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Résumé

Programme de l’année 2017-2018 : Recherches sur les artistes parisiens, XVe-XVIIe siècles.

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Histoire de Paris
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Texte intégral

1Cette année, les conférences ont été consacrées à l’étude et à la préparation de l’édition d’un traité technique connu par deux manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France, considérés jusqu’ici comme anonymes et peu exploités par les historiens. Le premier, le Français 9155, mesure 410 sur 260 mm et possède une reliure en maroquin rouge, indiquant sur la pièce de titre art de gr[aver] le fer, le c[uivre] et de les do[rer], et, en dessous ms sur pap[ier] du xvii siècle. Il est composé de 208 feuillets de papier dont seulement 130 ont été utilisés. Le texte du premier livre débute directement, sans titre, ni nom d’auteur. Il est copié à la plume d’une écriture régulière de la première moitié du xviie siècle, avec des ratures et des corrections, apportées soit au fil de la copie, soit après relecture et indiquées alors dans l’interligne. Une autre série de corrections et quelques ajouts sont d’une autre main. Une copie, également du xviie siècle, en est conservée sous la cote Français 24270. Les premières pages sont manquantes et le texte commence actuellement au folio 6, au milieu d’une phrase, correspondant à la dix-huitième ligne du folio 2 du Français 9155. Cet exemplaire tient compte des corrections infra linéaires apportées au texte de ce dernier. On y observe les mêmes espaces laissés en blanc pour recevoir des dessins, et les mêmes erreurs lorsqu’elles n’ont pas été corrigées dans l’original. Il a donc été copié sur celui-ci, à un moment où l’on espérait encore pouvoir y ajouter les illustrations. Il n’apporte rien à la connaissance du contenu du traité, mais témoigne de sa diffusion. On y relève sur la première page la mention manuscrite « ex collegio Laudunense » et le cachet du collège Louis le Grand, ce qui indique que le volume était déjà amputé de son début lorsqu’il était dans la bibliothèque du collège de Laon. Une autre inscription se trouve au folio 149, après la fin du texte : « Chez M. Guerbe, mede[c]in, chez madame Oquinquant, apoticaire à la dessente de la montagne Sainte-Geneviefve ». Il s’agit vraisemblablement de Claude Fournet, veuve à partir de 1650 de l’apothicaire François d’Hocquinquant. Ce dernier était installé depuis 1628 dans la maison des Trois Singes, appartenant au collège de Laon, et sa femme y resta jusqu’à sa mort en 1694. Le médecin mentionné dans l’inscription pourrait être Jean Garbe, docteur régent de la faculté de Médecine, à qui le collège de Laon loua en 1650 un corps d’hôtel qui venait d’être bâti à l’arrière de la maison des Trois Singes. À partir de 1660, il habita une autre maison, celle de la Rose rouge. La copie du manuscrit est donc vraisemblablement antérieure à cette date.

2Le texte du manuscrit français 9115 est divisé en cinq livres, comportant chacun un titre annonçant son contenu. Le premier traite de la gravure et de la dorure des métaux : « En ce premier livre est parlé de graver le fer, cuivre, laton et acier à l’eau-forte, le dorer d'or moullu, plus dorer par espargne sur la couleur d'eau, descouvrir sur fer et acier blouy telle figure que l'on voudra ». Le deuxième décrit les techniques de moulage et de fonte : « Second livre, traitant la vraye méthode de jetter en sable tant le cuivre que l’argent, l’estain et le plomb, et aussi de jetter des figures de ronde bosse creusses ». Le troisième livre « traite la manière d’orner et enrichir le bois, soit meubles, cabinetz, luths, violles et affusts pour les armes ». Dans le quatrième « il est enseigné le moien d’estoffer le bois, pierres, ou terre recuite, ou carton, coucher l’or et l’argent bruny, ou à huille, et toutes les autres couleurs soit de bronze, et autres choses propres à estoffer, peindre et vernir des planchers de diverses sortes ». Enfin, l’auteur résume ainsi le cinquième livre « je traitte en ce livre de l’art de la perspective ».

