Histoire de Paris
Résumé
Programme de l’année 2017-2018 : Recherches sur les artistes parisiens, XVe-XVIIe siècles.
Texte intégral
- 1 Les résultats de ces recherches ont été publiés dans le catalogue de l’exposition et dans les Docum (...)
1En lien avec la préparation de l’exposition sur le théâtre français de la Renaissance organisée au château d’Écouen à l’automne 2018, on a étudié cette année avec les étudiants et les auditeurs les tableaux de comédiens peints à Paris dans la seconde moitié du xvie siècle. Ces œuvres représentent essentiellement des acteurs italiens, et non français. Elles donnent l’impression d’une production en série car il n’est pas rare d’avoir plusieurs exemplaires d’une même composition, parfois sur des supports différents. Leur datation est souvent floue car, en dehors des costumes, qui sont à interpréter avec précaution, les éléments iconographiques ou matériels pouvant aider à les situer précisément dans le temps sont peu nombreux. On a pu constater aussi que les propositions d’attributions qui avaient été avancées jusqu’ici étaient généralement mal étayées et méritaient d’être reconsidérées. Après avoir recensé et présenté ces tableaux, on s’est donc efforcé d’apporter quelques éclairages sur les conditions dans lesquelles ils ont été créés, en s’appuyant notamment sur des documents tirés des archives notariales1.
2Les portraits collectifs de comédiens et les scènes de Commedia dell’arte apparaissent dans les inventaires parisiens à partir des dernières années du règne de Henri III. Les plus anciennes mentions retrouvées de tableaux de Pantalons se situent en 1587-1588 et concernent des proches de la cour : le valet de chambre ordinaire du Roi Jean Pioche, le conseiller au Parlement Antoine Coutel ou encore l’interprète du Roi en langue germanique Alexandre Silvain van den Busque. À la mort de sa femme, en août 1587, le cirier de la Chancellerie Gilles de Laulu possédait un Arlequin qu’il avait sans doute acquis récemment puisque le rôle n’avait été créé que deux ans auparavant par Tristano Martinelli. Sous le règne de Henri IV, des tableaux similaires apparaissent chez des marchands comme Thomas Leprêtre, Jean Delaunay, Guillaume Deloire ou encore Nicolas Brulin. En 1604, Françoise de Saint-Liger, veuve d’un bourgeois de Paris, avait à elle seule trois tableaux de Pantalons.
3Pour savoir qui produisait ces tableaux, on a examiné systématiquement tous les inventaires de peintres parisiens conservés pour les règnes de Henri III et Henri IV. Il est apparu que, parmi eux, un seul mentionnait des tableaux de Pantalon, celui de Nicolas Leblond, qui n’en détenait pas moins de huit à sa mort en 1610. On peut noter que l’artiste possédait également une Jalousie, terme qui désignait un tableau comparable à la Femme entre les deux âges du musée de Rennes, sur lequel le vieillard apparaît sous les traits de Pantalon. Tous n’étaient peut-être pas de sa main. Leblond était en effet non seulement peintre, mais aussi marchand de tableaux et éditeur d’estampes. On a donc étudié en détail sa carrière et son réseau de collaborations pour arriver à la conclusion que l’artiste a joué un rôle essentiel dans la production en série de tableaux de comédiens.
4Ceux-ci étaient pour la plupart peints sur toile. Toutefois, la bibliothèque de la Comédie française conserve deux scènes de Commedia dell’arte de cette époque peintes sur cuivre. On s’est donc interrogé sur la date d’apparition de ce support dans la peinture parisienne. Là encore, c’est l’examen des inventaires notariés qui a permis d’apporter une réponse, en exploitant non ceux des particuliers, où les œuvres mentionnées pouvaient avoir été importées des Flandres, mais ceux des artistes. Ainsi, celui dressé en 1609 à l’occasion du mariage du peintre Nicolas Pontheron mentionne dans la rubrique des cuivres non seulement des tableaux achevés, mais aussi des supports bruts et d’autres « imprimez », c’est-à-dire seulement revêtus d’une couche de préparation. Il s’agit là de la plus ancienne mention assurée d’une production parisienne dont on trouve ensuite de nombreux exemples sous le règne de Louis XIII.
- 2 Par exemple la Vierge servie par les anges du musée de Lyon.
- 3 Jørgen Wadum, « Antwerp copper plates », dans Copper as canvas. Two centuries of masterpiece painti (...)
- 4 Vente Artcurial, Paris, 21 mars 2018, no 19.
