Philologie moyen-indienne
Résumé
Programme de l’année 2017-2018 : I. Initiation au pali. — II. Examen de travaux récents dans le domaine du moyen-indien et lecture de textes en pali.
Texte intégral
1En 2017-2018, l’auditoire a rassemblé un petit groupe d’étudiants avancés et motivés, parmi lesquels l’une a soutenu un excellent mémoire de master 1 Études asiatiques (Mingous 2018) et l’autre, Hélène de Brux, titulaire d’un master 2 (dirigé par V. Eltschinger), a fait au printemps 2019 une présentation de son travail sur la notion de miracle dans le bouddhisme, ce qui a conduit à lire le Kevaṭṭasutta du Dīghanikāya et son commentaire. Toutes deux ont également été invitées à participer à la Troisième semaine internationale d’études palies que nous avons organisée en juin 2018 (voir ci-dessous).
2Le travail sur l’éthique de la parole de notre étudiante de M1 a motivé certaines des lectures faites en première partie d’année. Il était impératif de commencer par le Subhāsitasutta du Suttanipāta, qui n’est pas un texte facile, accompagné de son commentaire. Ce fut aussi l’occasion de présenter aux étudiants la traduction récente de Bhikkhu Bodhi (2017). Si le sutta lui-même a déjà fait l’objet de nombreuses traductions (parmi lesquelles celle de K. R. Norman, The Group of Discourses, Londres, 1992), la Paramatthajotikā II est ici accessible en traduction anglaise intégrale pour la première fois. Traducteur infatigable de textes canoniques, dont la parution s’accélère ces dernières années, Bhikkhu Bodhi accomplit un travail en tous points excellent, de nature à satisfaire tous les lecteurs, qu’ils mènent un travail académique ou qu’ils souhaitent tout simplement avoir accès au message du Bouddha dans un anglais fluide et contemporain. Les introductions générales et les introductions par chapitre des traductions de Bhikkhu Bodhi devraient être lues par tous tant elles sont pénétrantes, tandis que l’appareil critique de notes est de nature à satisfaire le savant le plus exigeant. Parmi les passages canoniques les plus importants sur la parole figure aussi le Vācāsutta de l’Aṅguttaranikāya, qui nous a occupés et donna, lui aussi, l’occasion de présenter la traduction de Bhikkhu Bodhi (2012). La qualité de l’auditoire, dont une partie a aussi effectué de sérieuses études de sanskrit, nous a incitée à entreprendre des comparaisons avec la tradition bouddhique d’expression sanskrite : parallèlement au Subhāsitasutta du Suttanipāta on a donc lu le Vācavarga de l’Udānavarga. De la Paramatthajotikā II on a étudié de plus près le passage narratif qui a pour but de prouver que le contenu d’un message importe plus que la langue qui le véhicule ou sa correction grammaticale, et met en scène une servante qui, pour s’exprimer en langue sīhaḷa, n’en dit pas moins des vérités fondamentales du bouddhisme (Pj II 396,23-398,13). Cette lecture fut le point de départ de plusieurs séances consacrées à la question des langues du bouddhisme et de la langue du Bouddha (avec références aux récents articles de la Brill Encyclopedia of Buddhism), de la mise en scène du travail de traduction par Buddhaghosa (ve s.) des anciens commentaires sīhaḷa en māgadhī telle qu’elle figure dans le Cūḷavaṃsa (37.215-246), d’où nous avons fait une excursion vers les strophes liminaires ou conclusives des commentaires de Buddhaghosa (Sumaṅgalavilāsinī et Samantapāsādikā, respectivement ; von Hinüber 2015 sur les commentateurs comme auteurs et 2018). Nous sommes ensuite revenus à l’étude de la parole par le biais de textes narratifs en faisant porter notre attention sur le personnage de Kokālika, bavard impénitent et inopportun dont on a dessiné le portrait à partir de ses apparitions dans les Jātaka (189, 215, 481 et surtout 331 lu intégralement ; Kokāliyasutta du Suttanipāta). Il va jusqu’à insulter les deux grands disciples Sāriputta et Moggallāna et nourrir de la rancune vis-à-vis d’eux, comme le raconte la Paramatthajotikā II. Cela nous a conduit à lire le récit de la conversion de ces derniers tel que relaté dans le Vinaya, et, de là, à un développement sur la place du mètre āryā dans les textes palis (cf. la strophe appaṃ vā bahuṃ vā présente dans ce récit), puis à un autre sur la strophe ye dhammā (également présente dans ce récit) afin de présenter aux auditeurs son rôle comme quasi-mantra dans le bouddhisme attesté par sa présence sur toutes sortes de supports inscrits (références, non-exhaustives, ci-dessous). Ce fut également l’occasion d’en confronter les différentes versions, en pali ou en pali hybride et en sanskrit dans les textes et dans les inscriptions. Plusieurs séances du second semestre ont été consacrées à la lecture du Sāmaññaphalasutta et aux différents types de méditation. Afin de préparer les auditeurs à participer aux séances de lectures de manuscrits en écriture khom de la Troisième semaine internationale d’études palies, on les a initiés à cette écriture en leur soumettant des photos de la récente édition des Buddhaguṇa (Tanabe et Shimizu 2016) tout en complétant et en synthétisant les données éparses qui avaient pu être fournies au cours de l’année sur l’histoire et les caractéristiques des manuscrits en pali de Thaïlande.
