Dialectologie grecque
Résumé
Programme de l’année 2018-2019 : I. Lettres du Pont et autres nouveautés dialectologiques de Grèce continentale et de l’Égée. — II. Noms de personnes et histoire des mots : analyse linguistique des anthroponymes grecs antiques en ligne, projet LGPN-Ling, en préparation du nouveau dictionnaire HPN (F. Bechtel, Die historischen Personennamen des Griechischen bis zur Kaiserzeit, 1917).
Plan
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1Annonce du prix Jean-Charles Perrot 2018 de l’Académie des inscriptions et belles-lettres décerné à l’ouvrage de Gérard Genevrois sur Le vocabulaire institutionnel crétois paru en 2017 dans la collection des Hautes Études du monde gréco-romain, chez Droz, et de l’obtention par Matilde Garé en juin dernier d’un contrat doctoral de trois ans pour préparer dans notre École une thèse sur la morphologie des inscriptions béotiennes. Les deux récipiendaires sont vivement félicités. Présentation du programme de l’année qui s’articule notamment autour de deux invitations de savants étrangers : le 11 décembre, le chercheur Natalia Pavlichenko, de l’Institut d’histoire de l’Académie russe de Saint-Petersbourg, présentera au séminaire, sur invitation partagée avec Madalina Dana, en poste à l’université Paris I (depuis, élue professeur d’histoire grecque à l’université Lyon III), une lettre inédite sur plomb de Bérézan, dans le Pont nord, datée du vie siècle avant notre ère. En préparation de cette invitation a été mise au programme l’étude de documents privés de ce type mais aussi de defixiones. Le dialecte ionien du Pont sera ainsi mis à l’honneur au premier semestre. Ensuite, en préparation de la présence comme professeur invité de Klaus Hallof, au mois de mars 2019, sur invitation partagée avec Denis Rousset, l’éléen sera mis au programme à partir de janvier, puisque l’un des documents inédits qui nous seront présentés consiste en un jugement de trois juges de Pellana d’Achaïe pour la communauté éléenne des Lédrinoi, daté du ve siècle avant notre ère. Ce document pourrait se révéler d’un intérêt exceptionnel s’il était rédigé en achéen plutôt qu’en éléen : ce serait le premier témoignage en dialecte de la métropole, puisque l’achéen n’est actuellement connu que par l’épigraphie des colonies fondées par des Achéens en occident, cf. L. Dubois, Les inscriptions grecques dialectales de Grande Grèce, II. Les colonies achéennes, 2002. D’autres inédits seront présentés, de Sparte et de Cos. La dernière période de l’année sera consacrée à des nouveautés thessaliennes et béotiennes.
2La première séance est la présentation d’une recherche de la directrice d’études qui a donné lieu à une communication au colloque coorganisé en octobre 2018 par A. Blanc, D. Petit et I. Boehm à Rouen, sur le thème de la dérivation nominale dans les langues indo-européennes. Elle s’intitule : « Les dérivés en -ᾱ- et -ŏ- : critères distributionnels. Le cas des anthroponymes en Ἀγορα-, -αγόρᾱς, ήγορος ».
3Suit l’étude d’un décret relatant l’envoi d’une ambassade à l’étranger nouvellement trouvé à Aigai d’Éolide (H. Malay, M. Ricl, Živa antika 67, 2017, p. 31-37) qui offre l’occasion d’illustrer de façon exemplaire comment l’analyse dialectologique peut permettre d’identifier les cités en présence et de détecter ainsi une décision émanant en fait d’une cité étrangère, en l’occurrence béotienne, cf. la notice cosignée avec Patrice Hamon du Bulletin épigraphique 2018, no 372.
Épigraphie privée nord-pontique : lettres et defixiones en dialecte ionien septentrional
4Notre parcours pontique s’ouvre sur une lettre sur plomb publiée récemment par Madalina Dana, Igor Brujako et Natalija Sekerskaja du musée d’Odessa, ZPE, 206 (2018), p. 113-120. M. Dana a soutenu en 2018 une habilitation sur la correspondance grecque privée et prépare la publication d’un corpus d’environ 70 lettres sur plomb et tessons. Pour ceux de ces documents qui sont déjà connus, comme la lettre d’Achillodôros à son fils qui a été rééditée par L. Dubois dans les Inscriptions grecques dialectales d’Olbia du Pont (ci-après IGDOP), 1996, no 23, il est possible de se reporter actuellement aux trois publications suivantes :
- M. Dana, « Lettres grecques dialectales nord-pontiques », REA, 109 (2007), p. 67-97 ;
- David Jordan « Early Greek letters on lead », dans A. F. Christidis, A History of Greek Language from the Beginnings to Late Antiquity, Cambridge, 2007, p. 1355-1366 ;
- P. Ceccarelli, Ancient Greek Letter Writing. A Cultural History (600 BC–150 BC), Oxford, 2013, p. 335-356 [périodes archaïque et classique].
