Histoire de la diplomatie et des relations internationales au XIXe siècle
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : I. Sources et méthodes de l’histoire de la diplomatie au XIXe siècle. — II. Le « Concert européen » : recherches sur la diplomatie multilatérale au XIXe siècle (suite et fin).
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I. Sources et méthodes de l’histoire de la diplomatie au XIXe siècle
1Selon l’usage adopté pour cet enseignement, la première partie de l’année (de la rentrée en octobre aux vacances de Noël) est consacrée à des sujets méthodologiques et historiographiques, de façon à offrir, tant aux étudiants de master qu’aux auditeurs libres, une formation aux sources et aux méthodes de l’histoire de la diplomatie et des relations internationales au xixe siècle.
2Le début du cycle de conférences a été consacré au 150e anniversaire de la fondation de l’EPHE en 1868, que le maître de conférences a présenté dans son contexte international et diplomatique.
3Il est bien connu que l’influence du séminaire « à l’allemande » est cruciale pour comprendre l’idée de l’EPHE. Mais allons au-delà : en effet, il existe une exacte coïncidence chronologique entre l’initiative de Victor Duruy de réformer et redresser les sciences en France, et l’ébauche de ce que nous appelons une « diplomatie culturelle », sur une base laïque. Le lycée impérial de Galatasaraï est créé en 1868 à Constantinople sur une initiative française. Par ailleurs, depuis le milieu des années 1860, grâce à une enquête voulue par Duruy, le réseau diplomatique français a pris conscience de l’ampleur de l’enseignement français mené à travers le monde par les missionnaires catholiques, et de la nécessité de le soutenir.
4Mais il existe aussi un versant « laïc » de cette prise de conscience du soft power que la France peut développer dans le monde. D’abord avec le collège fondé à Yokohama en 1865 à l’initiative de la légation de France, avec pour ambition de toucher l’élite sociale du Japon, dans un esprit de modernisation francophile et laïque. Prometteuse du point de vue français, cette œuvre ne survit guère à la révolution de 1868. Mais on en retrouve l’esprit dans la création du lycée impérial turc (Mektebi Sultani) à Galata, sous direction française, dont l’élan a été interrompu par l’effondrement de la puissance française en 1870. La « diplomatie scolaire » de la France à la fin du Second Empire est donc restée embryonnaire, mais l’esprit en est intéressant car il n’est pas étranger à celui qui a conduit à la création de l’EPHE. En effet, cette diplomatie culturelle n’est pas conçue comme défensive, comme ce sera le cas après 1870. En 1868, elle correspond au contraire à une ambition de la puissance française d’occuper, dans tous les domaines, la place qui est la sienne, celle d’une puissance moderne européenne et mondiale. L’EPHE n’est pas un alignement sur l’Allemagne, c’est un rattrapage de la France qui doit lui permettre de retrouver, à terme, sa place de première puissance intellectuelle en Europe : l’Université française doit être à la hauteur de ce que Paris prétend être sur le plan politique. L’ébauche d’une diplomatie culturelle s’inscrit alors exactement dans la même logique. Seul le choc de 1870 modifiera la perspective, en rendant complexe le rapport au « modèle » allemand (Claude Digeon a jadis bien traité le sujet), et en faisant de la future diplomatie culturelle le moyen non de conforter la première place de la France parmi les puissances, mais d’éviter son déclassement.
5Certaines séances consacrées à des méthodes et à des sujets variés ont été ensuite consacrées, notamment, à une étude sur l’élection présidentielle du 10 décembre 1848, vue sous l’angle de ses implications internationales, à partir des dépêches des agents diplomatiques français, dans les grandes ou moyennes capitales d’Europe, d’Orient et d’Amérique. Ont été ainsi abordés successivement le contexte, le déroulement et les effets internationaux de l’élection.
