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Résumés des conférences

Méthodologie de la prosopographie à l’époque contemporaine

Isabelle Parizet
p. 294-301

Résumé

Programme de l’année 2018-2019 : L’Exposition universelle de 1900, laboratoire idéal pour les sculpteurs de façades.

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Texte intégral

1Le séminaire a achevé son travail sur l’Exposition de 1900 : les archives dépouillées concernèrent essentiellement les édifices situés sur l’esplanade des Invalides et les pentes du Trocadéro.

2Dans le prolongement de l’avenue Nicolas II, le pont Alexandre III menait à une vaste place en demi-lune dont le sol formé de dalles transparentes recouvrait les voies du chemin de fer de l’Ouest vers les Invalides. Puis, s’ouvrait une longue rue étroite – 27 m de largeur seulement – qui menait vers le dôme des Invalides : les constructions était longées par les rues de Constantine à l’est et Fabert à l’ouest et abritaient les palais des Arts appliqués à la décoration, séparés en deux sections française d’un côté, étrangère de l’autre. L’emploi de staff et de plâtre appliqués sur des treillis dressés sur des ossatures métalliques permit toutes les audaces décoratives pour leurs façades, rococo ou baroque. Si l’ensemble donnait un aspect fouillis par la surabondance de balcons, frontons et dômes, ou de tours ajourées, miradors, campaniles et clochetons, il faut cependant signaler l’harmonie de certains détails sculptés, tant dans la sculpture monumentale des groupes que dans l’ornementation des pylônes ou des cartouches. Les architectes Marius Toudoire et Georges Pradelle furent chargés des palais antérieurs abritant les collections des manufactures nationales : construits de façon symétrique, ils comprenaient une galerie à étage sur le quai, un pavillon d’angle et un portique de raccord en quart de cercle rejoignant l’alignement. Suivait sur l’avenue centrale une suite de six pavillons semblables, remarquables par les décrochements de leurs façades, la profusion des sculptures et la variété des motifs décoratifs. Les deux palais centraux – à gauche celui des Industries françaises et à droite celui des Industries étrangères – furent élevés respectivement par Pierre Esquié, et par Édouard Larche et Francis Nachon. Tout en affichant des symétries avec leur porche médian, leurs deux campaniles et leurs pavillons d’extrémité, ces deux palais présentaient des architectures très différentes. Le second fut salué de façon unanime pour l’excellence et la délicatesse de son décor. En effet, il bénéficia de la collaboration du frère de l’architecte, le statuaire Raoul Larche, secondé par l’ornemaniste Charles Jullien : ces deux sculpteurs y placèrent toute une palette de plantes ornementales graciles (marguerites, pavots, liserons, boutons d’or) et de fruits (pommes ou raisins) et surent traduire dans la pierre avec souplesse, réalisme et précision les moindres détails végétaux des racines, bourgeons, pétales, nervures, tiges ou feuillages. Un dernier palais séparé en deux parties égales par l’avenue centrale faisait face aux Invalides : ses façades déroulaient sur 50 m chacune deux grandes frises en plâtre coloré imitant la terre cuite de MM. Damé et Frère qui représentaient les Arts de la terre – céramique et verrerie – auxquels ce palais était primitivement destiné. Deux autres façades plus sobres formaient les retours latéraux sur les rues Constantine et Fabert. Pour répondre à la monumentalité du palais des Invalides et accroître la majesté de cette entrée de l’Exposition sur la rue de Grenelle, l’architecte Pierre Tropey-Bailly ménagea au débouché de l’avenue centrale une sorte d’exèdre incurvé, percé de trois grandes niches en arcade, placé entre deux pylônes surmontés d’obélisques ajourés. L’ornementation soignée et abondante des façades et des clochetons pyramidaux – bossages, guirlandes de fleurs, entrelacs de rubans, chimères, mascarons, attributs, dates, monogrammes, agrafes, crossettes, etc. – lui donnaient une solennité qui répondait à la sévérité du palais des Invalides, qui lui faisait face.