5Il s’agit ici d’une lettre d’Artemidôros au forgeron Dionysios de la première moitié du ive s. a. C. Elle provient de Nikonion, sur la rive gauche de l’estuaire du Tyras, auj. Dniestr. Style proche de celui des defixiones : grammaire de l’oralité. Intéressant linguistiquement, non seulement pour le dialecte, mais aussi pour la syntaxe et le vocabulaire. Corriger l’édition et l’interprétation des l. 2-3 : ἐπιστεῖλόν μοι ὅτι ἔχουσι καλύβ{ρ}ιον καὶ ὅκως ἔχει τὰ ἐν τοῖς οἰκίοις en éditant plutôt ὅ τι pronom de l’interrogation indirecte, et non la conjonction ὅτι. Il faut alors traduire : « envoie-moi une lettre (pour me dire) quel cabanon ils ont [litt. « lequel ils ont comme cabanon »] et comment ça va à la maison », en tentant de rendre ainsi le tour très oral de la fin. Remarques sur la forme ὄκως (à corriger car psilotique, en réalité), qui doit se lire comme un trait de l’ionien de Milet, imputable à la tradition de prose historique fondée par Hérodote. L’arrière-pays de Milet et d’Halicarnasse est la Carie. Le traitement de la labio-vélaire en dorsale plutôt qu’en labiale comme ailleurs, serait-il imputable à l’influence de la langue carienne ? Le lycien, par exemple, ne connaît comme voyelles que a, e, i, u, voir la thèse de Florian Réveilhac, Contact linguistique et emprunts onomastiques entre grec et lycien : apports à la phonétique et à la morphologie, dir. Markus Egetmeyer, Sorbonne-Université, 2018. Or, le traitement que nous observons ici, dissimilation de l’appendice labio-vélaire comme dans myc. qo-u-ko-ro (<*gwowkwolos) s’expliquerait peut être d’autant mieux si /o/ était prononcé localement proche de [u], quelle que fût sa quantité, ce qui aurait contribué à dissimiler l’appendice labiovélaire, cf. le cas de *lukwos > λύκος. Il est en effet tout à fait remarquable que ce traitement ne s’observe qu’en ionien d’Asie Mineure, sauf exportation coloniale. De son côté, le voc. e de l’ionien τέσσερες est peu attendu à cette époque (forme de la koinè et du grec moderne) : aurait-il été imputable aux contacts interlinguistiques, cf. lit. ketveri, v. slave cetverŭ ?
6Une defixio judiciaire d’Olbia du Pont (Α. Βelousov, M. Dana, ZPE 204 [2017], p. 162-164) débute, comme souvent pour ce type d’inscription, et notamment à Olbia, par une série de noms sans patronyme ni métronyme, comme c’est usuel non seulement aux hautes époques mais en contexte familier. Anthroponymes intéressants, assez rares (Ἔπαινος, Μυλλίων, Εὔμολπος, Κοίρανος), suivis de la formule ἄ̣(π)ρακτα οἱ τὰ{ι} πάντ̣[α]. Sur le côté droit, du bas vers le haut, μαρτυρέσιν, puis de nouveau de gauche à droite, {μ} ἄν. Les éditeurs traduisent : « tous ceux qui témoigneraient, que tous (leurs) actes n’aboutissent à rien. Éditer plutôt, en lisant les lettres exactement à la suite et en rétablissant la psilose ionienne : ἄ̣(π)ρακτα οἰ τὰ{ι} πάντ̣’ <ἂ> ἂν μαρτυρέο̄σιν « que soient pour lui inefficace la totalité des actes pour lesquels ils servent de témoins », et comprendre que le nom de l’individu en butte à la malédiction figure, soit en premier, soit en dernier, avec ceux de ses témoins.
