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AccueilNuméros151Résumés des conférencesEcdotique des textes latins antiques

Résumé

Programme de l’année 2018-2019 : I. Méthodologie de la critique et de l’édition des textes complets et fragmentaires, des textes de tradition directe et de tradition indirecte, des textes transmis sur rouleau de papyrus, codex, pierre, etc. — II. Des conséquences de l’« acriticisme » sur les recherches en histoire, littérature, religion et philosophie. — III. Histoire du concept d’editio vere critica et de ses incarnations. — IV. Exercices critiques : auteurs et textes variés, en fonction aussi des intérêts et demandes des auditeurs.

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Texte intégral

  • 1 C’est surprenant si l’on songe que le premier volume du Martial révolutionnaire de Schneidewin, con (...)
  • 2 Sa biographie de Mozart fit date. Rappelons les pages novatrices de l’édition de Perse de 1843 rela (...)
  • 3 « Der Text des Persius », RhM, 41, 1886, p. 454 = Kleine Schriften von F. B., III, Leipzig, 1930, p (...)
  • 4 « I dati da cui io credo si debba partire sono quattro: 1) P è in molti casi unico latore di lezion (...)
  • 5 Quod in ed. Putsch. Prisciani legitur – les éditeurs d’aujourd’hui ignorent cette observation de Ja (...)
  • 6 « Articulis, interroge Lucarini 2011, p. 223, come può essere coordinato a cute? La posizione di et(...)
  • 7 J. N. Adams, The Latin Sexual Vocabulary, Baltimore, 1982, p. 115 semble ignorer bulbos et considèr (...)

1Nous avons consacré l’essentiel des séances à l’œuvre géniale et sous-estimée de Perse. A. E. Housman, dans sa célèbre édition provocatrice de Juvénal (Londres, 19051 ; Cambridge, 19312, p. xxviiii), remarque que ce poète n’a jamais été – jusqu’à lui, s’entend – édité par un critique de premier ordre. Cela est vrai, encore aujourd’hui, de Perse. Si le jeune satiriste de Volterra bénéficie d’une tradition plutôt très bonne de commentaire exégétique qui va de l’Antiquité à – pour ne nommer que les travaux les plus considérables – Walter Kissel (Heidelberg, 1990, 884 pages, incluant une édition critique et une traduction) en passant par Isaac Causaubon (Paris, 1605) et Otto Jahn (Leipzig, 1843, avec édition critique encore indispensable des poèmes, de la Vie et des scholies, le tout précédé par une longue et souvent admirable introduction), il s’en faut que la critique verbale de Perse soit à la hauteur de la tradition exégétique. Ce fait s’explique par la constatation que formule Housman et par la concentration non exclusive mais prépondérante des commentateurs sur le fond civilisationnel ou culturel et les difficultés de compréhension immédiates indépendantes de toute corruption verbale. Puisque Jean le Lydien (de mag., 1,41) établit un parallèle entre l’obscurité de Perse et celle de Lycophron, on ne m’en voudra pas de remarquer que Perse n’a pas eu la bonne fortune d’être édité par un philologue aussi rigoureux et pénétrant que l’éditeur de Lycophron Eduard Scheer (1881) : cette bonne fortune est, il est vrai, pour ainsi dire compensée par la grande faiblesse des éditeurs et commentateurs postérieurs de l’Alexandra en matière de critique verbale. L’obscurité réelle ou prétendue sert, dans le cas des deux poètes et plus largement, de prétexte au nonchaloir des critiques. L’histoire de l’ecdotique de Perse présente un intérêt spécial. La première édition critique, celle de Jahn, dédicacée à Karl Lachmann, dont la première édition de Lucrèce date de 1850, énumère, sans les classer et sans s’expliquer là-dessus1, de nombreux manuscrits et en reporte les leçons connues de lui. Le philologue, archéologue, historien de l’art et musicologue2 d’avant-garde Jahn s’est montré prophète aussi du point de vue de l’ecdotique. En effet, depuis l’édition oxonienne de Wendell Clausel (19591, 19922) et jusqu’à la Teubneriana de Kissel (2007) non comprise, on abandonnait, au profit d’une conception de la tradition textuelle « ouverte » et insusceptible de stemmatisation, les vues qu’adoptait Jahn dans son édition berlinoise de 1868 (chez Weidmann) et auxquelles se ralliaient Franz Bücheler et, avec un début sérieux d’ébranlement de la doctrine, Friedrich Leo, dans leurs révisions respectives de l’édition de Jahn (Bücheler, 1886 et 1893 ; Leo, 1910). Selon Jahn et Bücheler, la tradition se ramène à deux recensions antiques, d’un côté le texte réputé « durch Grammatikerhand gehüteten, korrekt geschriebenen und schon hierdurch sich einschmeichelnden Text der Pithou’schen Handschrift P [s. IX1] »3, de l’autre la recension prétendument « sabinienne » α, c’est-à-dire la source des mss. A (Montpellier 212, s. X1) et B (Vatican, Arch. S. Pietro H. 36, s. IX ex.). Housman (CR, 17, 1903, p. 389 = Classical Papers, Cambridge, 1972, p. 602) ne professe pas une autre doctrine : « The two authorities which preserve him, P on the one hand and AB on the other, are both exceedingly corrupt, yet each so well repairs the deficiencies of its rival that emendation is hardly required ». P n’est plus qu’un manuscrit contaminé dans le stemma révolutionnaire de Kissel 2007 : ce stemma n’a pas convaincu C. M. Lucarini, Gnomon, 83, 2011, p. 216-222, qui lui en substitue un autre, également bifide, mais contre-révolutionnaire et plus plausible. Lucarini y maintient le primat, mais non exclusif, de P, qui redevient un témoin non contaminé, et de AB4. Le choix de la variante ueri specimen en 5,105, où l’on verra notre note, illustre la dégradation du statut de P chez Kissel. D’un autre côté, le pourfendeur du culte du « bon manuscrit » qu’est Housman critiquait à juste titre la préférence mécaniquement donnée à P, phénomène qui, nous le verrons, laisse des traces encore aujourd’hui et atteignit chez François Villeneuve, auteur d’une édition commentée (Paris, 1918, chez Hachette) qui, malgré ses faiblesses, ne fait pas honte à l’érudition française, une dimension presque comique. Plus d’une fois, en effet, Villeneuve adopte et défend dans l’appareil critique la leçon de P tandis qu’il plaide dans le commentaire pour la leçon de l’autre tradition. « Persius is not difficult to edit », écrit Housman. En 1903, il présentait la justement célèbre correction par Madvig de auriculis (1,235) en articulis comme « the only certain emendation ever made in the text of Persius »6. Je gage que les éditeurs contemporains ajouteraient au moins bulbos de W. Richter (WS, 78, 1965, p. 153-154) pour uuluas (4,36)7. Voilà qui secoue l’absurde dogme de Bücheler (1886), selon qui il n’y a pas d’autre source d’amélioration du texte de Perse que la tradition (manuscrite). L’audace rimbaldienne et la truculence célinienne du satiriste ainsi que son allusivité et l’ignorance où nous pouvons être des réalités auxquelles elle renvoie incitent à la prudence mais ne sauraient interdire la critique conjecturale. Indépendamment de cette dernière, même l’exégèse, parfois en régression par rapport à Jahn, et la distinction ainsi que l’identification, notoirement difficiles chez Perse, des locuteurs peuvent encore progresser. Je n’indique les leçons des mss. des Satires que dans les passages que je juge problématiques, en me limitant, quand je peux le faire, aux traditions censément représentées, plus ou moins imparfaitement, par P et α.

21,96

« Arma uirum » ! Nonne hoc spumosum et cortice pingui,     96

ut ramale uetus uegrandi subere coctum ?

  • 8 Villeneuve 1918 trouve que spumosum « s’applique bien à la surface du liège brut, rugueuse et percé (...)
  • 9 On ne fera pas valoir en faveur de rugosum le rapprochement étymologique (A. Fick) entre suber et σ (...)
  • 10 Les témoins disponibles (P omet les choliambes) ont credas, qui fait difficulté (cf. par exemple Lu (...)

3« Arma uirum ! Ce à quoi tu te réfères n’est-il pas écumeux et d’écorce épaisse, comme une vieille branche desséchée sous l’exorbitance du liège ? ».J. C. F. Meister, Ueber Persius Sat. I. V. 92-106, programme de Francfort-sur-l’Oder, 1801, p. 21-42, suivi par Jahn 1843, p. 104-105, a le premier compris le sens du subtil passage. L’idée est que le cortex, autrement dit suber, assèche l’intérieur et tue l’arbre ; Jahn traduit bien la métaphore ainsi : nimio illo studio orationem ornandi numerosque expoliendi ipsa uis poetica deletur. À la différence de Kissel 1990, p. 231-232 et de tant d’interprètes, je crois avec Meister et Jahn que hoc se rapporte non à Arma uirum mais à la dictio des citations précédentes et que le locuteur ne blâme pas Virgile : au contraire, l’exclamation Arma uirum est une manière de prendre Virgile à témoin contre les poètes cités. La métaphore du liège, correctement comprise, ne s’applique bien qu’à leur écriture : je vois là, en faveur de l’explication de Meister, un fait non moins indéniable que capital. Spumosum peut s’intégrer dans le cadre de l’explication ici acceptée en désignant l’écume comme une effervescence superficielle qui retombe, mais le passage à la métaphore végétale est d’une brutalité surprenante (donc authentique, diront d’aucuns !)8 : une épithète introduisant cette métaphore semblerait la bienvenue. On trouve dans l’apparat de Jahn 1843 la variante spinosum, qui est aussi une conjecture purement « paléographique » publiée en 1928 (cf. Kissel 1990, p. 238 n. 417), et la conjecture rugosum9, qui fait carrément contresens. Pline, nat. hist., 16,126 évoque le cortex carnosus du liège (cf. TLL III 480,43-50). Chez Perse carnosum, que je suggère, ferait, en sus de sa pertinence sémantique, avec cortice une allitération d’un genre (cf. « prologus », 13-14, coruos poetas et poetridas picas | cantare cernas10 Pegaseium nectar ; 1,39, fortunataque fauilla | ; 5,191, curto centusse licetur |) que ne dédaigne pas le satiriste, en bon imitateur de Lucilius et du style allitérant des poètes de la latinité archaïque. Perse serait le premier poète classique à utiliser carnosus, ce qu’aucun connaisseur de ce satiriste ne fera valoir contre cette conjecture. Muscosum, adjectif qu’emploient Catulle et Virgile, serait matériellement plus proche de spumosum mais semble moins approprié, quoiqu’on puisse faire valoir qu’il s’inscrit dans le registre végétal mis en œuvre par le poète.

41,106

……………………….. Summa delumbe saliua

  • 11 La ponctuation hoc natat, in labris et in udo est (Morton Braund) est, entre autres défauts, contra (...)

hoc natat in labris, et in udo est11 Maenas et Attis     105

nec pluteum caedit nec demorsos sapit unguis.

« Sed quid opus teneras mordaci radere uero

auriculas ?………………………………………….

  • 12 Voir par exemple G. Liberman, Les préliminaires de la guerre. Prolégomènes à la lecture du premier (...)