6Ce scrutin unique en son genre survient dans une Europe profondément ébranlée par les révolutions et plus instable que jamais, tant en Allemagne que dans l’Empire des Habsbourg (abdication de Ferdinand et avènement de François-Joseph ont lieu huit jours avant l’élection française) et surtout en Italie, où le pape a dû fuir Rome fin novembre et est invité par la France à s’établir à Marseille. Dans ce contexte, l’élection présidentielle est vue avec une certaine inquiétude dans les capitales européennes, où l’on « vote » généralement pour Cavaignac, le candidat le plus spontanément assimilé au parti de l’ordre. Malgré tout, l’élection – inattendue en Europe – du prince Louis-Napoléon Bonaparte n’est pas reçue comme une menace pour la paix, au contraire. La plupart des gouvernements européens, à l’exception de la Russie et de la Prusse (pour des raisons différentes), ont plutôt bien accueilli la nouvelle de sa victoire démocratique, parce que celle-ci avait été très massive. L’Europe y a vu le signe d’une consolidation de la République en France et la fin d’une ère d’instabilité, qui était en elle-même une menace pour l’Europe plus grande encore qu’un président Bonaparte. On peine encore à comprendre quel sera son réel pouvoir, mais on reçoit l’élection largement populaire et presque consensuelle comme un signe plutôt rassurant. D’ailleurs, les premiers gestes du nouveau gouvernement en politique extérieure vont dans ce sens : rapprochement franco-anglais sur les questions orientales ; politique de concert européen sur les questions italiennes. Le Prince-Président ne cherche pas à s’opposer au système international, mais à y occuper toute sa place et à y faire entendre une voix originale. De nombreux signes de la future diplomatie du Second Empire sont perceptibles dès les débuts du nouveau maître de la France.
II. Le « Concert européen » : recherches sur la diplomatie multilatérale au XIXe siècle
7La seconde partie de l’année a été consacrée à la suite des recherches entamées en 2016 sur les formes de diplomatie multilatérale au xixe siècle – autrement dit le « Concert européen ».
8Une vingtaine de séances est consacrée à la période allant de la fin de la guerre de 1870-1871 jusqu’aux lendemains de la Grande Guerre. Ce quasi-demi-siècle suscite bien des questionnements, tant il est vrai que la défaite humiliante de la France en 1871 laissait a priori présager une guerre de revanche et de nouveaux troubles en Europe, qui ne sont intervenus finalement que 43 ans après le traité de Francfort. Comment le système international a-t-il pu survivre si longtemps, alors qu’il comportait en 1871 des causes profondes de terribles conflits à plus ou moins long terme ? Comment un système né aussi fragile a-t-il pu tenir durant quatre décennies ?
9Telle fut la problématique de ces séances, qui nous conduisirent de la proclamation de l’Empire allemand dans la Galerie des glaces en janvier 1871 jusqu’à la Conférence de la Paix et à la proclamation du traité de Versailles, au même endroit, en juin 1919.
10Dans la première phase, consécutive à la défaite française et à la perte de l’Alsace-Lorraine, le premier système bismarckien fondé sur la domination de l’Europe par l’entente des trois empereurs et par l’isolement des autres puissances est clairement contraire au Concert européen. Il n’établit pas une paix durable, il repousse l’échéance d’une nouvelle guerre par le déséquilibre même qu’il installe en Europe. La crise franco-allemande de 1875 et les menaces d’une guerre « préventive » de l’Allemagne contre la France montrent les limites de ce système profondément conflictuel, nonobstant l’affaiblissement de la France. Les autres puissances (Russie, Autriche, Angleterre) ne s’y trompent d’ailleurs pas et leur inflexion en 1875 oblige Bismarck à penser la suite sur une base différente. Mais c’est l’Orient qui va réveiller le Concert européen.
11En effet, le Concert européen reprend ses droits d’abord dans la gestion de la Question d’Orient. Il s’impose comme une nécessité après la guerre russo-turque et donne lieu au congrès de Berlin de 1878. Ce sont ces événements qui ont ouvert une nouvelle phase de l’histoire du Concert européen, alors que la période 1870-1876 pouvait laisser présager le maintien durable d’un système international brutal, plus dangereux encore que celui de la fin du xviiie siècle. Les contemporains ont d’ailleurs multiplié les comparaisons historiques, y compris entre le Bismarck des années 1870 et le Metternich des années 1820 – au bénéfice de ce dernier.
