Histoire monétaire du monde romain
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : I. Enquêtes sur les monnayages provinciaux des IIe-IIIe siècles. L’atelier monétaire de Coela (Thrace). — II. Le principat de Trajan Dèce (249-251) : numismatique et histoire (1). — III. Actualité de la recherche.
Plan
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1Comme chaque année depuis 2016, la conférence a porté sur deux thèmes principaux : d’abord sur l’apport des monnaies provinciales à notre connaissance de l’histoire politique, institutionnelle et culturelle des provinces de l’Orient romain ; ensuite sur des émissions impériales datées du milieu du iiie siècle. À côté d’une approche numismatique classique fondée sur le classement et la typologie, l’accent a été mis sur les pièces découvertes en contexte archéologique et sur les autres sources disponibles – textes littéraires, inscriptions, papyrus – susceptibles d’éclairer en retour la documentation monétaire.
2Deux dossiers ont fait l’objet d’un traitement détaillé, à savoir d’une part l’étude de l’atelier monétaire du municipe de Coela en Thrace, actif d’Hadrien à Gallien, et d’autre part les monnayages impériaux mais aussi provinciaux frappés sous l’empereur Trajan Dèce entre 249 et 251.
I. Enquêtes sur les monnayages provinciaux des IIe-IIIe siècles. L’atelier monétaire de Coela (Thrace)
- 1 Programme international de coopération scientifique (PICS) du CNRS intitulé « La régions des Détroi (...)
3Six séances ont été consacrées à l’analyse approfondie d’un atelier particulier, celui de Coela en Thrace, actif d’Hadrien à Gallien. L’idée qui a présidé au choix de cet atelier était la suivante : en l’absence de textes nombreux et détaillés (sources littéraires, inscriptions), comment écrire l’histoire d’une cité mineure sous le Haut-Empire ? Quel peut être l’apport de la monnaie provinciale à ce sujet ? Coela présentait un cas d’étude idéal, répondant à l’ensemble de ces critères et situé de surcroît dans une région qui fait l’objet d’un programme triennal de recherches consacré à la zone des détroits (Hellespont, Propontide, Bosphore) dans l’Antiquité romaine1.
- 2 Pomponius Mela, Chorographie, II, 26 (éd. CUF, A. Silberman) : … est et portus Coelos, Atheniensibu (...)
- 3 On lira avec profit les relations et rapports de M. G. F. A. de Choiseul-Gouffier, Voyage pittoresq (...)
- 4 J. Krauss, Die Inschriften von Sestos und der thrakischen Chersones, Bonn, 1980 (= Inschriften grie (...)
- 5 Sur l’histoire de Coela et de sa région, voir : A. Stein, Römische Reichsbeamte der Provinz Thracia(...)
- 6 Communication orale donnée à l’occasion d’une conférence intitulée « Actualité de la recherche sur (...)
4Le séminaire a commencé par la présentation des émissions des années 251-253 publiées par nos soins dans le volume IX du RPC en 2016 (RPC IX, 164-171, cf. https://rpc.ashmus.ox.ac.uk/). Un détour par l’historiographie a ensuite été entrepris afin de tenter de préciser par les textes antiques (en particulier Pomponius Mela, Pline l’Ancien et Ammien Marcellin2), par des recherches anciennes (récits de voyageurs comme Choiseul-Gouffier ou Hauvette-Besnault3) et des prospections récentes la localisation supposée du site de la ville de Coela. Ont également été passés en revue les rares textes épigraphiques mentionnant explicitement la ville et sa région (IK 19, nos 3, 10, 28, 31 et 374 ; IK 3, no 125 et IEph, no 3048). Ces dépouillements ont permis de relever à la fois la variété des noms donnés par les auteurs antiques à la ville (Coelos – Portus Coelos – Coela – Quila – municipium Coelium – Κοῖλα – Κύλλα – Κοίλια – Κύλας) et de pointer des contradictions dans les sources au sujet de son histoire et de ses statuts successifs5. D’abord grand domaine royal attalide (Cicéron, De lege agraria, II, 50) puis domaine impérial sous Auguste (Dion Cassius, LIV, 29, 5), la communauté qui vivait sur le site a accédé au rang de cité pérégrine sous les Julio-Claudiens (?) puis à celui de municipe sous Hadrien comme l’atteste sa titulature : municipium Aelium Coela. La localisation du site, qui n’a pas livré de vestiges d’ampleur, doit selon toute vraisemblance être fixée dans la péninsule de Gallipoli, comme nos prédécesseurs l’avaient envisagé dès le début du xixe siècle, à une dizaine de kilomètres au sud des ruines de la cité de Sestos, sur la côte, juste en face l’ancienne Abydos, dans une petite baie abritée du détroit des Dardanelles. Cette localisation a été récemment confirmée par Reyhan Körpe, professeur d’archéologie à l’université de Çanakkale, à la suite de prospections pédestres inédites conduites par son équipe dans le secteur6.