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7Lettre sur plomb d’Achillodôros à son fils Prôtagorès et à Anaxagorès (L. Dubois, IGDOP, no 23, p. 50-55, datation ca 550-500), comme l’indique l’en-tête, où figure aussi la forme rare iotacisante μολίβδιον du nom du « petit plomb ». Nom d’Achille bien attesté aréalement dans l’onomastique et cultuellement, comme l’attestent les consécrations nos 48-53, op. cit., p. 106-107. Aspect oraculaire de son culte sur l’îlot de Leukè, culte chtonien (serpents votifs), associé à celui d’Hécate. Réflexion sur l’onomastique et les liens familiaux que pourraient attester les deux noms en -αγόρης des protagonistes. Nom Ματασυς d’origine non grecque, voir notamment sur les formes en -ματ- / Ματ- attestées ailleurs dans l’anthroponymie, et sur les noms Ματυ-δίκα, Ματύ-λαιος, une récente mise au point de L. Dubois, dans RPh, 88 (2016), p. 65-78, qui met ce premier élément en relation avec le second élément -μᾰτος de l’adjectif αὐτό-ματος notamment. Avant lui, des noms à premier élément en -υ-, comme Ἀρτύ-λοχος ont été étudiés par C. Dobias-Lalou dans les Mélanges offerts à Chantal Kircher-Durand parus en 2012. Pour Ματασυς cependant, le meilleur parallèle pourrait être fourni peut-être par le nom de femme Matsyā, formé sur un nom indo-iranien du « poisson », cf. K. Stüber et alii, Indogermanische Frauennamen, p. 52, 166, 189. Ionismes anciens, comme l’emploi de μιν plutôt que αὐτόν comme anaphorique, comme l’extension du degré o de οἶδα au pluriel οἴδασι, l. 10 ; traits phonétiques (psilose ; monophtongaison précoce systématique, peut-être diastratique, des diphtongues /ei/ et /ε:i/ ; gémination de la sifflante forte issue de l’évolution de *-nti> -νσι dans ἐσσιν, l. 12, équivalent νεο̆ρός de l’attique νεωρός « capitaine ») et un appellatif nouveau : le neutre au gén. φορτηγεσίο̄ « cargaison », l. 3, fait comme κυνηγέσιος « qui concerne la chasse ». Jeu complexe de discours rapportés enchâssés. Enonciation à la 3e personne, rare, à l’intérieur d’un discours rapporté qui constitue le corps de la lettre, comme si l’expéditeur, Achillodôros, avait dicté à son fils, chargé de les transmettre au seul véritable destinataire, Anaxagorès, les mots mêmes qu’il souhaite voir employés ou directement lus par lui, à son sujet. Le fils Prôtagorès n’a donc que le rôle de médiateur entre les deux hommes.
8Lettre sur plomb d’Ἀρτικῶν (L. Dubois, IGDOP, no 25, p. 63-66, datation ca 350 a. C.). Sur le second élément -κῶν (<*κόϝων), voir l’article de L. Dubois, « Λαοκόων : un nom princier », Revue germanique internationale 19, 2003, p. 7-11. Faut-il corriger στὸ οἴκημα, face A, l. 4, en [εἰ]ς τὸ, ou y voir une aphérèse, marque d’oralité qui évoquerait de façon anticipée l’état du grec moderne ? Ἀτακους, à la même ligne, étant un génitif précédé de παρά, comme l. 3, face B, παρὰ Κέρδω[ν]ος, il s’agit bien ici, de l’expression de la provenance ou de l’origine : il s’agit donc, en cas d’expropriation de la famille d’Artikôn, qu’elle se rabatte sur un local (οἴκημα) qui vient d’Atakès, au nom scythe. Il est question dans la dernière phrase de stocker les laines de la famille avec celles de Kerdôn, dans l’entrepôt d’Agatharkos (Ἀγάθαρκος, avec dissimilation de la seconde aspirée), pour le cas où Atakès ne mettrait pas à leur disposition le local en question.
