Épigraphie grecque et géographie historique du monde hellénique
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : Géographie, histoire, numismatique et épigraphie de la Locride « orientale ».
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1Après l’introduction, où l’on a rappelé pour les nouveaux auditeurs l’objet des conférences, l’histoire des cités grecques de l’époque archaïque à l’époque impériale fondée entre autres sur la documentation locale, c’est-à-dire les inscriptions et les sources archéologiques (topographie et prospections), histoire articulée sur une géographie rétrospective qui est à la fois politique, humaine et économique, on a commencé l’étude de la Locride dite par les Modernes « orientale ». On a présenté la géographie de la région et la question de l’emplacement du mont Knèmis, connu par les sources littéraires et symbolisé sur les monnaies, en montrant notamment quelques publications numismatiques récentes et en soulignant l’importance des catalogues de vente de monnaies. On a examiné les différents ethniques, Λοκροὶ οἱ Ἑσπέριοι, Λοκροὶ oἱ Ὑποκναμίδιοι, Λοκροὶ oἱ ’Επικναμίδιοι, Λοκροὶ ’Οπούντιοι. À propos de ces ethniques il s’agit entre autres de confronter à la documentation d’époque hellénistique les résultats auxquels était arrivé T. Heine Nielsen dans Further Studies in the ancient Greek Polis, 5 (2000), p. 91-120, puis dans l’Inventory of Archaic and Classical Poleis, 2004, p. 664-673, travaux excellents mais limités aux époques archaïque et classique.
2On a retracé l’histoire de la Locride « orientale » depuis l’époque archaïque, en examinant d’abord le bref en-tête de l’inscription de Delphes publié par J. Bousquet, BCH, 115 (1991), p. 167-168, puis plus longuement la loi sur la colonie de Naupacte IG IX 12, 718 (J. Zurbach, Les hommes, la terre et la dette en Grèce, c. 1400-c. 500 a.C. (2017), p. 538-543), avant tout pour ce qu’elle apprend des rapports entre Locriens Hespériens, Locriens Épicnémidiens et Opontiens et en discutant l’analyse de ce texte par T. Heine Nielsen (art. cité). On a étudié l’histoire de la Locride orientale lors la 2e guerre médique à la lumière des sources littéraires et de l’épigramme des Locriens morts aux Thermopyles connue par Strabon (IX 4, 2 C 425) et le sens dans ce texte du terme mètropolis désignant Opus : le terme était-il en relation avec les Locriens de Grèce centrale, que ce fussent les Orientaux ou les Occidentaux (en lien e.g. avec la loi de Naupacte), ou bien avec Locres Épizéphyrienne (en lien avec la législation de Zaleucos, selon R. Baladié) ? On a retracé à la lumière des auteurs, surtout les historiens de l’époque classique et les géographes, l’histoire de la Locride orientale jusqu’à la guerre du Péloponnèse et on s’est demandé quelle place pouvait éventuellement y trouver la liste de noms exhumée à Alopè IG IX 12, 2002 : faut-il exclure comme les éditeurs successifs du texte une datation dans le cours du ve s., qui autoriserait un lien entre la bataille militaire d’Alopé, connue au tout début de la guerre du Péloponnèse (Thucydide II 32), et cette liste ? Ce pourrait en effet être une liste de défunts, dépourvus de patronymes comme il arrive souvent à l’époque classique.
3On a poursuivi l’histoire de la Locride à partir de la guerre du Péloponnèse à la lumière des auteurs et de témoignages numismatiques peu commentés : il s’agit de quelques oboles récemment passées en vente présentant à la fois des types phocidiens et, dans un cas, les lettres ΝΙ̣, qui seraient l’ethnique abrégé de la cité locrienne Nikaia et attesteraient tout à la fois l’existence de cette cité et son rattachement à la Phocide, vers la fin du ve siècle, d’après la chronologie reçue pour le groupe de variétés comparables par leurs types, mais dépourvues d’ethnique abrégé (« section 19 » de R. T. Williams, The Silver Coinage of the Phokians [1972]). On a examiné les questions que pose une hypothétique extension des Phocidiens à cette époque vers le Nord, en retraçant l’histoire de Nikaia à la lumière des orateurs d’époque classique (Démosthène, Eschine) et des fragments d’autres auteurs (Memnon, FGrHist 434 F 28 ; Didyme, Commentaire sur Démosthène, colonne I ; Scholie à Démosthène, XI 4). Il semble en réalité fragile de déduire d’une seule monnaie présentant apparemment les lettres ΝΙ̣ pareille extension, par ailleurs inconnue dans l’histoire des relations au ve s. entre les Locriens orientaux et les Phocidiens ; voir nos articles sur ces sujets, à paraître dans CRAI 2019 et REA 2020.
