Philologie moyen-indienne
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : I. Initiation au pali. — II. Examen de travaux récents dans le domaine du moyen-indien et lecture de textes en pali.
Texte intégral
1En 2018-2019, comme l’année précédente, l’auditoire a rassemblé plusieurs étudiants bien formés. Lors des premières séances nous avons présenté la synthèse magistrale de R. Salomon (2018) sur la littérature bouddhique en prakrit gandhari, dont l’introduction est incontournable pour toute personne un tant soit peu intéressée par le bouddhisme ancien et qui, par le nombre de traductions qu’elle contient, offre le premier panorama de textes en cette langue. Afin de familiariser les participants avec la problématique du multilinguisme des écritures bouddhiques et les questions de traduction / transposition / réécriture / réinterprétation, tout en les plongeant dans le canon en pali, nous avons choisi de travailler sur le Doṇasutta. Après avoir lu la version en pali (sixième sutta du quatrième vagga du quatrième nipāta de l’Aṅguttaranikāya) ainsi que son commentaire, la Manorathapūraṇī, et avoir eu des résumés des deux versions chinoises existantes grâce aux compétences de deux auditeurs, nous avons analysé en détail la version en gandhari (Dhoṇa-sūtra, publié et traduit dans Allon 2001, 124-125, commenté 130-223, traduit aussi dans Salomon 2018, 114-115). Les questions posées par le brahmane Doṇa au Bouddha sur son identité (est-il un dieu ? un gandharva ? un yakṣa ? un homme ?) ont pour point de départ le fait que le brahmane a remarqué sur les traces de pas du Bouddha la roue à mille rayons, qui est la deuxième des marques majeures (lakṣaṇa). Cet incident suscite une interrogation de Buddhaghosa dans la Manorathapūraṇī : ces marques sont-elles donc visibles de tout un chacun ? La réponse est nuancée : généralement non, mais elles peuvent l’être si le Bouddha en a décidé ainsi pour une raison particulière (bhagavā hi yassa padacetiyaṃ dassetukāmo hoti taṃ ārabbha asuko nāma passatū ti adhiṭṭhāti). Ce fut le cas pour Doṇa, ce fut également le cas pour le brahmane Māgaṇḍiya, invoqué par Buddhaghosa comme autre exemple de la même situation.
2Un ensemble de séances fut donc consacré à l’étude de ce personnage, en commençant par les extraits relatifs à l’histoire de sa fille, Māgaṇḍiyā, telle qu’elle figure dans le commentaire du Dhammapada (sur Dhp 21-23) et dans la version sanskrite de l’histoire de Mākandika extraite du Divyāvadāna (chap. 36, dont le texte problématique par endroits peut être amélioré), en mettant l’accent sur la comparaison entre les strophes de contenus apparentés qui établissent un lien entre des indices physiques et un tempérament (rattassa hi ukkuṭikaṃ padaṃ bhave en pali, raktasya śayyā bhavati vikopitā en sanskrit). Cette lecture nous entraîna un moment vers le Visuddhimagga (chap. 1 Kammaṭṭhānaggahaṇaniddesa) qui, lui aussi, cite la strophe rattassa hi, et théorise la relation entre six tempéraments individuels (cariyā) et des critères d’apparence (démarche par exemple).
3Pour compléter le corpus māgaṇḍien il restait à examiner les strophes afférentes du Suttanipāta (835-847), dont certaines offrent des difficultés textuelles qui furent discutées chemin faisant. Comme toujours, la traduction de Bhikkhu Bodhi (2017), ainsi que ses notes et ses introductions générale et partielle (sur l’Aṭṭhakavagga, p. 138 et suiv.), se sont avérées d’un grand secours car elles permettent de saisir non seulement la lettre du texte mais son sens profond et sa méthode (ici le rôle que joue l’expression paradoxale ou volontairement obscure). Celle de Thamissaro Bhikkhu (1994 sur what-buddha-said-net) est également utile. Parallèlement au sutta fut menée la lecture des passages afférents de la Paramatthajotikā II et de la Niddesavaṇṇanā.
4L’une des auditrices de cette année a soutenu un excellent mémoire de master 2 intitulé Thérapeute, exorciste et hôte : trois facettes des activités d’un moine bouddhiste dans le Pāḷimuttaka-vinaya-vinicchaya-saṅgaha. Édition critique, traduction et étude du troisième chapitre (Mingous 2019). Écrit au xiie s. par Sāriputta au Sri Lanka et commenté par lui-même, le Pāḷimuttaka-vinaya-vinicchaya-saṅgaha n’a suscité que peu de travaux et n’a pas encore d’édition critique, alors qu’il représente un jalon important dans la transmission de l’enseignement relatif à la discipline monastique en pali en citant et réutilisant des matériaux antérieurs. C’est pourquoi, Mme L. Mingous, qui avait déjà travaillé sur des aspects du Vinaya pour son mémoire de master 1, fut encouragée à se pencher plus avant sur ce texte par notre collègue Mme Petra Kieffer-Pülz (Académie de Mayence), grande spécialiste de Vinaya. Il fut décidé que l’étudiante produirait une monographie sur le troisième chapitre. Ce dernier traite, en particulier, de l’usage des paritta, qui motiva les lectures faites dans la seconde partie de l’année, après que Mme Mingous eut présenté, en fin de premier semestre, un exposé sur son travail en cours.
