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Résumé

Programme de l’année 2018-2019 : I. L’acte privé carolingien dans l’espace français : ses marges, prolongements et avatars. — II. Travaux récents et études en cours. — III. Atelier de diplomatique (en quinzaine) : dossiers et cas apportés par les étudiants et auditeurs.

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Texte intégral

1I et II. — Les séances ont porté cette année encore sur les « actes privés » conservés en France en leur état d’original ou présumé tel. Rappelons que ce thème avait été choisi en étroite relation avec un projet éditorial mené par le directeur d’études avec deux collègues, Sébastien Barret (IRHT) et Marc Smith (ENC, EPHE). Ce projet éditorial (pour la série « ixe siècle » des Chartae latinae antiquiores) a malheureusement échoué ; toutefois, les données déjà réunies ne sont pas perdues et de nouvelles ont été engrangées pour une valorisation ultérieure.

  • 1 Georges Despy, « Les chartes privées comme sources de l’histoire rurale pendant les temps mérovingi (...)
  • 2 Base des Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France [en ligne : http://www.cn-telma (...)

2Lors de la première séance, on a rappelé la teneur des débats historiographiques sur la notion ambiguë d’« acte privé ». Pour illustrer le propos, on a lu et commenté les pages, inévitablement vieillies mais toujours savoureuses et incisives, que Georges Despy avait données naguère sur cette question1. Quitte à différer quelque peu le cœur du programme annoncé (« marges » et « prolongements »), il a semblé utile, et les auditeurs ont adhéré à cette inflexion, de poursuivre les enquêtes des années précédentes, sans tenir compte du terminus de 900 et sans s’interdire un regard en direction des actes d’autorité non royaux du ixe siècle (privilèges épiscopaux). La méthode n’a pas changé : on a examiné des parchemins isolés ou des groupes de parchemins unis les uns par le lieu ou la région de production, les autres par l’appartenance à une même espèce diplomatique. Les actes ont été replacés dans leur contexte archivistique et historique. Les transcriptions et analyses disponibles, notamment celles de la base dite de l’Artem2, ont été vérifiées et souvent amendées.

  • 3 Édition de référence : Michel Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denis en France, Paris (...)

3Dans le prolongement du séminaire de l’année 2016-2017 consacré aux actes privés de l’abbaye de Saint-Denis, on s’est intéressé à un acte de l’abbé de Saint-Denis Hilduin (ca 832), document encore dépourvu d’édition satisfaisante3. Par cet acte, Hilduin notifie qu’il a édifié, aux pieds des très saints martyrs Denis, Rustique et éleuthère, un « oratoire voûté » (cripta) en l’honneur de la Vierge Marie et de tous les saints, où il a placé de nombreuses et très précieuses reliques (pignora) de saints. Il lui a remis en dot, le jour de sa dédicace [le 1er novembre], avec l’accord de ses [moines], le petit vicus (viculus) d’Ermont (Ermedonis) et un manse sis à Aquaput[um] (Eaubonne) ; ces biens pourvoiront à son luminaire (sauf le cierge aux pieds des saints martyrs qui sera donné par l’office du trésor, selon une antique coutume) et serviront à procurer à l’oratoire l’équipement et l’ornement qui conviennent et ce qui sera nécessaire pour le parfaire et l’améliorer. Un repas (refectio) sera offert sur ces biens aux moines de Saint-Denis lors des fêtes mariales de la Nativité et de l’Assomption, lors de la Toussaint, jour de la dédicace de cet oratoire (templum), enfin le jour anniversaire [de la mort] d’Hilduin. Ce dernier et ses moines ont décidé que huit moines à tour de rôle y célèbreront en tout temps l’office de jour et de nuit, selon le rite romain (more romano).

  • 4 D. Sonzogni, Les actes du fonds d’archives de Saint-Denis, VIe-Xe siècle : étude critique et catalo (...)
  • 5 Une nouvelle édition de l’acte, tenant compte des acquis de ce nouvel examen, paraîtra dans un arti (...)

4Ce document, absent de la base de l’Artem, a été récemment remis au jour par Daniel Sonzogni, grand spécialiste du chartrier de Saint-Denis au haut Moyen Âge4. L’acte a été plié et remployé dans la reliure du lectionnaire Paris, BNF, lat. 16820 où il occupe les f. 179v-180r. Ce lectionnaire est passé de Saint-Denis à Saint-Corneille de Compiègne après la réforme de ce dernier établissement ; cette réforme fut entreprise en 1150 à la demande du pape Eugène III par les soins de l’abbé Suger, ou plutôt en son nom par le moine Eudes de Deuil. L’acte d’Hilduin est partiellement mutilé (notamment la fin du texte et l’eschatocole) et la lecture des zones affectées par le pliage du parchemin oblige à des conjectures philologiques. Beaucoup de temps a été consacré à améliorer les lectures, de façon souvent non négligeable, par rapport à l’édition de Félibien. On s’est aussi interrogé sur la tradition insolite de ce document, notamment sur le moment de ce remploi et sur ce qui a pu le motiver. Une courte mention dorsale archivistique, d’une écriture de la seconde moitié du xiie siècle, laisse supposer que l’acte était encore à Saint-Denis à ce moment5. D’autre part, les deux colonnes du f. 178v et la première du f. 179r (première page du bifeuillet formé par l’acte d’Hilduin remployé) sont occupées par un texte ajouté, au vu de l’écriture, plutôt à la fin du xiie siècle, à savoir une homélie de saint Augustin sur une lecture de l’évangile de Jean (Jn 19 : 25). Il n’est pas exclu que le bifeuillet ait été ajouté au moment de l’inscription de cette homélie, de façon à terminer le texte commencé au fol. 178v. Dans ce cas, le remploi de l’acte d’Hilduin pourrait être postérieur de plusieurs décennies à l’introduction de la réforme monastique en cet établissement ; l’arrivée du lectionnaire à Saint-Corneille pourrait donc, elle aussi, être postérieure de plusieurs décennies à l’instauration de la discipline monastique à Saint-Corneille de Compiègne, contrairement à ce qui est parfois noté. Il serait utile de voir aussi ce qui, dans l’histoire de l’abbatiale de Saint-Denis, a pu rendre obsolète un tel acte dont on aurait pensé qu’il méritait une mémoire mieux entretenue. Affaire à suivre, donc !