- 7 Sur l’histoire administrative de la Thrace, on lira A. Stein, Römische Reichsbeamte der Provinz Thr (...)
5La cité, dont l’existence remonte aux Julio-Claudiens au plus tard, ne fait frapper monnaie qu’à partir du principat d’Hadrien. C’est à cette époque en effet qu’elle accède au statut de municipe dans un contexte et pour des raisons précises qui nous échappent. Cette élévation doit certainement être mise en relation avec les changements de statuts opérés par le prince dans l’administration provinciale de la Thrace devenue province impériale dirigée par un sénateur légat d’Auguste propréteur de rang prétorien7.
- 8 En plus des monnaies publiées dans les différents volumes du RPC, il faut se contenter pour l’époqu (...)
6Pour l’heure, si l’on ne dispose d’aucune monographie sur l’atelier monétaire8, cette lacune est largement compensée par le fait que les notices du Roman Provincial Coinage couvrent la quasi-totalité de l’histoire des productions monétaires de la cité, à l’exception des périodes correspondants aux principats de Septime Sévère-Caracalla- Macrin (RPC V) et de Valérien et Gallien (RPC X). Ces deux corpus sont en cours de réalisation.
7Les volumes déjà publiés font connaître 93 entrées (types) pour 222 monnaies (coins) enregistrées. Cet inventaire représente une moyenne d’un peu plus de deux monnaies par type. Il reflète un faible rendement compte tenu des 179 années qui séparent l’avènement d’Hadrien en 117 de la mort de Gallien en 268. Ces chiffres témoignent du fait que l’atelier de Coela demeure un petit atelier monétaire d’une cité de second rang aux émissions sporadiques et peu abondantes. Dans les détails, et en attendant la parution des volumes V et X du RPC, on aboutit au recensement suivant par volume : RPC III, 757A-761 (Hadrien) ; RPC IV-1, 2030-2072 (Antonin-Marc Aurèle-Commode) ; RPC VI-1, 699-714 (Élagabal-Sévère Alexandre-Maximin le Thrace) ; RPC VII-2, 449-452 (Gordien III) ; RPC VIII, 249-253 (Philippe l’Arabe) ; RPC IX, 164-171A (Trébonien Galle).
- 9 Ce municipe de droit romain constitue certes un îlot de romanité dans un environnement hellénophone (...)
8Dans le cadre du présent annuaire, et dans l’attente d’une étude plus complète, on abordera plusieurs questions ponctuelles concernant l’iconographie du monnayage de ce petit municipe9. Le tableau reproduit ci-après offre la synthèse des principaux types de revers monétaires adoptés sur la longue durée (fig. 1). Ces types reflètent eux-mêmes, comme c’est souvent le cas pour des monnayages civiques de bronze, l’organisation métrologique des émissions puisque certaines images figurent uniquement aux revers de monnaies qui partagent les mêmes poids et modules.
Fig. 1. — Tableau de synthèse des types de revers frappés à Coela (Hadrien-Gallien)
Empereur / Types | Proue (var.) | Marsyas | Diane-Artémis | Génie | Temple | La louve et les jumeaux | Énée, Anchise, Ascagne | Buste de la tyché | Mercure-Hermès | Apollon ? |
Hadrien | X | X | ||||||||
Antonin | X | X | ||||||||
Marc Aurèle | X | X | X | |||||||
Commode | X | X | X | X | X | |||||
Sept. Sévère | X | X | ||||||||
Caracalla | X | X | X | |||||||
Macrin | X | |||||||||
Élagabal | X | X | ||||||||
Sév. Alex. | X | X | X | X | ||||||
Maximin | X | |||||||||
Gordien III | X | X | X | X | ||||||
Philippe | X | X | X | |||||||
Tréb. Galle | X | X | X | X | ||||||
Gallien | X | X | X | X | X | X | ||||
Total | 12 | 8 | 7 | 6 | 2 | 2 | 2 | 1 | 1 | 1 |
9Le premier trait qui ressort de ce tableau de synthèse est l’existence d’un type principal à la proue (fig. 2), qui est émis de manière continue et sans exception depuis Hadrien jusqu’à Philippe l’Arabe (244-249 apr. J.-C.). Ce type disparait des deux dernières émissions frappées sous Trébonien Galle (251-253 apr. J.-C.) et sous Gallien alleinherrschaft (260-268 apr. J.-C.).