3En effet, l’année universitaire 2017-2018 s’est conclue par la Troisième semaine internationale d’études palies organisée par le directeur d’études en collaboration avec M. Peter Skilling (directeur d’études EFEO). Elle s’est tenue à l’EPHE (Sorbonne, escalier U) du 11 au 14 juin 2018 avec le soutien des Actions ponctuelles de l’EPHE, de l’UMR 7528 Mondes iranien et indien, de la Fragile Palm Leaves Foundation et de la Khyentse Foundation.
4L’édition 2018 de cet événement, qui fait suite à celles de 2014 (Annuaire 146e année, p. 278-280) et de 2016 (Annuaire 148e année, p. 298-299 et publication des actes : Cicuzza 2018) n’avait pas de thème particulier, mais, à l’instar des éditions précédentes, elle avait pour but de mettre en valeur la contribution de la Thaïlande à la littérature en pali. Nous sommes heureux d’avoir accueilli cette année M. le professeur Mahesh Deokar, directeur du très actif département de pali et d’études boud-dhiques de l’université Savitribai Phule à Pune (Inde) qui peut se targuer de recevoir un très grand nombre d’étudiants, ainsi que Mme Lata M. Deokar, de ce même département. Nous espérons consolider les liens qui se sont développés entre l’EPHE et ce département tout au long de l’année 2017-2018 à la faveur d’invitations réciproques.
5La conférence d’ouverture de Nalini Balbir « Pali and Middle Indian Studies at EPHE: a historical sketch » avait pour objet de rappeler la contribution de notre institution à la connaissance des langues moyen-indiennes (pali et prakrits) en attirant l’attention sur des champs d’étude non couverts dans l’article « Sanskrit et langues indiennes » publié dans le volume du cent cinquantenaire de l’EPHE (Balbir 2018). Un tel panorama montre comment les études palies, en particulier, se sont progressivement diversifiées et beaucoup ouvertes. Rappelons que, aujourd’hui encore, l’EPHE est le seul établissement français où le pali est enseigné à part entière et étudié à la fois pour lui-même et dans ses rapports avec les traditions bouddhiques en sanskrit et en gāndhārī, d’une part, et avec la tradition jaina d’expression prakrite. Alors que, dans un premier temps, les études palies à l’EPHE se concentrent sur les textes canoniques, elles s’élargissent ensuite vers les ouvrages produits en Asie du Sud-Est, à la faveur de la présence coloniale de la France au Cambodge et au Laos et de la création de l’EFEO au début du xxe siècle, amenant au jour de nombreux textes nouveaux qui éclairent sur les pratiques. Plusieurs des communications présentées par les collègues ont illustré la richesse de la tradition palie en analysant, à leur tour, les textes peu connus sur lesquels ils travaillent – textes narratifs, historiques ou légaux : Javier Schnake (docteur EPHE), « Lines of Buddhas in Pali Buddhism according to the Sotatthakī-mahānidāna » ; Mahesh Deokar (Savitribai Phule University, Pune), « Towards a Nāgarī edition of the Thai Paññāsajātaka » ; Chanwit Tudkeao (Chulalongkorn University, Bangkok), « Culayuddhakāravaṃsa: a Pali chronicle of Somdet Pra Ponnarat » ; Grégory Kourilsky (Vientiane), « The Gurupadesa. Legal Monastic Concerns in Luang Prabang (Laos) » ; Petra Kieffer-Pülz (Weimar ; Akademie der Wissenschaften, Mainz), « Sīmā manuscripts with a focus on those of the Sīmākathā ».