5Après ces séances dionysiennes, on s’est tourné vers des actes de diverses provenances. En complément d’une enquête plus ancienne, on a examiné un acte de 845 du fonds de Saint-Victor de Marseille (Marseille, AD Bouches-du-Rhône, 1 H 2, no 4 ; Artem 3966), par lequel Robert, viguier d’Adalbert comte d’Arles, après avoir pris connaissance des privilèges de Pépin, Charlemagne, Louis et Lothaire, et avoir entendu de nombreux témoins en plaid, accepte de rendre à Saint-Victor de Marseille et à Alboin, évêque de Marseille, le péage de la villa Legunio. La pièce conservée est une copie figurée du xie siècle. Les caractères formels en ont été étudiés, plus encore les pratiques judiciaires qu’il nous révèle, même si le statut du parchemin (copie postérieure) invite à la prudence.

6Les séances hivernales ont été consacrées aux actes originaux du ixe et début xe siècle transmis par le chartrier du chapitre cathédral de Langres aujourd’hui conservé à Chaumont, aux Archives départementales de la Haute-Marne ; parmi eux, les actes de la décennie 900 produits dans l’entourage du chapitre cathédral forment un groupe assez compact. Treize pièces ont été lues, commentées à la fois ligne à ligne et de façon plus synthétique, leurs particularités graphiques et diplomatiques exposées et confrontées à celles d’autres documents ou fonds ; beaucoup d’actes ont fait l’objet d’exercices (rédaction de regestes et analyse du discours diplomatique). Des commentaires ont été apportés à la lumière de débats historiographiques récents, par exemple sur les références spatiales en usage pour localiser les biens objets des transactions (problème du pagus carolingien et de ses subdivisions). Les originaux examinés sont les suivants :

