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AccueilNuméros150Résumés des conférencesHistoire de la France féodale

Résumé

Programme de l’année 2017-2018 : I. Les Francs et les autres. — II. Questions diverses.

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Texte intégral

1La première conférence étudie successivement l’acculturation des Normands en France occidentale, entre le ixe et le xie siècle, et la confrontation des « Francs » de la quatrième croisade avec les Grecs et les Vlaques.

2Les Vikings ont suscité l’intérêt du romantisme, et on commence par rappeler que le chant funèbre de Ragnar Lodbrok, qui a inspiré Châteaubriand pour le bardit des Francs dans Les Martyrs (1809), a parfois servi récemment encore de support pour imaginer le chef attaquant Paris en 845, un autre Ragnar. En 1966 encore, un ouvrage de qualité attribuait toute la réussite normande du xie siècle à un atavisme scandinave indélébile. Avec David Douglas toutefois, le caractère composite de l’aristocratie normande était déjà apparu, et avec Lucien Musset, le pouvoir ducal est devenu largement postcarolingien, donc féodal. Toute une historiographie récente juge finalement l’élément scandinave presque imperceptible, tant l’acculturation au monde franc a commencé de bonne heure et a été profonde : elle insiste d’ailleurs sur les accords et contacts antérieurs à celui de 911. Il faut se demander toutefois, avec Dame Janet Nelson et avec David Bates, si l’on ne laisse pas un peu trop courir l’imagination dans ce sens, trop diamétralement opposé au paradigme ancien de la barbarie et de l’atavisme scandinaves, et avec Stéphane Lebecq et Jonathan Shepard, si l’on n’oublie pas un peu vite l’usage tactique de la terreur et les razzias d’esclaves par les pirates païens du ixe siècle. Le directeur d’études trouve d’autre part excessive la réaction actuelle contre Henri Prentout, critique « positiviste » en 1916 de Dudon de Saint-Quentin. Plutôt que d’essayer de sauver, à force d’hypothèses hasardeuses, certaines pages de cet auteur de l’an mille, au service du duc d’alors (Richard II) sur les premiers établissements normands et les péripéties du xe siècle, il vaudrait mieux considérer son Histoire des premiers ducs normands (composée probablement entre 1015 et 1026) comme une sorte de premier « roman national » des Normands de France, avec une mythologie appropriée aux enjeux de son temps. C’est dans ce sens qu’il propose l’analyse des pages consacrées par Dudon de Saint-Quentin à Hastingus (I.5 à 8, repris et transformé par Guillaume de Jumièges, I.1, 465, 8 à 11, II, 10-11) à Rollon (II.22 à 31) et aux péripéties consécutives à l’assassinat de Guillaume Longue Épée (II.67 à 90, que l’on confronte aux Annales de Flodoard, années Histoires de Richer de Reims, II.34-35, 42, 47-48). Henri Prentout a remarquablement analysé la présentation de ces personnages et épisodes, dans le dessein d’en faire une critique en règle, et il est commode de le prendre pour base dans une recherche des enjeux de l’an mille !

3D’une certaine manière, la « réhabilitation » qu’on peut esquisser des Francs « barbares » (aux yeux des Byzantins) de la quatrième croisade est du même ordre que celle des Vikings : elle doit cheminer sans aller jusqu’à l’extrême opposé. Le séminaire commence par relire la chronique du Hainuyer Gislebert de Mons, consacrée aux guerres féodales et tournois du comte Baudouin V (1169-1195), père de deux empereurs latins successifs de Constantinople : Baudouin (1204-1205) et Henri (1206-1216). On y perçoit ce que purent être la formation de ces deux hommes aux armes et à la diplomatie, ainsi que les enjeux de leurs adoubements. Une intervention de M. Nicolas Ruffini-Ronzani sur la législation de Baudouin VI de Hainaut (VIII de Flandre) complète utilement cette lecture. On analyse ensuite ce que disent des frères de Hainaut, pendant et après la quatrième croisade, Geoffroi de Villehardouin (178 à 181, 358), Robert de Clari (47-48, 66, 106) et Henri de Valenciennes (508 à 512, 529-530, 565, 567) avant de jeter un coup d’œil sur les sources byzantines (Nicétas Chôniatès) et non sans bénéficier des précieux conseils de Mme Cécile Morrisson, et de MM. Jean-Claude Cheynet et Guillaume Saint-Guillain. Il y a malheureusement assez peu à glaner sur l’interaction entre ennemis, thème cher à ce séminaire, et l’on se laisse conduire par les sources vers une série d’épisodes qui mettent en scène une difficulté rencontrée par les empereurs « byzantino-latins » lors des batailles : en tant que chefs, Baudouin et Henri sont aux prises avec la double injonction de partager la peine et l’effort de leurs troupes, et de se ménager pour assurer la continuité de leur construction politique. De là un dosage intéressant entre les scènes où ils se mettent en danger, et celles où ils se laissent persuader de garder une certaine prudence.