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9Conférence de N. Pavlichenko sur une lettre sur plomb inédite de Bérézan. Riche mise en contexte archéologique. Propositions de lectures pour ce texte très fragmentaire (au vu de la photo, la 1re ligne pourrait avoir φόρτος Ὠ, au lieu de [--]θοατοσω[--]) : la lettre serait alors commerciale. L. 5, lire peut-être : [- ἤ]ν τις ἔνθαδε [--]. Ιl manque à chaque ligne entre 2 et 4 lettres de part et d’autre. Présentation de la lettre de Pistos, déjà publiée en russe, et donnée à nouveau, cette fois en anglais, dans Hyperboreus, 24, 1 (2018), p. 40-51. L.1 : Ὠρεστώνυμε : ἐπιστέλλε̄ (même monophtongaison de la diphtongue que dans la lettre d’Achillodôros) τοι : Πίστο[ς] et, l. 2 : [τ]ὰς ἀποτέσασθαι : Σαπασιν : στατῆρα χρυσο̄ κτλ. Comme le fait remarquer G. Genevrois, le sens du moyen est « faire payer ». Suit la liste des débiteurs et des sommes dues. Le [τ]ὰς initial surprend : l’ellipse d’un mot comme τιμάς ou autre est étonnante, d’autant qu’il s’agit de la raison même qui motive la lettre. Discussion et propositions pour résoudre ce problème.
10Le texte d’étude suivant est une lettre, cette fois, sur tesson, fragmentaire elle aussi (IGDOP, no 24). Nous terminons ce cycle par la lettre de Klédikos d’Hermonassa (Bosphore Cimmérien) publiée par A. V. Belousov et S. Y. Saprikin, ZPE, 85 (2013), p. 153-160. Texte à la syntaxe difficile (en dépit de l’emploi régulier d’une ponctuation et de l’absence de coupure des mots en fin de ligne), et ce d’autant que la dernière ligne de la colonne de gauche est illisible sur les photos, qui restent seules à notre disposition à la suite de l’achat de la lamelle par un collectionneur. Le texte est disposé en deux colonnes, et s’achève en haut de celle de droite. Il offre l’intérêt de montrer qu’au ve siècle avant notre ère, ou au plus tard au ive siècle, le dialecte d’Hermonassa était bien l’ionien (cf. S. B. et Eusth.), et non l’éolien de Mytilène, contre une tradition, certes confuse, qui remonterait à un fragment d’Arrien (FGrHist 156, fr. 71). Formulaire typique des lettres les plus anciennes, comme celle d’Achillodôros : rédaction à la 3e pers. du sing., avec l’adresse à proprement parler, en tête, au vocatif, le nom du rédacteur au nominatif, l’un et l’autre sans patronyme, la reprise ensuite du vocatif initial par le pronom de 2e pers. du sing. au datif, τοι, et le verbe ἐπιστέλλε̄, avec monophtongaison précoce de la diphtongue /ei/. Un γάρ au début de la première phrase de la lettre explique ce qui la motive. Il faut probablement comprendre qu’à la suite de la destruction de bâtiments, le rédacteur de la lettre veille à ce que les pierres qui servaient de pavement au sous-sol de ces constructions soient rassemblées en un même lieu couvert et fermé sur lequel il demande qu’on appose des sceaux ou son propre sceau (κατασφραγίζειν). Une particularité intéressante de ce document est l’absence de voyelle au cœur de deux syllabes qui précèdent l’accent (col. 2 : λελιθ<ω>μένα « les pierres assemblées (?) » et κατασφρ<α>κίσατε), comme si l’intensité forte de celui-ci se traduisait par la syncope de la voyelle précédente. Une voyelle également absente, cette foi, directement à la suite de la syllabe accentuée, avait été rajoutée au-dessus de la ligne, dans le nom du destinataire de la lettre, d’abord graphié : Ὦριστόκρτε̄ς. Nous sommes donc à nouveau confrontés à un niveau de langue proche de l’oralité, qui nous offre peut-être la chance de percevoir indirectement la forme que prenait l’accent, localement et dans un milieu faiblement cultivé (aucune référence littéraire dans ce texte, à la différence de IGDOP, nos 23 et 24).
Inscriptions d’Olympie, de Sparte et de Cos
11Le changement d’année est l’occasion de changer de région et de sujet : nous nous tournons à présent vers les inscriptions éléennes, en préparation du premier texte inédit qui sera présenté au mois de mars par notre professeur invité, Klaus Hallof. Après une rapide présentation de la région et du dialecte, étude d’une inscription archaïque sur bronze d’Olympie nouvellement publiée par P. Siewert, Hocharchaische Opfervorschrift für das Kronos-Fest in Olympia (BrU7), Tyche 32 (2017), p. 189-224. Voir la notice publiée dans le Bull. de la REG 131/2 (2018), no 226. Édition de référence dorénavant de ce qu’il vaut mieux appeler règlement cultuel que « loi sacrée », conformément à la typologie ancienne. Voir sur ces sujets les travaux de notre collègue professeur au Collège de France, Vinciane Pirenne Delforge, notamment le CGRN (Collection of Greek Ritual Norms http://cgrn.ulg.ac.be), mis en œuvre avec la collaboration de J.-M. Carbon et S. Peels.