  • Artem 124 (826, 26 juin ; Torcenay), Chaumont, AD Haute-Marne, 2 G 1166, no 17 ; inédit hormis la transcription de l’Artem. Acte (donatio) par lequel Gaulfus donne et transfère en aumône à l’église Sainte-Marie, Saint-Pierre et Saint-Martin de Torcenay, église édifiée à ses frais par le prêtre Sigoaldus et desservie par le prêtre Angalerius, les biens, sis au pagus de Langres, dans la villa et le finis de Torcenay, qu’il a achetés à une femme nommée Doda.
  • Artem 132 (866, 11 décembre ; Langres), 2 G 1166, no 3 ; Roserot6 3. Acte (donatio) par lequel Humbert donne aux églises Saint-Mammès de Langres, à laquelle préside l’évêque Isaac, et Saint-Bénigne de Dijon, un manse et ses dépendances situés à Cessey-sur-Tille, dans le pagus d’Oscheret, ainsi que tout ce que lui Humbert a dans ladite villa et ses limites (in ipsa villa et ejus finibus).
  • Artem 133 (870, 29 avril ; Losne), 2 G 1166, no 4 (anc. 6) ; Roserot 4. Notice [de déguerpissement] (notitia) relatant comment Vulfricus a renoncé par le rite du fétu, en l’église Saint-Jean-Baptiste de Losne, devant l’évêque Isaac et ses fidèles dénommés au nombre de six, à toute réclamation sur le prix de l’alleu de Pierrefontaine ; il a reconnu avoir librement fait « des chartes » à ce sujet et reçu la valeur de trente-six livres.
  • Artem 136 ([858-880] ; Baissey), 2 G 1166, no 5 (anc. 7) ; Roserot 5. Acte (donatio, traditio) par lequel Amauri et Berchardis, son épouse, donnent, pour le remède de leurs âmes, aux chanoines de [la cathédrale] Saint-Mammès de Langres, pour l’entretien de leur vestiaire, plusieurs biens situés dans le pagus d’Attuyer, dans la villa d’Occey : d’une part, un manse dominical ayant la voie publique sur chacun de ses quatre confronts ; d’autre part, un autre manse jouxtant un manse de Saint-Symphorien, une terre de de Saint-Mammès et la voie publique. De même, ils donnent la totalité de ce qu’ils ont ou auront dans ledit finis d’Occey, et dans ceux de Montigny-sur-Vingeanne et d’Aubigny.
  • Artem 148 (891, 23 février ; Rolampont), 2 G 1166, no 10 ; Roserot 6. Acte (venditionis carta) par lequel Ansco vend aux chanoines (patribus et fratribus) de la cathédrale de Langres un manse de dix-sept perches de longueur, onze perches et demi et deux pieds de largeur, situé dans la villa de Rolampont, au finis d’Andilly, et tout ce qui dépend de ce manse, moyennant deux livres en argent et en valeur.
  • Artem 127 (901 ? 907 ?, 18 janvier), 2 G 1166, no 2 ; Roserot 1 (sous la date erronée de 851). Acte de précaire (precaria) par lequel les frères de l’église de Langres [le chapitre cathédral] concèdent à l’abbé Varin et à son élève (discipulus) le chanoine Adalbert l’usufruit viager des deux-tiers du petit domaine de Troischamps, Varin possédant le tiers restant. À la mort des précaristes, le chapitre recevra en augment ce dernier tiers, comprenant notamment une basilica dédiée à la Vierge Marie.
  • Artem 150 (903, 30 mai), 2 G 1166, no 11 ; Roserot 7, Gautier7 55. Acte (institutio, nostrae auctoritatis testamentum) par lequel Argrim, évêque de Langres, notifie qu’au cours d’une visite pastorale dans le comté de Tonnerre, il a consacré (sanctificare) à la Vierge Marie et à saint Didier, à la demande de son fondateur l’archidiacre Isaac, la chapelle que celui-ci avait fondée de neuf à Vaupeltaigne, et qu’il l’a érigée en paroisse, lui concédant les dîmes de plusieurs localités dénommées.
  • Artem 153 (904 ou 906, avril ; Langres), AD Haute-Marne, collection Jolibois, 19 J 2, f. 19 ; Roserot 9. Notice (noticia), rédigée à la demande du comte Gotselmus, relatant que celui-ci, venu au synode réuni à Langres, a rendu à la mense capitulaire (mensa fratrum) une chapelle sise dans la villa de Ruffey, qui avait été donnée par Hugues mais qu’il retenait indûment.
  • Artem 151 (904, 3 juin), 2 G 1166, anc. no 4 ; Roserot 8, Gautier 57. Acte de précaire (prestaria) par lequel Argrim, évêque de Langres, déclare que siégeant en synode général et répondant à la suggestion faite par l’archidiacre Rathier et le neveu de ce dernier, Auffroi, de collaborer à la restauration matérielle de l’église Saint-Vincent de Dijon manquant du nécessaire et de recteur, il a donné à cette église un manse avec cinq serfs, situé à Fontaine-lès-Dijon, ledit Rathier et son neveu ayant donné par charte un autre manse situé à Seroiches. Rathier et son neveu ont obtenu que l’église, l’aître et tous les biens indiqués leur soient concédés en bénéfice viager, pour leur servir de refuge.
  • Artem 152 (904, novembre), 2 G 1166, no 16 ; Roserot 20 (considéré par lui comme faux). Acte de donation (donacio) par lequel Jacques (Jacobus), Flotberga son épouse et Joirannus donnent à la cathédrale de Langres plusieurs manses dominicaux et d’autres manses vêtus avec leurs dépendances situés dans le pagus de Bar[-sur-Aube] à Autreville, Grimaucourt et Braux, ainsi que vingt-quatre mancipia dénommés et leurs enfants dénombrés.
  • Artem 128 (906, 18 juillet), 2 G 1166, no 1 ; Roserot 2 (sous la date erronée de 852). Acte de donation (carta traditionis) par lequel Varin, abbé et prévôt de l’église de Langres, donne à l’église [cathédrale] Saint-Mammès de Langres, pour la mense des frères et à leur usage, plusieurs biens héréditaires, à savoir un manse délimité et quatorze pièces (petiolae) de vigne situés à Brisconus au pagus d’Oscheret.
  • Artem 154 (908 ou 909, 25 avril), 2 G 1166, no 9 ; Roserot 11, Gautier 60. Acte de précaire (prestaria) conclue par Argrim, évêque de Langres, avec son fidèle Arnaud : Arnaud a donné par charte à la mense des chanoines, pour leur nourriture, des biens qu’il a en propriété au pagus d’Attuyer ; il s’en voit rétrocéder, sur sa demande écrite, l’usufruit viager pour lui, son frère et son neveu, et reçoit en outre celui de biens de l’église de Langres situés dans les pagi de Langres et d’Oscheret, le tout moyennant un cens annuel d’un sou.
  • Artem 155 (910, 18 octobre), 2 G 1166, no 13 ; Roserot 12. Acte de donation (carta traditionis) par lequel le comte [d’Oscheret] Manassès donne à l’église [cathédrale] Saint-Mammès de Langres sa « grande ferté » (magna firmitas) d’échenon et l’église Saint-Seine situées dans le pagus d’Oscheret, sous réserve d’en garder la possession viagère.
  • 8 A. Roserot, « Chartes inédites », p. 165 : « L’écriture est une mauvaise imitation de la minuscule (...)
  • 9 On a montré les reproductions des actes BNF, nouv. acq. lat. 2154, no 8 (943, 27 janvier) et no 20 (...)

7Les actes sous examen sont-ils tous vraiment des originaux ? L’acte Artem 152 a été jadis jugé faux par son éditeur A. Roserot et l’Artem l’a marqué « douteux » sur la notice de l’acte. On a soumis le document à un nouvel examen, qui invite à ne pas adhérer à cette sentence. Les griefs, très subjectifs, exprimés à son encontre par son éditeur sont sans réelle pertinence8, d’autant que celui-ci a commis de sérieuses fautes de lecture qui ont pu peser fâcheusement sur son jugement : il a ainsi compris frater là où il faut lire signum devant chaque nom de témoin (il a pris l’abréviation sn pour fr). La langue et les graphies sont fortement évoluées (eglesie, exsimi), l’écriture bousculée voire parfois disloquée, des signes abréviatifs ont une morphologie insolite, telle la note tironienne à valeur –us en forme de demi-lune ouverte vers la gauche englobant la lettre qui la précède. Mais bien des traits (la forte séparation syllabique par ex.) sont conformes aux usages du temps et les autres n’excèdent pas en extravagance ce qu’on trouve sur quelques actes privés bourguignons du xe siècle transmis par les archives clunisiennes, qui dégagent la même impression de « rusticité » 9 tandis qu’ils partagent le goût pour certaines abréviations techniques : le sn pour signum (cf. l’acte Bernard-Bruel 619) et l’abréviation sévère de quicquit (qqt sur l’Artem 152 ; qq sur Bernard-Bruel 1107). Bref, jusqu’à plus ample information (consultation directe de la pièce d’archives), il semble raisonnable de tenir ce parchemin pour un original, et non pour un « pseudo-original » comme l’indique la fiche de l’Artem.