12La conférence de Constantinople en décembre 1876-janvier 1877, puis surtout le congrès de Berlin de 1878 ont été analysés en conférence à partir de récits inédits d’acteurs français de ces événements, retrouvés par le maître de conférences aux archives diplomatiques françaises, et dont les auditeurs et étudiants de l’EPHE ont eu ainsi l’exclusivité, tout en participant à leur analyse et au travail de commentaire historique.
13Après le succès relatif du congrès de Berlin (son bilan a été discuté mais il a tout de même permis d’éviter que la guerre ne s’étende en Orient par un conflit entre la Russie et la Grande-Bretagne, ce qui était son but premier), l’Europe se réhabitue à des formes de négociation multilatérale, principalement dans les questions orientales, mais aussi par exemple dans la question africaine (la conférence de Berlin sur l’Afrique de 1884-1885 a été étudiée y compris par une approche critique des œuvres cinématographiques ou littéraires à laquelle elle a donné lieu récemment). Parallèlement, la diplomatie multilatérale sur des sujets techniques se poursuit et s’étend, consolidant la « communauté internationale » malgré les alliances politiques opposées. Une place importante a été accordée aux conférences de La Haye, où interagissent les enjeux juridiques, humanitaires et politiques.
14Entretemps, le contexte a changé, avec l’affaiblissement du système bismarckien et l’amorce d’une redistribution des alliances en Europe. Ce rééquilibrage, ajouté au regain de la diplomatie multilatérale dans les questions orientales, marque un nouveau tournant pour le Concert européen, sans pour autant le rétablir tel qu’il avait pu être à l’époque de ses apogées dans entre les années 1840 et le début des années 1860. La domination du continent par un « bloc », souhaitée et réalisée par Bismarck après 1870, laisse la place à un équilibre qui se constitue peu à peu entre deux ententes dont aucune ne peut imposer sa loi à l’autre. La division de l’Europe en deux blocs surarmés et se faisant face était en elle-même contraire au Concert européen, mais elle ne lui était pas nécessairement fatale. En effet et malgré tout, cet équilibre de « paix armée » et la perspective terrifiante d’une confrontation générale expliquent qu’aucune des crises diplomatiques de la Belle Époque n’ait entraîné de guerre générale. Sauf la dernière d’entre elles, en 1914, qui suivit l’attentat de Sarajevo.
15Bien que très connus dans leurs détails, les événements de juillet 1914 méritaient d’être relus dans cette perspective et l’on peut constater que jusque dans les ultimes moments, le réflexe d’un recours au Concert européen n’a jamais disparu. Dans les heures cruciales, on envisage encore un congrès européen pour sortir de la crise. Mais ces espoirs ne se réalisent pas. Car en dernière analyse, la question de la solidité des alliances d’une part entre Berlin et Vienne, d’autre part entre Paris et Petrograd, l’a emporté, à l’instant décisif, sur la logique du Concert, révélant le profond affaiblissement de l’idée européenne depuis 1870.
16Après la Grande Guerre, la réinvention de la diplomatie multilatérale se fait selon un principe doublement contraire au Concert européen : d’une part celui de la SDN et de l’égalité théorique entre tous les États ; d’autre part selon une pratique plus opposée encore à celle du Concert du xixe siècle, la rédaction du traité de paix par les seuls vainqueurs de la guerre. En ce sens, la conférence de la paix en 1919 est aux antipodes de ce que fut le congrès de Paris de 1856 (qui eut pourtant lieu au même endroit, dans les salons du Quai d’Orsay), où la Russie vaincue avait été associée à l’intégralité des négociations multilatérales, et même plutôt bien reçue par la société parisienne.
17Il faudra la volonté d’un Briand dans les années vingt pour voir une tentative de résurrection d’une diplomatie comparable à ce que fut le « Concert européen », conduisant à poser, in fine, les premières fondations de la future construction européenne du second après-guerre. Mais c’est une autre histoire.
Pour citer cet article
Référence papier
Yves Bruley, « Histoire de la diplomatie et des relations internationales au XIXe siècle », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 316-319.
Référence électronique
Yves Bruley, « Histoire de la diplomatie et des relations internationales au XIXe siècle », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3938 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3938
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