5Le latin dit rodere unguis (cf. 5,162-163, unguem | arrodens ; « commentum Cornuti » à notre passage, p. 40 Clausen-Zetzel, ungues corrodant) et, de surcroît, Perse, qui est tout plein d’Horace, a en tête sat., 1,10,71, uiuos et roderet unguis (cité dans le « commentum Cornuti » ; tout le passage d’Horace est à rapprocher de celui de Perse). Le lapsus calami présumé demorsos paraît être une faute par anticipation de mordaci (v. 107) et la conjecture de N. Heinsius (Adversariorum libri IV, Harlingen, 1742, p. 682, avec illustration de la phraséologie) derosos, que les éditeurs ne citent plus, a cependant de bonnes chances d’être juste, même si Quintilien ou ses manuscrits (inst. or., 10,3,21) et le commentaire de Porphyrion (p. 242 Meyer von Speyer) au passage d’Horace citent Perse avec la leçon demorsos. Si Quintilien lui-même lisait demorsos, voilà, je suppose, un bel exemple de faute ancienne : il n’y aurait là rien de surprenant12.

62,10

illa sibi introrsum et sub lingua murmurat : « o si     10

ebulliat patruus, praeclarum funus ! »…………..

  • 13 Ce que n’est guère Kissel : voir plus bas à 5,106. À la suite de Pasquali 1920, p. 297-305, il défe (...)
  • 14 Il renvoie au commentaire de E. Norden (Berlin, 19031, p. 130, à aen., 6,33, protinus omnia [clausu (...)
  • 15 Pasquali vitupère l’hypothèse totalement aberrante qui voit dans ebullit une forme de subjonctif pa (...)

7Kissel 1990 cite en faveur de la scansion trisyllabique de ebulliat (leçon de P avant biffure de la lettre a) la scansion pentasyllabique de Heliconiadas (prologus, 4), où il faut évidemment adopter la variante Heliconidas (cf. le texte et l’apparat de Clausen 1992 ad loc. ainsi que Pasquali 1920, p. 309 n. 2), et les banals pituita molossique (2,57) et tenuia dactylique. Il convient de remarquer que seule la consonantisation de u ou de i permettait d’utiliser pituita et tenuia dans l’hexamètre dactylique. Kissel ne craint pas d’invoquer aussi l’usuel deinde trochaïque (4,8 et 5,143), qui relève d’un phénomène différent. Un expert en prosodie13, L. Müller, De re metrica poetarum Latinorum, Petersburg et Leipzig, 18942, p. 299, rejette avec raison la scansion trisyllabique de ebulliat qu’acceptent Pasquali 1920, p. 302 n. 114, R. A. Harvey, A Commentary on Persius, Leyde, 1981, p. 59-60, ainsi que Kissel et les autres éditeurs de Perse. Il ne saurait être question d’accepter l’indicatif ebullit (α), que doivent faire rejeter le sens et le subjonctif crepet au v. 1115. Je rejette l’hypothèse que mentionne L. Müller en premier, à savoir ebuliat choriambique, pour lequel il invoque de fausses analogies. Mais, puisque bullare existe dans le même sens que bullire (cf. Neue-Wagener, Formenlehre der lateinischen Sprache3, III, Berlin, 1897, p. 291), l’équation bullire / bullare : ebullire / ebullare paraît possible et, même si ebullare n’est pas autrement attesté et que Perse emploie le simple bullire en 3,34, je considère le subjonctif ebullet (variante de plusieurs mss. dans l’apparat de Jahn 1843), « si l’oncle crevait comme une bulle », comme plus susceptible que ebulliat trisyllabique d’être la forme employée ici par Perse. Il y aura eu substitution de la forme courante à la forme rare et, dans α, correction de la forme tétrasyllabique.

82,26-27

An quia non fibris ouium Ergennaque iubente

triste iaces lucis euitandumque bidental,     27

idcirco stolidam praebet tibi uellere barbam

Iuppiter ?…………………………………..

  • 16 Sur l’exposition des bois sacrés à la foudre de Jupiter et l’expiation consécutive à cette dernière (...)
  • 17 Je lis son commentaire de Perse dans la troisième édition, Londres, 1647, p. 193.
  • 18 Même confusion présumée chez (entre autres) M. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, I, Mu (...)
  • 19 Voir K. Fetkenheuer, Die Rezeption der Persius-Satiren in der lateinischen Literatur, Berne, New Yo (...)
  • 20 Comparer Lucain, 8,864, inclusum Tusco uenerantur caespite fulmen (Thulin, p. 93-94) ; Varron, de l (...)
  • 21 Le lieu porte la marque de la faute humaine que punit la colère divine. L. Müller (Satiren und Epis (...)

9Les commentateurs de Perse (fors Casaubon) et les spécialistes des religions étrusque et romaine sont très diserts sur bidental et très discrets sur lucis. Rappelons que H. Usener, Keraunos. Ein Beitrag religiöser Begriffsgeschichte, Bonn, 1904, p. 22 a montré que bidental renvoie en réalité (Perse semble avoir pensé autrement, cf. fibris ouium discuté plus bas) non au sacrifice purificatoire d’une brebis bidens mais à la foudre bifide. Ici la foudre abat non un arbre, ce qui expliquerait lucis16, mais un homme. Perse vient d’évoquer le premier volet de l’évocation de l’impunité imaginaire de l’homme qu’il prend à parti : Ignouisse putas quia, cum tonat, ocius ilex | sulpure discutitur sacro quam tuque domusque ? (v. 24-25) ; se croirait-il donc innocent parce que la foudre touche l’arbre (cf. Horace, carm., 1,12,59-60, tu parum castis inimica mittes | fulmina lucis) ? Le second volet exprime en plein ou positivement ce que le premier dit en creux ou négativement : « crois-tu avoir permission de te moquer de Jupiter parce que tu n’as pas été foudroyé par lui ? ». Pourquoi lucis dans ce second volet ? Pourquoi l’homme foudroyé le serait-il dans un lucus ? Quia, suggère Casaubon17, saepe fulminantur lucorum arbores sacrae, mais cette explication ne semble pas le satisfaire tout à fait, puisqu’il en ajoute une autre, qui n’est certainement pas meilleure : uel dixit Persius « iacere in lucis » fulguritum, quia ille locus ubi occisus est sit « bidental », id est locus sacer. « Lucis, explique Harvey 1981, p. 64, is apparently related to ilex (24), the worshipper having been caught by a thunderstorm while in a forest (Conington) ». C’est un recyclage naïf de l’explication de Casaubon. Si lucis n’est pas fautif, c’est peut-être une plaisanterie qui repose sur une allusion à Horace : « crois-tu pouvoir te moquer de Jupiter parce que tu échappes à la foudre au milieu d’arbres abattus qui formaient des bois sacrés parum casti ? ». Le cas spécifique de l’homme foudroyé est relativement connu : voir par exemple les textes et travaux cités par Kissel 1990, p. 317-318. « Hierbei, écrit-il, wurden alle Spuren, die der Blitz in freier Landschaft hinterlassen hatte, also insbesondere die von ihm zerschmetterten Gegenstände bzw. Lebewesen, eingesammelt und in einem an der betreffendenden Stelle ausgehobenen, mit Mauerwerk eingefaßten Loch (Fest. p. 450,1-4 L.) vergraben ». Kissel confond des usages différents18, si Thulin 1906, p. 97-98 et 104-107, a raison de relever, en se fondant sur des restes archéologiques, que le « Blitzgrab » étrusque, dont il s’agit chez Perse, est une structure close non souterraine. On rapproche le passage très dense d’un admirateur et imitateur indubitables de Perse19, Sidoine Apollinaire, 9,191-192, nec quae fulmine Tuscus expiato | saeptum numina quaerit ad bidental. C’est non d’Horace, ars poet., 471-472, an triste bidental | mouerit incestus, mais de Perse que Sidoine est tributaire ; or Sidoine n’a pu inventer saeptum : saeptum20 correspond peut-être à un mot qu’il lisait dans le passage de Perse. Ce mot ne saurait guère se cacher que sous lucis, peut-être dû à la mention précédente de l’arbre abattu par la foudre (ilex) et au souvenir du lucis d’Horace. On songe au neutre pluriel saeptis, « tu gis dans un espace clos, devenu un point frappé de la foudre, point répulsif21 et à contourner ». Plus proche de lucis serait clusis, de clusa, clusorum (TLL III 1313,35-43). Si ma conjecture est juste, la phrase suivante de Thulin (p. 97) cesse d’être exacte : « Über die Form des bidental finden sich in den Texten nur ein einziges Zeugnis aus später Zeit, dass es nämlich, wie die griechischen ἐνηλύσια, eingefriedigt gewesen sei ».

  • 22 L’influence de luo, dérivé régressif tiré des composés du type abluo, est possible dans les passage (...)

10Le texte transmis comporte une autre difficulté, plus nettement justiciable de la critique conjecturale, iubente (v. 26), mot sur lequel les commentateurs de Perse et Thulin lui-même (p. 93) sont discrets. Quel est l’objet de cet ordre ? L’officiant ne peut être considéré comme l’initiateur du foudroiement. Morton Braund (cf. Harvey 1981, p. 63) entend « a dread object to be avoided by order of Ergenna and sheep’s entrails », mais il est étonnant que l’haruspice ait besoin d’interroger les fibrae ouium pour savoir s’il doit ordonner l’évitement du bidental. Ne s’agit-il pas plutôt pour l’officiant d’effectuer le sacrifice expiatoire rituel, destiné à la « procuration » du prodige, au moyen des entrailles de la brebis bidens (cf. 2,44-45, rem struere exoptas caeso boue Mercuriumque | arcessis fibra) ? Rapprocher, parmi les textes que cite Thulin (p. 93-95 et 104-105), fulmine expiato chez Sidoine ainsi que Nigidius Figulus, fr. 81 Swoboda et Legrand, bidental uocari, quod bimae pecudes immolentur ; le « commentum Cornuti », p. 54-55 C.-Z., bidental dicitur locus secundo (sacro texte conjectural de Jahn 1843) percussus fulmine, qui bidente ab aruspicibus consecratur, quem calcari nefas est ; differentiae Frontonis, VII, p. 523,24 Keil, bidental locus fulmine tactus et oue expiatus ; Apulée, de deo Socr., 7, Tuscorum piacula, fulguratorum bidentalia. Piante offrirait le sens adéquat, mais il faut un synonyme graphiquement plus proche de iubente : luente (cf. par ex. TLL VII,2 1843,25-28, 53-54 et 61-62 ; 1845,38-41). La même faute se trouve dans un passage d’Ammien qui illustre un autre emploi de luo, 17,10,9, si perfidum quicquam egisset, luenda (iubenda mss., corr. édition de S. Gelenius) sibi cruore supplicia, « satisfaire avec son sang à la peine capitale »22.

112,49-51

…………..« iam crescit ager, iam crescit ouile,

iam dabitur, iam iam… », donec deceptus et exspes    50

nequiquam fundo suspiret nummus in imo.

  • 23 C’est d’autant plus étonnant que Bücheler, « Der Text des Persius », p. 459 = Kleine Schriften, III (...)
  • 24 Allgemeine Schulzeitung, 1833, Abth. II Nr. 41., col. 328 (les indications de Jahn sont partielleme (...)
  • 25 Voir F. Solmsen, Untersuchungen zur griechischen Laut- und Verslehre, Strasbourg, 1901, p. 89.