8Le statut diplomatique du parchemin Artem 136 de [858-880] n’est pas clair. On hésite à y voir un original ; il s’agirait plutôt d’une « copie figurée » contemporaine de l’acte. L’acte est l’œuvre d’une seule main (y compris les souscriptions), dépourvu de date et sans mention du « notaire » ayant pris en charge la rédaction de l’acte, ce qui est un peu suspect. Les témoins sont répartis en deux groupes successifs, ceux qui « consentent » et les autres, qui tiennent le rôle de témoins instrumentaires. Dans le premier groupe, chaque signum de témoin est accompagné d’une marque différente, géométrique ou stylisée, qui lui est propre. Celle d’Utulricus (Sig(num) Utulrici q(ui) c(on)sens(it)) fait joliment exception ; elle représente un oiseau, ce qui est plus que rarissime sur une charte du haut Moyen Âge ; selon un collègue de la section des Sciences de la vie et de la terre versé en ornithologie, ce volatile haut sur pattes et doté d’un bec développé évoquerait assez bien une espèce d’oiseau limicole. Ce dessin ajoute au soupçon qui pèse sur le document. Toujours est-il que le copiste, s’il prenait ses aises avec les usages diplomatiques, pouvait être bon observateur de la nature environnante.

(Clichés AD Haute-Marne.)

9En étudiant chaque acte, on a examiné avec attention les données chronologiques qu’il renferme. Douze des treize actes langrois cités sont datés. Une formule de datation peut comporter jusqu’à quatre données chronologiques : le jour de la semaine, le mois ou le quantième du mois, l’année du règne, l’indiction. Toutefois un seul acte les fait toutes figurer (Artem 132) tandis que les deux tiers du corpus (8/12) en livrent trois. Tous les actes datés indiquent l’année du règne et le quantième du mois (ou le seul nom du mois pour les actes Artem 153 et 152). C’est exceptionnellement qu’un acte indique à la fois le jour de la semaine et le chiffre de l’indiction (Artem 132) ; on y trouve ordinairement soit l’un, soit l’autre. Le choix semble être affaire de rédacteur : Siricus ne donne pas le jour de la semaine mais précise toujours l’indiction (Artem 153, 151 et 154) alors que c’est l’inverse pour Arnaldus (Artem 127, 128 et 155). Bien sûr, ces observations ne sont qu’indicatives, vu la taille du corpus. Les discordances sont fréquentes entre les éléments exprimés : sur les huit actes où l’exactitude de l’indication de l’année du règne peut être éprouvée soit par le jour et le quantième, soit par le chiffre de l’indiction, seuls quatre passent l’épreuve avec succès (Artem 133, 151, 128 et 155). Mais deux de ces quatre actes, pourtant établis par le même rédacteur Arnaldus, semblent avoir un point de départ différent pour l’année du règne de Charles le Simple : pour Artem 128, le sacre du 28 janvier 893 du vivant du roi Eudes, pour Artem 155, la mort d’Eudes le 2 janvier 898. Il arrive aussi que la datation d’un acte résultant de l’interprétation des éléments chronologiques entre en contradiction avec un élément d’une autre nature (le grade ecclésiastique d’un témoin récurrent). L’acte Artem 150 en livre un exemple troublant. Sa date a tout lieu d’être fixée au 30 mai 903 à partir des indications chronologiques (jour du mois, année du règne) qui concordent aussi avec une autre donnée interne au texte. Malheureusement, parmi les chanoines témoins figure un dénommé Calemagnus, nom aussi lourd à porter qu’il est insolite, et ce personnage est qualifié de presbiter ; or un Calemagnus (sans doute le même) a souscrit la charte Artem 151, postérieure d’un an selon toute vraisemblance – les données chronologiques de la charte convergent vers le 3 juin 904 –, avec le grade inférieur de diacre ! De même, un Ariaudus est noté sous-diacre dans l’acte Artem 150 (30 mai 903), mais « rétrogradé » acolyte le 6 juin suivant, si l’on en croit une charte connue toutefois seulement en copie (Gautier 56). Ces contradictions jettent le trouble : invalident-elles nécessairement les dates établies ? Ne pourrait-on suspecter que ces souscriptions problématiques ont été ajoutées après coup sur un acte plus ancien, sans penser à l’anachronisme qu’allait introduire le signalement d’un grade ecclésiastique obtenu postérieurement à l’acte enrichi. Dans le cas de Calemagnus, la place de sa souscription sur le parchemin Artem 150 n’interdit nullement cette hypothèse. On ne saurait toutefois avancer à l’appui de cette hypothèse la souscription ajoutée par l’évêque de Langres Garnier sur l’acte de son prédécesseur Argrim (Artem 154), car dans ce dernier cas l’ajout s’explique par la teneur juridique de la charte : le contrat de précaire que celle-ci entérine valait pour deux générations de précaristes ; sans doute la souscription d’un nouvel évêque soulignait-elle que la précaire engageait le nouveau prélat à l’égal de son prédécesseur qui avait passé contrat.