4On a continué l’histoire des relations entre Locriens de l’Est et Phocidiens de la fin de la guerre du Péloponnèse jusqu’au milieu du ive s. av. J.-C. On a d’une part examiné les débuts de la guerre dite de Corinthe (395-387) à la lumière de Xénophon, Helléniques, III 5, 3, Pausanias, III 9, 9 et Hell. Oxyrh. XXI, 2-3. Cette guerre naquit d’un différend entre bergers dans le Parnasse qui dut opposer aux Phocidiens les Locriens de l’Ouest, et non pas les Opontiens ; voir D. Rousset, Le territoire de Delphes et la terre d’Apollon (2002), p. 162-164, discussion que n’a pas connue J. Buckler dans son article « The Incident at Mt. Parnassos, 395 B.C. », dans C. P. Tuplin (éd.), Xenophon and His World (2004), p. 397-411, et dont ne fait pas non plus état la réimpression de cet article dans J. Buckler, H. Beck, Central Greece and the Politics of Power in the Fourth Century BC (2008), p. 44-58 ; ignoré aussi par J. Pascual, Topography and History of Ancient Epicnemidian Locris (2013), p. 481-485. Ainsi, J. Buckler donne raison à Xénophon, Helléniques III 5, 3 contre à la fois Hell. Oxyrh. XXI, 2-3 et Pausanias III 9, 9, et il considère que le différend opposa aux Phocidiens les Opontiens, en l’occurrence dans la région qui sépare Kalapodi d’Opous. Mais il est peu vraisemblable que cette région puisse correspondre à la χώρα περὶ τὸν Παρνασσόν indiquée dans les Hell. Oxyrh., texte par ailleurs précis pour la topographie de la région. Cf. P. Goukowsky, C. Feyel, Le profil d’une ombre. Études sur les Helléniques d’Oxyrhynchos, Nancy, 2019, p. 315-317.
5On a d’autre part retracé la présence des Phocidiens en plusieurs places de Locride durant le ive s. av. J.-C. Alors que, à l’extrémité orientale de la Locride, la cité de Larymna se rattacha vers 370-360 aux Béotiens, ce sont les Phocidiens qui, durant la 3e guerre sacrée, de 356 à 346, occupèrent ou conquirent tout ou partie de la Locride « épicnémidienne ». C’est à la même période, le milieu du ive s., c’est-à-dire l’apogée de la puissance militaire phocidienne, que l’on a rapporté deux des témoignages sur l’enclave qui, coupant en deux les Locriens orientaux, et séparant les Locriens Opontiens des Locriens Épicnémidiens, permettait aux Phocidiens d’atteindre la mer d’Eubée. Il y a d’une part le Périple du Pseudo-Scylax, et d’autre part des indications formelles de Strabon.
6D’autre part, des fouilles exécutées à Daphnous de 2004 à 2007 conduisent à reconsidérer l’histoire du site, qui a été occupé de l’époque géométrique jusqu’à la fin de l’époque hellénistique ; on y a en outre exhumé un sanctuaire fréquenté du vie au ier s. Ces vestiges démontrent assurément que la ville ne fut point abandonnée au milieu du ive s. av. J.-C. En outre, dans le sanctuaire ont été trouvés les fragments d’une inscription, encore inédite, qu’on a étudiée en détail : datable par l’écriture entre ca 330 et ca 250 av. J.-C., elle est l’une des rares inscriptions officielles assez anciennes de Locride orientale. Très mutilé, son préambule mentionnait des magistrats et une disposition « isonomique » ; suivait une liste d’anthroponymes entrecoupée de trois ethniques indiquant la provenance des personnes énumérées : des Ἀοίων, soit des « Orientaux », qui sont sans doute des Locriens, puis des Phocidiens originaires de Parpotamioi et Hyanpolis. Cette inscription est publiée et commentée dans la REA 2020.
