Langue et sources documentaires coptes
Résumé
Programme de l’année 2017-2018 : I. Les inscriptions du Deir Abou Hennis. — II. Documents juridiques de Moyenne-Égypte.
Texte intégral
- 1 Sur le site, voir en dernier lieu : G. J. M. van Loon, « Patterns of Monastic Habitation on the Eas (...)
1En face du village moderne de Deir Abou Hennis, sur la rive gauche du Nil, à quelques kilomètres au nord de la ville d’Antinoupolis, une communauté monastique s’est installée, vraisemblablement dès le ve siècle, dans les nombreuses carrières de pierre creusées, au Nouvel Empire, dans les premiers contreforts du plateau rocheux. Les moines ont investi ces larges surfaces pour y créer des pièces de vie et des espaces liturgiques : ils ont construit des murs devant les entrées des carrières et dans celles-ci, mais aussi sur le sommet du plateau ; ils ont aménagé des banquettes, creusé des placards et percé des trous de suspension pour les lampes ; ils ont même parfois décoré les murs de peintures et d’ornements. Le site monastique a l’apparence générale d’une laure, dont les cellules sont pratiquement contiguës en raison de l’agencement des carrières. Les habitations monastiques sont reliées par un chemin et deux espaces communautaires ont pu être identifiés dans la partie nord : une église (carrière DAH 012) et un ensemble de pièces qui pouvaient servir de lieu de prière, voire de réfectoire (DAH 033). Le monastère, qui semble ne plus avoir été occupé après le viiie siècle, a pu compter 70 à 80 moines dans la partie nord et 40 à 50 dans la partie sud1. Près de 400 inscriptions, grecques et surtout coptes, ont été gravées ou peintes dans l’église, la salle commune DAH 033, mais aussi dans les habitations des moines. La plupart d’entre elles sont inédites ; les quelques textes publiés l’ont été à date ancienne et méritent souvent une réédition.
- 2 A. Łajtar, « Dongola 2010: Epigraphic report », PAM 23, 2011, p. 285-295.
2Après une brève présentation du site et de l’histoire des recherches, nous avons examiné la distribution des inscriptions au sein des carrières, qui éclaire d’un jour nouveau l’organisation spatiale de la laure. On peut ainsi mettre en évidence des espaces publics, bien pourvus en graffiti de toutes sortes, des cellules de moines, usuellement pauvres en inscriptions, des lieux de culte funéraire, manifestés par une ou plusieurs épitaphes et des graffiti notés à proximité, voire même un lieu de retraite, où des inscriptions enregistrent des durées en jours en mois et en années, qui correspondent peut-être à des temps de réclusion. Un premier dossier d’inscriptions, situé dans DAH 023, a été étudié dans la foulée. À l’entrée de la carrière, sur la paroi de droite, six graffiti sont notés autour d’une stèle funéraire gravée dans la roche. L’épitaphe grecque commémore le décès d’un certain apa Lôts, survenu le 11 du mois de Tybi, date qui avait été instituée comme jour de fête au sein du monastère. Au-dessus de la stèle, un graffiti, grec également, s’adresse au défunt en le qualifiant de ἅγιος πατὴρ ἡμῶν, « notre saint père », et le prie d’intercéder auprès de Dieu. Enfin, quatre demandes de prière en copte font appel, selon toute vraisemblance, à la même intercession du personnage, considéré comme saint dans sa communauté. La carrière DAH 023 était à l’origine un ermitage monastique qui, à la mort de son occupant, apa Lôts, fut aménagé en chapelle funéraire. Une situation très proche a été décrite en Nubie, plus précisément à Dongola, par A. Łajtar : l’ermitage d’un moine, un certain Anna, a été transformé à sa mort en un lieu de culte où de nombreux visiteurs ont laissé des graffiti ; trois d’entre eux invoquent le nom du moine devenu saint et l’un précise le jour de sa fête – qui, par coïncidence, tombe également en Tybi2.