3En ce qui concerne la colline du Trocadéro, l’axe palais du Trocadéro-pont d’Iéna séparait la colline en deux parties quasi symétriques le long de la cascade et du bassin : à l’ouest étaient réunis les colonies et les pays de protectorat français et, à l’est, les colonies étrangères et quelques pays d’Orient ou d’Extrême-Orient n’ayant pas encore trouvé de terrain adapté à leur programme d’exposition. Selon Alfred Picard, l’exposition des colonies et pays de protectorat français fut une réussite, « succès sans précédent, succès d’art, succès d’enseignement et de propagande ». Car le but de cette exposition était bien de montrer les bienfaits de la colonisation, de faire connaître les ressources et les besoins de chaque colonie, et de développer leurs relations avec la métropole. Le style et les choix de construction des divers pavillons furent de deux nature : les premiers étaient des bâtiments d’architecture dite coloniale, d’un style administratif classique transposé sous les tropiques, comme le palais du ministère des Colonies. Liés au système colonial, ils se présentaient comme des pavillons à destination collective où le ministère mettait en lumière les résultats de l’œuvre colonisatrice de la France. Les seconds exposaient des constructions d’architecture vernaculaire comme le gigantesque Phnom de la section du Cambodge ou le palais officiel algérien : ils reproduisaient la physionomie des bâtiments indigènes avec leurs coutumes, leur mobilier, leurs ateliers et industries, et même leurs rites religieux, comme les cérémonies du culte de Vishnou dans la pagode d’un temple hindou de Pondichéry de Villenour reconstituée par Alphonse Simil dans un souci historiciste très figé. Ces architectures indigènes pouvaient être également présentées sous la forme d’un seul bâtiment typique (ex. mosquée du Soudan-Sénégal) ou celle d’un village rassemblant de modestes habitats : dans ce cas, pour la plus grande distraction des visiteurs, des autochtones vaquaient à leur vie quotidienne ou travaillaient à leur artisanat (les cases circulaires de la Guinée française ou le village tonkinois). Des bazars, pavillons de dégustation ou théâtres complétaient cette palette architecturale locale, tout en offrant aux visiteurs des attractions supplémentaires.

4Les architectes des bâtiments coloniaux avaient été souvent en poste dans le pays – le plus souvent au Service des bâtiments civils comme G. du Houx de Brossard à Hanoï – ou avaient fait des missions ponctuelles qui leur avaient permis de faire des relevés précis et détaillés et d’acquérir une connaissance profonde de l’architecture locale, tel Albert Ballu en Algérie ou Émile Pierre Bertone auteur des plans du panorama du Congo de la mission Marchand. Pour les colonies africaines, les ouvriers, constructeurs ou décorateurs, étaient en majorité des français : ainsi, la section algérienne sollicita les sculpteurs Jules Coutan, Jules Blanchart et Jean Baptiste Hugues, le staffeur Poulain, et le sculpteur d’ornements Rossel. Par contre, des indigènes vinrent spécialement d’Indo-Chine, l’ornementation de leurs bâtiments demandant un savoir-faire particulier. D’ailleurs, afin de les loger, Houx de Brossard leur construisit un bâtiment rue du Docteur-Blanche : « cette installation avait été occupée par les Annamites, Cambodgiens, Laotiens et Chinois, ouvriers d’art, venus au nombre d’une centaine travailler à l’édification et à la décoration des différentes constructions en attendant qu’ils eussent fait place aux indigènes qui sont venus pour figurer à l’exposition d’Indo-Chine » (Paul Gers, En 1900, p. 263). Ces diverses constructions coloniales françaises attirèrent les visiteurs curieux de mieux connaître ces régions qui faisaient désormais partie de la France et fascinés par l’exotisme de ces contrées. Si les architectes et sculpteurs d’ornements y puisèrent une inspiration ou un savoir-faire technique nouveau, ils ne le transposèrent que rarement dans leurs chantiers postérieurs sur les façades parisiennes.