5Le Ratanasutta, dont le nom figure dans le Pāḷimuttaka-vinaya-vinicchaya- saṅgaha, fut le premier texte de protection (paritta) examiné, avec une grande partie de son commentaire. Les paritta représentent un corpus hétérogène : certains ont des origines canoniques, tandis que d’autres sont plus récents et ont des sources variées. Notre intérêt pour les premiers nous a porté à lire ensuite le Moraparitta et le Vaṭṭakaparitta dont les fondements sont dans deux Jātaka éponymes (cf. imaṃ so parittaṃ katvā moro vāsaṃ akappayi, Ja no 159), également étudiés car ils permettent de voir les contextes ayant donné naissance aux strophes ensuite utilisées indépendamment. On a également fait des incursions dans les parallèles chinois (ex. Mahāmāyurīvidyārājñīsūtra) ou sanskrits (Vartakapotajātaka, no 16 dans la Jātakamālā d’Āryaśūra).
6L’intérêt pour les phénomènes de réécriture et de réutilisation des mêmes matériaux dans des perspectives différentes nous a, logiquement, dirigé vers la lecture de plusieurs sections du Cariyāpiṭaka, qui, comme on sait, condense la matière de plusieurs Jātaka pour les mettre au service de la notion de Perfection (pāramī). Les sections relatives à la Perfection de vérité (sacca) – où figure l’histoire de la jeune caille (vaṭṭapotaka) –, puis à celle de bienveillance (mettā) et d’équanimité (upekkhā) sont celles qui ont retenu notre attention. L’étude philologique du texte, dont l’édition mérite des corrections, requiert la collation de tous les documents disponibles (en particulier variantes enregistrées par les commentaires ou parallèles dans les Jātaka). Le Cariyāpiṭaka est un bon exemple du processus de condensation en domaine narratif. Il le mène parfois à l’extrême, transmettant dans quelques cas une strophe unique pour une histoire, qui, de surcroît, n’a pas de parallèle, en sorte qu’elle reste cryptique (ex. Saccasavhayapaṇḍitacariya ou Mahālomahaṃsacariya).
7En fin d’année, M. Javier Schnake (docteur EPHE, boursier de la Pali Text Society) a été invité à présenter son travail en voie d’achèvement sur le Sotatthakimahānidāna (Schnake, sous presse). Cette œuvre qui traite des lignées de Bouddha et de leurs carrières sous forme de narrations en prose mêlées de vers a été fort négligée dans la recherche, alors qu’elle s’avère très populaire en Asie du Sud-Est, comme le montrent les nombreux témoignages manuscrits qu’a rassemblés J. Schnake. Plusieurs passages ont été lus en séminaire, avec la participation active des auditeurs.
8Remarque : à propos de la légende d’Upagupta et de Māra, invoquée à titre d’illustration dans la grammaire de Kaccāyana (voir rapport sur les conférences 2016-2017, Annuaire 149 p. 326), il convient de renvoyer aussi à C. Duroiselle, « Upagupta et Māra », BEFEO, 4 (1904), p. 414-428 (version palie de la Lokappaññatti, plus tard éditée par E. Denis, 1977) et Phra Akbordin Rattana, On the Devotion to the Buddha in Paramanuchit’s Mārabandha Episode of the Paṭhamasambodhi, université d’Otago (MA), Dunedin, Nouvelle Zélande, 2015.
Références bibliographiques
9Mark Allon, Three Gāndhārī Ekottarikāgama-Type Sūtras, Seattle, Londres, University of Washington Press, 2001 (Gandhāran Buddhist Texts 2).
10Bhikkhu Bodhi, The Numerical Discourses of the Buddha. A Translation of the Aṅguttara Nikāya, Somerville (MA), The Pali Text Society, Wisdom Publications, 2012.
11Bhikkhu Bodhi, The Suttanipāta. An Ancient Collection of the Buddha’s Discourses Together with Its Commentaries Paramatthajotikā II and excerpts from the Niddesa. Translated from the Pāli, Somerville (MA), The Pali Text Society, Wisdom Publications, 2017.
12Claudio Cicuzza (éd.), Katā me rakkhā, katā me parittā. Protecting the Protective Texts and Manuscripts. Proceedings of the Second International Pali Studies Week, Paris 2016, Bangkok, Lumbini, 2018 (Materials for the Study of the Tripiṭaka, General Editor Claudio Cicuzza, vol. 14).
13Divyāvadāna: The Heavenly Exploits. Buddhist Biographies from the Divyāvadāna, éd. et trad. Joel Tatelman, vol. 1, New York, New York University, JJC Foundation, 2005 (Clay Sanskrit Library).
14Lise Mingous, Thérapeute, exorciste et hôte : trois facettes des activités d’un moine bouddhiste dans le Pāḷimuttaka-vinaya-vinicchaya-saṅgaha. Édition critique, traduction et étude du troisième chapitre, mémoire de master 2 en études asiatiques, EPHE, juin 2019.
15Richard Salomon, The Buddhist Literature of Ancient Gandhāra. An Introduction with Selected Translations, Somerville (MA), Wisdom Publications, 2018.
16Javier Schnake, The Sotatthakimahānidāna, introduction, édition critique et traduction, Lumbini International Research Institute (sous presse).
Pour citer cet article
Référence papier
Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 323-325.
Référence électronique
Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3951 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3951
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