4La deuxième conférence s’intéresse tout d’abord aux hérésies dans la France féodale, à l’occasion de la parution du livre de M. Robert I. Moore, Hérétiques, résistances et répression dans l’Occident médiéval (2012, trad. fr. 2017) qui honore ce séminaire d’une visite, en compagnie de son traducteur M. Julien Théry et de Mme Elisabeth A. R. Brown.

5Au mois de mars 2018, M. Nicolas Ruffini-Ronzani fait part à Laurent Morelle et au directeur d’études de sa découverte fortuite, au cours d’une recherche sur les artisans du livre au xive siècle, dans le Fonds Arthur Giry de nos archives (alors dossier SH 17) d’un serment de paix diocésaine de 1163 ou 1164. Cette charte originale, dont tout atteste l’authenticité, est manifestement arrivée entre les mains de notre grand prédécesseur tout à la fin de sa vie (13 novembre 1899) , puisqu’il n’en fait état nulle part ailleurs dans ses papiers, puisqu’il l’a véritablement égarée au milieu de notes sur Toulouse au ixe siècle, et puisque sa transcription même est interrompue à la moitié ; il n’en indique malheureusement pas la provenance, et celle-ci est très difficile à déterminer puisque la charte ne comporte aucune mention dorsale ou indication quelconque qui puisse mettre sur la voie. L’ensemble des médiévistes de l’EPHE sont immédiatement avertis et consultés, ainsi que de nombreux autres collègues. Le directeur d’études, s’associant à M. Ruffini-Ronzani, se met à explorer les fonds d’archives (à Paris et à Toulouse), et spécialement leurs inventaires, en quête d’un indice sur la provenance possible du document. À ce jour (octobre 2018) aucune piste n’est apparue.

6Il apparaît tout de même utile d’en proposer ici une transcription, réalisée avec l’aide de Nicolas Ruffini-Ronzani et de Marc Smith pour la phrase occitane, et suivie d’une traduction et d’un premier commentaire. Le parchemin mesure 130 mm sur 230, comporte 21 lignes d’écriture. La vacance du siège épiscopal de Toulouse conduit à une datation d’entre le 17 avril et le 9 juin 1163, ou à la rigueur entre le 15 mars et le 1er avril 1164.

In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti ad honorem beate et gloriose Virginis Marie omniumque sanctorum. Hec est concordia pacis et trevie Dei tocius Tolosani episcopa-/tus que facta est in manu Raimundi Tolosani comitis et [espace blanc] Tolosani episcopi. In pace sunt omnes ecclesie et earum possessiones, clerici et monachi et res eorum / et omnes ecclesiastice persone et rustici et omnes res eorum, heremite, hospitalarii, milites Templi et omnes res eorum, peregrini, merchatores, viatores, milites et domine / et omnes res eorum. In pace sunt boves et arietes, oves et capree, vacce et eque et porci cujuscumque sint. Si alter alteri honorem tollit, ille cui tollitur faciat clamorem / comiti et episcopo. Et si ad justiciam eorum emendare noluerit, comes et episcopus faciant de eo justiciam sicut de violatore pacis. In pace sunt venatores, piscatores, / saumarii omnium hominum et ea que portant, et qui eos ducunt. Ad hanc pacem et treviam Dei tenendam et defendendam, costitutum est ut conveniant duobus vicibus in anno, hoc est / in octabis sancti Michaelis et in Xo Vo die ante festum sancti Johannis, omnes domini castellorum et omnes milites et rustici et clerici de unaquaque domo unus de melioribus bene ar-/matus sicut melius poterit, et omnes deferant victum ad XV dies et omnia sibi necessaria. Et in eundo et in redeundo nulli malum faciant nisi super violatores pacis et trevie / Dei. Qui vero hoc fregerint, vindicta fiet de eis sicut de pacis violatoribus. Omnes etiam qui venerint, sive sint malefactores sive debitores sive fidejussores, securi veniant / et reddeant. Si vero contigerit quod aliquis miles vel rusticus alicujus castelli pacem et treviam Dei infregerit, a domino ipsius castelli et a toto castello pax exigetur. Si quis vero a XV annis / et supra hanc pacem et treviam Dei et duos supradictos conventus jurare et tenere noluerit, excommunicatus extra pacem et treviam Dei erit et fiet de eo talis justicia sicut / de violatore pacis et trevie Dei. Preterea mandamus quod si extraneus exercitusa, per se vel per aliquem qui eum adduxerit sine consilio et voluntate Tolosani comitis et episcopi Tolosani, intraverit / episcopatum, ad ammonicionem ipsius comitis et episcopi vel amborum, omnes sine ulla occasione statim conveniant sicut scriptum est. Super hoc constitutum est ut sib aliqua necessitas / violacionis pacis evenerit ad amonicionemc episcopi omnes conveniant. Omnes etiam archidiaconi et capellani, cum venerint ad supradictos conventus, ostendant et dicant / omnes illos qui noluerint jurare vel venire. Et de illis qui hec non dixerint fiet justicia et de ipsis quos celaverint, sicut de pacis violatoribus. Post hec mandant / dominus apostolicus et R. comes Tolosanus et [espace blanc] episcopus quatinus in remissione peccatorum vestrorum censum et usum quem hucusque promisistis et reddidistis venerabilibus / Templi fratribus pro pace boum deinceps reddatis. Et qui in fraternitate fratrum Templi hucusque non fuit, ut nos melius eos defendamus, amore Dei et nostro se in-/mittant et solitum censum reddant. Terminus hujus pacis est usque ad festivitatem omnium sanctorum et a festivitate omnium sanctorum usque ad V annos. / ANNO Mo Co LXo IIIo ab Incarnatione Domini.