Fig. 2. — Coela, Marc Aurèle (RPC IV-1, no temp 2045 – AE, 18 mm, 2,63 g). CNG. Electronic Auction 443, 1er mai 2019, lot 218 [© CoinArchives.com].
10Ce type non seulement incarne l’identité civique monétaire sur la longue durée mais encore constitue ce qu’il convient de considérer comme la dénomination pivot de l’atelier, dénomination dont le poids moyen a pu fluctuer avec le temps, passant de 4,70 g. sous Hadrien (RPC III, 757-760) à c. 3,40/3,70 g sous Philippe l’Arabe (RPC VIII, 279-280). Le type comporte de nombreuses micro-variantes et détails qui mériteraient de faire l’objet d’une analyse approfondie – forme de la proue, objets associés, motifs et décorations particuliers. La monnaie reproduite (fig. 2) montre ainsi un rostre en forme de tête d’animal associé d’une part à un animal marin figuré sur la coque (poisson, dauphin ?), et d’autre part à une palme et une étoile placées sur le pont du navire.
11Après Hadrien, le répertoire iconographique local s’enrichit de nouveaux types au cours de deux périodes particulières espacées de plusieurs décennies, d’abord entre Antonin et Commode, puis sous Trébonien Galle et Gallien. Il faut cependant reconnaître que ce répertoire demeure limité voire même pauvre comparé aux cités voisines de Thrace comme Périnthe ou Byzance par exemple. À côté du type à la proue, les types les mieux représentés sont Marsyas (fig. 3) qui incarne la libertas des communautés de droit romain (municipes, colonies) et Diane-Artémis (fig. 4) qui semble être une divinité jouissant d’une considération locale importante.
Fig. 3. — Coela, Philippe l’Arabe (RPC VIII, 277 – AE, 24 mm, 6,36 g). Solidus. Online Auction 11, 14 janv. 2017, lot 168 [© CoinArchives.com].
Fig. 4. — Coela, Gallien (AE, 22 mm, 5,51 g). Numismatik Naumann 57, 3 sept. 2017, lot 371 [© CoinArchives.com].
- 10 Sous Hadrien, ce type rare n’est attesté qu’à deux exemplaires pour de très petites dénominations d (...)
12Le génie du municipe (fig. 5a-b), présent à huit reprises, demeure un type rare réservé aux monnaies de grand module (ou « médaillons ») entre Commode et Sévère Alexandre10.
Fig. 5a. — Coela, Septime Sévère (AE, 32 mm, 15 g). CNG. Electronic Auction 332, 6 août 2014, lot 170 [© CoinArchives.com].
Fig. 5b. — Coela, Gallien (AE, 24 mm, 6,36 g). Solidus. Online Auction 14, 22 avril 2017, lot 271 [© CoinArchives.com].
13Le génie figure torse nu, l’épaule couverte ou non, de face et tourné vers la gauche. Il tient dans la main gauche une corne d’abondance et dans la main droite la statue d’une divinité féminine drapée dont l’identification n’est pas assurée dans les notices des corpus scientifiques ou de catalogues de ventes aux enchères. Tantôt la statue n’est pas identifiée – simple point d’interrogation ou cult-statue ou simulacrum, tantôt elle est présentée comme une figuration de la tyché. Il n’est pas simple de trancher la question dans la mesure où l’image est souvent mal conservée et peu lisible sur les exemplaires parvenus jusqu’à nous. Néanmoins, sur les grands modules attestés sous Commode, Septime Sévère (fig. 5a) et Sévère Alexandre (et Gallien dans une moindre mesure – fig. 5b), la divinité représentée, du fait de l’absence d’attributs caractéristiques comme une corne d’abondance, une patère ou un gouvernail ne correspond en rien à une tyché. Elle porte une coiffure haute très particulière, tient dans sa main un objet indéterminé et adopte une posture hiératique qui n’est pas sans rappeler des représentations statuaires archaïques.
