Épigraphie et paléographie de la Chine pré-impériale
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : I. Actualité des découvertes et publications d’inscriptions, de documents et livres manuscrits de la Chine ancienne. — II. Étude des inscriptions des vases en bronze Zuoce Ze Ling gui du musée Guimet (2nde moitié du XIe s. av. n. è.). — III. Les sceaux et leurs usages dans la Chine pré-impériale.
Texte intégral
1I. Trois séances ont été consacrées à l’actualité des découvertes et publications pour l’année 2017-2018.
2Les inscriptions oraculaires nouvellement exhumées sont rares, mais il s’agit de pièces remarquables. La première, découverte en 2009 sur le site de Dasikong 大司空, à Anyang, est exceptionnellement longue (97 caractères). Elle date du règne de Wu Ding (env. 1250-1200 av. n. è.) et concerne des campagnes militaires. La seconde (33 car.) provient de Yaoheyuan 姚河塬, dans le Sud de la province du Ningxia. Il s’agit d’une inscription Zhou se rapportant à des déplacements de personnes, qui pourrait dater de la phase initiale des Zhou occidentaux (soit entre 1050 et 950 av. n. è.). En dehors de ces découvertes, on a mentionné la publication de deux catalogues de collections privées.
3Parmi les inscriptions sur bronze publiées dans l’année, on a plus particulièrement retenu celles datant de la fin des Shang, provenant du site de Liujiazhuang 劉家莊, à Jinan. On retrouve là des emblèmes bien attestés à la même époque à la capitale, à Anyang. Pour la période des Zhou occidentaux, on s’est réjoui de la publication des rapports de fouilles préliminaires des tombes 1017 et 2002 du site de Dahekou 大河口, au Shanxi, où étaient inhumés des dignitaires de la principauté de Ba 霸, inconnue des sources transmises. Les deux sépultures, datées de la phase moyenne des Zhou occidentaux (env. 950-850 av. n. è.), ont livré plus de trente-cinq bronzes inscrits témoignant des relations entre Ba et d’autres principautés contemporaines. Enfin, ont été évoquées plusieurs inscriptions découvertes sur le site de Sujialong 蘇家壟, dans la région de Suizhou où était implantée entre le xie et le ve siècle avant notre ère, la principauté de Zeng 曾. L’un des bronzes inscrits de ce site confirme le rôle politique joué par cette dernière, en particulier pour le contrôle des populations locales.
4Les nouvelles découvertes de livres et de documents concernent uniquement l’époque des Han, et en particulier le site de Tushantun 土山屯 au Shandong où les archéologues ont à nouveau mis au jour en 2017 des inventaires et des documents administratifs sur tablettes en bois. Des informations supplémentaires ont été publiées à propos d’importants ensembles de manuscrits exhumés des tombes 3 de Laoguanshan 老官山 (Sichuan) et 77 de Shuihudi 夢睡虎 (Hubei), datées toutes les deux du iie siècle avant notre ère. Nous nous sommes aussi intéressés à un calendrier de l’an 56 avant notre ère, découvert en 2012 dans la tombe 8 de Shuiquanzi 水泉子, au Gansu. Nous avons également signalé la publication du deuxième volume des documents Qin de Liye 里耶 (Hunan), découverts en 2002. 3423 nouveaux documents (et fragments), essentiellement produits par des fonctionnaires de la préfecture de Qianling 遷陵, sont ainsi offerts aux historiens travaillant sur l’Empire des Qin (221-207 av. n. è.). Pour l’époque des Han, on a signalé la publication d’un ensemble de documents inédits provenant du site de Diwan 地灣 (Gansu) et la republication de documents mis au jour au début du xxe siècle à Juyan 居延 (Mongolie intérieure). Pour finir, plusieurs publications de manuscrits provenant du marché des antiquités ont été présentées. Pour l’époque des royaumes combattants (481-221 av. n. è.), elles concernent les manuscrits sur soie conservés par la Freer Gallery of Art à Washington et les manuscrits sur bambou de l’université de Tsinghua (volume 7). Le cinquième volume des manuscrits Qin de l’Institut Yuelu a été publié en 2017.