3Nous nous sommes ensuite penchés sur l’épitaphe bilingue d’un certain Papias, originaire d’Isaurie. Autour d’une croix insérée dans un médaillon décoratif d’un mètre de diamètre environ, des textes grec (à gauche) et copte (à droite) commémorent le décès du personnage. La sculpture et la gravure sont de grande qualité et témoignent de la maîtrise de l’artisan. On peut mettre par ailleurs Papias en relation avec le riche Isaurien, bilingue grec et copte, qui vivait à Antinoupolis d’après le recueil de miracles de Kollouthos, le saint patron de la cité. Il pourrait s’agir du même personnage historique ; il se pourrait aussi que le miracle ait voulu, en mentionnant Papias sans le nommer, assurer un ancrage dans une réalité géographique locale bien connue des lecteurs ou auditeurs, qui auraient ainsi fait le lien entre le miracle et l’inscription. L’épitaphe de Papias, maintenant à l’air libre, était à l’origine incluse dans une petite chapelle funéraire attenante à la carrière DAH 033. Cet espace communautaire est rempli d’inscriptions, des prières adressées à Dieu, des demandes de souvenir ou de simples signatures de visiteurs. L’examen de ces inscriptions a permis de montrer que certains personnages ont laissé plusieurs fois leur nom sur le site.
4Le cours s’est ensuite concentré sur les textes de l’église. On peut distinguer trois phases : les inscriptions antérieures à la décoration picturale, usuellement rédigées en grec, qui ne sont devenues visibles qu’une fois le stuc tombé ; les légendes qui décrivent les personnages représentés sur les peintures ; enfin, les inscriptions postérieures, souvent finement incisées dans la décoration ou peintes au plafond. Parmi les inscriptions récentes, plusieurs s’adressent à Dieu par l’intermédiaire de Jean-Baptiste, à qui l’église est dédiée. Au plafond du baptistère, des apophtegmes des pères du désert ont été peints. L’un d’entre eux est attribué à Grégoire de Nysse, mais il s’agit en réalité d’une citation du livre des Proverbes (13, 13), que le Cappadocien cite, il est vrai, à deux reprises dans ses œuvres. L’auteur du dipinto lui a donc de bonne foi attribué la sentence.
5La deuxième partie de la conférence portait sur la riche documentation juridique de Moyenne-Égypte. Nous avons commencé par réexaminer, pendant plusieurs séances, des papyrus de la ville d’Akoris. Ces documents ont été publiés, mais souvent de manière fantaisiste, dans une publication parue à Kyoto en 1995 (P. Akoris). Les numéros 66, 67, 68 et 69 ont ainsi été édités séparément et présentés comme des textes théologiques. Les quatre fragments sont en réalité jointifs et constituent un contrat de prêt, pratiquement complet, dans lequel le dénommé Senouthios emprunte deux sous d’or à un certain Geôrgios. D’autres documents juridiques du site ont fait l’objet de relectures et de réinterprétations.
- 3 S. Donadoni, « Una homologia del presbitero Severo », dans Christianity in Egypt: Literary Producti (...)
6Notre attention s’est ensuite portée sur un papyrus d’Antinoupolis publié il y a quelques années par S. Donadoni. Dans le document, le prêtre Sevêros d’un village au sud du nome Hermopolite s’adresse à un économe nommé apa Theuna, responsable d’une institution religieuse d’Antinoupolis. Sevêros reconnaît « donner » à Theuna un certain Timothe, un homme de son village, pour une durée d’un peu plus de deux mois et pour la somme d’un tiers de sou d’or. Le document s’apparente donc à un contrat de travail, mais rédigé par un intermédiaire, Sevêros, qui indique avoir affecté le salaire au troisième paiement partiel (ἐξάγιον) des impôts. Il faut probablement imaginer Timothe en grande difficulté financière, au point que les autorités de son village, représentées ici par Sevêros, ont loué sa force de travail pour rembourser ses dettes3.