14Cette représentation trouve un parallèle très proche dans la statue tenue par Athéna Ilias sur des revers monétaires contemporains frappés sur des bronze d’Ilion (fig. 6), ville située à quelques dizaines de kilomètres de Coela à vol d’oiseau, de l’autre côté des Détroits.
Fig. 6. — Ilion, Gordien III (RPC VII-1, 38 – AE, 20 mm, 4,54 g). Pecunem-Gitbud & Naumann 20, 3 août 2014, lot 423 [© CoinArchives.com].
- 11 Des concours locaux appelés Smintheia sont attestés à Coela dans une seule inscription mise au jour (...)
15La divinité en question est une représentation simplifiée du Palladium archaïque. Aussi, compte tenu de l’importance dudit Palladium à l’échelle régionale en lien avec la mémoire locale de la guerre de Troie, compte tenu également du fait que Coela s’insérait dans le réseau des cités troyennes pour l’organisation de concours11, compte tenu enfin du fait que l’iconographie des communautés de droit romain empruntait beaucoup, via les origines mythiques de l’Vrbs, aux mythes troyens (en témoigne le type avec Énée, Ascagne, Anchise tenant le Palladium, apparu à Coela sous Gallien), il convient de voir dans cette statue tenue par le genius municipii une représentation du Palladium dans une forme empruntée certainement au répertoire iconographique traditionnel d’Ilion.
16Les dernières séances ont permis d’établir des liens très étroits entre les séries frappées par Coela sous Trébonien Galle et Gallien avec celles émises dans l’important atelier régional d’Alexandrie de Troade à la même époque. Deux parallèles méritent d’être signalés.
- 12 U. Laffi, « La colonia augustea di Alessandria di Troade », dans G. Salmeri, A. Raggi, A. Baroni (é (...)
- 13 Roman Provincial Coinage. Volume IX. From Decius to Uranius Antoninus (AD 249-253). 2 t., A. Hostei (...)
- 14 RPC IX, 165-166 pour Coela et RPC IX, 419 pour Alexandrie de Troade.
17Le premier porte sur des rapprochements dans le style des portraits et dans la forme de la titulature du prince, en latin dans les deux ateliers puisqu’Alexandrie de Troade est une colonie romaine de fondation augustéenne12. De part et d’autre des détroits, les deux ateliers (fig. 7 et 8) partagent seuls une forme abrégée de titulature qui est la suivante : Imp Vib Treb Gallus Au13 ou Imp Vib Trib (sic) Gallus Au14. L’Auguste principal est figuré dans les deux villes dans un style de portrait très similaire – forme du visage, traitement de la couronne de laurier (lemnisques) et de la chevelure, etc.
Fig. 7. — Coela, Trébonien Galle (RPC IX, 166 – AE, 26 mm, 8,79 g). Numismatik Naumann 62, 4 fév. 2018, lot 403 [© CoinArchives.com].
Fig. 8. — Alexandrie de Troade, Trébonien Galle (RPC IX, 435 – AE, 23 mm, 6,41 g). Leu Numismatik. Web Auction 10, 7 déc. 2019, lot 787 [© CoinArchives.com].
18Le second parallèle concerne des similitudes stylistiques prononcées dans l’effigie de Gallien durant son règne seul, entre 260 et 268 apr. J.-C (non illustré). Comme pour Trébonien Galle, il semblerait qu’un même graveur ait réalisé pour chaque ville le portrait du prince avec des éléments communs très caractéristiques comme la forme du buste, le traitement naïf des yeux écarquillés ou du cou disproportionné, ou encore les maladresses dans la gravure des lettres.
- 15 K. Kraft, Das System der kaiserzeitlichen Münzprägung in Kleinasien, Berlin, 1972, p. 43 (pl. 50, 1 (...)
19Ces rapprochements s’observent à une époque où l’iconographie monétaire de Coela change tout en accompagnant des transformations métrologiques bien attestées (cf. fig. 1). En conclusion, fort d’un constat qu’il conviendrait d’étendre à d’autres ateliers comme ceux de Parium ou de Cyzique, on peut s’interroger sur l’émergence d’une zone monétaire commune dans la région des Détroits dans les années 251-268, avant l’installation d’un atelier impérial à Cyzique en 268 qui, en lieu et place des petits bronzes civiques locaux, produit à grande échelle des antoniniens de billon argenté très dévalués15.