5II. En 1971, la famille du banquier et grand collectionneur David David-Weill a offert au musée Guimet une remarquable paire de vases rituels en bronze datant de la première moitié du xe siècle avant notre ère. À l’intérieur de ces vases figure une inscription qui compte parmi les plus longues de cette époque et d’après laquelle les vases ont été nommés « Zuoce Ze Ling gui 作冊夨令簋 », signifiant « Vase de type gui du Faiseur de documents Ling du lignage Ze ». Ayant le projet de publier une monographie en chinois sur ces deux vases inscrits, le directeur d’études a proposé aux étudiants et aux auditeurs de consacrer le reste du premier semestre à ces objets.
6Il a d’abord été nécessaire de retracer l’origine de ces bronzes, vraisemblablement exhumés d’une tombe lors de fouilles clandestines à Luoyang en 1929. Très rapidement acquis par un marchand d’art allemand, Jörg Trübner (1903-1930), qui était alors en mission, les objets quittèrent la Chine. Mais avant cela, des estampages des inscriptions furent réalisés. Pendant de nombreuses années, ce furent les seuls témoignages sur lesquels paléographes et épigraphistes chinois ont pu s’appuyer pour étudier ces textes. Les premières publications de ces inscriptions en Chine ne comportent que des reproductions des inscriptions, parfois au trait, et aucune image des objets. À l’inverse, une fois les objets arrivés en Europe, ils furent exposés et publiés dans des catalogues, mais sans reproduction des inscriptions. Ce n’est qu’en 1933 que vases et inscriptions furent publiés ensemble par Umehara Sueji 梅原末治 (1893-1983), dans son Catalogue des bronzes chinois anciens conservés en Europe et aux États-Unis (Ō-Bei shūcho Shina kodō seika 歐米蒐儲支那古銅精華). Dans la première moitié du xxe siècle, c’est grâce à leurs contacts avec leurs homologues japonais que les chercheurs chinois purent avoir accès à des photographies des vases et à des estampages de meilleure qualité. Une des difficultés rencontrées par ces premiers lecteurs était liée à la présence importante de corrosion sur ces vases qui recouvrait en partie leur inscription. Cela explique des différences dans la qualité des estampages utilisés et publiés depuis les années 1930 : les plus courants, jusqu’à aujourd’hui, n’étant pas forcément les meilleurs. Une comparaison avec des photographies numériques prises par le directeur d’études, avec le soutien de la direction et du personnel du musée Guimet, a permis de mettre en lumière les limites de la première technique et les avantages de la seconde.