10Outre ces remarques ponctuelles, les souscriptions abondantes des actes langrois étudiés ont donné lieu à quantité d’observations touchant à l’occupation de l’espace graphique dévolu à ces mentions (dispersion ou listes organisées, inscriptions individuelles ou par groupes), au formulaire suivi, au rapport qu’entretient la souscription avec celui qui l’a inscrit (autographie / allographie), aux abréviations plus ou moins canonisées des mots clefs (signum, subscripsit, etc.), à l’usage des notes tironiennes. Les descriptions d’actes préparées en amont par Sébastien Barret et Marlène Helias-Baron ont notablement étoffé les observations et questionnements, notamment en ce qui concerne les scénarios touchant aux étapes de l’élaboration matérielle de maintes pièces examinées.

11On s’est naturellement attaché au discours diplomatique de tous ces actes. L’articulation très caractéristique de la prestaria conclue par Argrim et Arnaldus (Artem 154) a été l’occasion d’évoquer, une fois encore, la complexité (et la pluralité) des écrits qui recouvrent un acte juridique (la « précaire ») autant susceptible d’infinies variantes qu’il est répandu dans la société du haut Moyen Âge. La fluidité de ces formes diplomatiques a été illustrée par d’autres exemples du début du xe siècle, provenant de Saint-Denis (Artem 2489 ([898-922], Sonzogni 260, BNF, nouv. acq. lat. 1913) et d’Elnone / Saint-Amand-les-Eaux (906, 24 septembre 906 ; éd. Jean Dufour, Recueil des actes de Robert Ier et Raoul, rois de France, no 46).

12Aux marges de l’acte privé, quelques séances de printemps ont été consacrées à plusieurs privilèges synodaux de la décennie 860 conservés en original.

  • Artem 3011 (861, 25 juin ; Pîtres), Paris, Archives nationales, K 13 no 4/3 ; Sonzogni 212, éd. W. Hartmann, Die Konzilien der karolingischen Teilreiche 860-874, Hanovre, 1998 (MGH Concilia, IV), no 6, p. 53-56. Confirmation à Saint-Denis de la donation de Marnay[-sur-Seine] au pagus de Morvois faite aux moines par le roi Charles le Chauve (diplôme du 31 août 860) à titre de refuge éventuel en cas d’attaque des Normands.
  • Artem 3020 (862, Soissons), AN, K 13 no 10/2 ; Sonzogni 221, éd. W. Hartmann, Die Konzilien, no 10C, p. 93 et 106-115. Confirmation du partage des biens de l’abbaye de Saint-Denis entre l’abbé et les moines, avec énumération des biens affectés aux moines.
  • Artem 720 (864, après le 20 juin ; Pîtres), Auxerre, AD Yonne, H 984, pour l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre. Confirmation énumérative, à la suite du diplôme de Charles le Chauve donné le 20 juin 864, des possessions du monastère spécialement affectées à l’usage de moines.
  • Artem 644 (866, [18-25 août] ; Soissons), Limoges, AD Haute-Vienne, 6 H 8, pour l’abbaye de Solignac. Confirmation des privilèges statutaires de l’abbaye.

13Le privilège pour Saint-Germain d’Auxerre a été commenté en détail, dans le sillage d’une conférence que Sébastien Barret et le directeur d’études venaient de donner à Auxerre à l’invitation de la direction des archives départementales de l’Yonne. Quant à l’acte pour Solignac, on a noté, au fil de sa lecture, à quel point l’exposé (sur la fondation de Solignac par saint éloi au viie s.), la petitio des bénéficiaires, puis le dispositif étaient constamment émaillés de références à l’écrit qui fait foi et preuve. La sensibilité du rédacteur traduit celle des bénéficiaires de l’acte. L’abbé Bernard et ses moines s’étaient présentés devant le roi puis devant les pères conciliaires pour solliciter le renouvellement de leurs privilèges et la confirmation de leurs droits et biens, prétendant (de façon un peu abusive) que leurs priora instrumenta avaient péri dans un incendie allumé par les Normands. Les actes d’autorité que souhaitaient obtenir les religieux limousins avaient donc le caractère de « pancartes » au sens carolingien du terme, celui d’actes garantissant leurs droits légitimes à des bénéficiaires ayant perdu leurs titres à la suite d’un sinistre (preceptum ou privilegium de cartis perditis).

14Les privilèges synodaux, en tant qu’actes donnés « en nom collectif » sont souscrits par les prélats ayant pris part à l’assemblée qui a délivré le privilège. Étant donné la concentration temporelle des actes étudiés, il n’est pas rare de retrouver d’un acte à l’autre les mêmes prélats souscripteurs. On a engagé, de façon encore superficielle, une première comparaison de ces occurrences, sur le plan du formulaire, de la graphie et aussi de leur emplacement au sein du groupe de signataires. On a relevé çà et là quelques éléments qui mériteraient d’être creusés : le caractère idiosyncrasique de certaines formulations (munere divino… episcopus chez Wenilon de Sens ; sanctae metropolis… episcopus chez Hincmar de Reims, l’adjectif indignus chez Fulchricus de Trèves) leur donne plus de relief et invite à regarder de plus près leur abandon ponctuel et radical (Hincmar de Reims en 864), ou le mimétisme d’un collègue (l’adjectif sanctae devant Laudunensis ecclesie dans la souscription d’Hincmar de Laon en 862, comme pour imiter l’oncle de Reims). Très intéressant nous est apparu le cas des souscriptions de Raginelmus, évêque des sièges associés de Noyon et de Tournai (860-880). Trois fois sur quatre, il souscrit en tant qu’évêque de Tournai (861, 862, 864), mais dans le privilège de 864 pour Solignac, il souscrit en qualité de Vermandensis ecclesie episcopus ; par là, il met en avant son autre siège, celui de Noyon, en reprenant la vénérable titulature mérovingienne du siège. Or, dans le récit de la fondation de Solignac qui figure dans le privilège, éloi est justement désigné comme Viromandensis ecclesie episcopus. Il est tentant de voir dans la titulature archaïsante de Raginelmus la volonté de s’inscrire dans une filiation spirituelle prestigieuse, celle du « grand saint éloi » : est-ce abusif d’imaginer que c’est à l’écoute ou à la lecture du privilège que Raginelmus a choisi d’ajuster sa souscription à la teneur de l’acte qu’il souscrivait ?