12Si la véracité de cette allégation n’était pas facile à constater, on peinerait à croire qu’aujourd’hui éditeurs et traducteurs comprennent ainsi les derniers vers évoquant l’homme assez crédule pour risquer de se ruiner en sacrifices censés le rendre un jour plus riche : « jusqu’à ce que, sans illusion et sans espoir, une pièce soupire en vain au fond de son coffre ». Il me paraît peu douteux que le sens est « jusqu’à ce que, sans illusion et sans espoir, il soupire : “c’est en vain que j’ai vidé mon coffre” », exactement « c’est en vain qu’une <seule> pièce <reste> au fond de mon coffre ». Il faut donc ponctuer donec deceptus et exspes « nequiquam fundo » suspiret « nummus in imo ! ». Jahn 1843 comprenait bien le passage, Bücheler 1886 ne le comprend plus23. Le mérite de la bonne intelligence du texte revient en grande partie à un philologue lui-même fort connu, éditeur reconnu de Platon et excellent spécialiste de Perse, K. F. Hermann24, qui, contrairement aux indications de Jahn, rattache nequiquam à suspiret, interprétation non impossible (adoptée par Jahn 1868). Ce qui empêche absolument de faire de nummus le sujet de suspiret, c’est, outre le bon sens, le proverbe latin (Die Sprichwörter der Römer, n° 734 Otto), sera parsimonia in fundo est, « il est trop tard pour être parsimonieux quand on a atteint le fond » et le proverbe grec δειλὴ δ’ ἐν πυθμένι φειδώ (Hésiode, opera et dies, 369), « affreuse la parsimonie au fond (de la jarre) » (lire δείλη, « tardive », adjectif disparu25 ?). L’elliptisme du célèbre proverbe grec paraît corroborer l’elliptisme de l’adaptation latine bien entendue.

132,65

Haec (sc. pulpa) sibi corrupto casiam dissoluit oliuo,

haec Calabrum coxit uitiato murice uellus.     65

14« Notre chair (c’est-à-dire notre propre corruption) a dissout la casie dans l’huile d’olive ainsi gâtée, elle a cuit la laine de Calabre dans le murex en viciant ainsi ce dernier ». Les commentateurs se torturent pour échapper à l’évidence, à savoir que uitiato fait contresens : je pense qu’il faut uitioso, « dans le murex corrupteur ».

152,68

Peccat et haec (sc. pulpa), peccat, uitio tamen utitur. At uos   68

dicite, pontifices, in sancto quid facit aurum ?

16Personne n’explique et, car ni « auch » (Kissel) ni et conjonctif postposé ne se justifient. Et conjonctif non postposé ne se trouve pas dans les répétitions rhétoriques du type peccat, … peccat (cf. J. Wills, Repetition in Latin Poetry, Oxford, 1996, p. 102-106) et serait au moins superflu. J’ajoute que uitio tamen utitur semble appeler un subjonctif, que d’ailleurs rend Kissel, « Sünde auch dies, ja sünde ; doch kann es den Fehler genießen ». Je suggère donc peccet ut haec, peccet, uitio tamen utitur, « notre chair a beau pêcher, oui, pêcher, elle tire quand même utilité de son vice. Mais vous, prêtres, dites-moi, dans le champ du sacré, quelle est l’utilité de l’or ? ». L’idiotisme et l’énergie de ce tour semblent en adéquation avec le style de Perse et le sens du passage. Rapprocher, dans une certaine mesure, 4,39-41, licet haec plantaria uellant | elixasque nates labefactent…, | non tamen ista filix ullo mansuescit aratro.

173,13

inque manus chartae nodosaque uenit harundo :

tunc querimur crassus calamo quod pendeat umor.

Nigra sed infusa uanescit sepia lympha,     13

dilutas querimur geminet quod fistula guttas.

  • 26 Pasquali 1920, p. 311 l’a vu.
  • 27 Entre 1843 et 1868 Jahn fit paraître à Leipzig une recensio, avec appareil critique, des seules Sat (...)

18Si les vers 13-14 font aujourd’hui difficulté, c’est non à cause de Perse, non en raison de la défectuosité de la tradition manuscrite, mais en conséquence du primat donné à P (uanescit) au détriment de α (uanescat), car la vraie construction et la véritable interprétation du passage sont nigra, sed, infusa uanescat sepia lympha, dilutas querimur geminet quod fistula guttas, c’est-à-dire, avec une hyperbate caractéristique, sed, infusa lympha nigra sepia uanescat, querimur, etc., « nous nous plaignons de voir un liquide épais pendre du calame, mais, que l’adjonction d’eau rende l’encre noire évanescente, et nous nous plaignons de voir les gouttes diluées redoubler à la pointe du stylet ». Housman, « Notes on Persius », CQ, 7, 1913, p. 18 = Classical Papers, p. 851, ponctue et construit le passage mieux que les érudits qu’il critique, mais il croit pouvoir conserver uanescit tout en précisant que « of course the uanescat of AB is equally good or even better ». Housman porte une part de responsabilité dans le maintien par les éditeurs postérieurs de la variante uanescit. Loin de n’être qu’une possibilité, le subjonctif est idiomatique et nécessaire26 : comparer 5,78-79, uerterit hunc dominus, momento turbinis exit | Marcus Dama, « que son maître le fasse pirouetter sur lui-même, et instantanément on se retrouve avec un Marcus Dama » ; 5,189-191, Dixeris (…), | continuo (…) ridet (…) | et (…) licetur. Le texte authentique est chez Jahn 185127 et 1868 et encore chez Bücheler 1886, mais, dans la troisième révision (1893) de l’édition de Jahn, Bücheler opte, avec une ponctuation critiquée par Housman, pour uanescit.

193,29

………An deceat pulmonem rumpere uentis

stemmate quod Tusco ramum millesimĕ ducis

censoremue tuum uel quod trabeatĕ salutas ?     29

  • 28 Beiträge zur Kenntnis der späteren Latinität, Stockholm, 1907, p. 37. Le passage a disparu du chapi (...)
  • 29 Voir Jahn 1843, p. 150 : oppiduli tui censorem ; equitem municipalem intellegendum esse docuit Nieb (...)
  • 30 J. H. Neukirch, De fabula togata Romanorum, Leipzig, 1833, p. 35 et 59, fait observer que la trabée (...)
  • 31 « There is no good etymology », prononce de Vaan 2008, p. 618. P. Vaniček, Etymologisches Wörterbuc (...)

20Qu’on lise censoremue (P) ou censoremque (α), il y a présomption de faute, car la seule interprétation non forcée de uel est d’en faire la conjonction reliant les deux quod, ce qui entraîne la superfétation -ue/-que… uel, que défendent abusivement E. Löfstedt28 et, à sa suite, Pasquali 1920, p. 300. Il y a, de surcroît, dans l’épithète tuum une difficulté considérable, que tempérerait l’explication selon laquelle le locuteur est « related to the local censor (or duouir censoria potestate quinquennalis, if that was his proper title) » (Housman 1913, p. 17 = Classical Papers, p. 850, suivant une explication plus ancienne29). Mais il s’agit, semble-t-il, de la transuectio rituelle des chevaliers à Rome devant l’empereur, auquel cas tuum fait difficulté. L’explication que retient Harvey 1981, p. 86, « “your censor”, i.e. “he who assesses you”, namely the Emperor », offre un sens évidemment peu satisfaisant. Kissel 1990, p. 404 croit s’en tirer en acceptant l’hypothèse d’après laquelle un ancêtre de Perse aurait été censeur : Perse saluerait, ironiquement campé en chevalier revêtu de la trabée, une image de cet ancêtre dans son atrium. Mais l’indicatif salutas implique une salutatio censée réellement accomplie par un chevalier revêtu de la trabée30 et donc présumé défiler devant le censor à l’occasion de la transuectio. Les difficultés s’accumulent donc sur tuum. Kissel 2007 mentionne l’interversion par Paul Thomas de uel et quod, correction qui, même si uel trabeate salutas était satisfaisant, laisserait subsister la difficulté de tuum. Il paraît plausible que -ue tuum résulte de la mécompréhension et de la mécoupure d’une épithète caractéristique, que je crois être non uetulum ou fatuum, restitutions de pertinence sémantique douteuse que, dans son édition de Leipzig, 1844, p. 131, C. F. Heinrich rapporte à l’empereur Claude, mais tetricum, « sévère »31 : rapprocher Martial, 12,70,4, udorum tetricus censor et asper erat. Outre son adéquation comme épithète d’excellence, tetricum pourrait receler une allusion à l’inscription par Claude de sa censura dans l’ancienne tradition de sa famille et à la sévérité (relative) dont cet empereur fit montre dans la recognitio equitum (voir F. X. Ryan, « Some Observations on the Censorship of Claudius and Vitellius, A.D. 47-48 », AJPh, 114, 1993, p. 611-618).

213,53

Haut tibi inexpertum curuos deprendere mores

quaeque docet sapiens bracatis illita Medis     53

porticus……………………………………….

  • 32 Voir M. Hendry, « A Second Double Entendre in Persius 4,5 », Curculio, 44 (9 août 2017).

22La jonction de quaeque docet porticus à haut tibi inexpertum est plutôt maladroite et l’inutile adjectif sapiens alourdit bracatis illita Medis porticus. Je soupçonne que sapiens s’est substitué à un mot au moins utile, calles (cf. 4,5, dicenda tacendaque calles, leçon de α, à préférer à la variante tacendaue de P32). Calles, pris pour un participe (callens), se sera peut-être vu substituer un synonyme plus banal. En tout cas, sans préjuger du processus de la faute, sapiens a tout l’air d’une explication destinée à éclairer bracatis illita Medis porticus.

233,58

Stertis adhuc laxumque caput compage soluta     58

oscitat hesternum dissutis undique malis.

  • 33 On peut voir la note ad loc. de mon édition critique.

24« Tu ronfles encore et ta tête relâchée, dont la structure s’est défaite, bâille l’événement d’hier à te décrocher toute la mâchoire ». Laxum est superfétatoire mais il manque, semble-t-il, un substantif qualifiant hesternum et faisant, comme hesternum seul, fonction d’accusatif de l’objet interne. Le contexte ne laisse guère de doute sur le sens du substantif présumé manquer et Jahn 1843, p. 156 a raison de gloser hesterna crapula oscitas et de comparer Cicéron, or. fr. A VI 1, hesterna ex potatione oscitantis (voir aussi Martial, 1,87,1, Ne grauis hesterno fragres, Fescennia, uino ; F. Marx [II, Leipzig, 1905, p. 66] à Lucilius, 136). Vinumque… oscitat hesternum n’expliquerait pas la faute, mais une corruption de BACC(H)VM en LAXVM est possible et Perse a peut-être écrit Bacchumque… oscitat hesternum. Chez Stace, silu., 5,2,11733, Martem (correction de Markland) s’est corrompu en armatum.

253,63

Elleborum frustra, cum iam cutis aegra tumebit,

poscentis uideas : uenienti occurrite morbo,

et quid opus Cratero magnos promittere montes ?    65

26Les même latinistes ont plus de bon sens comme traducteurs (« ist die Haut schon krank und gedunsen », Kissel ; « when the sickly skin is already getting bloated », Morton Braund) que comme éditeurs, car il est clair qu’il faut non tumebit, mais tumescit. Perse apprécie les verbes en -sco : relevons en particulier chez lui ditesco, feruesco, frigesco, impallesco (première occurrence), intabesco, liquesco, turgesco, uanesco.

273,86

his populus ridet, multumque torosa iuuentus     86

ingeminat tremulos naso crispante cachinnos.