12Indépendamment de l’intérêt historique de ce nouveau texte – la première attestation épigraphique de la fête de Cronos, dite Κρονικά –, un dialectalisme exceptionnel nous retiendra ici : la forme de participe aoriste au nom. masc. sg. καθύσ{:}αις, que l’erreur de placement de la ponctuation – qui est judicieusement expliquée par l’éditeur comme un saut du même au même (dans la séquence ΚΑΘΥΣΑΙΣ: ΑΝΑΤΟΣ, où la ponctuation aurait dû précéder ἄνατος qui est le début de l’apodose, à la suite de la protase qui s’achève sur notre participe) –, a pour effet paradoxal de rendre ainsi presque assurée. Or, le même participe se rencontre à la même époque, dans mes IED 3, 2, sous la forme attendue καθύσας, à côté de l. 3, ἀποδός (voir aussi ποιέ[σ]ας, IED 66), avec le probable allongement compensatoire commun à l’ionien-attique et à nombre de dialectes doriens, au lieu de la diphtongaison que connaît en principe le seul dialecte éolien pour le masculin du participe, tandis que le cyrénéen la connaît pour les formes de participe féminin, notamment en -οισᾰ, cf. C. Dobias-Lalou, Le dialecte des inscriptions grecques de Cyrène, 2000, p. 135. Versons au dossier éléen les formes de féminin rassemblées IED, p. 356, dont certaines présentent une géminée sifflante que j’avais proposé d’interpréter comme la notation d’une sifflante forte dans Philokypros 2000, p. 229-243 : δικάδο̄σα, IED 4, 3 : πᾶσσαι(?), IED 33, 8 (fin 3a) vs πᾶσαν, IED 34, 12 (ca 200) ; ἀνταποδιδῶσσα, l. 17, vs πασᾶν, l. 26 ; et θεοκολέοσσα, IED 54 (2a).
13Rappelons aussi que l’éléen connaît par ailleurs l’évolution du groupe -/ns/- récent vers la diphtongaison en position finale à l’acc. pl. *τονς du thème *to- de l’article, au masculin comme au féminin, où la phonétique syntactique distribuait originellement ces formes en -οις/ρ# devant V-, tandis que devant C-, c’est -ο̆ς/ρ qui était produit, les deux couples de formes étant devenus interchangeables à l’époque de nos premiers textes, et ayant été, de là, étendus au datif pluriel, IED, p. 355-357.
14Or, C. Dobias-Lalou a publié en 2007 un article portant à nouveau sur cette question intitulé : « De Cyrène à Théra : nouvelles considérations sur le traitement des groupes -ns- intérieurs », dans M. Hatzopoulos (éd.), Φωνῆς χαρακτήρ ἐθνικός, p. 211-225. Elle y reconsidère la question de la prétendue différence de traitement, qui aurait donné lieu à un allongement compensatoire en théréen, mais à une diphtongaison en cyrénéen, où abondent les formes de participe en -οισᾰ, en montrant qu’en fait, le théréen a connu la diphtongaison également, mais que les formes koinéisées en -ουσᾰ s’y sont répandues plus rapidement qu’à Cyrène. Elle examine la dualité de traitement dans les différentes régions du monde grec où elle s’observe, et propose de l’interpréter comme illustrant la différence entre langue orale et langue écrite. L’intérêt de sa démarche est de remettre en question, en la nuançant, la doxa trop rigide remontant à la Phonétique 2 (1972) de M. Lejeune, qui distinguait systématiquement dialectes à allongement compensatoire et dialectes à diphtongaison, en face de ceux qui conservent -νς, sans laisser soupçonner que ces différents traitements pouvaient en fait, soit avoir coexisté, soit s’être succédé parfois à l’intérieur du même dialecte.