  • 10 L’examen de ce document a été grandement facilité par les clichés photographiques d’excellente qual (...)

15Quelques séances de fin d’année ont pris appui sur une charte épiscopale datée du 17 novembre 872 (Artem 2658 ; Rouen, AD Seine-Maritime, 14 H 156)10. Dans cet acte intitulé à son nom, Riculf, archevêque de Rouen, relate la visite qu’il a faite aux reliques de saint Ouen transférées par les moines de cette abbaye repliés dans leur dépendance de Gasny par crainte d’assauts des Normands ; l’acte se conclut par une donation de biens fonciers dont les revenus sont destinés à entretenir le luminaire du saint.

16L’acte, dont la véracité n’est pas douteuse, présente néanmoins une incongruité majeure, la trace d’un sceau plaqué au bas de l’acte, sceau annoncé dans une clause de corroboration dont la formulation est pleine de maladresses, curieusement répétitive et grammaticalement fautive. Qu’on en juge :

(…) Et ut hȩc constitutio nostra /41 futuris seculis maneat inconvulsa, subscriptione eam roboravimus propria, /42 et ut manu nostre¸ scriptionis per revoluta tempora /43 firmius haberetur, manu nostra subter firmavimus, canonicos /44 quoque nostros et monacos fidelesque laicos corroborare precepimus, /45 ut firmius haberetur anulo sanctȩ Mariȩ inpressimus.

  • 11 Lecture déjà faite par les érudits d’Ancien Régime : cf. le Nouveau traité de diplomatique, t. V, P (...)
  • 12 L. Morelle, « Sur les “papiers” du voyageur au haut Moyen Âge : lettres de recommandation et lettre (...)

17Même en admettant que le copiste a inscrit manu au lieu de munus11 – l’expression munus scriptionis trouverait son origine chez Horace –, on ne réduit pas toutes les imperfections du passage. Cela dit, la présence annoncée d’un sceau demeure une anomalie qu’il faut tenter d’élucider (et de relativiser) en tenant compte de deux éléments. D’une part, l’on sait que certains écrits d’administration épiscopale étaient scellés au ixe siècle ; c’était le cas des lettres de recommandation (lettres dimissoires) remises par les évêques à leurs clercs quand ces derniers séjournaient ou s’installaient dans un autre diocèse12. D’autre part, l’acte de Riculf est un document de nature complexe. Riculf a vérifié, en présence des moines, que les reliques de saint Ouen étaient dignement conservées dans leur teca ; après quoi il prélève pour lui-même une parcelle de ces reliques et la donation de biens qu’il accomplit pour le luminaire du saint est destinée à attirer sur lui la clémence de ce dernier après un tel geste. C’est peut-être justement parce que la charte de Riculf n’est pas une simple charte de donation, mais qu’elle a aussi valeur de reconnaissance de reliques, de certificat, qu’on a jugé utile d’ajouter un sceau aux souscriptions.

18Seize ans après cette charte, en 888, on connaît un autre acte épiscopal scellé. Il s’agit d’un acte de l’archevêque de Mayence Liutbert confirmant les privilèges conférés par les rois et papes aux monastères associés de Corvey et Herford (original : Münster, Staatsarchiv, Corvey Urk. 21). L’acte a été passé lors d’un large synode convoqué à Mayence, auquel ont aussi pris part l’archevêque de Reims et d’autres prélats de Francie occidentale. Liutbert est le seul des pères conciliaires à avoir apposé son sceau, et l’annonce de ce dernier (nos igitur nostram subscriptionem anuli nostri impressione signantes…) ne laisse aucun doute sur le fait que le sceau remplace ici la souscription, plus exactement qu’elle est une forme de souscription. Le sceau semble, en l’occurrence, être une manière de hausser l’autorité archiépiscopale au niveau de celle des papes et des souverains. On a noté qu’à la différence des privilèges produits dans le royaume de Francie occidentale dans les année 860, l’acte de Liutbert, considéré par la critique comme un original, ne présente aucune souscription de prélat qui soit autographe, y compris l’étonnante souscription de l’archevêque de Reims Foulque de Reims, long texte en forme de déclaration justificative.

19Au mois de décembre, le séminaire s’est transporté aux Archives nationales pour une visite des dépôts anciens organisée par Marie-Adélaïde Nielen, conservateur en chef au département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime. Grâce à son amicale obligeance, plusieurs actes mérovingiens et carolingiens ont pu être présentés et commentés in situ.

20III. — L’« atelier diplomatique » est un lieu d’échange et de discussion sur des actes ou dossiers documentaires en cours d’exploration par les intervenants, la plupart auditeurs de la conférence. Durant l’année, neuf séances ont eu lieu.