C. regina manda que nod siant peiorad li bou ni aquo dels bus fora per eis lo deude dels bouse.

Ego N. ab hac ora usque ad festivitatem omnium sanctorum et a festivitate omnium sanctorum usque ad V annos pacem et treviam Dei tenebo, et secundum istituciones hujus / pacis et trevie Dei comiti et episcopo ad recognicionem eorum pro posse meo adjutor ero. Sic Deus me adjuvet et hec sanctaf.

7a. exercitus, suscrit. — b. si, suscrit. — c. amocionem, avec ni suscrit. — d. no, suscrit. — e. Phrase écrite en occitan à l’encre rouge dans un espace blanc. Elle a probablement été ajoutée ultérieurement par une autre main, comme en atteste le tracé légèrement différent des lettres minuscules G et D. — f. Cette phrase est écrite à l’encre noire, comme les dix-neuf premières lignes du document.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, pour l’honneur de la bienheureuse et glorieuse Vierge Marie / et de tous les saints. Voici la concorde de paix et trêve de Dieu de tout l’évêché de Toulouse, / faite dans la main de Raimond, comte de Toulouse, et de [espace blanc], évêque de Toulouse.

[I.] Sont dans la paix toutes / les églises et leurs propriétés, les clercs et moines avec leurs biens, et tous les ecclésiastiques / ainsi que les paysans avec leurs biens, les ermites, les hospitaliers, les chevaliers du Temple avec leurs biens /, les pèlerins, les marchands, les voyageurs, les chevaliers et les dames / ainsi que tous leurs biens.

[II.] Sont dans la paix les bœufs / et les béliers, les brebis, chèvres, vaches, juments et porcs, quel que soit leur propriétaire.

[III.] Si quelqu’un spolie un autre de son patrimoine, / celui-ci s’en plaindra au comte et à l’évêque. Et si le spoliateur se refuse à faire réparation selon leur justice /, alors le comte et l’évêque exerceront sur lui leur justice comme sur un violateur de la paix.

[IV.] Sont dans la paix les chasseurs, pêcheurs /, les sommiers de tout homme et ce qu’ils transportent, et encore ceux qui les mènent.

[V.] Pour que cette paix et trêve de Dieu soit observée et défendue, il est décidé que se rassemblent deux fois l’an /, à l’octave de la Saint-Michel et quinze jours avant la Saint-Jean, / tous les seigneurs de châteaux [bourgades castrales] et tous les chevaliers, paysans et clercs: chaque maison enverra l’un de ses meilleurs hommes /, armé le mieux possible, et tous se muniront de quinze jours de vivres / et de tout le nécessaire. En y venant ou en s’en retournant chez eux, ils ne devront faire de mal à personne, à l’exception des violateurs de la paix et trêve / de Dieu. Les contrevenants s’exposeront à la même vengeance que des violateurs de la paix. / Pour le reste tous ceux qui viendront, seraient-ils malfaiteurs, débiteurs ou cautions, devront être en sûreté / lors de cette allée et venue.