5Les premières plaques de cuivre destinées à la peinture semblent avoir été importées d’Anvers. Sur le revers de l’une de celles de la Comédie française, on relève une marque estampée des lettres K W, qui doit avoir été apposée par le fabriquant. On retrouve celle-ci au dos de peintures sur cuivre attribuées à des Anversois actifs dans les premières décennies du xviie siècle comme Frans Francken ou Abraham Govaerts2, et Jørgen Wadum l’a aussi repérée sur des œuvres de l’entourage d’Otto van Veen (1556-1624)3. Cependant, la même estampille figure sur un Moïse sauvé des eaux signé par Nicolas Moillon, peintre parisien installé à Saint-Germain des Prés et mort en 16194. Sur la base de ces éléments, il est possible d’envisager une exécution des cuivres de la Comédie française dans les années 1610 et de les attribuer à un peintre de la capitale fréquentant des artistes et marchands anversois, ce qui était le cas de Nicolas Pontheron comme de Nicolas Leblond.
6L’examen des tableaux de comédiens a été l’occasion de travailler, de façon plus large, sur d’autres types de production en série à Paris à la même époque. On a pu ainsi mettre en lumière le rôle de Nicolas Leblond dans la commercialisation, dans les premières années du xviie siècle, de copies d’artistes importants du siècle précédent, notamment Antoine Caron et surtout François Clouet. Leblond possédait dans son atelier, en 1610, des originaux de l’un comme de l’autre, ainsi que de nombreuses reproductions qu’il faisait lui-même ou confiait à d’autres peintres parisiens comme Simon Leblanc, Nicolas Pontheron, Laurent Guyot et Jean Nallet. Il a également diffusé des compositions de Clouet par l’intermédiaire d’une gravure qu’il fit exécuter par l’Anversois Pieter Perret en 1579, d’après un dessin ou un tableau de l’artiste représentant la troupe de Jean Poignant, un farceur français, cette fois, qui s’était produit à la cour sous le règne de Henri II. Le thème, là encore, avait dû donner lieu à une production importante. L’inventaire du peintre et marchand de peintures Girard Aubry, par exemple, mentionne en 1611 un « tableau pain sur tuelle ou est figuré une farce de Jehan Poignant ». Les sources littéraires confirment ce succès. Ainsi, dans Le Remerciement des beurrieres de Paris au sieur de Courbouzon Mongommery, libelle anonyme publié peu après l’assassinat de Henri IV, plusieurs décennies après la disparition du comédien, on trouve celui-ci cité comme parangon du farceur : « Je luy demanderois volontiers où il pense estre, quand il fait ces belles exclamations, s’il cuide jouer une farce aux pois pillez, enfariné et enchevestré du beguin de Jean Poignan ».
7Plusieurs conférences ont été consacrées à d’autres aspects de la peinture parisienne à la même époque. On s’est attaché en particulier à documenter le Jugement dernier daté de 1605 actuellement conservé dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, pour lequel aucune proposition satisfaisante n’avait été faite depuis l’abandon de l’ancienne attribution à Martin Fréminet. Une recherche dans les archives a permis d’établir qu’il a été commandé par Nicolas Gaillard, aumônier de l’abbaye de Sainte-Geneviève, au peintre parisien d’origine rouennaise Jacques Le Pileur. La maladie empêcha celui-ci d’achever son travail et Gaillard, après avoir repris le tableau, en fit compléter les parties manquantes par un autre artiste, dont on ne sait malheureusement pas le nom. La connaissance de cette exécution en deux temps a permis de mieux analyser l’œuvre, qui a ensuite été comparée au reste de la production parisienne contemporaine. Enfin, on a cherché à préciser la carrière de Jacques Le Pileur et à établir les liens qu’il pouvait avoir avec d’autres peintres du même nom ayant exercé leur métier à Rouen, Tours et Paris.
Notes
1 Les résultats de ces recherches ont été publiés dans le catalogue de l’exposition et dans les Documents d’histoire parisienne (Muriel Barbier et Guy-Michel Leproux, « Des tableaux de Pantalons », dans Pathelin, Cléopâtre, Arlequin. Le théâtre dans la France de la Renaissance, catalogue de l’exposition, Écouen, 17 octobre 2018-28 janvier 2019, sous la dir. de Muriel Barbier et Olivier Halévy, Paris, 2018, p. 154-157 ; Guy-Michel Leproux, « Nicolas Leblond et la production de tableaux en série à Paris sous le règne de Henri IV », Documents d’histoire parisienne, no 20, 2018, p. 21-46).
2 Par exemple la Vierge servie par les anges du musée de Lyon.
3 Jørgen Wadum, « Antwerp copper plates », dans Copper as canvas. Two centuries of masterpiece paintings on copper, 1575-1775, Oxford, 1998, p. 93-116.
4 Vente Artcurial, Paris, 21 mars 2018, no 19.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Guy-Michel Leproux, « Histoire de Paris », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 150 | 2019, 332-334.
Référence électronique
Guy-Michel Leproux, « Histoire de Paris », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 150 | 2019, mis en ligne le 12 juin 2019, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3157 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3157
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