  • 34 Formae pulchrae, Vie de Perse corrigée à l’aide des recentiores, car les autres témoins ont famae. (...)
  • 35 Je lis ainsi le célèbre et corrompu passage de la Vie de Perse : Lucanus mirabatur adeo scripta Fla (...)

28Les commentateurs disputent pour savoir si multum modifie torosa ou ingeminat, voire même crispante (cf. 1,132, multum gaudere ; 3,46, multum laudanda). Dans tous les cas, l’adverbe semble au moins quelque peu oiseux. Je subodore qu’il occupe la place d’un mot précisant l’origine de ces jeunes gens musclés (dont Perse ne faisait pas, je présume, partie, quoiqu’il ait peut-être été beau garçon34) et qui, emboîtant le pas à la gens hircosa centurionum (v. 77) et au petit peuple, se gaussent de la philosophie et des philosophes. Lire peut-être LATII et rapprocher un ami et admirateur inconditionnel de Perse, Lucain35, 2,196-197, Tum flos Hesperiae, Latii iam sola iuuentus, | concidit.

293,89

« Inspice, nescioquid trepidat mihi pectus et aegris

faucibus exsuperat grauis halitus, inspice sodes ».     89

  • 36 Recueil d’émendations et de notes sur Perse, Paris, 1601, p. 86.

30Exsuperare avec l’ablatif de provenance est pour le moins inhabituel. Le TLL V,2 1954,41-45 (intransitiue ; fere idem quod « ascendere », « sursum ferri ») et Kissel rangent le passage de Perse dans la même catégorie que les deux autres exemples qui nourrissent la rubrique étique du dictionnaire, Virgile, aen., 2,759 et 12,46 : Ilicet ignis edax summa ad fastigia uento | uoluitur, exsuperant flammae, furit aestus ad auras et Hautquaquam dictis uiolentia Turni | flectitur : exsuperat magis aegrescitque medendo. Dans le premier passage de Virgile exsuperare pourrait être en fait transitif (« les flammes franchissent le toit ») et dans le second il paraît signifier « s’accroître » (« la férocité de Turnus s’accroît bien plutôt »). Il saute aux yeux que le passage de Perse est de toute façon différent ; le mot juste est et la vraie leçon semble être chez Perse exspirat, conjecture que cite Jahn 1843 en l’attribuant à Théodore Marcile36, apparemment son premier inventeur : rapprocher Valerius Flaccus, 4,93, Fragrat acerbus odor patriique exspirat Auerni | halitus ; Arnobe, nat., 7,16, putor, qui ex coriis tollitur atque exspirat ardentibus.

314,19

Quae tibi summa boni est ? Uncta uixisse patella

semper et adsiduo curata cuticula sole ?      18

Exspecta : haut aliud respondeat haec anus……..

32Un avatar romain de Socrate morigène un avatar romain d’Alcibiade. Si exspecta appartient à Socrate, alors haut aliud n’a pas de référent ; autrement dit, la réponse d’« Alcibiade » manque dans le texte et il convient de supposer la perte d’un vers au moins. Mais on peut éviter l’hypothèse de cette perte en attribuant exspecta au jeune homme, « Socrate » reprenant la parole avec haut aliud, etc. Il me semble que la réponse dilatoire exspecta convient à la fois à l’aristocratique jeune disciple de « Socrate » mis en difficulté et à la vieille marchande de légumes, pannucia Baucis (v. 21), qui ne comprend rien, ou quelque chose de tout différent de ce que peut comprendre l’apprenti philosophe, à la question quae tibi summa boni est ? Le comique est dans le contraste entre l’identité de la réponse et le fossé apparemment infranchissable entre ceux qui l’énoncent, différence qui, d’un certain point de vue, se résout puisqu’au fond – c’est ce que « Socrate » veut faire entendre – le souverain bien n’est pas moins étranger à son sémillant jeune disciple qu’à la pauvre vieille.

334,32

pannosam faecem morientis sorbet aceti.

34Portrait d’un avare. « La lie est comparée à une peau ridée ; nous disons nous, que le vin est couvert de “peaux” », explique Villeneuve. L’interprétation de Kissel n’est pas différente. On peut faire valoir rugosum piper (5,55) en faveur de pannosam faecem. Mais pannosam (cf. pannucia Baucis v. 21), serait-il une faute pour annosam ? « Columelle, Pline, Palladius prétendaient (…) que la lie de vin vieux était souveraine dans le cas de vin dur, à goût de terroir, ou fait avec des raisins trempés par les averses » (R. Billiard, La vigne dans l’Antiquité, Lyon, 1913, p. 504). L’œnologie du xixe s. parlait de « goût de vieille lie » et un marquis de La Rochefoucauld-Liancourt, auteur d’une traduction versifiée de Perse (Paris, 1857), rend « et de son vin gâté buvant la vieille lie ».

355,26

Hic ego centenas ausim deposcere fauces,     26

ut quantum mihi te sinuoso in pectore fixi

uoce traham pura…………………………

36Une petite erreur gâte la déclaration d’amour touchante du disciple à son maître : hic (α / his P) devrait mais ne peut annoncer la proposition introduite par ut. Le remède très simple est hinc (Paris. 8055 et Bern. 398 chez Jahn 1843 et Clausen 1992) : comparer Quintilien, inst. or., 8,2,12, hinc enim aliqui famam eruditionis adfectant, ut quaedam soli scire uideantur. Le « commentum Cornuti », p. 115 C.-Z., dont le lemme porte his, glose cependant ad hoc mihi centum uoces opto ut talem te dicam qualem in pectore habeo.

375,39

apposita intortos extendit regula mores,

et premitur ratione animus uincique laborat     40

artificemque tuo ducit sub pollice uultum.

  • 37 Voir ma note ad loc.

38Pour expliquer premitur Jahn et Kissel allèguent la métaphore équestre sous-jacente à Virgile, aen., 6,79-80, tanto magis ille fatigat (sc. Phoebus Sibyllae) | os rabidum fera corda domans fingitque premendo, et, pour expliquer le paradoxe (« Oxymoron », dit-il) uinci laborat, « travaille elle-même à être vaincue » (Villeneuve), Kissel fait valoir Horace, sat., 1,1,112, hunc atque hunc superare laboret, où cependant il n’y a aucun oxymore véritable. Il est bien sûr possible que le souvenir purement formel du passage d’Horace ait suggéré son uinci laborat à l’audacieux satiriste. Pour ma part, la conjecture fingi m’était venue à l’esprit avant que je prisse connaissance du rapprochement virgilien, qui, me semble-t-il, la corrobore (je ne doute pas que Perse s’inspire du passage de Virgile). Comparer Stace, silu., 5,1,6, Phidiaca uel uata manu reddare dolenti, si sous uata = uicta (a = ic) se dissimule ficta (W. S. Watt37) ; 5,3,192, Non tibi certassent iuuenilia fingere corda (Stace à propos de son père) ; Silius, 6,537-538, Tu quoque, care puer, dignum te sanguine tanto | fingere ne cessa. Platon, resp., 500d dit se fingere à propos du philosophe, Ἂν οὖν τις, εἶπον, αὐτῷ ἀνάγκη γένηται ἃ ἐκεῖ ὁρᾷ μελετῆσαι εἰς ἀνθρώπων ἤθη καὶ ἰδίᾳ καὶ δημοσίᾳ τιθέναι καὶ μὴ μόνον ἑαυτὸν πλάττειν (…). Si, comme il est préférable, on fait dépendre πλάττειν de μελετῆσαι, on a une phraséologie comparable chez le philosophe grec et le satiriste latin, μελετῆσαι ἑαυτὸν πλάττειν et fingi laborat, à ceci près que ἑαυτὸν πλάττειν exclut la passivité, que contredit délibérément laborat dans le latin.

395,43

unum opus et requiem pariter disponimus ambo.

40Jahn 1851 et 1868, Kissel 1990 et 2007 et de très nombreux autres avant et après Jahn font de opus et de requiem les deux régimes de disponimus, mais alors unum doit qualifier opus et requiem. Or si unum opus, una requies serait impeccable (cf. Virgile, georg., 4,184, omnibus una quies operum, labor omnibus unus), la proposition unum opus et unam requiem pariter disponimus ambo, « nous organisons tous deux également notre labeur et notre repos uns », est gauche et elle reste maladroite si l’on admet une prolepse, « de façon à ce qu’ils soient uns ». Pariter est au moins superflu dans cette exégèse. La véritable construction et l’interprétation juste me semblent être unum opus (sc. est), et requiem pariter disponimus ambo, « notre labeur est un et nous organisons tous deux notre repos de la même manière (que nous organisons notre travail) ». Telle, pour ne rien dire des éditions anciennes, est la ponctuation de Jahn 1843 et de Housman 1913, p. 18 = Classical Papers, p. 852. Kissel 1990, p. 617 oppose à cette interprétation la non observance des césures comme délimitations d’unités de sens et le déséquilibre des colons : Properce, 4,6,24, unum opus est, operi non datur unus honos montre, s’il en est besoin, que la seconde objection est nulle et non avenue. La première suppose une conception erronée de la fonction des césures : la penthémimère unum opus et requiem implique aussi peu la mise sur un même plan de opus et de requiem que le rattachement de idem à cras hoc fiet en 5,66 (voir ci-dessous) ou de a collo à fugit en 5,160, cum fugit a collo trahitur pars longa catenae, où Kissel lui-même ponctue après fugit.

415,65-66 et 71

……………..Petite hinc, puerique senesque,

finem animo certum {mi}serisque uiatica canis.      65

« Cras hoc fiet ». Idem cras fiet. « Quid ? quasi magnum

nempe diem donas ! » sed cum lux altera uenit,

iam cras hesternum consumpsimus ; ecce aliud cras

egerit hos annos et semper paulum erit ultra.

Nam quamuis prope te, quamuis temone sub uno     70

uertentem sese frustra sectabere canthum,

cum rota posterior curras et in axe secundo.

  • 38 Présentée sans justification par l’auteur dans son commentaire des Silves de Stace, édition de Lond (...)
  • 39 Voir aussi la note de mon commentaire de la monobiblos (Huelva, 2020) de Properce à 1,13,10.

42I. « Das Ende des Lebens stellt sich ausschließlich als objektiv klägliche Zeit körperlichen Verfalls dar (vgl. deren Schilderung oben v. 58-61), in der allein noch die Philosophie einen Halt bieten kann ». Kissel 1990, p. 641 croit que ces considérations suffisent à éliminer la conjecture de Markland seris38. Mais seris est bien venu si le propos concerne aussi les pueri, et c’est bien le cas, puisque le locuteur ne s’adresse pas uniquement aux senes : puerique senesque. Qui plus est, la philosophie n’est pas censée être une bouée de sauvetage pour les vieillards et ce ne sont pas les malheurs de l’âge que le locuteur fait valoir pour amener à la philosophie les hommes plus ou moins éloignés de la décrépitude : l’argument du sage est qu’il faut éviter d’avoir à constater à la fin de sa vie qu’on a manqué la vie (v. 61, sibi iam seri uitam ingemuere relictam). Miseris (α : miseri P) fait donc contresens ; et sane uocabulum utrumque (miser / serus) in membranis antiquis frequentissime confunditur (Heinsius 1744, p. 315)39.