[VI.] Si un chevalier ou un paysan, habitant d’un château [bourgade castrale], vient à enfreindre la paix et trêve de Dieu, le seigneur de ce château et tout le château devront assurer son dû à la paix.

[VII.] Si un homme de quinze ans / et plus se refuse à jurer et observer cette paix et trêve de Dieu, avec les deux rassemblements susdits, il sera excommunié, exclu de la paix et trêve de Dieu, et on fera de lui la même justice que sur / un violateur de la paix et trêve de Dieu.

[VIII.] Nous ordonnons aussi que si un ost étranger, de son propre chef / ou sur l’ordre de celui qui l’a amené sans l’avis et le consentement du comte de Toulouse et de l’évêque de Toulouse, s’introduit / dans l’évêché, alors sur la semonce du comte, ou de l’évêque, ou des deux ensemble, tous se rassembleront sans ambages et sans retard de la manière qu’on a écrite plus haut.

[IX.] Il a été établi en outre que / s’il fallait faire face à une violation de la paix, tous auront à se rassembler sur semonce de l’évêque.

[X.] Tous les archidiacres et chapelains, lorsqu’ils viendront aux susdits rassemblements, désigneront et dénonceront / tous ceux qui se seront refusés à prêter serment et à se rendre à cette convocation. Et la justice frappera tout comme des violateurs de la paix ceux qui ne les dénonceront pas, tout comme ceux dont ils auront couvert l’abstention.

[XI.] Enfin, l’ordre / du pape, de R. comte de Toulouse et de [espace blanc] évêque est que vous devez, pour la rémission de vos péchés, le cens et la coutume que vous avez jusqu’à présent promis et dû / aux vénérables frères du Temple pour la paix des bœufs: versez-le désormais. Et que ceux qui ne sont pas encore de la confraternité des Templiers, afin que nous les défendions mieux, s’y adjoignent / et versent le cens qui est d’usage.

[XII.] Cette paix vaudra jusqu’à la Toussaint, et après la Toussaint durant cinq années. /

L’an 1163 de l’Incarnation du Seigneur.

Constance, la reine, ordonne que l’on ne mette pas les bœufs en gage ni aucun des bœufs, sauf pour ce que doivent les bœufs. /

Moi, N., de maintenant à la Toussaint et durant les cinq années suivant la prochaine Toussaint, j’observerai / la paix et trêve de Dieu, et conformément à la teneur de cette paix et trêve de Dieu, sur rappel de leur part, j’aiderai selon mon possible le comte et l’évêque. Que Dieu m’aide, et ces saints!

8Dans sa forme un peu composite, mêlant les styles objectif et subjectif, insérant dans son latin une phrase en occitan, ce texte n’a rien que d’assez caractéristique des écrits pragmatiquement rédigés en son temps. Il n’est fait ni pour nous donner un organigramme parfaitement clair de l’institution de paix, ni pour nous révéler le rôle exact de chaque autorité ou de diverses forces sociales à la négociation. Comme souvent, les premiers articles s’enchaînent avec une certaine cohérence, après quoi on a l’impression que des précisions nouvelles sont adjointes avec moins d’ordre, comme si on s’était avisé après coup de leur utilité ou mis d’accord sur elles in extremis. Ici, la question de la confraternité due aux templiers paraît avoir fait problème, et se régler à la fin par un compromis un peu lâche (XI), et sur l’intervention de Constance s’il faut expliquer l’article additionnel en occitan par l’offre de cette « meilleure défense » que vient d’évoquer l’article XI. Mais beaucoup plus haut, déjà, comment expliquer l’interruption de la liste initiale des sûretés par l’article III, assez extérieur au champ d’une paix diocésaine ?

9Ce texte ne constitue pas pour nous une surprise totale, puisque dans une charte de juin 1163, lors de sa réconciliation avec Raimon Trencavel, le comte Raimon V évoque la paix qu’il met dans les diocèses de Toulouse et d’Albi. En voici donc les statuts, inclus dans une formule préparée pour le serment. Ils étonneraient par certains de leurs articles, si nous ne disposions désormais de ceux de la Gascogne, promulgués en 1148/1149 et réapparus en 2004 avec le cartulaire de l’évêché de Dax, jusqu’alors en main privée, ainsi que de l’édition par Rudolf Hiestand (1972) d’une bulle du par Adrien IV (1155) longtemps méconnue malgré l’analyse qu’en donnait en 1927 l’inventaire des Archives de la Haute-Garonne. Ces trois documents permettent en effet de redécouvrir l’entreprise de paix des provinces de Narbonne, Auch et Bordeaux, lancée aux années 1140, avec comme caractères originaux la place faite aux osts de paix (« communes » selon les statuts gascons) et la taxe acquittée au bénéfice des ordres militaires, sous le nom de « confrérie ».