6Lorsqu’ils relèvent des savoirs linguistiques, les textes palis sont redevables à la tradition sanskrite, mais il convient de les étudier précisément pour mesurer la part de la dépendance et celle de l’originalité. La communication de Lata M. Deokar (Savitribai Phule University, Pune), « Adopting Structure. Adapting Contents: The Abhi-dhāna-ppadīpikā and its commentary Abhidhānappadīpikāṭīkā by Caturaṅgabala » a savamment illustré cette démarche dans le domaine de la lexicographie où l’influence de l’Amarakośa est prégnante. En outre, les nouvelles créations palies de Thaïlande offrent également un champ privilégié pour l’étude de ce que l’on appelle « le pali indochinois ». Les « irrégularités » qu’il manifeste sont souvent liées au substrat vernaculaire et montrent la vitalité d’une langue qui est maniée par toutes sortes de locuteurs. La communication de M. Deokar (voir ci-dessus) a ainsi donné un brillant aperçu de plusieurs particularités syntaxiques du Samuddaghosajātaka.
7La littérature canonique en pali n’a pas été oubliée et était présente au cœur des communications présentées par deux étudiantes prometteuses de l’EPHE (voir ci-dessus) : Lise Mingous, « Ethics vs Discipline: the undecided position of musāvāda in the Pali Canon » et Hélène de Brux, « The three pāṭihāriyas: how to reconcile superhuman powers and Buddhist miracles ».
8Chacun à sa manière, Oskar von Hinüber (Académie des inscriptions et belles-lettres) dans « The Veda, Indian Grammarians and the Language of Early Buddhism » et Jan E. M. Houben (EPHE) dans « Vedic prose, Prakrit and Pali: a Pāṇinian perspective » ont discuté à la lumière de découvertes récentes (archéologiques et numismatiques notamment) les questions des langues anciennes du bouddhisme en relation avec les traditions coexistantes d’expression védique et prakrite.
9D’autres communications, en apparence plus éloignées du centre névralgique de la manifestation, n’en ont pas moins été très instructives : Vincent Eltschinger (EPHE) a étudié « Dharmakīrti and his commentators on the origin of suffering » sur la base de passages cruciaux ; Vincent Tournier (EFEO), « Buddhist Lineages, Regional Networks, and the Borderlands: the Evidence from Āndhra » a montré tout ce que le projet en cours sur l’épigraphie de l’Andhra Pradesh contient de promesses pour accroître notre connaissance des implantations du bouddhisme ; Arthid Sheravanichkul (Chulalongkorn University, Bangkok), « Chanting under royal patronage: Thai chanting tradition cherished by the kings of the Chakri Dynasty » a procuré une ouverture bienvenue en donnant à voir les liens entre traditions liturgiques en pali et en thaï.
10Le thème de l’exposé de Georges-Jean Pinault (EPHE), « The Praise of the Buddha’s Qualities in Tocharian », même s’il n’avait pas strictement trait au pali, était en parfaite adéquation avec le texte choisi pour les séances de lecture de manuscrits en palis qui, cette année, comme lors des éditions précédentes de l’événement, ont occupé les participants puisqu’on avait choisi un manuscrit des Mahābuddhaguṇa « Qualités du Bouddha », qui constitue une sorte de commentaire à grande échelle de la formule bien connue iti pi so, etc., et donc un éloge du Bouddha (Tanabe et Shimizu 2016). Ce manuscrit en caractères khom (Thaïlande) est conservé au Wat Pak Khlong (province de Petchaburi), collection en cours de catalogage par S. Pakdeekham, qui a animé les séances de lecture parisiennes et donné une présentation du Tāmrā Traipiṭaka en attirant l’attention sur les titres les moins connus mentionnés dans ces documents recensant la littérature en pali que les fidèles tiennent pour canonique.
11Il est prévu de publier les actes de cette Troisième semaine d’études palies dans la collection « Materials for the Study of the Tripiṭaka » (Bangkok).