7Nous avons ensuite cherché à replacer les deux pièces dans la tradition des vases rituels en bronze des Shang et des Zhou. Les vases gui représentaient, au début des Zhou occidentaux, un type de vase extrêmement commun dans les ensembles rituels. Cependant, les Zuoce Ze Ling gui du musée Guimet appartiennent à un groupe très particulier de pièces pourvues d’une base parallélépipédique, qui étaient manifestement alors réservées à la haute aristocratie. De plus, si, pris isolément, les différents éléments qui constituent le décor paraissent relativement communs, leur combinaison est originale et contribue à donner à ces pièces un caractère singulier. Dans le fond des deux vases figure un même texte de cent cinq caractères écrit avec soin. Comme cela était la norme à cette époque, les deux inscriptions, réalisées séparément, présentent entre elles des différences dans leur mise en forme. Cependant, on observe une très grande uniformité dans l’apparence des graphies indiquant vraisemblablement qu’elles ont été réalisées par une même main. Plusieurs séances ont été consacrées à la lecture de l’inscription, en soulignant les passages qui posent encore problème. Une traduction provisoire a été proposée :
Le roi menait une campagne militaire contre Chu et se trouvait à Yan. Au neuvième mois, après la clarté mourante, au jour dingchou (jour 14), le Faiseur de documents Ze Ling présenta une offrande de viande yi à l’épouse royale Jiang. Jiang lui offrit en récompense dix ligatures de cauris, dix familles de serviteurs chen et cent esclaves li. L’Honorable administrateur Bo Dingfu reçu (?) une gratification pour son rôle dans la protection des frontières. Il gardait le site de Ji et était responsable des vivres pour les sacrifices (?). J’osais louer les bontés de l’auguste roi et l’excellente rétribution accordée à Ding Gong. Ainsi, je veillerai (?) à ce que mes descendants présentent des offrandes pour la rétribution accordée à Ding Gong. Ce faisant, Moi, Ling, je […] rendre hommage (?) à l’auguste roi. J’ose rendre hommage (?) aux bontés de l’auguste roi. En cette occasion, j’ai fait ce précieux vase gui pour Ding Gong. Qu’il soit utilisé pour servir l’auguste clan, pour offrir des festins, pour accueillir le roi et pour rassasier collègues, femmes et enfants. Que mes descendants le conservent comme un trésor. [Emblème].
8Après avoir ainsi pris connaissance du contenu du texte, le directeur d’études a proposé de reprendre le dossier l’année prochaine, afin de replacer ce témoignage dans son contexte historique.
9III. Le second semestre a été consacré aux sceaux et à leurs usages dans la Chine pré-impériale. Ces matériaux sont abondants, mais n’ont pourtant suscité que très peu d’intérêt de la part des chercheurs occidentaux : un seul article paru en 1987, à notre connaissance. En Chine et au Japon, il existe en revanche une abondante littérature. Ces travaux relèvent principalement de la paléographie, de la calligraphie et de la sigillographie. Cette dernière discipline s’inscrit en Chine dans une très ancienne tradition, elle-même rattachée à deux pratiques distinctes : la collection d’objets anciens inscrits, dont témoignent les catalogues d’antiquité de l’époque des Song (960-1279), et l’expertise des peintures et des calligraphies, sur lesquelles on trouve souvent, surtout à partir des Song, les empreintes des sceaux des artistes, mais aussi des propriétaires successifs de l’œuvre. On peut ajouter que la gravure de sceaux est restée en Chine, jusqu’à aujourd’hui, une activité artistique très valorisée et que les graveurs modernes accordent beaucoup de valeur aux modèles que peuvent constituer les sceaux anciens. À ce sujet, le directeur d’études s’est réjoui de compter parmi ses auditeurs M. Laurent Long, graveur de sceaux et expert en sigillographie chinoise, qui a pu faire profiter l’auditoire de ses connaissances. Les plus anciens catalogues de sceaux connus remontent à l’époque des Song. Cependant, il fallut attendre la fin de la dynastie des Qing (1644-1911) pour voir publiés les premiers catalogues ne contenant que des spécimens de période pré-impériale, dont le trait le plus distinctif est l’usage de graphies archaïques. Les corpus les plus récents comptent plusieurs milliers de sceaux remontant à cette époque.
10La question de l’origine des sceaux a été évoquée, mais sans parvenir à une conclusion tranchée en raison de la difficulté de définir le sceau par rapport à d’autre objets, comme les tampons d’artisan. Les plus anciens sceaux chinois dont l’identification ne peut être contestée ont été découverts sur le site de la dernière capitale des Shang à Anyang et sont datés entre 1200 et 1050 avant notre ère environ. On connaît au moins six sceaux en bronze pour cette période qui ont pour particularité de ne pas présenter véritablement de légende (ou inscription), mais des motifs ou des emblèmes. Le recours à ces derniers plutôt qu’à l’écriture, pourtant déjà utilisée à Anyang à cette époque, s’explique par l’importance de l’emblème dans la société Shang, comme en attestent les inscriptions sur bronze contemporaines. Pour l’époque des Zhou occidentaux (env. 1050-771 av. n. è.), les quelques objets identifiés comme des sceaux ont des formes assez variées (alors que les sceaux Shang semblent très standardisés) et tous ne présentent sur leur face que des motifs figurés ou géométriques. La fonction de ces objets est souvent difficile à déterminer.