3Il semble qu’un sixième livre ait été prévu, mais n’ait jamais été rédigé, ou du moins n’ait existé que sous forme de brouillon. Il en est question à deux reprises dans le manuscrit. Dans le deuxième livre, à propos de la fabrication d’un plat en étain décoré de moulages d’animaux et de végétaux et muni d’un jet d’eau pouvant monter à près de deux mètres, l’auteur écrit : « quant pour la pratique de faire jetter l’eau, j’en traiteray au livre des inventions des fonteines ». De même, dans le quatrième livre, il mentionne un mécanisme similaire et annonce qu’il en donnera « le pourtrait au livre des inventions, tant de la fontaine que de la pompe pour remonter l’eau ». L’inachèvement du traité se traduit également par les nombreux blancs laissés pour y placer des dessins, tantôt sur une partie de page, tantôt sur une page entière. Un seul a été exécuté, au folio 90, celui illustrant le « plan carré géométrial réduit en plan perspectif », sans doute en raison de son caractère particulier, puisqu’il comporte une retombe et des ficelles fixées au verso de la page.

4Léopold Delisle, en 1878, a brièvement décrit le manuscrit en notant que l’auteur avait présenté des œuvres à Henri IV. Par la suite, les procédés de moulage qui y sont contenus ont parfois été signalés, mais sans jamais faire l’objet d’analyses approfondies. Le seul à s’y intéresser réellement fut Jacques Thuillier, dans le cadre de ses recherches sur la littérature artistique française du xviie siècle. Son étude porte essentiellement sur le cinquième livre, qui constituait pour lui un « traité de perspective » d’autant plus important qu’il paraissait avoir été rédigé dans les années 1620, époque pour laquelle les textes de ce type en français sont rares. Il remarqua, lui aussi, que l’auteur était un artiste et non un compilateur de recettes, et qu’il avait travaillé pour Henri IV, mais sans parvenir à l’identifier.

5Pourtant, si l’on examine le traité dans son ensemble, il contient suffisamment d’éléments permettant de le dater et de proposer une attribution. Henri IV y est toujours appelé le « feu » Roi, ce qui indique que la rédaction doit être située après 1610, et même après 1619, car il est question d’un miroir exécuté à cette date. L’auteur est un homme âgé, qui avoue avoir la vue et la main moins assurées qu’autrefois. Il a eu des fils, mais ceux-ci sont sans doute décédés assez jeunes, car il regrette de n’avoir pu les former à son métier, alors qu’en leur « petit aage » ils avaient montré une inclination pour celui-ci. Les souvenirs qu’il évoque montrent qu’il était déjà en activité en 1596, lors de la prise de Rouen par Henri IV. Il remit en effet au roi à cette occasion un portrait équestre sur une plaque de métal bleuie au feu, ainsi qu’un grand miroir dont l’encadrement orné de feuillages peuplés d’animaux était doré et peint à l’imitation de l’émail. Par la suite, il exécuta plusieurs ouvrages pour ce même souverain, notamment des armes dont le décor était gravé à l’acide ou encore un pistolet et une escopette dont les crosses étaient ornées de nacre et de filets d’argent. Il lui présenta également, au début du carême, un plat de faïence orné de poissons que le destinataire dut toucher pour constater que les animaux étaient factices, ce qui traduit une certaine proximité entre les deux hommes. Enfin, il dit avoir fait un portrait du roi, mais sans préciser cette fois le nom de celui-ci, et l’on ne peut savoir s’il s’agit toujours de Henri IV, ou bien de son fils. C’est un artiste qui avait des liens avec la Normandie, mais qui fréquenta la cour et qui était polyvalent, comme on peut le constater en relevant toutes les indications qu’il donne sur des œuvres qu’il a exécutées ou des recettes qu’il a mises en pratique.