43II. Housman 1913, p. 22-23 = Classical Papers, p. 856 défend contre P (cras fiet) la leçon de α cras fiat : « “The new life shall begin to-morrow” says the sluggard. “No no, let the old life continue to-morrow” answers Persius; “the day after to-morrow will be soon enough to begin the new”. The day after to-morrow, he well knows, will be much too soon: the sluggard, when he said “cras hoc fiet”, had no genuine intention of reforming himself either the next day or the next month or the next year. Therefore this ironical indulgence, implying as it does “perendie hoc fiat”, makes the sluggard very angry ; he sees that he is caught. “You seem to think one day’s grace a large concession!” ». Housman n’a pas obtenu gain de cause, puisque les éditeurs préfèrent cras fiet, Kissel 1990 et 2007 allant jusqu’à ponctuer « cras hoc fiet idem. » cras fiet !. Si je ne m’abuse, Housman a tort de penser que son interprétation de Quid ? quasi magnum nempe diem donas ! requiert cras fiat. Il y a en effet, semble-t-il, jeu sur les mots et ambiguïté intentionnelle du poète : idem cras fiet peut signifier à la fois 1) « tu diras la même chose (à savoir cras hoc fiet) demain », autrement dit « tu utiliseras le même faux-fuyant demain », et 2) « ce sera pareil si tu le fais demain », autrement dit « la procrastination que je t’accorde n’est pas grave, dans le fond elle ne modifie pas la réforme que tu promets de faire de toi-même ». Pour le sage, idem cras fiet a le sens 1) et, pour son interlocuteur, le sens 2). Le malentendu est source de comique.

  • 40 Voir la note à 5,43.

44III. « L’homme qui a toujours devant lui un lendemain qu’il n’atteindra jamais est comparé à une des roues de derrière d’un char à quatre roues, qui ne rattrapera jamais la roue correspondante de devant » (Villeneuve). Mme Morton Braund traduit ainsi : « That’s because in vain you’ll chase the tyre in front, although it’s turning close to you, beneath the same chassis, since you are running as rear wheel on the second axle ». Il me semble qu’il manque étonnamment dans le latin ce que la traductrice rend par « in front » et à quoi fait pendant rota posterior… et in axe secundo. Comme uertentem peut être intransitif, il n’est peut-être pas inutile de suggérer que sese s’est substitué à prae te : quamuis prope te, quamuis temone sub uno uertentem, prae te frustra sectabere canthum, cum rota posterior curras. On n’objectera pas40 que la penthémimère oblige à rapporter prae te à uertentem.

455,106

……………………..Tibi recto uiuere talo

ars dedit et ueris speciem dinoscere calles,     105

ne qua subaerato mendosum tinniat auro ?

  • 41 Voir Mommsen, p. 170 ; Walde-Hoffmann, Lateinisches etymologisches Wörterbuch3, II, Heidelberg, 195 (...)

46Kissel accepte la variante ueri specimen (α), mais Villeneuve 1918, p. xxv a raison de remarquer que specimen « rend inintelligible le ne qua du vers suivant ». Si ce n’était écrit noir sur blanc, on peinerait à croire que Kissel 1990, p. 677 n. 217 tient qua monosyllabe bref pour le substitut de qua monosyllabe long adverbial et pour un abrégement de la langue parlée ! En l’état du texte de P, imprimé ci-dessus, qua species est le sujet du verbe tinniat : on eût attendu un substantif plus concret, un mot qui désigne la monnaie, car, ainsi que le notent les commentateurs, subaerato est un calque du grec ὑπόχαλκος. Or cet adjectif qualifie d’une manière spéciale la monnaie dite « fourrée » (plaquage) : ὑπόχαλκον νόμισμα τὸ μὴ δόκιμον καὶ κίβδηλον, dit Hérodien, philetaeros, § 51 Dain ; οὔτε γὰρ τοῖς ἐκ καλλίστου χρυσοῦ κεχαραγμένοις παλαιοῖς νομίσμασι χρώμεθα, ἀλλὰ τοῖς νέοις καὶ ὑποχάλκοις, lit-on dans le commentaire de Jean Tzetzès à Aristophane, ran., 721. Le « commentum Cornuti » (p. 129 C.-Z.) explique ita callidus es similitudinem ueritatis agnoscere, ut aes obuolutum auro percutiendo intellegas, sicut nummularii faciunt, qui nondum instructi denarios infectos pro auro accipiunt, quia usum dinoscendarum rerum earum non habent. Le scholiaste a en vue le faux denarius aureus. Mommsen (Geschichte des römischen Münzwesens, Berlin, 1860, p. 755 n. 51), à qui j’emprunte l’observation précédente (p. 750 n. 35), rapporte le passage de Perse à la monnaie fourrée et fausse (car la monnaie fourrée n’est pas nécessairement fausse, signale Mommsen, p. 386-387). Le tour mendosum tinniat est parfaitement correct, mais si l’on se souvient de l’expression sonat uitium… fidelia (3,21-22), « la jarre rend un son qui dénonce sa malfaçon » et si l’on se rappelle que le latin dispose d’un mot féminin pour désigner la monnaie de bronze41, on envisagera peut-être que Perse ait écrit ne qua subaerato mendum stips tinniat auro. Si cette conjecture est juste, Perse offre la seule occurrence aujourd’hui connue par un texte littéraire du nominatif stips qu’atteste Charisius (cf. Neue-Wagener, Formenlehre der lateinischen Sprache3, I, Leipzig, 1902, p. 214). La présence d’un monosyllabe devant le mot formant le dactyle cinquième ne fait aucune difficulté : voir ci-dessus lux v. 67. Si l’on admet stips, alors qua ne reste plus en l’air et la variante ueri specimen (α) est, du même coup, possible. Mais le contraste explicité entre le vrai, uera (n. pl.) et l’apparence, species, semble bien meilleur que la mention quelque peu redondante de la faculté de discerner la marque du vrai. Veri specimen paraît être la réfection astucieuse de ueri speciem, corruption inévitable de la leçon ueris speciem : cette corruption est une variante portée par certains manuscrits des Satires que Kissel 2007 regroupe sous le sigle φ et elle est supposée par l’explication similitudinem ueritatis agnoscere. Le lemme ueri speciem figure dans certains témoins du « commentum Cornuti ».

475,136

Tolle recens primus piper et sitiente camelo.

  • 42 L’explication de Harvey 1981, p. 164, « et sitiente camelo is παρὰ προσδοκίαν. The phrase has the s (...)
  • 43 Pasquali 1920, p. 309 n. 3 pense le contraire.

48Housman 1913, p. 24-25 = Classical Papers, p. 858 est parvenu à persuader plus d’un éditeur qu’il faut garder et et entendre primus et sitiente camelo, « both of them adjuncts to the predicate », dit-il. Et de citer, en premier lieu, Virgile, aen., 5,498, extremus galeaque ima subsedit Acastes, où il est tout à fait clair que galea ima explicite extremus. N’en déplaise à l’illustre érudit, le rapport entre primus et sitiente camelo est obscur42 et peu convaincant en regard de celui qui existerait entre recens et sitiente camelo, « le poivre fraîchement déposé du chargement d’un chameau assoiffé », si l’on substituait e, ex (mss. secondaires) ou ec (J. Conington) à et. Housman objecte que recens a sitiente camelo serait préférable mais il se trompe : voir Pline, nat. hist., 26,105, muscus recens ex aqua (autres exemples dans OLD s. v. recens 4a). Housman tient pour sans valeur43 le témoignage du scholiaste (p. 133 C.-Z.), à savoir « recens » dixit nuper de camelo depositum, mais, s’il n’y a pas là la preuve irréfutable qu’il lisait autre chose que et (car les scholiastes anciens ne s’entendent pas moins que les exégètes modernes à trouver le sens qu’ils cherchent dans les mots où, en l’état du texte, il ne peut pas être), on constate du moins qu’un latinophone présumé de l’Antiquité, même tardive, joint naturellement sitiente camelo à recens.

495,170 et 172

…… « Sed, censen, plorabit, Daue, relicta ?

— Nugaris : solea, puer, obiurgabere rubra,

ne trepidare uelis atque artos rodere casses.      170

Nunc ferus et uiolens ; at, si uocet, haut mora dicas

« Quidnam igitur faciam ? Nec nunc, cum arcessat et ultro

supplicet, accedam ? ». Si totus et integer illinc

exieras, nec nunc ! ……………………………

  • 44 Les expressions du commandement et de la défense en latin et leur survie dans les langues romanes, (...)

50Adaptation de l’Eunuque de Ménandre (Test. iv Kassel-Austin, PCG VI 2, p. 111). Les vers 161-174 font écho à l’adaptation de l’Eunuque de Térence (acte I, scène I, début ; acte II, scène 2, v. 265-278) par Horace, sat., 2,3,259-271. C’est avec raison, semble-t-il, que Kissel 1990, p. 732-733 défend le rattachement du v. 170 à ce qui précède. Mais « you’ll get a beating from her red slipper, lad, to stop you struggling and gnawing at her tight nets » (Morton Braund, comme Kissel) ne me paraît pas rendre un sens tout à fait satisfaisant et méconnaît l’impératif ne uelis (rapprocher 3,36, haut alia ratione uelis), « le premier exemple que nous connaissions de ne uelis + inf. dans une principale », remarque Leena Löfstedt44. Elle ne mentionne pas Pseudo-Quintilien, decl. mai., 4,22, filium pietate pereuntem ne uelis exitum facere parricidae ; 19,11, Ne parricidii me uelis agitare secretum. Le sens paraît être : « ne cherche pas à t’agiter et à ronger les rets étroits qui t’enserrent : tu seras, mon garçon, molesté d’un coup de mule rouge ». L’ordre des propositions peut sembler renversé, comme aux v. 119-120, digitum exere, peccas, | et quid tam paruum est ?, « remue le petit doigt (quoi de plus insignifiant que cet acte ?) et voilà que tu fais une bêtise ». De même, la proposition qui medico dicit (3,90) ne précède pas mais suit les propos retranscrits.

  • 45 Voir Bücheler, Kleine Schriften, III, p. 26-27, pour qui la forme accesso est indûment rejetée, et, (...)

51Au v. 172, arcessat (P) a pour variante accessor (α)45. Cet indicatif, qui devrait être un subjonctif (cf. supplicet et, sur la syntaxe de cum, Lejay [Paris, 1911], p. 434, à Horace, sat., 2,3,262), résulte à première vue d’une intervention inspirée de Térence, eun., 1-2, Ne nunc quidem | quom accersor (A = Bembinus, CEP) / arcessor (BDG) ultro ? Mais accessar / arcessar / accersar est peut-être la vraie leçon chez Perse : rapprocher, outre Térence, arcessitus / accersitus chez Horace, v. 261 (pour ultro supplicet chez Perse, voir Horace, v. 262, Nec nunc, cum uocet ultro).

526,7-8

……………………………. Mihi nunc Ligus ora

intepet hibernatque meum mare qua latus ingens     7

dant scopuli et multa litus se ualle receptat.

  • 46 Harvey 1981, p. 184 cherche à contourner la difficulté au moyen d’une explication toute spécieuse e (...)
  • 47 Voir ma note à Stace, silv., 2,2,13-14.
  • 48 J. C. McKeown (Leeds, 1998) au passage d’Ovide cite d’autres exemples.