21Marlène Helias-Baron et Christian Barbier (Collège des Bernardins) ont ouvert le dossier des accords passés entre les abbés de Sainte-Geneviève et de Saint-Victor de Paris au milieu du xiie siècle au sujet d’une dérivation du cours parisien de la Bièvre. Le dossier comprend quatre pièces majeures conservées en original aux Archives nationales : un accord passé entre les deux abbayes sous forme de chirographe intitulé au nom de l’abbé de Sainte-Geneviève (S 1538, no 1 ; ca 1150) ; une attestation de Bernard de Clairvaux relatant son intervention couronnée de succès en faveur de Saint-Victor (K 23B, no 20/3 ; [1148-1153]) ; un accord « annexe » entre les deux abbayes, obtenu par les abbés de Chaalis et de Valséry (L 892, no 1); la confirmation du pape Anastase IV (L 229, no 6 ; 1154). La datation des pièces et leur chronologie, leur tradition souvent riche, l’interprétation de leur teneur où l’on découvre une latinité très technique, enfin l’historiographie naturellement étoffée de l’intervention de saint Bernard ont été au menu de cette première séance.

  • 13 La recherche présentée a donné lieu à un article publié en ligne : C. Senséby, « De l’écrit éphémèr (...)

22Chantal Senséby a présenté un dossier intitulé « De la note à la charte. Quelques remarques sur le processus de mise par écrit au xie siècle en Dunois ». Les cinq pièces examinées – une charte et quatre notices – datent d’entre 1064 et 1072 ; elles sont relatives au prieuré de l’abbaye tourangelle de Marmoutier situé à Dangeau (Eure-et-Loir) et à une possession proche (Sonville) ; l’une de ces pièces est une note ou une version préparatoire. L’exposé s’est attaché à débrouiller les liens textuels complexes entre ces documents, et à montrer la souplesse délibérée des formes diplomatiques en usage13.

23Thomas Roche s’est penché sur deux actes concernant une possession de l’abbaye normande de la Croix-Saint-Leufroy, l’un soi-disant de « la 20e année du roi Charles », traditionnellement attribué à l’année 788, l’autre du xie siècle. L’acte du xie siècle est un original intitulé au nom de Raoul de Tosny ; il pose de redoutables problèmes paléographiques, du fait de l’emploi d’un réactif assez délétère pour la continuation qui suit le texte principal. L’autre acte, qu’on devrait dater du viiie siècle, voire du ixe s’il était sincère, aurait été émis par un comte de Madrie Nivelon. Il s’agit d’un faux, probablement d’érudit, forgé au plus tard en 1646 puis utilisé en 1673 par les moines pour soutenir leur défense de droits forestiers. Son formulaire est un « patch-work » aux sources multiples ; en séance, on a pu établir qu’il n’était pas seulement proche du recueil de Marculf, mais aussi, pour une ample clause pénale et comminatoire, de tournures d’un acte d’Étienne II, évêque de Clermont, pour les chanoines de Brioude (961).

24Dans un exposé intitulé « Réforme monastique, tradition documentaire et historiographie érudite : le douteux diplôme de Sanche le Grand pour San Salvador de Oña (1033 ?) », Sébastien Barret a présenté un diplôme plus que suspect, relatant comment le roi de Navarre Sanche III (1004-1035) a envoyé Paternus, avec ses compagnons, se former auprès de l’abbé de Cluny Odilon, avant de lui confier la direction d’un premier monastère puis de lui donner mission de remplacer les religieuses du monastère d’Oña par des moines formés aux usages clunisiens. Tout autant qu’à la critique d’authenticité du document, S. Barret s’est intéressé à son historiographie assez pesante tout en démêlant sa tradition bifide (hispanique et clunisienne) fort complexe.

25L’exposé de Laura Viaut, « Les fragments du cartulaire de l’abbaye de Solignac : un exemple de cartulaire double ? », visait à faire partager les difficultés auxquelles elle se heurte dans l’étude et l’édition des cartulaires-censiers laissés par l’abbaye limousine ; les quatre fragments qui en sont préservés (deux principaux et deux lambeaux) appartiennent à deux compilations distinctes (le Petit cartulaire et le Liber beneficiorum) dont la teneur se recoupe. Bien des questions sont pour le moment sans réponse ferme : circonstances et époque de composition (xiie s. mais peut-être xie pour le premier), intention des compilateurs, modalités d’élaboration.

26Jean-Charles Bédague, qui prépare l’édition des actes du roi Louis VII, nous a guidé dans un dossier épineux composé de « Trois diplômes royaux (Charles le Chauve, Robert le Pieux, Louis VII) en faveur de Saint-Bénigne de Dijon ». Le diplôme de Louis VII (1147), passé à Dijon peu de temps avant le départ du roi en croisade, est une superbe production due à la plume d’un scribe de l’entourage du pape Eugène III. Il vient au bout d’une chaîne de diplômes royaux dont le premier maillon est un précepte original de Charles le Chauve revisité sous Henri Ier et le suivant un diplôme de Robert le Pieux, auquel l’acte de Louis VII emprunte beaucoup et qu’il confirme. Le diplôme de Robert, au statut controversé et assurément interpolé à la fin du xie siècle, a occupé une large partie de la séance.

  • 14 Cette enquête a fait l’objet d’un article sous presse dans les mélanges en l’honneur de Brigitte Ka (...)

27Le directeur d’études a exposé les fruits d’une petite enquête qu’il a menée sur les procédures en vigueur aux viie et viiie siècles pour donner une valeur authentique aux copies d’actes (diplômes, privilèges épiscopaux, actes privés de donation)14.