10Il est difficile de savoir quels articles des statuts qui feront ici l’objet d’un serment représentent des innovations par rapport à ce qui figurait dans les précédentes paix de la province de Narbonne (à laquelle appartient le diocèse de Toulouse) qui ont pu être depuis une vingtaine d’années renouvelées et retouchées tous les cinq ans, et dont nous aimerions bien retrouver le texte ! Ce document atteste tout de même que l’entrée en confraternité (avec cotisation) de l’ordre du Temple avait été demandée antérieurement et que les gens de Toulouse et du Toulousain (seigneurs et chevaliers notamment) ont dû rechigner quelque peu. Il est possible aussi que le serment de 1163/1164 innove en matière d’ost : l’ordre de se rassembler deux fois l’an (article V) et la mobilisation contre un ost invasif, étranger au diocèse ou hostile au comte et à l’évêque (VIII) sont des mesures tout à fait uniques dans nos dossiers des paix diocésaines, et on doit certainement les rapprocher de la vive menace que faisaient planer sur Toulouse Henri Plantagenet et Raimon Trencavel en 1163 et 1164. Cette menace même n’est cependant pas sans précédent, et Raimon V peut aussi avoir réactivé une mesure de son père Alfonse Jourdain.

11Notre charte enfin, tout en annonçant « la paix et trêve de Dieu » ne dit rien de la seconde. S’agit-il d’une expression figée dans la province de Narbonne, d’une sorte de label hérité du xie siècle sans que la mise en œuvre de la trêve suive, avec la nécessaire précision de ses jours et temps exacts ? Ou serait-ce qu’elle n’a pas à être jurée ni à être prescrite tant qu’il n’y a pas d’évêque consacré à Toulouse ? À première vue, l’évêque semble très éclipsé par le comte ici, puisque ce dernier peut faire avancer le processus de renouvellement de la paix diocésaine durant une vacance du siège de Toulouse. Toutefois, il faut observer qu’il conserve sa place dans l’architecture habituelle des paix diocésaines, la coopération entre lui et un comte ou vicomte étant tout à fait de fondation dans cette formule institutionnelle. De ce point de vue, je ne vois aucune relation possible entre ce texte et la paix décrétée par Louis VII en un « concile royal » à Soissons en 1155 : les sûretés classiques y sont en effet assurées par un système tout féodal et qui n’a rien de spécifiquement diocésain. Dans le Toulousain en 1163/1164, au contraire, la justice de l’évêque conserve toute sa pertinence, la confraternité survit pour que pour les cotisants soient mieux défendus. En d’autres termes, le rôle temporel de l’évêque de Toulouse est ici attesté, comparable à ce qui se passe dans d’autres diocèses occitans, en dépit du silence de la documentation toulousaine par ailleurs, entre 1114 et 1186. Mais pareil silence est tout à fait habituel dans les diocèses pour lesquels ne nous sont parvenus ni biographies ou correspondances d’évêques, ni cartulaire de l’évêché ou archevêché.

12L’analyse de ce serment et de son intérêt historique pourra et devra continuer dans le séminaire de l’an prochain (aux « questions diverses », puisque ce texte est apparu après l’envoi du programme 2018-2019). Il y a des observations et des hypothèses à faire, notamment, sur les échos indirects que l’on peut trouver, tout de même, dans la documentation toulousaine. Il semble notamment possible qu’une certaine filiation existe, de cet ost de paix de 1163/1164 à la « milice toulousaine » (exercitus communis) qui fera campagne entre 1202 et 1204 pour soumettre aux consuls ou contraindre à l’allégeance nombre de châteaux et bourgades de ce que l’on peut appeler, à l’italienne, le contado toulousain. Et faut-il perdre espoir qu’en cours d’année la provenance exacte de ce document nous soit révélée, et que d’autres viennent s’ajouter à lui ?

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Pour citer cet article

Référence papier

Dominique Barthélemy, « Histoire de la France féodale »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 150 | 2019, 288-293.

Référence électronique

Dominique Barthélemy, « Histoire de la France féodale »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 150 | 2019, mis en ligne le 12 juin 2019, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/3095 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.3095

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Auteur

Dominique Barthélemy

Directeur d’études, M., École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques, correspondant de l’Institut

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Droits d’auteur

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