15Le cyrénéen connaît par ailleurs le traitement sans allongement compensatoire, à la finale (κοιμαθές, ἐπιδός). Cela pourrait faire alors avancer une autre hypothèse : celle de la motivation prosodique de la différence de traitement entre la finale et l’intérieur. La fin de mot fait de la syllabe à -ς # (<*-ns) une syllabe longue par position, dont l’allongement vocalique pouvait, de ce fait, n’avoir pas à être indiqué ; à l’intérieur, en revanche, différents procédés se seraient succédé ou auraient alterné : suivant les dialectes, se rencontrent -ονσα, -οισα, -ο̄σα, voire -οσσα comme en éléen. Tous auraient été destinés à marquer visiblement la syllabe comme longue ; l’allongement dit compensatoire aurait pu être sporadiquement consonantique plutôt que vocalique, d’où la géminée sifflante. La promotion, plus ou moins précoce suivant les dialectes des digraphes EI et ΟΥ pour noter les voyelles longues résultant notamment des allongements compensatoires a été expliquée (R. Wachter, Non-Attic Greek Vases inscriptions, 2001, p. 243-245) par la même motivation : signaler visiblement la quantité du segment vocalique (en revanche, motivation différente à l’origine de la promotion de H et de Ω : qualitative, quant à elle). Et la remarque peut être étendue bien au-delà du seul cas de l’allongement compensatoire. Le même principe justifie ainsi la différence de notation des produits de l’hiatus -/eo/- dans les Tables d’Héraclée dont nous avons traité il y a deux ans : <ιω> dans le cas des formes verbales μετριωμεναι, εμετριωμες en syllabe ouverte, en face des 3e pl. de futurs doriens ανανγελιοντι, ανκοθαριοντι, επικαταβαλιοντι, où en syllabe fermée, longue par position, l’allongement vocalique avait moins nécessairement à être indiqué, cf. J. Méndez Dosuna, « Metatesis de cantidad en Ionico-Atico y Heracleota », Emerita 61, p. 117-134.
16Dans le cas de l’éléen, c’est la gémination de la sifflante qui a pu sporadiquement tenter de rendre compte de la quantité de la syllabe, tant que l’ambiguïté de la notation E, O des voyelles moyennes, dans l’alphabet épichorique, ne permettait pas de rendre compte de la quantité vocalique. C’est donc, en partie, à juste titre que l’éditeur de l’inscription, P. Siewert, met en relation le flottement graphique entre, ici, καθύσαις et καθύσας, IED 3, avec celui qui s’observe à l’accusatif pluriel des déclinaisons thématique et alpha-thématique. Mais à la différence de ces désinences nominales, où la phonétique syntactique a fait alterner voyelle brève et diphtongue, il semble, au participe, que l’emploi de la finale diphtonguée rende au contraire quasi assuré que l’alpha de la forme non diphtonguée était bien de quantité longue.
17Nous poursuivons avec la décision des Éléens en faveur du secrétaire Patrias, IED, no 20, datée ca 475/450, puis quittons le domaine éléen pour nous intéresser à l’achéen en préparation de la conférence du 12 mars de notre invité, K. Hallof, qui portera sur un jugement inédit de Pellana d’Achaïe trouvé à Olympie. Notre point de départ est le livre de L. Dubois, Inscriptions grecques dialectales de Grande Grèce, II. Colonies achéennes, Genève, 2002. Réflexions sur la genèse de ce dialecte et sur son appréhension, dans le Péloponnèse et à partir des témoignages épigraphiques des cités de fondation achéenne, comme Métaponte, Sybaris et Crotone. Discussion de l’idée défendue par L. Dubois d’un achéen colonial « sévère », à la série unique de voyelles longues moyennes qui auraient toutes été notées Η et Ω, ce qui laisserait supposer que l’achéen du Péloponnèse était du même type. Or, quelques éléments donnent à penser que, dans le Péloponnèse même, la situation était plus complexe et que la nature de l’achéen a pu varier en fonction des cités : une ligne de partage pourrait être tracée entre achéen occidental effectivement « sévère », illustré tout particulièrement par les cités de Patrai et de Dymè, et achéen oriental, de type « doux », notamment représenté par la cité de Pellana, dont la proximité géographique avec Sicyone, que l’on rattachait traditionnellement au groupe