II. Le principat de Trajan Dèce (249-251) : numismatique et histoire
- 16 H. Mattingly, E. A. Sydenham, C. H. V. Sutherland, Roman Imperial Coinage, IV-3. Gordian III to Ura (...)
- 17 Sur le principat de Trajan Dèce, on consultera en particulier la troisième édition de l’ouvrage sui (...)
20Le second thème abordé en 2018-2019 a concerné les émissions impériales frappées sous le principat de Trajan Dèce entre 249 et 251 dans les ateliers de Rome et d’Antioche. Ce travail de reprise des classements du vieux Roman Imperial Coinage IV-3 paru en 194916 vise à servir de socle documentaire à l’écriture d’une monographie consacrée à ce prince et plus généralement à la période du milieu du iiie siècle qui voit l’Empire romain basculer dans une série de graves crises militaires, politiques et monétaires17. L’entreprise doit conduire à la rédaction d’une biographie de ce prince, mais en prenant pour documentation principale la monnaie impériale et provinciale, en la confrontant d’abord avec le témoignage des inscriptions et des papyrus puis celui des auteurs antiques. En somme, il s’agit de renverser les perspectives et d’aborder la documentation en suivant le cheminement inverse habituellement parcouru par les historiens de la période qui privilégient en premier lieu les textes et convoquent en dernier recours – souvent de manière purement illustrative – les monnaies.
- 18 Les classements du monnayage de Trajan Dèce ont été établis par les auteurs du RIC à partir de deux (...)
- 19 Milan doit être exclu comme l’a démontré K. J. J. Elks, « Reattribution of the Milan Coins of Traja (...)
21Le monnayage de Trajan Dèce peut en effet être réévalué à la lumière de découvertes importantes et de travaux récents. Frappé à Rome et Antioche de Syrie – l’atelier de Milan doit être exclu, c’est un monnayage abondant dans les trois métaux (or, argent, « bronze ») qui n’est jamais explicitement daté par les consulats ou les puissances tribuniciennes, ce qui en rend le classement parfois difficile18. Si les monnaies d’Antioche sont reconnaissables par les numéros des officines signalés à la base des bustes des droits sous forme de chiffres ou de globules, ce n’est pas le cas des séries frappées à Rome19. Il convient dès lors de se fonder d’une part sur l’analyse des dépôts et d’autre part sur l’examen minutieux des types et des légendes afin de surmonter ces problèmes.
22Pour résumer les leçons du séminaire et sans entrer dans les détails (en attendant la parution de l’ouvrage mentionné supra), ont été abordées successivement des questions :
- de chronologie à travers l’étude de la titulature du prince au début de son principat (C. Messius Quintus Decius devient C. Messius Quintus Decius Traianus puis C. Messius Quintus Traianus Decius, entre l’été et le mois de décembre 249) ;
- de classement des premières émissions de Rome en or et en argent à la légende Imp Traianus Decius Aug et en bronze à la légende Imp Caes C Mess Q Decio Trai Aug / Imp Caes C Mess Trai Q Decio Aug (fig. 9) ;
- de classement des émissions de l’atelier d’Antioche, en comparant monnaies impériales et provinciales (antoniniens du RIC IV-3 et tétradrachmes du RPC IX), en particulier les marques d’officines communes aux deux espèces ;
- d’iconographie enfin, à travers l’analyse des bustes exceptionnels qui figurent au droit des monnaies de Trajan Dèce (buste lauré et cuirassé vu de trois quart en avant avec pan de paludamentum sur l’épaule gauche – fig. 9) et l’examen minutieux des séries de l’Augusta Herennia Etruscilla dont style de coiffure change soudainement entre les premières et les dernières émissions, passant d’un buste diadémé (avec stéphané) caractérisé par des cheveux lisses et plats à un buste également diadémé mais associé à des cheveux ondulés (fig. 10a et 10b).
Fig. 9. — Rome, Trajan Dèce (RIC IV-3, 103 – AE, 28 mm, 15,19 g). Gadoury. Online Auction 10, 2 oct. 2018, lot 207 [© CoinArchives.com].
Fig. 10a. — Rome, Herennia Etruscilla (RIC IV-3, 58 – Au, 20,5 mm, 4.,78 g). Nomos AG 19, 17 nov. 2019, lot 319 [© CoinArchives.com].
Fig. 10b. — Rome, Herennia Etruscilla (RIC IV-3, 59 – Au, 20 mm, 4,23 g). Numismatica Ars Classica 102, 24 oct. 2017, lot 547 [© CoinArchives.com].