53« Mir ist die Ligurerküste jetzt warm, und im Winterschlaf liegt mein Meer dort, wo das Riff seine mächtige Flanke preisgibt und das Gestade zurückweicht zu einem weiten Golf ». Kissel, dont je transcris la traduction, écarte comme contraire au contexte l’autre interprétation de hibernat, à savoir « winterkalt, stürmisch sein ». La difficulté est que hibernare est inconnu au sens de a nauigiis uacare (« commentum Cornuti », p. 143 C.-Z.), « im Winterschlaf liegen »46. Il semble que l’on se trouve de nouveau dans le cas où les exégètes cherchent à imposer, au nom des exigences du contexte, à un mot un sens qu’il n’a pas, voire même un sens contraire à celui qu’il a, car il est clair que Perse décrit un endroit (La Spezia) censé être non hivernal en hiver. Or non seulement le latin possède le mot pourvu du sens adéquat, mais de surcroît ce mot est exposé à la confusion graphique et phonétique avec hibernare : il s’agit de uernare, rétabli par Housman 1913, p. 27 = Classical Papers, p. 861, dans sa proposition mite tepet uernatque meum mare. J’ajoute aux passages qu’il allègue Herc. Œt., 454, uernare iussi frigore in medio nemus. Vernat mare prend spirituellement le contrepied de hiemat mare chez Horace, sat., 2,2,16-17, atrum | defendens piscis hiemat mare. Le poète Giosuè Carducci (Juvenilia, 4,68,13-14) ne s’y est pas trompé, qui, s’inspirant de Perse et bien avant la publication de la conjecture de Housman, écrit : Dove tepe la ligure | Maremma e verna il suo paterno mar. Mite tepet (Housman) est dû à la double intention de rétablir uernat et d’obtempérer à la règle (loin de valoir absolument, reconnaît Housman) selon laquelle, avec un verbe du type de tepeo, le préverbe in-, lorsque son sens est non local mais inceptif, requiert non intepeo mais intepesco. Mais le préverbe peut être local si la proposition introduite par qua circonscrit la zone de tépidité. Je maintiens intepet mais cherche à intégrer uernat : pour ce faire, je ne vois d’autre possibilité que de modifier -que meum : il a été suggéré qu’en 3,29 -ue / -que tuum était gâté ; ici je risque intepet et uernat clemens mare (cf. Aulu-Gelle, 2,21,2, Nox fuit et clemens mare et anni aestas caelumque liquide serenum). On peut défendre meum mare, « mon coin de mer », mais alors il faut, semble-t-il, accepter hibernat. Kissel traduit « zu einem weiten Golf » mais, dans le commentaire, explique « in vielen Buchten » : ne s’agit-il pas là de deux interprétations exclusives l’une de l’autre ? Je doute que la langue appuie l’interprétation « golfe considérable » (Villeneuve) pour multa ualle. Pourtant, Perse, si je ne m’abuse, a en vue quelque chose chose d’analogue à ce que décrit Virgile dans le passage auquel le satiriste est présumé songer, aen., 1,161 = georg., 4,420, inque sinus scindit sese unda reductos47. L’expression curua… ualle (cf. Virgile, aen., 2,748 ; 11,152 ; Ovide, am., 2,16,52 ; Martial, 4,64,748) conviendrait.

546,37 et 41

— Tune bona incolumis minuas ? — et Bestius urguet

doctores Graios : « Ita fit ; postquam sapere urbi

cum pipere et palmis uenit uestrum hoc maris expers,

faenisecae crasso uitiarunt unguine pultes ».     40

— Haec cinere ulterior metuas ? — « At tu, meus heres

quisquis eris, paulum a turba seductior audi. (…)

55Un héritier s’en prend à celui dont il doit hériter et qui entame son héritage en profitant de la vie. Pour le punir, le premier fera au second des funérailles de bas de gamme (v. 33-36).

56« — Tu irais », en ayant tout ton bon sens, entamer ton bien ? — et <l’héritier>, tel un Bestius, de charger les maîtres grecs : « voilà comment vont les choses ; depuis que cette sagesse émasculée que toi et tes pareils pratiquez est arrivée dans la Ville avec le poivre et les dattes, les faucheurs se sont mis à gâter leur bouillie en y ajoutant une graisse épaisse ». — Tu redouterais cela une fois réduit à l’état de cendre ? — « Toi qui, qui que tu sois, prétends être mon héritier, écarte-toi un peu de la foule et écoute-moi… ».

  • 49 À Horace, epist., 1,15,37, p. 589b de l’édition d’Amsterdam, 1713.
  • 50 L’auteur d’un article bien connu sur l’usage de uester au sens de « à toi et aux gens comme toi » e (...)
  • 51 Villeneuve rapproche Horace, sat., 1,5,44, nil ego contulerim iucundo sanus amico. J’ajoute 2,3,132 (...)
  • 52 R. de Sinner, Les satires de Perse avec des notes, Berne, p. 177-178.

57Housman 1913, p. 27-30 = Classical Papers, p. 861-864, explique bien les v. 37-56, à deux choses près, l’une de peu de conséquence, l’autre très considérable et qui ne laisse pas de surprendre, étant donné la pénétration de l’érudit et sa connaissance parfaite du type de faute responsable du défaut de suite évident du texte transmis. D’abord, comme le voit Lucarini 2011, p. 224, il convient de corriger nostrum (v. 39) en uostrum ou uestrum (recentiores, suivis par Bentley49), puisque la sagesse grecque que rejette l’héritier est celle du type d’hommes50 représenté par celui qui dépense le bien de cet héritier. Ensuite, l’homéoméson MINUAS / METUAS a très probablement entraîné la permutation par suite de parablepsie des hémistiches que dit le satiriste personatus, à savoir tune bona incolumis minuas et haec cinere ulterior metuas. Cette dernière question vient à point après l’évocation des funérailles de bas de gamme : quelle importance pour celui qui aura bien vécu et, mort, ne ressentira pas l’affront ? Le déplacement illumine la référence de haec, « ces représailles », c’est-à-dire les funérailles évoquées v. 33-36. Quant à tune bona incolumis minuas, son transfert rétablit aussi la suite des idées : « “tu irais, après avoir entendu cela et muni de toutes tes facultés51, entamer ton bien ?” — “Viens par ici : je vais t’expliquer. Tu ne peux pas me critiquer : je dépense au nom de l’empereur” » (v. 43-51). L’idée de cette permutation géniale remonte à 1765. Elle ne fut pas adoptée par son inventeur52, qui la justifie mais redoute en elle « une espèce d’attentat contre le respect dû aux manuscrits ». De surcroît elle n’est presque jamais mentionnée ; pourtant K. F. Hermann semble l’avoir de son côté retrouvée dans ses Lectiones Persianae, Marburg, Leipzig, 1842, II, p. 61, et il la met dans le texte de sa Teubneriana de 1854.

  • 53 L. Piccirilli, Storie dello storico Tucidide, Gêne, 1985, p. 61, n’a pas manqué de rapprocher ce ti (...)
  • 54 Je supprimerais ici illo tempore et aussi, vers la fin de la Vie, illius temporis dans Neronem illi (...)
  • 55 Voir O. Ribbeck, Tragicorum Romanorum reliquiae, Quaestionum scenicarum mantissa, Leipzig, 1852, p. (...)
  • 56 L’idée est du célèbre lexicographe (dans le domaine grec) Franz Passow, Aulus Persius Flaccus. Erst (...)

58La tradition manuscrite de la Vita Aulis Persi Flacci de commentario Probi Valeri sublata53 diffère de celle des Satires puisqu’aucun des trois témoins complets essentiels de ces dernières ne contient la Vie. De surcroît, le texte de la biographie, dont la taille est inversement proportionnelle à l’importance peu commune des renseignements qu’elle fournit, est altéré du fait de corruptions verbales et d’interpolations. Songeons que Cornutus…54 grammaticus fuit sectae Stoicae y est devenu le grotesque Cornutus… tragicus fuit sectae poeticae ! Encore ces fautes se corrigent-elles aisément. La phrase Scripserat in pueritia Flaccus etiam praetextam uescio et opericon librum unum et paucos sororum Thraseae in Arriam matrem uersus, quae se ante uirum occiderat contient, entre autres, deux cruces dommageables, puisque l’une d’elles semble nous dissimuler le titre de la prétexte qu’avait composée le tout jeune poète : aux hypothèses figurant dans les éditions et à celles que discute G. Manuwald, Fabulae praetextae : Spuren einer literarischen Gattung der Römer, Munich, 2001, p. 75-77, j’ajoute celle que je trouve dans le livre par ailleurs excellent de J. H. Neukirch, De fabula togata Romanorum, Leipzig, 1833, p. 92 : non dubito (…) quin in illo uerbo lateat aliquod nomen historicum. Fortasse poeta Quinctilii Vari tristem sortem hac fabula celebrauerat. Le premier volet de l’hypothèse est raisonnable, le second est étrange. Mais ce premier volet lui-même n’est qu’un leurre si la vraie leçon est praetextam nescio <quam>55 ! Cette imprécision pourrait trahir une certaine indifférence : après tout, il ne s’agit que d’une des productions immatures que Cornutus est présumé avoir fait détruire : omnia ea auctor fuit Cornutus matri eius ut aboleret. Le second opuscule, opericon (la seconde crux), est, lui, mentionné avec une précision remarquable. Il y a, ce semble, une raison à cela : nous verrons que cet opuscule implique, selon toute apparence, un personnage considérable, mentionné à deux reprises dans la biographie, P. Clodius Thrasea Paetus (suff. 56). Si, comme je crois, elle est bien vraie, la correction ὁδοιπορικῶν (Pierre Pithou), c’est-à-dire hodoeporicon (Jahn 1868), permet d’infirmer la phrase de P. Lejay dans son introduction à Horace, sat., 1,5 (Paris, 1911, p. 141), « Il faut descendre jusqu’au ve siècle, à Rutilius, pour trouver un véritable récit de voyage écrit en vers ». En effet, mentionnés entre la prétexte et les uersus in Arriam, ces hodoeporica doivent avoir été versifiés. Ils étaient vraisemblablement relatifs à un ou plusieurs voyages effectués en compagnie de Thrasea56 : summe dilectus, nous apprend la Vie, a Paeto Thrasea est [sc. Perse], ita ut perigrinaretur quoque cum eo aliquando. Le segment paucos sororum Thraseae in Arriam matrem uersus constitue la troisième crux : Clausen 1992 et Kissel 2007 lisent paucos [sororum Thraseae] in Arriam matrem uersus, où sororum Thraseae doit être une corruption de la glose, par ailleurs exacte, socrum Thraseae expliquant Arriam matrem. On a coutume d’accepter ipse tantummodo dans le passage final de la Vie relatif à la célèbre correction par Cornutus du politiquement incorrect et dangereux auriculas asini Mida rex habet en auriculas asini quis non habet ? (1,121) : in eum modum a Cornuto, ipse tantummodo, est emendatus (sc. uersus). L’incise est censée signifier que seul ce vers a été modifié. Mais on est en droit d’attendre de tout éditeur et commentateur d’expliquer comment, là où on le lit, le syntagme latin ipse tantummodo peut avoir ce sens. Jahn lui-même (1843, p. 238) le juge aperte corruptum, et il a, je crois, raison : je suggère ipse (Perse) cum iam mo<rtuus esset>. Ipso tunc iam mortuo (Heinrich 1844, p. 49) ou plutôt ipso iam tum mortuo (L. Preller, Zeitschrift für die Alterthumswissenschaft, 4, 1846, col. 44) semble maladroit après a Cornuto.