11Pour la période des Zhou orientaux (env. 770-222 av. n. è.), nous avons choisi de nous intéresser d’abord à un groupe de sceaux singuliers, provenant essentiellement du bassin du Sichuan, où étaient alors installés les pays de Ba 巴 et de Shu 蜀. On en compte aujourd’hui plus de 200, datant entre le ve et le iiie siècle avant notre ère. La spécificité de ces sceaux est que leur légende n’était pas rédigée en écriture chinoise, comme les autres sceaux contemporains, mais avec des signes graphiques que ces groupes étaient les seuls à utiliser. Ce système a parfois été considéré comme une écriture, mais comme le montrent des recherches récentes menées en Chine (en particulier celles de Yan Zhibin 嚴志斌 et Hong Mei 洪梅) il s’agit plus vraisemblablement des signes pouvant être liés à des groupes ou des régions, au statut des individus, voire parfois à des objets particuliers. Le directeur d’études a suggéré que l’origine de ce système pourraient être recherchée dans l’influence exercée par la culture Shang (et ses emblèmes) sur les groupes de cette région.
12Les sceaux en langue chinoise de l’époque des Royaumes combattants constituent le plus important ensemble de sceaux de l’époque pré-impériale. Le recueil de référence, le Guxi huibian 古璽匯編, en compte plus de 5 000. Même s’il s’agit pour l’essentiel de pièces de collection, dont l’authenticité peut parfois être discutée (le nombre de sceaux issus de fouilles archéologiques se limitant à environ 10 %), cette augmentation massive du nombre de ces objets par rapport aux périodes précédentes témoigne sans aucun doute de changements profonds dans la société. Afin de comprendre le contexte dans lequel ces sceaux étaient utilisés, nous avons choisi de nous intéresser avant tout aux pièces découvertes en contexte archéologique, ainsi qu’aux traces laissées par ces objets. Afin de repérer d’éventuelles spécificités régionales, particulièrement importantes durant cette période de division politique du monde chinois, les sceaux ont été abordés par grande région. Dans celle du pays de Qi 齊, au Shandong, on a constaté que les rares pièces découvertes dans des tombes depuis le début du xxe siècle proviennent de quelques sépultures tardives datant de la toute fin de la période, voire de la suivante. En revanche, plusieurs sites du Shandong témoignent d’un important usage de sceaux dans des atelier officiels, mais peut-être aussi privés, du pays de Qi, que ce soit à la capitale, Linzi 臨淄, ou sur d’autres sites, comme Xintai 新泰. Quant aux matrices conservées dans différentes collections, il s’agit essentiellement de sceaux privés donnant les noms de familles et les noms personnels des individus. Un peu plus d’une centaine seulement sont des sceaux officiels liés à des charges dans les domaines suivants : contrôle des artisans, affaires militaires, gestion des greniers et administration locale. Dans la région du pays de Chu 楚, on observe une moins grande proportion de sceaux officiels. En revanche, le nombre de tombes contenant des sceaux est beaucoup plus important (une cinquantaine), indiquant très certainement une différence dans les pratiques funéraires par rapport au pays de Qi. Les dernières séances de l’année ont été consacrées à la lecture de sceaux de Chu découverts en contexte archéologique. Cette lecture devra être poursuivie l’année prochaine, lors de laquelle seront également étudiés les corpus des régions restantes : Yan 燕, Jin 晉 et Qin.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Venture, « Épigraphie et paléographie de la Chine pré-impériale », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 334-338.
Référence électronique
Olivier Venture, « Épigraphie et paléographie de la Chine pré-impériale », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3957 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3957
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