Archéologie grecque
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : I. Les portraits de Délos (fin). — II. Documents récemment publiés.
Texte intégral
1La première conférence a porté sur les portraits de Délos. Nous sommes partis de la publication de C. Michalowski (Les portraits hellénistiques et romains, EAD XIII, Paris, 1932) : la perspective qui met l’accent sur la psychologie du personnage représenté est datée, mais c’est la seule publication disponible du catalogue des sculptures hellénistiques de l’île sainte. L’étude de A. Stewart (Attika. Studies in Athenian Sculpture of the Hellenistic Age, Society for the Promotion of Hellenic Studies, Londres, 1979 [Supplementary Paper 14]) a tenté d’ouvrir une nouvelle voie en établissant un lien entre sociologie et style pour l’étude des portraits de la basse époque hellénistique, quand Délos était colonie athénienne depuis 166 av. J.-C. ; les considérations sur la technique restent intéressantes et comblent un vide en l’absence d’autre publication d’ensemble sur la sculpture délienne. La dissertation de M. Kreeb (Untersuchungen zur figürlichen Ausstattung delischer Privathäuser, Chicago, 1988 ; compte rendu F. Queyrel, Topoi, 1, 1991, p. 101-104) présente l’avantage de considérer les contextes de trouvaille pour la sculpture trouvée dans les quartiers d’habitation, meme si les carnets de fouille n’ont pas été utilisés ; on considérera avec prudence les résultats obtenus, à cause de ces lacunes dans l’information. La nécessité de disposer d’un catalogue plus complet se fait sentir en particulier pour l’époque hellénistique et une organisation topographique de la matière se justifie dans le cas de trouvailles qui peuvent être reliées à leur contexte architectural.
2L’étude des sculptures découvertes près du théâtre dans la Maison dite des cinq statues (en fait cinq statues divines et une statue portrait) met en valeur l’importance de la documentation liée à la fouille du Quartier du théâtre : ces effigies, pourraient venir de la Maison du Dionysos, une cinquantaine de mètres en contrebas, où on a retrouvé dans les décombres de l’escalier un fragment de l’une d’entre elles ; au moment de leur abandon, certaines habitations du quartier ont été dépouillées de leur décoration sculptée, comme en témoigne aussi l’abondance de fours à chaux.
3L’Agora des Italiens offre une excellente possibilité d’étudier des statues en contexte. Elle a fait l’objet de deux monographies concernant surtout son architecture avec la publication dans la collection de l’EAD (vol. XIX) par É. Lapalus en 1939 et un récent ouvrage en deux volumes de l’archéologue allemande M. Trümper : Die “Agora des Italiens” in Delos. Baugeschichte, Architektur, Ausstattung und Funktion einer späthellenistischen Porticus-Anlage, Rahden, 2008 (Internationale Archäologie 104), 2 vol. (compte rendu R. Étienne, F. Queyrel, B. Redon, Topoi, 16-2, 2009, p. 489-510). Ces deux ouvrages n’ont cependant pas résolu toutes les questions liées à l’édifice. É. Lapalus a présenté, parfois rapidement, les résultats de la fouille, réalisée par d’autres que lui, tandis que M. Trümper a tenté, en réunissant toute la documentation à laquelle elle a pu avoir accès, de dresser des hypothèses de reconstitution et d’évolution du bâti. Cet essai, quoique volumineux, propose des conclusions qui sont loin d’être acceptées par la communauté scientifique. En ce qui concerne la sculpture, elle mentionne les fragments d’après les carnets d’inventaire français qu’elle a recopiés sans voir le matériel : il n’y ni analyse ni réexamen des pièces. D’autre part certaines de ses suppositions, qui replacent des sculptures sous les portiques ou dans la cour centrale, sont peu vraisemblables, car aucune base in situ n’y a été découverte.
4Un cas particulier est constitué, dans l’Agora des Italiens, par la reconstitution que propose F. Coarelli (I mercanti nel tempio. Delo: culto, politica, commercio, Athènes, 2016 [Tripodes, 16] ; compte rendu M.-C. Hellmann, C. Hasenohr, F. Queyrel, Revue archéologique, 2017, p. 394-398) d’un monument de victoire où un Romain à cheval dominait un barbare celte vaincu : Marius serait ainsi figuré pour commémorer ses victoires sur les Cimbres et les Teutons. Cette reconstitution, qui aurait fourni un exemple de monument de victoire bien daté autour de 100 av. J.-C., est impossible, car les fragments de statues équestres qui proviennent de l’Agora des Italiens sont tous du type calme, au pas ; le cavalier n’était donc pas représenté sur un cheval cabré et il faut le dissocier de la figure du Gaulois blessé. Ainsi tombe la comparaison avec la base attalide située à l’angle nord du Portique sud qui borde le Dromos et ne supportait pas le modèle de ce groupe imaginaire de l’Agora des Italiens (F. Coarelli, I mercanti nel tempio, p. 421 avec un dessin fantaisiste fig. 193) : cette base ne présentait pas le roi Attale Ier dominant un Galate tombé à terre, comme on l’a cru, mais une Victoire couronnant un trophée (F. Herbin, F. Queyrel, Les monuments attalides du Dromos à Délos [I] : la « base des Galates », BCH, 139-140, 1, 2015-2016, p. 267-319).
