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Résumé

Programme de l’année 2017-2018 : Nature, environnement et représentation du monde.

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Texte intégral

  • 1 Al-Šayzarī, Nihāyat al-rutba fī alab al-isba, Freiberg, 2014, p. 174-183.
  • 2 À titre d’exemple, M. Levey, The Medical Formulary or Aqrābādhīn of al-Kindī, Londres, 1966, où l’é (...)

1La première partie de la conférence a abordé la lexicographie en mettant en perspective les instruments de travail à notre disposition, anciens et modernes ainsi que leurs limites. Pour illustrer leur emploi, nous avons repris la lecture de passages du manuel de isba d’al-Šayzārī1 à partir du chapitre consacré aux phlébotomistes que nous avons poursuivi avec celui traitant des médecins, des oculistes (kaḥḥāl), les orthopédistes (muǧǧabar) et les chirurgiens (ǧarā’i). Cette partie de l’ouvrage nous a donné l’occasion de traiter d’un très grand nombre de termes portant sur les parties du corps, les instruments chirurgicaux et les substances utilisées en médecine médiévale. Ainsi, dans le premier cas, il est apparu que le vocabulaire anatomique n’offrait pas de difficulté particulière, si on accepte les limites des connaissances médiévales. En revanche, la compréhension des noms d’instruments de médecine s’est révélée parfois plus délicate car les termes étaient ici énumérés sous forme de liste, sans contextualisation précise. Les termes de pharmacopée ont été plus aisément expliqués à partir des lexiques habituels2.

  • 3 Al-Ǧawālīqī, Kitāb al-mu‘arrab min al-kalām al-a‘ǧamī ‘alā urūf al-mu‘ǧam, Leipzig, 1867.
  • 4 Al-Ḫafaǧī, Mu‘ǧam al-alfā wa-l-tarāki al-muwallada, Tripoli, 1986.
  • 5 S. Fraenkel, Die Aramäischen Fremdwörter im Arabischen, Leyde, 1886.

2Pour les mots techniques ou simplement les emprunts nous les avons systématiquement recherchés chez al-Ǧawāliqī3 (m. 540/1145), al-Ḫafaǧī4 (m. 977/1569), dans le Lisān al-‘Arab d’Ibn Manẓūr et le Qāmūs al-muī de Fīrūzābādī afin de voir s’ils y étaient enregistrés, sous quelle forme et comment leur arabisation était évoquée. De surcroît, lorsque le terme était manisfestement un emprunt, mais arabisé depuis si longtemps que les locuteurs ne s’en aperçevaient plus, nous avons vérifié si l’araméen5 n’avait pu servir d’intermédiaire comme par exemple, zurrāqa, « tuyau », « seringue », qui est un emprunt au grec σύριγγα, lui-même de σύριγξ « flûte de berger ». Le terme arabe avec ce sens n’est ni dans le Lisān ni le Qāmūs. Un autre exemple illustratif est le mot kunnāš « manuel », le verbe arabe kanaša « tordre » ne peut expliquer le substantif, qui provient bien de l’araméen, kunnāš « collection », « recueil de notes », « manuel », le verbe étant kǝnaš « rassembler ». Le Lisān et le Muī l’ignorent mais al-Ḫafāǧī le connaît comme mot syriaque signifiant « recueil ».

  • 6 Ibn Abī ‘Uṣaybi‘a, ‘Uyūn al-anbā’ fī abaqāt al-aibbā’, Beyrouth, Dār maktabat al-ḥayyā, s.d., p.  (...)
  • 7 G. Le Strange, Palestine under the Moslems, New York, 1890, p. 64-67 ; A.-S. Marmardji, Textes géog (...)