Références bibliographiques
12Balbir, Nalini, « Sanskrit et langues indiennes », dans L’École pratique des hautes études. Invention, érudition, innovation, de 1868 à nos jours, sous la direction de Patrick Henriet, Paris, Somogy, 2018, p. 287-293.
13Bhikkhu Bodhi, The Numerical Discourses of the Buddha. A Translation of the Aṅguttara Nikāya, The Pali Text Society in association with Wisdom, 2012.
14Bhikkhu Bodhi, The Suttanipāta. An Ancient Collection of the Buddha’s Discourses Together with Its Commentaries Paramatthajotikā II and excerpts from the Niddesa. Translated from the Pāli. The Pali Text Society in association with Wisdom, 2017.
15Boucher, Daniel, « The Pratītyasamutpādagāthā and Its Role in the Medieval Cult of Relics », The Journal of the International Association of Buddhist Studies 14, 1 (1991), p. 1-27.
16Cicuzza, Claudio (éd.) Katā me rakkhā, katā me parittā. Protecting the Protective Texts and Manuscripts. Proceedings of the Second International Pali Studies Week, Paris 2016, Bangkok, Lumbini, 2018 (Materials for the Study of the Tripiṭaka, General Editor Claudio Cicuzza, vol. 14).
17Griffiths, Arlo, « Inscriptions of Sumatra: Further Data on the Epigraphy of the Musi and Batang Hari Rivers Basins », Archipel, 81 (2011), p. 139-175.
18Griffiths, Arlo, « Written traces of the Buddhist past: Mantras and Dhāraṇīs in Indonesian inscriptions », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 77, 1 (février 2014), p. 137-194.
19Hinüber, Oskar von, « Early Scripture Commentary », Brill Encyclopedia of Buddhism, Leyde, Brill, 2015, p. 431-441.
20Hinüber, Oskar von, « Languages: Indic », Brill Encyclopedia of Buddhism, Leyde, Brill, 2015, p. 899-908.
21Hinüber, Oskar von, « Building the Theravāda Commentaries: Buddhaghosa and Dhammapāla as authors, compilers, redactors, editors and critics », JIABS, 36-37 (2013-2014, paru 2015), p. 353-387.
22Hinüber, Oskar von, « Two Notes on Pali Metre », JPTS, 33 (2018), p. 115-122.
23Mingous, Lise, Éthique de la parole dans le canon bouddhique pāli, mémoire de master 1 Études asiatiques, EPHE, juin 2018, 159 p.
24Sander, Lore, « An Unusual ye dharmā Formula », dans Buddhist Manuscripts, vol. 2, éd. J. Braarvig et alii, Oslo, 2002, p. 337-349.
25Skilling, Peter, « Some Citation Inscriptions from South-East Asia », JPTS, 27 (2002), p. 159-175.
26Skilling, Peter, « A Buddhist inscription from Go Xoai, Southern Vietnam and notes towards a classification of ye dharmā inscriptions », dans 80 pi sasatrachan dr. prasert na nagara: ruam botkhwam vichakan dan charük lae ekasan boran [80 Years: A collection of articles on epigraphy and ancient documents published on the occasion of the celebration of the 80th birthday of Prof. Dr. Prasert Na Nagara], Bangkok, 21 mars 2542 [1999], p. 171-187.
27Strauch, Ingo, « Two Stamps with the Bodhigarbhālaṃkāralakṣa Dhāraṇī from Afghanistan and Some Further Remarks on the Classification of Objects with the ye dharmā Formula », dans Prajñādhara. Essays on Asian Art, History, Epigraphy and Culture in Honour of Gouriswar Bhattacharya, éd. Gerd J. R. Mevissen et Arundhati Banerji, New Delhi, Kaveri Books, 2009, vol. 1, p. 37-56.
28Tanabe Kazuko et Shimizu Yohei, An Illustrated Folding Book from the late Ayutthaya period preserved at Wat Hua Krabue, Japan Society for the Preservation of Southeast Asia’s Literary Heritage, 2016 [contient notamment l’édition des Buddhaguṇa].
Pour citer cet article
Référence papier
Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 150 | 2019, 391-395.
Référence électronique
Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 150 | 2019, mis en ligne le 12 juin 2019, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3219 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3219
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