5La statue de C. Ofellius Ferus offre la possibilité de mettre en relation sculpture, base et inscription (F. Herbin, F. Queyrel, Statue d’Ofellius, dans F. Queyrel, R. von den Hoff éd., La vie des portraits grecs. Statues-portraits du Ve au Ier siècle av. J.-C. Usages et re-contextualisations, Paris, 2017, p. 309-318). Sa datation dans les années 120 la place dans la première phase de l’Agora des Italiens : Ofellius, d’origine campanienne, a financé la construction du portique Ouest où sa statue a été érigée dans une niche. Le schéma, qui le figure nu avec le grand manteau du général, tenant l’épée dans le fourreau et la lance, le présente en héritier d’Alexandre, mais cela ne signifie pas pour autant qu’Ofellius était un magistrat romain, car l’inscription ne mentionne pas l’exercice d’une fonction ; rien n’indique non plus que cet Italien de Campanie ait joué un rôle dans la répression d’une révolte d’esclaves à Délos. En se rattachant à l’iconographie d’Alexandre et des rois hellénistiques, il a repris à son compte les valeurs de prestige et de pouvoir qui leur étaient attachées. L’Agora des Italiens offre plusieurs registres de représentation : les barbares y sont en action, en train de combattre, isolés des statues équestres d’officiers romains à la parade ; quant aux Italiens, ils sont en majesté comme Ofellius ou le Pseudo-athlète, s’il en provient. Romains et Italiens recourent donc aux formules les plus représentatives dans ce bâtiment réservé à leur usage : on n’y trouve pas d’himatiophores du Normaltypus ou du type de Cos, mais les références sont faites à l’iconographie d’Alexandre par le négociant et aux statues équestres des rois et généraux par les officiers.
6Il en va de même, au début du ier siècle, pour les deux portraits de la Maison des sceaux à Délos, dont les bustes abrègent des statues nues seulement vêtues du grand manteau. L’étage de leur maison, où ils étaient exposés, ne pouvait pas abriter de statues plus grandes que nature comme le Pseudo-athlète, ce qui a amené à recourir à la formule abrégée du buste. La retombée du manteau sur l’épaule vient de l’iconographie d’Alexandre. Cette formule idéale s’inscrit dans la tradition de la statue héroïque ou royale, alors que le portrait insiste sur la présence physique individuelle. On a cru que les sculpteurs grecs se seraient vengés de leurs maîtres romains en les caricaturant, ce qui est difficile à soutenir, car les commanditaires étaient fiers de se reconnaître et voulaient être reconnus et le demandaient certainement à leurs sculpteurs.
7Les portraits en bronze ont pour la plupart disparu, mais, à Délos, la tête de la Vieille palestre témoigne de la qualité de cette statuaire exposée dans l’espace public. Le commentaire doit éviter de verser dans l’interprétation psychologique et on refusera de discerner dans la mimique une mélancolie qui annoncerait les heures sombres qu’allait connaître l’île dans la première moitié du ier siècle av. J.-C. La plasticité des chairs qui contraste avec la structure ferme du crâne est une caractéristique stylistique de la seconde moitié du iie siècle.
8L’étude des sculpteurs a permis de mettre en valeur le répertoire des membres de la famille de Polyclès, à laquelle appartenaient les deux auteurs de la statue d’Ofellius.
9Puis nous sommes passés à l’étude des genres en commençant par les portraits princiers. La tête colossale du Dôdékathéon est un portrait cultuel d’Alexandre : le Macédonien, reconnaissable à son anastolè, était synnaos des Douze dieux dans leur temple. La statue peut dater du milieu du iiie siècle, si on restitue deux petites cornes rapportées qui l’assimilaient à Pan, le grand dieu de Pella, en l’honneur duquel Antigone Gonatas a institué la fête des Paneia.
10À la basse époque hellénistique, en 101/100, le monument de Mithridate abritait dans le Samothrakeion trois statues à peine grandeur nature, fragmentaires : l’effigie de Mithridate VI était entourée de deux autres. Le directeur d’études, après avoir songé à les identifier comme des portraits du père du roi de Pont, Mithridate V, et de son fils aîné, le futur Antiochos IX (« Mithridate VI à Délos : charisme de l’image ? », dans T. Greub, M. Roussel éd., Figurationen des Porträts, Leyde, 2018 [Morphomata, 35], p. 99-134, pl. 2), en présente une nouvelle reconstitution : Mithridate le Grand était figuré, dans la tradition de l’Alexandre de Magnésie du Sipyle, par la statue drapée dans l’himation, maintenant acéphale, restituée sur la base inscrite à son nom et les statues nues qui ont un grand manteau jeté sur l’épaule et des étais en forme de cuirasse représentent les Dioscures, qui portaient le pilos (« Commandants militaires à l’époque hellénistique », dans D. Boschung, F. Queyrel éd., Porträt und soziale Distinktion. Zu Darstellungsformen gesellschaftlicher Gruppen in der Antike, actes du colloque du 8 au 10 mai 2019 à Cologne, sous presse dans la collection Morphomata).
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11La seconde conférence a présenté quelques ouvrages et découvertes récents.
12L’ouvrage publié par A. Fenet, Les dieux olympiens et la mer, 2016, a offert l’occasion de revenir sur la représentation d’osselets en relief sur des jas d’ancre antiques dont la combinaison qui présente quatre astragales, chacun sur une face différente, constituait, dans l’Antiquité, le coup gagnant au jeu d’osselets : la position des osselets correspond précisément au coup dit d’Aphrodite ou de Vénus. La présentation du livre de H. Kyrieleis, Hellenistische Herrscherporträts auf Siegelabdrücken aus Paphos, 2015, a permis de souligner son intérêt pour la connaissance de l’iconographie des Lagides tardifs.
Pour citer cet article
Référence papier
François Queyrel, « Archéologie grecque », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 104-106.
Référence électronique
François Queyrel, « Archéologie grecque », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3626 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3626
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