5Sur la partie droite des jardins du Trocadéro se trouvaient rassemblées les colonies étrangères, portugaises, néerlandaises et britanniques : bien que de taille modeste, la présence du pavillon lusitanien dans cette partie de l’Exposition attestait l’importance dans le passé des domaines coloniaux du Portugal et soulignait leur poids économique actuel. Quant au palais des Indes néerlandaises, il tenait lieu de pavillon officiel des Pays-Bas qui voulait ainsi manifester que si la superficie de son état était petite, son empire colonial était extrêmement étendu. L’exposition regroupait aussi un temple inspiré du cloître de Chnadi Sari décoré de nombreux moulages pris sur les frises de Bôrô-Boudour et deux pavillons en bois sculptés et polychromés, copies d’habitations indigènes de Sumatra. L’exposition de la Grande-Bretagne était certainement l’une des plus importantes après l’exposition française, les colonies britanniques bénéficiant au Trocadéro, de 7 000 m2 répartis entre le palais des Indes et de Ceylan construit dans le style hindou le long du quai Debilly, et le palais des Colonies britanniques dont la majeure partie fut affectée au Canada. Deux autres pavillons, consacrés au service du thé, complétaient l’ensemble de cette évocation. Ces diverses constructions bâties en bois étaient habillées de plâtre : le montage fut exécuté par des ouvriers anglais et la maçonnerie décorative par des ouvriers français suivant les modèles anglais. Pour sa part, le khédive d’Égypte avait très rapidement formulé le souhait de participer à l’exposition universelle et de construire un temple de l’ancienne Égypte en bordure de Seine mais le gouvernement anglais rejeta ce projet. Un groupe d’hommes d’affaires égyptiens, commerçants et industriels, décida alors de créer une société qui exposerait en son nom propre et permettrait ainsi à la nation de figurer à Paris. Marcel Dourgnon, ayant remporté en 1895 le concours international du nouveau musée des Antiquités égyptiennes du Caire, fut naturellement désigné pour ce chantier. Il réalisa une reproduction du temple ptolémaïque nubien de Dandour destiné à servir de musée, un théâtre dont les façades étaient décorées de bas-reliefs moulés à Louxor, Karnak et Médinet-Abou, et un bazar arabe, le Ouakala copie du Khan Khalili du Caire. D’autre part, cette partie orientale des pentes du Trocadéro offrit un emplacement à des pays comme la Chine ou la Russie dont l’absence sur le quai des Nations avait pu étonner : certaines nations n’y avaient pas trouvé effectivement la superficie nécessaire, d’autres s’étaient retrouvées démunies, n’ayant pas répondu suffisamment rapidement aux propositions d’attribution de terrain faites par le Commissariat général. C’est ainsi que les visiteurs de l’Exposition purent y admirer un groupe de petites constructions symboliques du Japon abrité derrière une palissade de bambous : elles avaient été élevées par des ouvriers parisiens qui travaillaient sous la direction des architectes Régnier et Petitgrand selon des plans, dessins et maquettes minutieusement établis d’après des documents historiques et remis par le commissaire général japonais Hayashi. Il s’agissait d’un temple de panneaux de bois laqué de rouge imitant celui du Kondô près de Nara, élevé sur deux étages et ceint au rez-de-chaussée par une balustrade circulaire. Il était coiffé de tuiles retroussées aux angles dont le vernis avait l’apparence du bronze. Deux petits pavillons, l’un pour le thé l’autre pour le saké, une serre et un bazar complétaient cette exposition nippone. Les ornements architecturaux déclinaient les principaux canons décoratifs vernaculaires : déesses, oiseaux de paradis, dragons, lotus. Quant à la Chine, l’élégance des constructions et la fidèle exactitude des sculptures et du décor donnèrent l’illusion que l’ensemble avait été importé et terminé par des ouvriers indigènes sur place alors que tout fut exécuté dans les moindres détails par des ouvriers français à Paris conduits par l’architecte Louis Masson-Detourbet. Une porte monumentale, copie de l’arc de triomphe de Confucius à Pékin, donnait accès à un ensemble de cinq constructions principales : dans la partie supérieure du terrain, se trouvaient le Palais impérial et le Pavillon des expositions, puis deux autres bâtiments destinés à la présentation des porcelaines – ancienne et moderne –, et enfin une série de boutiques échelonnées le long du palais du Trocadéro. Derrière les Indes néerlandaises, un pavillon de style hollandais, comprenant un rez-de-chaussée et un étage formant galerie, exposait tous les produits et documents graphiques de la république sud-africaine car malgré la guerre du Transvaal, le président Paul Kruger tint à ce que sa petite nation participa, elle aussi, à l’exposition internationale afin de faire connaître les richesses agricoles et minières de son pays. Placée un peu en arrière, une ferme boer de cinq pièces, reproduisait avec une précision ethnographique une habitation agricole meublée et donnait une idée de la vie pastorale de ces contrées. Enfin, la dernière partie de l’exposition sud-africaine était consacrée à l’industrie minière du pays présentant toutes les opérations de l’extraction et du travail de l’or : des galeries souterraines aménagées dans les anciennes carrières de Chaillot montraient le travail de la mine avec ses conduits boisés et ses puits, et en surface, des installations permettaient de comprendre et de suivre les différentes étapes du traitement du minerais (criblage, broyage, bocardage et amalgamation).