7On a poursuivi l’histoire de la Locride orientale de la fin de l’époque classique jusque dans la première moitié du iiie s., en soulignant que les auteurs s’abstiennent plus d’une fois de définir précisement quels Locriens, occidentaux ou orientaux, ils veulent signifier par le simple Λοκροί. On est inévitablement conduit à penser que c’est de concert et les uns avec les autres que Locriens occidentaux et Locriens orientaux agirent plus d’une fois à titre diplomatique ou international, si bien qu’ils n’avaient point toujours à être distingués les uns des autres par les auteurs et les sources anciennes : ainsi dans le décret relatif à la constitution de la ligue de Corinthe IG II3 318. Il en résulte que l’ensemble des Locriens de Grèce centrale devait posséder – et non pas seulement pour le partage des voix amphictioniques – les organes institutionnels d’une politique extérieure commune, organe dont cependant nous ignorons tout. On a examiné les vicissitudes militaires et politiques des Locriens orientaux depuis la guerre lamiaque (323) jusqu’à la défense de Delphes contre les Galates (279), puis la disparition de la représentation amphictionique des Locriens au profit des Étoliens.
8On a continué l’histoire de la Locride orientale, en soulignant la fréquence et l’impact des conflits guerriers sur la région et ses cités, depuis Antigone Doson, jusqu’à la première, puis à la deuxième guerre de Macédoine, et enfin la guerre d’Achaïe. Il n’est donc pas étonnant que, des vestiges des villes d’époque archaïque, classique et hellénistique, il ne reste que bien peu, sans compter que, depuis l’Antiquité, la région s’étendant des Thermopyles à la vallée du Céphise et à la Béotie n’a pas cessé d’être sur la voie des invasions et des armées.
9L’histoire hellénistique de la Locride orientale conduit à examiner en détail celle de la cité d’Opous et des Opontiens. Si la ville d’Opous elle-même est désormais sûrement localisée à Atalanti, il est revanche délicat de demêler l’histoire de la cité de l’histoire de ceux que les sources appellent les Opontiens. En effet, les sources classiques, qu’il s’agisse de la loi sur la colonie de Naupacte ou des monnaies à l’ethnique Ὀποντίων, ne permettent pas d’établir une claire différence entre les citoyens de la cité d’Oponte, assurément importante dès le début de l’époque classique, et les Opountioi au sens large.
10On a examiné l’épigraphie d’Opous, en étudiant l’épigramme pour Nikasichoros, IG IX 12, 1911, sa composition et son style à la lumière de l’article de V. Garulli, « Posidippe, auteur épigraphique ? », dans E. Santin, L. Foschia (éd.), L’épigramme dans tous ses états : épigraphiques, littéraires, historiques (2016), article insuffisamment informé pour l’édition des textes épigraphiques et la géographie et l’histoire de la Grèce centrale. L’hypothétique attribution à Posidippe de Pella de l’épigramme gravée à Opous peut-elle être retenue ou même prise en considération, quelque datation que l’on choisisse pour le rattachement d’Opous à la Béotie parmi les deux datations le plus récemment proposées (265-245 selon Moretti et 236-228 selon Étienne-Knoepfler) ?
11On a étudié la série des décrets trouvés à Opous, le décret des technites IG IX 12, 1918 et les décrets IG IX 12, 1909, 1910 et 1912, qui émanent des Ὀπούντιοι καὶ Λοκροὶ οἱ μετὰ Ὀπουντίων. On a discuté ce qui peut fonder la datation de cette dernière série de textes, notamment la dédicace et la signature inscrites à Delphes Syll3 597A, qui est la pièce du dossier la plus aisée à dater. Faut-il vraiment, comme G. Klaffenbach et D. Summa, placer tous les textes présentant la formule Ὀπούντιοι καὶ Λοκροὶ οἱ μετὰ Ὀπουντίων dans la 2e moitié du iie s., en les liant à la recréation d’une confédération locrienne peu après 146 av. J.-C. ?