saronique, comme Corinthe, Mégare, Égine et Épidaure, suffit à justifier une telle différence. Les indices sont cependant ténus (IG V 2 368, liste de proxènes de Cleitor d’Arcadie, 3a : ethniques au nominatif, orthographiés conformément à l’orthographe de chaque cité, y compris dans leurs désinences, comme Μεσσάνιοι, l. 19 et 82, Μαντινῆς, l. 114, Σινωπεῖς, l. 59, [Ἀθ]ηναῖοι, l. 120, et en Achaïe, Πατρῆς, l. 31 et 59, et Πελλανεῖς, l. 92), puisque les inscriptions datent pour la plupart de la période de la ligue achéenne, où sous l’influence du Sicyonien Aratos se fonde la koina « douce » qui devient la langue véhiculaire de la ligue dans l’ensemble du Péloponnèse ; à comparer avec Rizakis, Achaïe III, inscr. no 120, fin 4a, où le nom. pl. est cette fois de forme Πατρεῖς, mais dans le cadre d’un traité achéen avec Coronée, c’est-à-dire avec l’extérieur, ce qui peut avoir pour effet une forme de compromis aussi linguistique. Il est aussi apparu deux exemples intriguants de géminées liquides (<*-ln-) seulement attestées par ailleurs en lesbien, à la place de l’allongement compensatoire attendu (Rizakis, Achaïe III, inscr. no 186, Pellana, 5a : Ἰαρός ἐμι το̄ Μελλιχίο̄ το̄ Πελάναι et no 11, Dymè, 4a, phiale de bronze : Θεοκολῆον Ἁγήσω<ν> Εὐβολλέος). L’appréhension de l’achéen colonial n’est pas plus aisée, compte tenu de la situation régionale : l’achéenne Métaponte, par exemple, est voisine à la fois de Tarente et d’Héraclée, de sorte que le dorien « sévère » qu’illustrent ses inscriptions a toute chance d’être imputable à l’influence linguistique de ces cités. Le critère de classification des dialectes en fonction de la présence d’une ou de deux séries de voyelles moyennes longues qui remonte à Bartonek se révèle d’autant plus inopérant que l’on admet à présent que tous les dialectes ont connu les deux séries, mais qu’un grand nombre d’entre eux ont ensuite simplifié ce système en n’en conservant plus qu’une, celle dont la notation est le plus souvent Η, Ω. De sorte que la variété particulière de dorien qu’a dû représenter l’achéen demeure particulièrement insaisissable. Le document exceptionnel par sa longueur et son contenu juridique que constituait jusqu’ici le traité entre Delphes et Pellana (qui se font face de part et d’autre du golfe de Corinthe), publié par B. Haussoullier dans la Bibliothèque de l’École des Hautes Études en 1917, et daté de la première moitié du 3a, n’est malencontreusement pas exploitable du point de vue de la classification de l’achéen péloponnésien, dans la mesure où c’est la koina achéenne qu’il reflète.
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18Le texte inédit sur lequel porte la première conférence de Klaus Hallof, ce jugement rendu par trois juges de Pellana d’Achaïe trouvé à Olympie – l’un des plus anciens témoignages de l’institution des juges étrangers –, concernant des affaires éléennes, celles de la petite communauté des Led/trinoi, sise entre Élide dite « Creuse » et Pisatide, est d’un point de vue dialectologique d’un intérêt exceptionnel, quant à lui, puisqu’il nous livre le premier texte ancien (18 lignes en état de conservation quasi parfaite, datation ca 475/450 d’après la forme des lettres, en alphabet éléen, et non achéen) rédigé par des Achéens du Péloponnèse, et précisément de Pellana, même si sa gravure sur bronze et son dépôt à Olympie se sont faits in fine par la médiation d’un graveur éléen. Ce document fera l’objet d’une co-publication.
19Les séances suivantes sont consacrés à des décrets d’asylie de l’Asclépiéion de Cos et à deux nouvelles lettres royales de 242 a. C. ; et à Olympie de nouveau, à une épigramme inédite en l’honneur de Deinosthénès de Lacédémone, vainqueur à la course de stade ainsi qu’à la présentation d’une découverte sensationnelle : le premier exemplaire épigraphique d’un passage de l’épopée homérique. Est présenté pour finir un catalogue coen de souscripteurs dits philokaisares d’une longueur exceptionnelle, particulièrement intéressant pour l’étude de la prosopographie et de la présence romaine à Cos, par comparaison à Délos notamment.