6N’ayant pas trouvé de terrain suffisamment vaste quai des Nations, la Russie se tourna elle aussi vers les grandes superficies encore disponibles au Trocadéro. Mais, la répartition des différentes zones élaborée par le Commissariat général de l’Exposition avait réservée cette partie aux « constructions exotiques ». Aussi, pour contourner cet obstacle, la Russie décida non pas de présenter la Russie d’Europe mais l’Asie russe et la Sibérie. Le long de la cascade et des murs du palais du Trocadéro, l’architecte de la Cour impériale Robert Friedrich Melzer composa une ville russe traditionnelle, faisant la synthèse des plus anciens monuments et des plus beaux motifs décoratifs du pays. Au sommet de la colline, il plaça un palais sibérien inspiré du style « vieux russe » en forme de kremlin, protégée par une enceinte fortifiée aux murs couronnés de merlons et entourée de tourelles rehaussées d’or. Les tuiles multicolores couvraient la masse blanche des bâtiments byzantins aux toits pyramidaux surmontés de flèches. Il est intéressant de noter que l’architecte prit soin de n’y placer ni dôme, ni coupole, ni bulbe qui puissent faire allusion au pouvoir religieux : car, en Russie impériale, tout bâtiment portant des attributs sacrés ne pouvaient être distraits de sa destination cultuelle pour une cause profane. La construction fut en bois et staff et une équipe de 75 terrassiers, charpentiers et maçons ornemanistes vint de Russie pour exécuter les travaux de construction et de sculpture. Les maçons furent chargés de préparer les nus des façades et de façonner les moulures, les ornemanistes s’occupant des motifs à proprement parler, le staff et le plâtre formant la base de la décoration. Enfin, pour présenter les artisanats de cette partie de l’Empire, un pavillon en bois fut construit en Russie puis démonté et envoyé à Paris par la mer. Enfin, adossé aux murailles du kremlin et faisant face au Trocadéro, un village russe avec église et maison de boyards fut construit selon les techniques traditionnelles à partir de troncs de sapin à peine écorcés et équarris : sciés dans leur longueur, leur face demi-ronde était présentée vers l’extérieur et assemblée au moyen d’entailles taillées à la hache et débordant légèrement aux angles.

7Cette partie du Trocadéro dérouta les visiteurs qui, plus que jamais, se sentirent dépaysés en Sibérie ou au Japon. La présence de wagons du Transsibérien faisant le lien entre l’Asie russe et la Chine acheva de donner cette illusion de voyage en Extrême-Orient.

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9Durant toutes ces années, l’ensemble du travail de recherche et d’enseignement poursuivi au séminaire de « Méthodologie de la prosopographie à l’époque contemporaine » s’est articulé sur trois points : l’exploitation des sources, la recherche prosopographique et son champ d’application.

10Avant de commencer toute étude en histoire de l’art, il fut essentiel de présenter et de familiariser les étudiants aux sources propres au xixe siècle. Que les archives soient manuscrites ou imprimées, le premier travail consista à expliquer leur classification, souligner leur identité propre et leurs spécificités, puis à apprendre à les lire, les dépouiller et les faire parler. Les archives privées exploitées (extraits d’état-civil, correspondances individuelles, certificats de paiement, recommandations ou attestations de chefs d’ateliers et de commanditaires, actes notariés) donnaient des informations et des renseignements que complétaient ou confirmaient les sources institutionnelles (documents administratifs ou judiciaires concernant des données individuelles ou collectives des membres du corpus). En histoire de l’art, les sources sont loin d’avoir été toutes explorées et certains étudiants ont encore le bonheur de pouvoir inventorier des fonds inédits provenant d’archives inexplorées, souvent familiales, comme ce fut le cas de Cécile Gastaldo qui a pu mettre au jour les archives de l’architecte Jules Février.