- 20 La série AN XI (sept. 249-sept. 250 ?) de Viminacium comprend les monnaies RPC IX, 1-8 pour Dèce et (...)
23Dans ce dossier enfin, des rapprochements entre monnayages impériaux et provinciaux ont pu être opérés, ce qui a permis d’apporter des corrections de détail aux notices du catalogue des monnaies de l’atelier de Viminacium20.
Notes
1 Programme international de coopération scientifique (PICS) du CNRS intitulé « La régions des Détroits aux iiie-ive s. p.C. (D3) – 2019-2021) », consacré à l’étude numismatique et archéologique de la région des détroits entre Europe et Asie (en collaboration avec Z. Çismeli Öğün de l’université d’Ankara).
2 Pomponius Mela, Chorographie, II, 26 (éd. CUF, A. Silberman) : … est et portus Coelos, Atheniensibus et Lacedaemoniis navali acie decernentibus Lacomicae classis signatus excidio ; … ; Pline, IV, 49 (éd. CUF, H. Zenacker et A. Silberman) : Dein petenti Melana sinum portus Coelos et Panhormus et supra dicta Cardia ; Ammien Marcelin, XXII, 8, 4 (éd. CUF, J. Fontaine) : …exin Hellespontum a Rhodopa scindens, Cynossema, ubi sepulta creditur Hecuba, et Coelan praeter labitur et Seston et Callipolin.
3 On lira avec profit les relations et rapports de M. G. F. A. de Choiseul-Gouffier, Voyage pittoresque dans l’Empire ottoman, en Grèce, dans la Troade, les îles de l’Archipel et sur les côtes de l’Asie Mineure, 4 vol., Paris, 1842 (2e éd. augm.) ; A. Hauvette-Besnault, « Sur quelques villes anciennes de la Chersonnèse de Thrace », BCH, 4 (1880), p. 505-520, et C. Picard, A. J. Reinach, « Voyage dans la Chersonèse et aux îles de la mer de Thrace », BCH, 36 (1912), p. 275-352.
4 J. Krauss, Die Inschriften von Sestos und der thrakischen Chersones, Bonn, 1980 (= Inschriften griechischer Städte aus Kleinasien-IK, 19) et P. Frisch, Die Inschriften von Ilion, Bonn, 1975 (= Inschriften griechischer Städte aus Kleinasien-IK, 3).
5 Sur l’histoire de Coela et de sa région, voir : A. Stein, Römische Reichsbeamte der Provinz Thracia, Sarajevo, 1920 ; E. Oberhummer, « Koila », dans RE, XI-2, Stuttgart, 1921, col. 1048-1049 ; L. Robert, « IV. Villes de la Chersonèse et de Thrace », dans Hellenica. V. Recueil d’épigraphie et de numismatique et d’antiquités grecques, Paris, 1948 ; S. Demougin, X. Loriot, « D’une Chersonèse à l’autre », ZPE, 151 (2005), p. 225-234 ; R. Ivanov, G. von Bülow, Thracia. Eine römische Provinz auf der Balkanhalbinsel, Mayence, 2008 ; J. Tzvetkova, History of the Thracian Chersonese (From the Trojan War Until the Time of the Roman Conquest, Veliko Tărnovo, 2008 [en bulgare, avec résumé en anglais] ; A. Külzer, « Die thrakische Chersones als Geschichts- und Wirtschaftsraum in frühbyzantinischer Zeit », dans M. H. Sayar (éd.), Eleventh International Congress of Thracology, Istanbul, 8th–12th November, 2010, Istanbul, 2016, p. 407-424.
6 Communication orale donnée à l’occasion d’une conférence intitulée « Actualité de la recherche sur la Troade et les régions voisines à l’époque romaine » qui s’est tenue à l’INHA (Paris) le 18 novembre 2019.
7 Sur l’histoire administrative de la Thrace, on lira A. Stein, Römische Reichsbeamte der Provinz Thracia, Sarajevo, 1920 et S. Demougin, X. Loriot, « D’une Chersonèse à l’autre », ZPE, 151 (2005), p. 225-234.
8 En plus des monnaies publiées dans les différents volumes du RPC, il faut se contenter pour l’époque sévérienne de l’ouvrage de I. Varbanov, Greek Imperial Coins And Their Values, III. Thrace (from Perinthus to Trajanopolis), Chersonesos Thraciae, Insula Thraciae, Macedonia, Bourgas, 2007, très utile même s’il comporte de nombreux défauts (oublis, erreurs de lecture).