6On apprend ainsi que si le décor des armes paraît avoir été l’une de ses activités principales, il ornait aussi des miroirs, des meubles et des cadres, qu’il fit une trompe de chasse en cuivre, une poire à poudre en laiton, des accessoires de ballet, notamment des faux seins pour les rôles travestis, qu’il moulait des personnes, des animaux ou des objets en divers matériaux, notamment plâtre, carton et métaux, et même dans des résines translucides pour faire des médailles à placer sur des vitres. Il travaillait le bois, la corne et la terre émaillée. Il était aussi cadranier et mécanicien, fabriqua des automates, un miroir qui crachait de l’eau sur ceux qui s’y contemplaient, une table munie d’une fontaine, un vase avec un mécanisme faisant chanter un rossignol. Surtout, il se présente comme un peintre, qui a appris la perspective de façon empirique et s’y adonne avec un goût particulier pour les trompe-l’œil, la représentation des fruits et des animaux, mais aussi les scènes de bataille et les portraits.

7Cette énumération des talents divers de l’artiste renvoie directement à ce que l’on connaît de Marin Le Bourgeois. De plus, des indications encore plus précises sur des ouvrages que d’autres documents relient au peintre viennent confirmer l’attribution du traité. Rivault de Flurance écrivait dans la deuxième édition de ses Éléments de l’artillerie parue en 1608 qu’Henri IV possédait, de la main de Marin Le Bourgeois « une table d’acier poly où sa Majesté est représenté au naturel sans graveure, mousleure ny peinture, seulement par le feu que ce subtil ingénieur y a donné par endroicts ». Ce tableau remis au Roi quand il fit son entrée à Rouen est précisément décrit dans premier livre du traité consacré au décor de l’acier. De même, l’auteur conclut le deuxième livre, consacré aux moulages, un évoquant un grand miroir qu’il a réalisé en 1619, dont le cadre comportait, dans un décor végétal raffiné, des automates imitant le chant des oiseaux. C’est la seule œuvre mentionnée dans le traité pour laquelle une date d’exécution est donnée, et sa description permet de comprendre qu’elle avait un caractère exceptionnel. Or, dans une lettre à Marin Le Bourgeois datée de février 1619, Nicolas Fabri de Peiresc, qui cherchait un moyen de le remercier pour lui avoir envoyé des monnaies antiques et fait pour lui le relevé d’un tombeau, lui écrivit qu’il avait entendu parler de son miroir et souhaitait pouvoir aider à sa réalisation s’il le pouvait. Quant aux oiseaux artificiels, ils sont indiqués comme l’une des spécialités de l’artiste aussi bien dans les vers de son disciple Thomas Picquot a placés en-dessous du portrait qu’il grava de lui que dans une ancienne inscription commémorant la construction de la grotte d’Outrelaize.

8Après avoir identifié Marin Le Bourgeois comme l’auteur du traité, on s’est demandé si le manuscrit français 91115 en était l’original, ou une copie postérieure, peut-être incomplète ou altérée. On possède heureusement un specimen de l’écriture du peintre sous la forme d’un acte entièrement autographe conservé dans les archives de la Société historique de Lisieux. On la retrouve également sur un cadran qu’il a signé en 1599. En comparant ces documents, on a pu constater que ce n’est pas lui qui a copié le traité. En revanche, il apparaît que certaines corrections portées dans les interlignes sont de sa main, tout comme un ajout de huit lignes au bas du folio 126 verso. L’écriture de Marin Le Bourgeois se reconnaît également dans les légendes du dessin du folio 90, et on peut considérer que celui-ci est bien de sa main.

9Ainsi, le manuscrit français 91115 de la Bibliothèque nationale de France est sans doute l’original d’un traité que Marin Le Bourgeois n’a probablement pas eu le temps d’achever, ce qui explique le nombre de feuillets blancs après la fin du cinquième livre et les allusions au « livre des inventions des fontaines ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Guy-Michel Leproux, « Histoire de Paris »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 290-293.

Référence électronique

Guy-Michel Leproux, « Histoire de Paris »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3913 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3913

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Auteur

Guy-Michel Leproux

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques
 

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