28Christel Froissart a présenté le « Livre Rouge, ou cartulaire de l’abbaye prémontrée de Saint-André-au-Bois (diocèse d’Amiens) ». Ce cartulaire, objet de ses recherches, est le vecteur principal des chartes de cette abbaye fondée au milieu du xiie siècle ; compilé au xviie siècle en deux étapes et selon une logique bien difficile à saisir, il comporte environ 300 actes datés de 1156 à 1627, dont 135 jusqu’à 1300. Une des rares chartes de Saint-André qui subsistent en original est un superbe chirographe de 1167, conservé dans ses deux exemplaires juxtaposés et pourvu d’une devise bicolore très soignée. Cette pièce a fait l’objet d’un commentaire historique et diplomatique.

29Enfin, lors d’une séance « foraine » tenue le 7 juin, les participants se sont déplacés aux Archives départementales de l’Eure, où Thomas Roche, directeur des archives et membre régulier de l’atelier, a présenté et commenté un ensemble de documents exceptionnels (plus anciennes chartes originales du dépôt, cartulaires, manuscrits précieux, archives d’un réseau de résistance pendant l’Occupation).

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Notes

1 Georges Despy, « Les chartes privées comme sources de l’histoire rurale pendant les temps mérovingiens et carolingiens », dans La Neustrie : les pays au nord de la Loire de 650 à 850, colloque historique international, éd. Harmut Atsma, Sigmaringen, 1989, 2 vol. (Beihefte der Francia, 16), t. I, p. 583-593. En ligne : https://www.perspectivia.net/publikationen/bdf/atsma_neustrie_1/despy_chartes.

2 Base des Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France [en ligne : http://www.cn-telma.fr/originaux/, confectionnée naguère par l’Atelier de recherches sur les textes médiévaux (université de Lorraine, Nancy), dont J.-B. Renault assure actuellement la « maintenance » scientifique.

3 Édition de référence : Michel Félibien, Histoire de l’abbaye royale de Saint-Denis en France, Paris, 1706 (réimpr. 1973), p. lv-lvi, no LXXV.

4 D. Sonzogni, Les actes du fonds d’archives de Saint-Denis, VIe-Xe siècle : étude critique et catalogue raisonné, t. III. Catalogue des actes, II, Actes nos 131-184 (781-840) ; t. IV. Catalogue des actes, III, Actes nos 185-267 (841-fin du xe siècle) [en ligne : http://saint-denis.enc.sorbonne.fr/les-textes/actes-du-haut-moyen-age/introduction.html].

5 Une nouvelle édition de l’acte, tenant compte des acquis de ce nouvel examen, paraîtra dans un article rédigé en commun avec Daniel Sonzogni.

6 Alphonse Roserot, « Chartes inédites des ixe et xe siècles, appartenant aux archives de la Haute-Marne (851-973) », Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 51 (1897), p. 161-209.

7 Pierre Gautier, Études diplomatiques sur les actes des évêques de Langres, du viie siècle à 1136, ouvr. ms. déposé à l’Institut de France, reprenant et développant la thèse d’école des chartes de l’auteur soutenue en 1907 et intitulée Catalogue des actes des évêques de Langres, précédé d’une introduction historique et diplomatique, du viie siècle à 1111. L’auteur de ces lignes remercie Hubert Flammarion de lui avoir généreusement transmis une version numérisée de l’ouvrage de P. Gautier, complétée et actualisée par ses soins.

8 A. Roserot, « Chartes inédites », p. 165 : « L’écriture est une mauvaise imitation de la minuscule caroline ; elle est si singulière, que j’ai dû renoncer à lire un certain nombre de mots. Assurément le faussaire s’est ingénié à tracer des caractères bizarres et à employer une orthographe qui n’est d’aucune époque, pour donner une apparence d’antiquité à cette pièce. Je crois inutile d’en indiquer plus longuement la fausseté ; il me suffira de renvoyer le lecteur à l’examen de ce texte extraordinaire. »

9 On a montré les reproductions des actes BNF, nouv. acq. lat. 2154, no 8 (943, 27 janvier) et no 20 (961, juillet), éd. A. Bernard et A. Bruel, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, Paris, 1876-1903, respect. nos 619 et 1107.

10 L’examen de ce document a été grandement facilité par les clichés photographiques d’excellente qualité mis à notre disposition par Michaël Bloche, directeur-adjoint des Archives départementales de Seine-Maritime. Qu’il en soit ici chaleureusement remercié.

11 Lecture déjà faite par les érudits d’Ancien Régime : cf. le Nouveau traité de diplomatique, t. V, Paris, 1762, p. 465.

12 L. Morelle, « Sur les “papiers” du voyageur au haut Moyen Âge : lettres de recommandation et lettres dimissoires en faveur des clercs », dans Se déplacer du Moyen Âge à nos jours. Actes du sixième colloque européen de Calais (2006-2007), éd. Stéphane Curveiller, coll. Laurent Buchard, [Calais, 2009], p. 34-50.

13 La recherche présentée a donné lieu à un article publié en ligne : C. Senséby, « De l’écrit éphémère à l’acte pérenne ? Remarques sur le processus de mise par écrit au xie siècle aux confins du Dunois et du Chartrain », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre – BUCEMA, 23-1 [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cem/16313].

14 Cette enquête a fait l’objet d’un article sous presse dans les mélanges en l’honneur de Brigitte Kasten (université de la Sarre).

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Morelle, « Pratiques médiévales de l’écrit documentaire »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 217-228.

Référence électronique

Laurent Morelle, « Pratiques médiévales de l’écrit documentaire »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3792 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3792

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Auteur

Laurent Morelle

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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