12On a examiné les dédicaces IG IX 12, 1930 et 1935, qui montrent entre autres la présence de Romains installés à Oponte, une des rares localités de la région à présenter également une inscription bilingue, l’épitaphe latino-grecque IG IX 12, 1968. L’importance régionale de la cité est aussi démontrée par plusieurs inscriptions publiques : un document énigmatique (et aujourd’hui perdu) mentionnant les Pharsaliens, IG IX 12, 1920, où la mention, sans parallèle aucun, des Λοκρῶ[ν τ]ῶν Ὑ̣[ποκναμιδίων] doit, pour la restitution de l’adjectif dont ne subsisterait qu’une lettre pointée, être considérée avec prudence ; l’intervention d’un proconsul, IG IX 12, 1922, et le fragment de l’édit du maximum de Dioclétien IG IX 12, 1923.
13Le fragment IG IX 12, 1921, qui est la copie inscrite à Atalandi d’une partie du fameux dossier amphictionique datant de ca 117 av. J.-C. connu sous le nom de « Monument bilingue » à Delphes (CID IV 119), confirme le rôle d’Opous au sein des Locriens « de l’Est ». Son étude a conduit à examiner de façon synthétique les dénominations des Locriens dans la documentation amphictionique, en prenant en considération le fragment, trouvé à Delphes et publié par G. Daux, BCH 66-67 (1942-1943), p. 143-146 (Magnetto, Arbitrati no 23), d’un arbitrage entre Locriens Opountioi et Locriens Épicnamidioi : cet arbitrage était-il relatif à l’exercice de la voix amphictionique ? Si tel était le cas, ce serait, semble-t-il, le seul document amphictionique qui mentionnerait les Opountioi en tant que groupe, là opposé aux Epiknamidioi, tandis que la documentation amphictionique pour le iie s. distingue toujours Epiknémidioi et Hypoknémidioi. On a examiné à ce sujet les textes CID IV 111, 114, 119E et 119F, ainsi que deux pièces relatives au litige entre Thronion et Skarpheia, CID IV 123 et 124 : on notera que dans CID IV 123 l. 4-6, [ταῖς δύο πόλεσιν αἳ περ]ὶ τῆς ἱερομνημ[οσύνης ἀ]ντιλέγουσιν πρ[ὸς ἀλλήλαις Ὑποκναμιδίων ταῖς] τῶν Θρονιέων καὶ [Σκαρφ]έων, la restitution [Ὑποκναμιδίων] (reprise dans IG IX 12, fasc. 5, fasti no 248) est un lapsus pour [Ἐπικναμιδίων], – comme me le confirme F. Lefèvre. Quant au procès-verbal des juges CID IV 124, le texte généralement restitué et reproduit pour les toutes premières lignes doit être considéré comme peu sûr.
14Pour l’époque impériale, la Locride orientale serait toujours demeurée loin de l’attention des antiquisants s’il n’y avait eu la découverte et la publication de la lettre d’Hadrien à Naryka, IG IX 12, 2018. On a d’une part reconstitué l’histoire de Naryka à partir de l’ensemble des sources et d’autre part commenté la lettre de l’empereur en examinant l’apport de ce document sur le statut d’une petite communauté, de toute évidence menacée ou malmenée par une ou plusieurs de ses voisines, et sans doute un peu fragilisée au sein des grands cadres organisateurs de la Grèce dominée par Rome, l’Amphictionie, la confédération béotienne et le Panhellénion.
Pour citer cet article
Référence papier
Denis Rousset, « Épigraphie grecque et géographie historique du monde hellénique », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 97-101.
Référence électronique
Denis Rousset, « Épigraphie grecque et géographie historique du monde hellénique », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3571 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3571
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