11Le deuxième axe de ce séminaire concernait la prosopographie, une des méthodologies chère à l’École pratique des hautes études : cette étude collective cherchant à dégager les caractères communs d’un corpus en se fondant sur l’observation systématique de leurs vies et de leurs parcours est particulièrement adaptée pour étudier les différents acteurs et les professions de l’histoire de l’art. Pour mener à bien une recherche scientifique de ce type, avant de commencer à recenser les individus (contrairement à la collection de biographies), il faut définir le corpus et son ancrage spatial, temporel et social, puis entreprendre une recherche méthodologique rigoureuse sur les archives disponibles. Les dépouillements réalisés sous formes de fiches individuelles relatives à chaque membre de ce corpus permettent peu à peu de saisir la structure du groupe (âge, provenance, origine sociale, formation, structures professionnelles fréquentées, spécialités, chantiers, etc.). Les données rassemblées sont inégales et disparates mais précises et structurées, et peuvent servir à l’élaboration d’une base de données. Il est important de souligner aux jeunes chercheurs les difficultés et exigences tant de cette saisie que de son traitement et de sa restitution.

12Mais comme toute formation méthodologique, cette maîtrise de conférences a pris appui sur un champ d’application, permettant de l’illustrer et de la nourrir. Elle s’est donc attachée aux différents acteurs de la construction parisienne au xixe : tout d’abord les architectes eux-mêmes puis les sculpteurs d’ornements qu’ils avaient fait travailler sur leurs chantiers. L’étude scientifique et rigoureuse des expositions des produits de l’Agriculture et de l’Industrie (1798 → 1849) et des expositions universelles parisiennes (1855, 1867, 1878, 1889, 1900) a complété et enrichi les résultats des dépouillements précédemment rassemblés et a ouvert de nombreuses pistes de recherche, concernant le renouveau de l’esthétique des motifs décoratifs monumentaux, mais également des techniques, des matériaux, et des pratiques et usages de la profession. Les données ainsi recueillies ont permis de repérer les facteurs familiaux et sociaux qui conduisaient à ces métiers de la construction, de mettre au jour les itinéraires de formation souvent méconnus : transmission du savoir sur le tas ou en atelier, apprentissage chez différents artisans, parfois formation dans des écoles de dessin ou lors de voyages, d’évaluer les structures et leurs effectifs (que ce soit un atelier, une entreprise industrielle, un atelier indépendant, ou une régie), de suivre la mobilité des acteurs selon leur compétence purement technique ou artistique, leur expertise stylistique d’ordre historique, régionale ou étrangère, ou bien selon la spécificité des chantiers, d’éclairer les conditions d’exécution des œuvres selon les moyens mis en œuvre, les progrès mécaniques, ou les nouveaux matériaux mis au point, et bien sûr de cerner les évolutions ou innovations stylistiques et techniques. La publication prochaine d’un dictionnaire des sculpteurs d’ornements et ornemanistes de façades reprendra l’ensemble de ce travail en présentant d’une part les études prosopographiques qui ont pu être élaborées à partir de cette recherche et de l’autre des notices des membres de ce corpus.

13Si actuellement, la prosopographie connait un regain d’actualité pour l’époque contemporaine, c’est souvent pour s’inscrire dans une histoire sociale, attentive à la fois à l’individu et aux acteurs historiques dans leur diversité, singuliers et collectifs, mais la majorité des travaux porte actuellement sur le monde économique, administratif ou juridique. Aussi, il parait judicieux de souligner sa richesse pour l’Histoire de l’art, de nombreux champs de recherche restant encore inexplorés et divers corpus étant loin d’avoir été tous inventoriés.