9 Ce municipe de droit romain constitue certes un îlot de romanité dans un environnement hellénophone. Pour autant, les légendes monétaires montrent que dès les origines, la pratique du latin par les commanditaires des émissions et par les graveurs n’est pas correctement maîtrisée, ou du moins très contaminée par les pratiques du grec. Le phénomène peut être illustré par deux exemples : Hadrien est appelé imp caesar trai-an hadrianοs sur l’une des premières monnaies frappées par la cité (RPC III, 757A), tandis que l’empereur Gallien est nommé gallih (exceptionnellement gallien) dans les dernières séries des années 260.
10 Sous Hadrien, ce type rare n’est attesté qu’à deux exemplaires pour de très petites dénominations de 12 mm pour c. 2 g. (cf. RPC III, 761). Sous Commode, il apparaît sur de moyens / grands modules très rares (RPC IV-1, 2050-2051 ; 15 g). Un médaillon est attesté sous Septime Sévère (cf. fig. 5a) et deux sous Sévère Alexandre (RPC VI-1, 703 de 35 mm et RPC VI-1, 706). Le génie apparaît ensuite sur des bronzes de moyen / petit module : sous Gordien III (RPC VII-2, 460 ; 24 mm, 6.36 g.), sous Philippe (RPC VIII, 27 ; 24 mm, 4.49 g.), sous Volusien (RPC IX, 171A, mais il est aussi figuré dans le temple des monnaies RPC IX, 164, 164A et 169), et enfin dans des séries attestées sous Gallien (cf. fig. 5b).
11 Des concours locaux appelés Smintheia sont attestés à Coela dans une seule inscription mise au jour à Ilion et publiée dans IK 3, no 125.
12 U. Laffi, « La colonia augustea di Alessandria di Troade », dans G. Salmeri, A. Raggi, A. Baroni (éd.), Colonie romane nel mondo greco, Rome, 2004, p. 155-164.
13 Roman Provincial Coinage. Volume IX. From Decius to Uranius Antoninus (AD 249-253). 2 t., A. Hostein, J. Mairat et alii éd., Londres, Paris 2016 (= RPC IX), 67 pour Coela et RPC IX, 411 pour Alexandrie de Troade.
14 RPC IX, 165-166 pour Coela et RPC IX, 419 pour Alexandrie de Troade.
15 K. Kraft, Das System der kaiserzeitlichen Münzprägung in Kleinasien, Berlin, 1972, p. 43 (pl. 50, 18-23), avait déjà observé l’existence d’une zone monétaire entre Dèce et Gallien dans la région des Détroits autour d’Alexandrie de Troade sans pour autant en préciser les limites ni la chronologie fine. Sur l’ouverture de l’atelier impérial de Cyzique et les dernières séries civiques en 268, voir J. Mairat, « L’ouverture de l’atelier impérial de Cyzique sous le règne de Claude II le Gothique », Revue numismatique, 163 (2007), p. 175-196.
16 H. Mattingly, E. A. Sydenham, C. H. V. Sutherland, Roman Imperial Coinage, IV-3. Gordian III to Uranius Antoninus, Londres, 1949 (= RIC IV-3). Sur la période, on lira avec profit J.-P. Callu, La politique monétaire des empereurs romains de 238 à 311, Paris, 1969.
17 Sur le principat de Trajan Dèce, on consultera en particulier la troisième édition de l’ouvrage suivant : D. Kienast, avec la collaboration de W. Eck, M. Heil, Römische Kaisertabelle, Darmstadt, 2017.
18 Les classements du monnayage de Trajan Dèce ont été établis par les auteurs du RIC à partir de deux dépôts (Plevna et Dorchester) : H. Mattingly, F. S. Salisbury, « A Find of Roman Coins from Plevna in Bulgaria », NC, 1924, p. 210-238 et H. Mattingly, « The Great Dorchester Hoard of 1936 », NC, 1939, p. 21-61. Les analyses du trésor de Nanterre par P. Le Gentilhomme n’ont pas été prises en compte alors même qu’elles auraient permis d’améliorer le catalogue : P. Le Gentilhomme, « La trouvaille de Nanterre », Revue numismatique, 5e série, 9 (1946), p. 15-114.