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Notes

1 C’est surprenant si l’on songe que le premier volume du Martial révolutionnaire de Schneidewin, connu de Jahn, est de 1842 (cf. son modeste stemma p. cxxxi). De surcroît, K. F. Hermann, un ami de Schneidewin, qu’il met à contribution en vue d’une édition de Perse, établit un modeste stemma des mss. dans ses Lectiones Persianae, Marburg, Leipzig, 1842, II, p. 7. L’affirmation de P. K. Marshall « The fundamental principles for the constitution of the text were first evolved by Otto Jahn in his 1843, Leipzig edition » (ap. L. D. Reynolds, éd., Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics, Oxford, 1983, p. 293 n. 4) suggère qu’il est dans la même situation vis-à-vis de ce livre que Mme S. Morton Braund (édition Loeb de Juvénal et Perse, 2004). Elle mentionne « Jahn, O.: Persii, Iuuenalis, Sulpiciae Saturae (Leipzig, 1843) », confondant l’édition commentée de Perse de 1843 et l’édition, par le même Jahn, de Juvénal, Perse et Sulpicia parue en 1868, un an avant la mort de l’érudit. Marshall n’est pas le seul à attribuer à Jahn 1843 les vues très différentes de Jahn 1868.

2 Sa biographie de Mozart fit date. Rappelons les pages novatrices de l’édition de Perse de 1843 relatives à la nature et à la formation du corpus biographique et scholiographique persien. Ce que dit Jahn sur les recensions tardo-antiques vaut également encore la peine d’être lu. De surcroît, son latin est des plus distingués et élégants, mis en valeur par une érudition variée, utilisée avec beaucoup d’à-propos et déployée avec un naturel et une simplicité séduisants que relèvent esprit de finesse et pénétration.

3 « Der Text des Persius », RhM, 41, 1886, p. 454 = Kleine Schriften von F. B., III, Leipzig, 1930, p. 110.

4 « I dati da cui io credo si debba partire sono quattro: 1) P è in molti casi unico latore di lezione genuina; 2) AB sono spesso latori di lezione genuina dove P è in errore; 3) esistono numerosi codici (fra cui FVX) che condividono molti errori meccanici di AB (e non di P), ma evitano numerosi errori di AB e alcuni errori comuni a PAB; 4) esistono alcuni codici (…) i quali sembrano derivare da una contaminazione (…). ». La variante extérieure à Pα la plus spectaculaire, peronatus (5,102) – hapax ! –, présente dans, entre autres, V(aticanus Reginensis 1560, xe s.), corrige perornatus (P) et perocintus (α), c’est-à-dire peroncitus (ci mélecture de a minuscule). On assignerait avec plus d’assurance cette variante à une tradition textuelle directe non altérée si elle ne se trouvait pas dans le commentaire (exactement deux témoins du commentaire, Halensis Yg. 21 saec. XI et Parisinus Latinus 9345 saec. X-XI d’après O. Keller) du Pseudo-Acron à Horace, epist., 2,1,114. Une faute de minuscules telle que peroncitus est postérieure à la « recension sabinienne » de 402 apr. J.-C. (suscription célèbre du ms. B), qui, je présume, portait peronatus. La leçon de P est une « correction » caractéristique. L’antiquité de la recension représentée ou censée représentée par P est sujette à caution. Pα présentent en 1,111 un vers incomplet, complété dans, entre autres, L(eiden B. P. L. 78, xie s.) : omnes, <omnes>. Si c’est une conjecture, elle est très méritoire ; opposer <etenim> (lamentablement défendu par G. Pasquali, « Quantità romanze in Persio ? », SIFC, 1, 1920, p. 308) dans, entre autres, C (Paris lat. 8055, xe-xie s.). Le cas de 1,111 ne rassure pas sur la nature non conjecturale des bonnes leçons extérieures à Pα : les mss. des xe-xie s. offrent des conjectures hardies dont certaines peuvent mettre dans le mille. Je n’ai pas vu A. Persi Flacci Saturae, tertium recognovit Nino Scivoletto, iteratis curis edidit Loriano Zurli, Rome 2010 (Herder), dont C. M. Lucarini me signale l’existence.

5 Quod in ed. Putsch. Prisciani legitur – les éditeurs d’aujourd’hui ignorent cette observation de Jahn 1843. Madvig avait fait la correction avant de disposer de l’édition de Jahn.

6 « Articulis, interroge Lucarini 2011, p. 223, come può essere coordinato a cute? La posizione di et mi pare vieti tale coordinazione. Conserverei dunque la lezione tràdita ». Mais c’est dans le texte transmis que et fait difficulté (voir Madvig, Adversaria critica, II, Copenhague, 1873, p. 128) et la position de la conjonction dans le texte restitué est en quelque sorte excusée par l’hyperbate : articulis quibus et dicas cute perditus « ohe » est mis pour quibus (escis) perditus articulis et cute « ohe » dicas. La ponctuation juste serait, si elle était supportable, articulis, quibus, et, dicas, cute perditus « ohe ». Voir l’hyperbate que nous signalons plus bas à propos de 3,13 et comparer 5,32-33, cum blandi comites totaque impune Subura | permisit sparsisse oculos iam candidus umbo pour cum blandi comites iamque candidus umbo oculos tota Subura impune sparsisse permiserunt.

7 J. N. Adams, The Latin Sexual Vocabulary, Baltimore, 1982, p. 115 semble ignorer bulbos et considère comme certain ualuas (Housman dans ses praefanda de 1931 = Classical Papers, p. 1178-1179). Lucarini 2011, p. 224 considère bulbos comme une conjecture « senza dubbio errata ». « Compelling emendation » selon M. Hendry, « A Second Double Entendre in Persius 4,5 », Curculio, 44 (9 août 2017), p. 1 n. 2. Je suis d’accord. Hendry évoque sa conjecture detonsus curculio « shaved weevil », publiée chez Morton Braund 2004, p. 90, pour detonsus gurgulio « shaved windpipe » en 4,9 (dans les deux cas, désignation du membre viril) : je note 1) que curculio est une variante (Jahn 1843, p. 41) ; 2) que curculio et gurgulio ne sont probablement qu’un seul et même mot (cf. A. F. Pott, Etymologische Forschungen2, II 1, Lemgo, Detmold, 1861, p. 647 ; M. de Vaan, Etymological Dictionary of Latin and the Other Italic Languages, Leyde, Boston, 2008, p. 156) ; 3) que Jahn 1843, p. 176 dit à propos de gurgulio « uermiculus est frumento inimicus ; sermone populari, ut uidetur, ita penis ob similitudinem quandam uocabatur ».

8 Villeneuve 1918 trouve que spumosum « s’applique bien à la surface du liège brut, rugueuse et percée de trous » !

9 On ne fera pas valoir en faveur de rugosum le rapprochement étymologique (A. Fick) entre suber et σῦφαρ, « vieille peau ridée », même si l’objection sémantique (« deviant meaning », de Vaan 2008, p. 595) que l’on formule contre le rapprochement puisse paraître douteuse.

10 Les témoins disponibles (P omet les choliambes) ont credas, qui fait difficulté (cf. par exemple Lucarini 2011, p. 223) et qu’amende Scoppa (Collectanea, Naples, 1534, p. 78). Lucarini regrette que Kissel 2007 ne mentionne pas la correction de cantare en potare (Casaubon d’après Bentley, The Classical Journal, 18, 1818, p. 62), qui ferait aussi allitération. Le prétendu prologus, placé sans titre après la dernière satire dans α, est un diptyque (2 × 7 choliambes) : il m’évoque le diptyque final de la monobiblos de Properce. Le chaere du second volet du diptyque convient également à un début ou à une sphragis. Une différence fondamentale entre Properce et Perse est que nous sommes sûrs que c’est Properce lui-même qui a placé son diptyque là où nous le lisons ; les choses sont bien différentes pour Perse : selon F. Leo, Hermes, 45, 1910, p. 48, le diptyque de Perse n’a pas été conçu pour être rattaché au recueil des satires. C’est, croit-il, l’auteur ou les auteurs de l’édition posthume qui l’a (ont) mis en tête.

11 La ponctuation hoc natat, in labris et in udo est (Morton Braund) est, entre autres défauts, contraire à l’usage de Perse : voir Jahn 1843, p. 216, à 6,13, « securus et » : traiecta hoc uno loco particula copulativa. Le cas de 1,23 discuté plus haut est différent.

12 Voir par exemple G. Liberman, Les préliminaires de la guerre. Prolégomènes à la lecture du premier livre de Thucydide, Bordeaux, 2017, p. 171.

13 Ce que n’est guère Kissel : voir plus bas à 5,106. À la suite de Pasquali 1920, p. 297-305, il défend la dérivation de ouato (2,55) avec o bref à partir de ouum avec o long. Pourtant aurum ouatum, « or des triomphes », « or triomphal », ne paraît pas plus audacieux que plorata cupressus (Stace, silu, 5,5,30, avec ma note), « cyprès des déplorations », « cyprès funèbre », ou insessae gentes (Siculus Flaccus, de condicionibus agrorum, p. 100,22 Thulin), « peuples sédentaires », si le sens n’est pas au contraire, avec in- privatif, « non sédentaires » (cf. Pott, Etymologische Forschungen2, IV, Detmold, 1873, p. 686). Pasquali rapproche de ouatum avec o bref rudere avec -u long (3,9) et non bref, cas tout différent, que les deux quantités de u soient deux degrés contrastifs de la racine (cf. Pott, Etymologische Forschungen2, II 2, Detmold, 1867, p. 1256-1265) ou que l’u long de rugire ait influé sur la quantité de u dans rudere (ainsi Pasquali, p. 304).

14 Il renvoie au commentaire de E. Norden (Berlin, 19031, p. 130, à aen., 6,33, protinus omnia [clausule de l’hexamètre]) en négligeant le fait que Norden lui-même circonscrit la licence.

15 Pasquali vitupère l’hypothèse totalement aberrante qui voit dans ebullit une forme de subjonctif parfait. J’ose à peine, même pour l’écarter, énoncer l’idée que Perse aurait pu tenter une forme de subjonctif ebullit analogique des optatifs sit, uelit, edit.

16 Sur l’exposition des bois sacrés à la foudre de Jupiter et l’expiation consécutive à cette dernière, voir C. O. Thulin, Die Etruskische Disciplin, I. Die Blitzlehre, Göteborg, 1906, p. 85-87 et 107-111.

17 Je lis son commentaire de Perse dans la troisième édition, Londres, 1647, p. 193.

18 Même confusion présumée chez (entre autres) M. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, I, Munich, 1955, p. 71. Comparer O. Müller et W. Decke, Die Etrusker, II, Stuttgart, 1877, p. 173 : « er hiess von den zweijährigen Opferthieren bidental, puteal aber, weil er, ringsum eingeschlossen und nach oben unbedeckt (!), mit einer Brunnenöffnung grosse Aehnlichkeit hatte ».

19 Voir K. Fetkenheuer, Die Rezeption der Persius-Satiren in der lateinischen Literatur, Berne, New York, 2001, p. 51-55.