14Á plusieurs reprises, les recherches du séminaire ont buté sur de grandes lacunes concernant la transmission du savoir et les enseignements artistiques à l’époque contemporaine : étudier systématiquement la formation permet de comprendre comment s’élaborent les carrières à une période où s’accroit le fossé entre artistes, artisans, professionnels institutionnels, et industriels de l’art. Le travail de Maxime Paz sur L’initiation à la sculpture à la Petite École de 1766 à 1866 s’appuyant sur le dépouillement systématique du fonds des Archives nationales AJ53 en un exemple manifeste. Cette recherche sur l’enseignement serait utile pour diverses formes de publication (base de données en ligne ou dictionnaires) et pourrait servir à d’autres enseignements, établissant des passerelles pluridisciplinaires entre plusieurs directions d’étude au sein de l’École, comme avec celle d’Emmanuelle Brugerolles pour l’École des beaux-arts, de Cécile Reynaud pour le Conservatoire de musique, ou comme cela l’a été avec Jean-François Belhoste pour l’École centrale des arts et manufactures. Elle seconderait également les travaux de Jean-Michel Leniaud sur l’architecture ou celle de Jean-Claude Yon sur le théâtre et rejoindrait d’autres initiatives en la matière venant de diverses institutions, laboratoires et écoles d’art.

15Ce long travail d’exploitation des sources a mis également au jour plusieurs questions propres à la période concernée et aux archives exploitées. En effet, sous leur apparente facilité d’accès, les documents de cette période – que ce soit des correspondances, des notes de cours, des journaux intimes, des témoignages, des images gravées ou des photographies – réservent lors de leur édition des difficultés propres. Des interrogations et des difficultés concernant l’ecdotique des textes du xixe ont souvent été présentées et discutées au cours des séminaires comme les carnets d’Henri-Joseph Redouté retrouvés par Julie Garel-Grislin dans les fonds de la bibliothèque de l’Arsenal. Frère du peintre du Museum Pierre-Joseph Redouté, il rejoignit en avril 1798 l’expédition d’Égypte et la commission des Sciences et des Arts de l’armée d’Orient. Comme la presque totalité des savants, il explora les bords du Nil jusqu’à la capitulation française en août 1801. Tout au long de ce périple, il tint un journal historique d’observations et de recherches dans lequel les descriptions naturalistes s’entremêlent à des instantanés de la vie quotidienne. Soucieux de donner à son récit un caractère scientifique, il le compléta abondamment à son retour, multipliant les notes, les addenda et apostilles. Ces carnets repris inlassablement par leur auteur ne furent jamais publiés. Mme Garel-Grislin en entreprit la transcription mais fut rapidement confrontée aux nombreuses questions de l’édition d’un texte aux rajouts multiples : le séminaire l’a aidé à dégager les principes qui assureraient rigueur scientifique et lisibilité à l’édition de ces textes. Il fallut distinguer puis hiérarchiser les notes successives de Redouté, ses multiples ajouts de documents annexes, les annotations concernant la matérialité de l’ouvrage (les encres de couleurs différentes, ratures, mots illisibles), et enfin ses propres notes. À chaque étape de ce travail, des questions techniques furent posées : la préparation de l’édition d’un document quand il en existe plusieurs manuscrits ou versions, sa restitution et son édition critique, sans oublier la modification des graphies, les questions typographiques, la ponctuation, l’accentuation, et enfin la réalisation des index, tables et annexes etc. (Mme Garel-Grislin poursuit actuellement une thèse sur l’édition critique de ce document inédit sous la direction de Jean-François Belhoste).

16D’autre part, il serait également souhaitable que soit abordée l’ecdotique numérique : les éditions électroniques savantes sont de plus en plus riches en potentialités nouvelles et l’exploitation informatique des documents interroge sur la publication, la diffusion, l’indexation, et l’analyse scientifique.

17Enfin dernier point de ce volet, il semble également nécessaire et indispensable d’analyser le nouvel usage au xixe des images comme sources, et d’aborder les questions du traitement de la photographie avec ses premiers développements industriels, sa fonction de représentation objective, ses qualités esthétiques et ses différentes éditions : le mémoire de Claire Chéry, Constructions architecturales et photographies des maisons closes parisiennes entre 1870 et 1946 en est une récente illustration.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Parizet, « Méthodologie de la prosopographie à l’époque contemporaine »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 294-301.

Référence électronique

Isabelle Parizet, « Méthodologie de la prosopographie à l’époque contemporaine »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3918 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3918

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Auteur

Isabelle Parizet

Maître de conférences, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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