19 Milan doit être exclu comme l’a démontré K. J. J. Elks, « Reattribution of the Milan Coins of Trajan Decius to the Rome Mint », Numismatic Chronicle, 12 (1972), p. 111-115 (et avant lui P. Le Gentilhomme ; cf. la note précédente). Néanmoins, dans plusieurs travaux récents et dans le RIC en ligne (http://numismatics.org/ocre/), cette correction n’est toujours pas intégrée.
20 La série AN XI (sept. 249-sept. 250 ?) de Viminacium comprend les monnaies RPC IX, 1-8 pour Dèce et les siens. RPC IX, 6 pour Herennius Etruscus avec la titulature Q Her Etr Mes Decius Nob n’est attesté que par un seul exemplaire (SNG Budapest 437). Or, compte tenu de l’état de conservation de la monnaie, il est possible qu’à l’exergue n’apparaissent que les lettres « An XI » pour « An XII ». Cette idée est corroborée par le fait que dans l’atelier Provincia Dacia qui fonctionne au diapason avec celui de Viminacium, il n’y a aucune monnaie au nom d’Herennius Etruscus pour l’An IV (= An XI de Viminacium). La notice RPC IX, 6 doit donc être supprimée. Quant aux séries pour Herennia Etruscilla avec la titulature Her Etruscilla Aug (RPC IX, 4/5), tous les exemplaires attestés sont à chevelure plate sauf RPC IX, 4/3 de Paris de lecture incertaine à l’exergue et au style proche des séries An XII, et RPC IX, 4/8 conservée à Vienne, très abimée. Fort de ce constat, il convient de retirer ces exemplaires de la notice RPC IX, 4.
Haut de pageTable des illustrations
Légende | Fig. 2. — Coela, Marc Aurèle (RPC IV-1, no temp 2045 – AE, 18 mm, 2,63 g). CNG. Electronic Auction 443, 1er mai 2019, lot 218 [© CoinArchives.com]. |
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URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/docannexe/image/3696/img-1.jpg |
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Légende | Fig. 3. — Coela, Philippe l’Arabe (RPC VIII, 277 – AE, 24 mm, 6,36 g). Solidus. Online Auction 11, 14 janv. 2017, lot 168 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 132k |
Légende | Fig. 4. — Coela, Gallien (AE, 22 mm, 5,51 g). Numismatik Naumann 57, 3 sept. 2017, lot 371 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 106k |
Légende | Fig. 5a. — Coela, Septime Sévère (AE, 32 mm, 15 g). CNG. Electronic Auction 332, 6 août 2014, lot 170 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 200k |
Légende | Fig. 5b. — Coela, Gallien (AE, 24 mm, 6,36 g). Solidus. Online Auction 14, 22 avril 2017, lot 271 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 128k |
Légende | Fig. 6. — Ilion, Gordien III (RPC VII-1, 38 – AE, 20 mm, 4,54 g). Pecunem-Gitbud & Naumann 20, 3 août 2014, lot 423 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 90k |
Légende | Fig. 7. — Coela, Trébonien Galle (RPC IX, 166 – AE, 26 mm, 8,79 g). Numismatik Naumann 62, 4 fév. 2018, lot 403 [© CoinArchives.com]. |
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Légende | Fig. 8. — Alexandrie de Troade, Trébonien Galle (RPC IX, 435 – AE, 23 mm, 6,41 g). Leu Numismatik. Web Auction 10, 7 déc. 2019, lot 787 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 123k |
Légende | Fig. 9. — Rome, Trajan Dèce (RIC IV-3, 103 – AE, 28 mm, 15,19 g). Gadoury. Online Auction 10, 2 oct. 2018, lot 207 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 135k |
Légende | Fig. 10a. — Rome, Herennia Etruscilla (RIC IV-3, 58 – Au, 20,5 mm, 4.,78 g). Nomos AG 19, 17 nov. 2019, lot 319 [© CoinArchives.com]. |
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Fichier | image/jpeg, 97k |
Légende | Fig. 10b. — Rome, Herennia Etruscilla (RIC IV-3, 59 – Au, 20 mm, 4,23 g). Numismatica Ars Classica 102, 24 oct. 2017, lot 547 [© CoinArchives.com]. |
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Pour citer cet article
Référence papier
Antony Hostein, « Histoire monétaire du monde romain », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 141-149.
Référence électronique
Antony Hostein, « Histoire monétaire du monde romain », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3696 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3696
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