 335v ; Lüṭfî Paşa, Tevârîh-i âl-i ‘Osmân, Istanbul, Maṭba‘-ı ‘âmire, 1341/1925, rééd. Istanbul, Enderun, 1990, p. 369.

17 Francisco López de Gómara, Guerras de mar del Emperador Carlos V, Miguel Angel de Bunes Ibarra et Nora Edith Jiménez éd., Madrid, Sociedad Estatal para la Commemoración de los Centenarios de Felipe II y Carlos V, 2000, p. 198.

18 Giovio, Dell’Istoria della Sacra Religione, II, 214 B ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, II, p. 85 ; Édith Garnier, L’Alliance impie. François Ier et Soliman le Magnifique contre Charles Quint, Paris, Le Félin, 2008, p. 172-181.

19 293v.

20 303v-304r.

21 304r-v.

22 Sur la situation politique de Hayr ed-Dîn à Istanbul, cf Nicolas Vatin, « Hayr ed-Dîn Barberousse : un pacha qui n’était pas du sérail », Turkish Historical Review, 10 (2019), p. 107-131.

23 Giovio, cité par Pujeau, L’Empire et les Turcs, p. 241 ; Bosio cité par Mercieca, « The Battle », p. 113.

24 305v.

25 Giovio, Dell’Istoria della Sacra Religione, II, p. 182 ; Guglielmotti, La guerra dei pirati, p. 80.

26 Gallotta, « Il Ġazavāt-ı Hayreddīn Paša di Seyyid Murād », Studi Magrebini, 13 (1981), p. 18-23.

27 308v.

28 Cristian Luca, « The Dynamics of Commercial Activity in the Ottoman Port of Durazzo during the Consulate of Zorzi (Giorgio) Cumano (1699-1702) », dans Markus A. Denzel, Jan de Vries, Philipp Robinson Rössner, Small is beautiful? Intelopers and Smaller Trading Nations in Pre-Industrial Period. Proceedings of the XVth World Economic History Congress in Utrecht (Netherlands) 2009, Suttgart, Franz Steiner Verlag, 2011, p. 177-200.

29 R. Predelli (éd.), I Libri commemoriali della Republica di Venezia, vol. VII, Venise, 1907, doc. 41-46.

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References

Bibliographical reference

Nicolas Vatin, “Études ottomanes (XVe-XVIIIe siècles)”Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 152 | 2021, 75-88.

Electronic reference

Nicolas Vatin, “Études ottomanes (XVe-XVIIIe siècles)”Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [Online], 152 | 2021, Online since 14 June 2021, connection on 07 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/4180; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.4180

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Nicolas Vatin

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques, membre de l'Institut

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