- 4 A. Delattre, « Corrections à quelques documents de Vienne », à paraître dans Comunicazioni dell’Ist (...)
- 5 Les corrections à ce texte ont été publiées dans la Chronique d’Égypte 93, 2018, p. 212-215.
7Nous nous sommes enfin intéressés longuement à divers documents de la Papyrussammlung de Vienne édités par W. C. Till, notamment deux contrats de travail, très proches l’un de l’autre, CPR IV 160 et 161, dont on a pu améliorer la lecture au terme d’une comparaison poussée des deux textes4. Pour terminer, la vente à terme de lin CPR IV 48 a été examinée en détail. Le contrat date de l’occupation perse de l’Égypte, plus précisément de l’année 625, et met en relation quatorze habitants de Busiris, dans le nome Hermopolite, et un responsable perse. Les villageois s’engagent à lui fournir près de deux mille écheveaux de lin. Une relecture des souscriptions (σημεῖα) des trois premiers signataires a permis de mettre en évidence qu’ils sont protocomètes, c’est-à-dire les chefs du village de Busiris. Les interventions des auditeurs ont permis également de réaliser des progrès dans l’interprétation du texte. Ainsi, alors que le premier éditeur n’avait pu donner d’explication pour les quelques traces visibles entre la mention du prix et la précision du poids des écheveaux, Anne Boud’hors a fait remarquer que la séquence, volontairement effacée par le scribe, avait été écrite par anticipation du résumé finalement noté l. 16. Dans ce dernier, comme l’a signalé Carl-Loris Raschel, il ne faut pas voir une mention de φορ(αί), dont le sens ne convient pas dans le contexte, mais de φορ(τία), « écheveaux »5.
8Ces premiers textes illustrent la richesse et la variété de la documentation juridique de Moyenne-Égypte, dont l’étude se poursuivra dans les conférences des deux prochaines années au moins.
Notes
1 Sur le site, voir en dernier lieu : G. J. M. van Loon, « Patterns of Monastic Habitation on the East Bank of the Nile in Middle Egypt: Dayr al-Dik, Dayr Abū Ḥinnis, and al-Shaykh Sa’īd. With an Appendix on Inscriptions by A. Delattre », Journal of Coptic Studies 16, 2014, p. 235-278 et G. J. M. van Loon et V. De Laet, « Monastic Settlements in Dayr Abu Hinnis (Middle Egypt): The Spatial Perspective », dans Egypt in the First Millennium AD. Perspectives from New Fieldwork, Louvain, Paris, Walpole (MA), 2014, p. 157-175. J’ai eu l’occasion de présenter une communication sur la documentation épigraphique du Deir Abou Hennis en septembre 2017 à Bari (colloque Cultic Graffiti accross the Mediterranean and Beyond). La communication sera publiée dans les actes de la réunion, sous le titre « Graffiti from Christian Egypt and the Cult of the Saints. A Case Study from Dayr Abū Ḥinnis ».
2 A. Łajtar, « Dongola 2010: Epigraphic report », PAM 23, 2011, p. 285-295.
3 S. Donadoni, « Una homologia del presbitero Severo », dans Christianity in Egypt: Literary Production and Intellectual Trends. Studies in Honor of Tito Orlandi, Rome, 2011, p. 251-255. J’en propose une réédition dans A. Delattre, « Un contrat de travail atypique d’Antinoupolis », à paraître dans Comunicazioni dell’Istituto Papirologico “G. Vitelli” 13, 2019.
4 A. Delattre, « Corrections à quelques documents de Vienne », à paraître dans Comunicazioni dell’Istituto Papirologico “G. Vitelli” 13, 2019.
5 Les corrections à ce texte ont été publiées dans la Chronique d’Égypte 93, 2018, p. 212-215.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Alain Delattre, « Langue et sources documentaires coptes », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 150 | 2019, 141-143.
Référence électronique
Alain Delattre, « Langue et sources documentaires coptes », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 150 | 2019, mis en ligne le 11 juin 2019, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/2970 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.2970
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