20Après cette moisson de textes nouveaux, d’un intérêt exceptionnel, présentés par Klaus Hallof sous la forme de conférences passionnantes et très suivies, le séminaire a repris son cours régulier. Nous revenons sur le texte de Pellana, sur lequel la réflexion a entre-temps fait progresser l’interprétation – le caractère abrégé, partant la part importante d’implicite, rendant la compréhension du texte malaisée –, pour l’exploiter aussi d’un point de vue dialectologique : la question étant de discerner, dans ce produit d’un véritable tissage interdialectal, la part du dialecte des scripteurs achéens et celle de l’éléen des destinataires de la copie du jugement affichée au sanctuaire de Zeus Olympios ; et de comprendre les fondements cognitifs de cette illustration particulière, cette fois non littéraire – à la différence du travail mené sur le Περὶ νόμου du Pseudo-Archytas –, de code-switching.
Nouveautés thessaliennes et béotiennes
21En partie dans la continuité de cette problématique de la rencontre interdialectale et des effets de compromis linguistique qu’elle génère, nous nous intéressons ensuite à un décret de Larissa pour des juges de Lacédémone, nouvellement publié par A. Tziafalias et B. Helly dans la dernière livraison du BCH, 142 (2018), p. 279-300. Ce décret honorifique est daté pour des raisons historiques des années 130-120, « datation qui convient aussi à la rédaction elle-même, dont la langue est marquée par des formes dialectalisées de termes couramment utilisés dans la koinè » (p. 299).
22Sont analysés pour finir des actes d’affranchissement de Chéronée dont une synthèse a été présentée par C. Grenet, « Manumission in Hellenistic Boeotia: New Considerations on the Chronology of the Inscriptions », dans N. Papazarchadas (éd.), The Epigraphy and History of Boeotia, Leyde, Boston, 2014, p. 395-442. Étude notamment de SEG 28, 449, que l’auteur date d’après 167 a. C.. Comparaison de sa traduction et de celle que donne L. Darmezin, Les affranchissements par consécration en Béotie et dans le monde grec hellénistique, Nancy, 1999, no 97, p. 69-70. Réflexions sur la nature du statut de ἱαρός de l’esclave affranchi, par comparaison avec la vente à Apollon très représentée à Delphes, cf. J. Velissaropoulos, Droit grec d’Alexandre à Auguste (323 av. J.-C. – 14 apr. J.-C.). Personnes-biens-justice, Mélétèmata 66, Athènes, 2011, p. 391 et 420 ; sur les critères à croiser pour faire progresser les datations des inscriptions existant en série ; et discussion sur la longévité du dialecte suivant les contextes d’écriture et les types de documents, y compris au sein même de l’épigraphie officielle, cf. notamment G. Vottéro, La koine grecque antique, II. La concurrence, 1996, p. 82-83 : 171 a. C., année de la dissolution du koinon béotien, et la bataille de Pydna, en 168 a. C., lui apparaissent comme un tournant décisif où est amorcé le déclin de l’usage écrit du dialecte. Il semble cependant que, du moins dans les actes d’affranchissement, le dialecte soit encore largement employé, même s’il est vrai que dans le laps de temps où ce corpus est concentré, entre 190/180 et au-delà de 167 a. C., sont représentés presque à part égale documents en béotien et documents en koinè, avec quelques exemples de mélange entre les deux variétés. Nous avons, certes, affaire à des documents de nature privée, dans lesquels des inconséquences dans les formulaires, des approximations, voire des maladresses qui rendent l’accès au sens difficile, sont à mettre au compte d’individus non spécialistes du droit, qui s’inspirent de la rédaction de textes similaires : leur idiolecte est alors proche du vernaculaire, et ces textes apportent donc la preuve que la langue parlée à la maison est encore le dialecte. Nombreux traits phonétiques (L. 1-2 : [Θ]ιός. Τιούχαν, Αὐτομένιος. L. 4 : μεινὸς Βουκατίω πεντεκηδεκάτη. L. 10 : παρμεινάσας αὐτῦς. L. 11-12 : ζώωνθι, ποιιώσας. L. 13 : τὰ ἐπιταδδόμενα. L. 25 : βείλωνθη = att. βούλωνται).
Pour citer cet article
Référence papier
Sophie Minon, « Dialectologie grecque », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 151 | 2020, 88-96.
Référence électronique
Sophie Minon, « Dialectologie grecque », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 151 | 2020, mis en ligne le 09 juillet 2020, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3561 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3561
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