20 Comparer Lucain, 8,864, inclusum Tusco uenerantur caespite fulmen (Thulin, p. 93-94) ; Varron, de lingua latina, 5,170, eum locum (lacum Curtium) esse fulguritum et ex S. C. saeptum esse = E. Krueger, De Romanorum legibus sacris commentationes selectae, diss. Königsberg, 1912, n° 27 (p. 14), où l’auteur discute abondamment les objets et lieux saepta. Sur le substantif saeptum, saepta, on peut voir aussi le bon article du dictionnaire de R. Klotz, Braunschweig, II, 1857, col. 1304a, et la célèbre note critique de Heinsius 1742, p. 509-511, à laquelle nous ajoutons une pièce, après avoir critiqué les conjectures sepem, saeptum et saepta chez Ovide, her., 20,144 dans l’ouvrage collectif Vivam!, Studies on Ovid’s Poetry, Huelva, 2018, p. 59-60.

21 Le lieu porte la marque de la faute humaine que punit la colère divine. L. Müller (Satiren und Episteln des Horaz, II, Prague, Vienne, Leipzig, 1893, p. 317) traduit justement, je crois, « unheilkündend ». Le sens propre de tristis est non « depressed, unhappy » (de Vaan 2008, p. 630), mais « amer » (J. Schmidt, Zur Geschichte des indogermanischen Vocalismus, Weimar, II, 1875, p. 362).

22 L’influence de luo, dérivé régressif tiré des composés du type abluo, est possible dans les passages (type Cicéron, uerr., 2,1,8, ciuium Romanorum cruciatus multorumque innocentium sanguis istius supplicio luendus est) où luo = soluo, λύω, se rapproche du sens de pio, expio, étymologiquement « purifier ». Les linguistes et lexicographes d’aujourd’hui prennent le contrepied de ceux d’antan et de Pott (Etymologische Forschungen2, II 2, Detmold, 1867, p. 1300-1301), qui s’efforçaient de ramener toutes les occurrences et tous les emplois de luo à luo = lauo. Pott (p. 1307-1310) rattache aussi à luo / lauo lustrum « cérémonie de purification » et lustro « purifier ». « No clear passages exist which link the lūstrum with washing », objecte de Vaan 2008, p. 355 – mais voir le XVuir s. f. Valerius Flaccus, 5,332, horrendas lustrantia flumina noctes (avec ma note) ?

23 C’est d’autant plus étonnant que Bücheler, « Der Text des Persius », p. 459 = Kleine Schriften, III, p. 113-114, fut le premier à bien analyser 6,66, neu dicta pone paterna, c’est-à-dire neu dicta « pone paterna », où le contresens sur dicta (a long de l’impératif !) a amené, déjà dans des manuscrits secondaires (voir Clausen 1992), les corrections fourvoyées dicta repone ou dicta impone / oppone (voir Jahn 1843). Cela étant, Perse n’emploie pas l’impératif après ne / neu / nec et il y a des chances pour que dicas (Housman 1913, p. 31 = Classical Papers, p. 856), non dic ita, également proposé par Housman, soit la vraie leçon : le contresens de construction aura rendu possible le passage de dicas à dicta sous l’influence de paterna.

24 Allgemeine Schulzeitung, 1833, Abth. II Nr. 41., col. 328 (les indications de Jahn sont partiellement fausses).

25 Voir F. Solmsen, Untersuchungen zur griechischen Laut- und Verslehre, Strasbourg, 1901, p. 89.

26 Pasquali 1920, p. 311 l’a vu.

27 Entre 1843 et 1868 Jahn fit paraître à Leipzig une recensio, avec appareil critique, des seules Satires de Perse.

28 Beiträge zur Kenntnis der späteren Latinität, Stockholm, 1907, p. 37. Le passage a disparu du chapitre « Pleonasmus im Gebrauch der Partikeln » du second tome des Syntactica (1933).

29 Voir Jahn 1843, p. 150 : oppiduli tui censorem ; equitem municipalem intellegendum esse docuit Niebuhr. Bücheler, Kleine Schriften, III, p. 133, rapporte nostra dans nostra Floralia (5,178) à une fête municipale et à Perse lui-même en tant que municipalis eques. Mais en 5,177-179 c’est Ambitio et non Perse qui parle et nostra peut se rapporter à Ambitio et à celui qu’elle interpelle : on n’oubliera pas, dit-elle, les Floralia que, sous l’égide d’Ambitio, le magistrat (de l’époque républicaine, cf. Horace, sat., 2,3,180-182) aura célébrés avec force largesses. Je ne crois pas à l’interprétation (M. Benovitz, SCI, 23, 2004, p. 57-62), « nos Floralia à nous Romains », par contraste avec recutita sabbata (v. 184), « le sabbat des circoncis ».

30 J. H. Neukirch, De fabula togata Romanorum, Leipzig, 1833, p. 35 et 59, fait observer que la trabée, à l’époque impériale, ne se porte qu’à Rome.

31 « There is no good etymology », prononce de Vaan 2008, p. 618. P. Vaniček, Etymologisches Wörterbuch der lateinischen Sprache, Leipzig, 1881, p. 103 relie tĕtricus « sombre » à tĕnebrae, tĕnebricus (attesté depuis Pacuvius). La parenté étymologique avec taeter posée par Vaniček est aujourd’hui écartée ; tetricus (attesté depuis Varron) serait-il le fruit du rapprochement de taeter et de tenebricus ?

32 Voir M. Hendry, « A Second Double Entendre in Persius 4,5 », Curculio, 44 (9 août 2017).

33 On peut voir la note ad loc. de mon édition critique.

34 Formae pulchrae, Vie de Perse corrigée à l’aide des recentiores, car les autres témoins ont famae. Lucarini 2011, p. 226 défend formae.

35 Je lis ainsi le célèbre et corrompu passage de la Vie de Perse : Lucanus mirabatur adeo scripta Flacci, ut uix se retineret recitante eo clamare illius esse uera poemata, se ludos facere, « Lucain admirait à ce point les écrits de Perse qu’il lui était difficile, en l’entendant les réciter, de s’empêcher de s’écrier que les poèmes de Perse étaient, eux, de vrais poèmes, lui-même ne produisant que des bagatelles ». Les mss. ont recitantem clamore (émendé par Jahn et Leo), comportent quae, que je supprime, devant ille ou illa (je dois illius à Clausen) et ont ipse ou ipsa devant ou derrière uera. La proposition de Lucarini 2011, p. 225 offre le même sens, qui doit être juste.

36 Recueil d’émendations et de notes sur Perse, Paris, 1601, p. 86.

37 Voir ma note ad loc.

38 Présentée sans justification par l’auteur dans son commentaire des Silves de Stace, édition de Londres, 1728, p. 348b = édition de Dresde, 1827, p. 361b.

39 Voir aussi la note de mon commentaire de la monobiblos (Huelva, 2020) de Properce à 1,13,10.

40 Voir la note à 5,43.

41 Voir Mommsen, p. 170 ; Walde-Hoffmann, Lateinisches etymologisches Wörterbuch3, II, Heidelberg, 1954, p. 594 ; E. Peruzzi, Money in Early Rome, Florence, 1985, p. 87-96. Si l’étymologie exposée chez Walde-Hoffmann est juste (« es war wohl ursprünglich ein Glück bringender Zweig »), l’idée de métal est tout à fait étrangère au sens originel de stips. Pott, Etymologische Forschungen2, II 4, Detmold, 1870, p. 316 est, quant à lui, sceptique sur l’apparentement de stipulari et de stips et préférerait faire fond sur l’équivalence stipulum = firmum (Varron), récusée par Walde-Hoffmann. W. Corssen (Über Aussprache, Vokalismus und Betonung der lateinischen Sprache2, I, Leipzig, 1868, p. 505-506) rapporte stips « kleines Geldstück » à la racine sta- « feststellen » élargie avec p sous les formes stap-, stip-, stup-. Peruzzi admet, à l’instar de Corssen, un lien étymologique entre stips (voyelle brève) et stipo (voyelle longue) et pense que « the proper meaning of stips is, in general, “a mass of things crammed together” ». « The noun stips, écrit-il, has come to mean a mass of coins when these have superseded earlier sundry pieces of metal whose value depended on their individual weight, but the very fact that before the appearance of struck coins the rôle of money was played by cast bronze warrants that stips meant properly a heap of many bronze pieces crowded together ».

42 L’explication de Harvey 1981, p. 164, « et sitiente camelo is παρὰ προσδοκίαν. The phrase has the same point as recens and primus: a merchant must be ahead of his rivals if he is to profit », ne me semble ni claire ni convaincante.

43 Pasquali 1920, p. 309 n. 3 pense le contraire.

44 Les expressions du commandement et de la défense en latin et leur survie dans les langues romanes, Helsinki, 1966, p. 79.

45 Voir Bücheler, Kleine Schriften, III, p. 26-27, pour qui la forme accesso est indûment rejetée, et, en sens opposé, consulter la note de Lejay et Havet dans l’édition commentée de P. Lejay, Paris, 1911, p. 434, à Horace, sat., 2,3,261. Chez Perse, 2,45, P porte accersis et α accessis.

46 Harvey 1981, p. 184 cherche à contourner la difficulté au moyen d’une explication toute spécieuse et ambiguë : « “my part of the sea spends winter in a sheltered bay” (…). That it is sheltered in all seasons goes without saying. P. fastens on one of the attractions of Luna in winter, namely its situation on a part of the coast which is not exposed to seasonal storms ».

47 Voir ma note à Stace, silv., 2,2,13-14.

48 J. C. McKeown (Leeds, 1998) au passage d’Ovide cite d’autres exemples.

49 À Horace, epist., 1,15,37, p. 589b de l’édition d’Amsterdam, 1713.

50 L’auteur d’un article bien connu sur l’usage de uester au sens de « à toi et aux gens comme toi » et exceptionnellement comme l’équivalent pur et simple de tuus est… Housman (Classical Papers, p. 790-794).

51 Villeneuve rapproche Horace, sat., 1,5,44, nil ego contulerim iucundo sanus amico. J’ajoute 2,3,132, incolumi capite es ?

52 R. de Sinner, Les satires de Perse avec des notes, Berne, p. 177-178.

53 L. Piccirilli, Storie dello storico Tucidide, Gêne, 1985, p. 61, n’a pas manqué de rapprocher ce titre de celui, également ambigu, de la Vie de Thucydide attribuée à Marcellinus dans le ms. E : ΜΑΡΚΕΛΛΙΝΟΥ ἐκ τῶν εἰς Θουκυδίδην σχολίων περὶ τοῦ βίου αὐτοῦ {Θουκυδίδου} (suppression de K. Hude 1898) καὶ τῆς τοῦ λόγου ἰδέας.

54 Je supprimerais ici illo tempore et aussi, vers la fin de la Vie, illius temporis dans Neronem illius temporis principem. Au début Flaccus est suspect dans Pater eum Flaccus pupillum reliquit : Bücheler 1893 l’élimine à juste titre.

55 Voir O. Ribbeck, Tragicorum Romanorum reliquiae, Quaestionum scenicarum mantissa, Leipzig, 1852, p. 351.

56 L’idée est du célèbre lexicographe (dans le domaine grec) Franz Passow, Aulus Persius Flaccus. Erster Theil (seule parue). Text und Uebersetzung. Ueber das Leben und die Schriften des Persius, Leipzig, 1809, p. 85 n. 13. Passow entend par aliquando « plusieurs fois », Villeneuve 1918, p. 7 « une fois ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Gauthier Liberman, « Ecdotique des textes latins antiques »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 119-140.

Référence électronique

Gauthier Liberman, « Ecdotique des textes latins antiques »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3691 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3691

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Auteur

Gauthier Liberman

Directeur d'études, École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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