3La partie ecdotique nous a conduits tout d’abord à aborder la problématique de l’édition d’un manuscrit unique, avec l’exemple de la description de la mer Morte chez Muḥmmad ibn Aḥmad ibn Sa‘īd al-Tamīmī6 (fin ive / xe siècle), extraite de son Al-muršid ilā ǧawhar al-aġdiya, (Paris, BNF 2870, f. 31v-37r). Ce médecin qui travailla sous les premiers Fatimides d’Égypte laisse avec le Muršid un ouvrage de pharmacopée qui élargit son sujet à diverses substances dont la manne et les bitumes, les terres et les sels, les métaux et les pierres, comme l’indique le manuscrit de Paris. Celui-ci est important car unique bien qu’il ne donne que les chapitres XI à XIV de l’ouvrage. C’est un manuscrit dont la copie est datée de 947/1540-1541, constitué de 172 feuillets (210 × 160 mm), 17 lignes par page, titres rubriqués en rouge. Nous avons ainsi entrepris l’édition de la description de la mer Morte (Paris, BNF 2870, f. 31v-37r). Malgré l’absence d’autres manuscrits, la lecture n’a pas révélé de particularités majeures à ce texte d’un point de vue philologique. Al-Tamīmī dès l’abord nomme la mer en question « lac de Palestine » (buayrat Filasīn), « lac mort » (al-buayrat al-miyyata) et « lac de goudron » (buayrat al-zift). Quant au fond, l’auteur y développe des explications sur les causes de la densité de la mer Morte, qui est lourde par l’accumulation de sel. Il précise que Galien a prétendu avoir réalisé une eau identique. Al-Tamīmī fait l’économie d’une description géographique précise7 pour noter que ce lac est alimenté par le Jourdain qui traverse le lac de Tibériade avant de s’y jeter, en y déversant des poissons qui n’y survivent pas. Il prétend lui-même l’avoir aperçu depuis le mont des Oliviers (ūr Zaytā, écrit ūr Z.nā), à Jérusalem (!), dont il estime la distance à quatre parasanges.

  • 8 C. T. Benchekroun, « Requiem pour Ibn Ḥawqal. Sur l’hypothèse de l’espion fatimide », Journal Asiat (...)
  • 9 Ibn Ḥawqal, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. J. De Goeje, Leyde, 1873.
  • 10 Ibn Ḥawqal, Kitāb ūrat al-ar, éd. J. H. Kramers, Leyde, 1939.
  • 11 Ibn Hauqal, Configuration de la terre, trad. J. H. Kramers, et G. Wiet, Paris, 1964.
  • 12 G. Tibbetts, « The Balkhī School of Geographers », dans J. B. Harley et D. Woodward (éd.), Cartogra (...)
  • 13 T. Goodrich, « Old Maps in the Library of Topkapi Palace in Istanbul », Imago Mundi, 45 (1993), p.  (...)
  • 14 J.-C. Ducène, « Quel est le titre véritable de l’ouvrage géographique d’al-Iṣṭaḫrī ? », Acta orient (...)

4Nous avons poursuivi par la lecture du chapitre sur le Maghreb dans le manuscrit nouvellement identifié8 d’Ibn Ḥawqal (ms. Topkapı Sarayı A 3012), comparé aux versions données par les deux éditions scientifiques de l’ouvrage. De Goeje fit une première édition9 de l’ouvrage en 1873 en partant des mss de Leyde (Or. 314, daté de 926/1520), d’Oxford (Bodleian, Huntingford, 538, non daté, xiiie / xive s.) et d’un abrégé parisien (BNF 2214, daté 849/1445), au vu des remarques positives vis-à-vis des Fāṭimides que les deux manuscrits complets présentaient, les commentateurs en ont conclu que cette version avait été rédigée par Ibn Ḥawqal entre 972 et 976. En 1939, Kramers en donne une seconde édition10 en prenant comme manuscrit de base, le ms. Topkapı Sarayı A 3346 (daté 479/1086), en y ajoutant les variantes des manuscrits déjà utilisés par De Goeje, aboutissant ainsi à une édition composite ne révélant pas vraiment les strates du texte. En outre, il y ajoute les cartes qu’il décrit verbalement, description que la traduction française de Gaston Wiet11 comme la lecture trop rapide de certains commentateurs12 considèreront comme partie intégrante du texte du géographe arabe. À leur décharge, la typographie du texte de l’édition de 1939, si elle distingue bien les deux textes, ne permet pas d’en comprendre le sens, quoique Kramers s’en explique dans l’introduction. Chafik Benchekroun a montré que les remarques pro-fatimides étaient des interpolations ultérieures et en même temps il mentionne, après Thomas Goodrich13, l’existence du ms. Topkapı Sarayı A 3012 et la particularité de sa rédaction. Sur ces éléments, nous avons entrepris la comparaison de l’introduction et du chapitre sur le Maghreb donnés dans ce manuscrit, chez al-Iṣṭaḫrī et dans le ms. final d’Ibn Ḥawqal (éd. Kramers). Dans le cas d’al-Iṣṭaḫrī, nous avons fait abstraction des trois rédactions14 que laissent voir les manuscrits actuels de son ouvrage puisque ni l’introduction ni le chapitre sur le Maghreb ne montraient de variantes significatives. Le ms. Topkapı Sarayı A 3012 est un manuscrit de 158 folios, qui n’est pas folioté mais paginé, dont la copie fut terminée le 1 afar 867 / 26 octobre 1462. Le lieu de copie n’est pas indiqué, mais la page de titre montre une indication, en partie effacée, qui indique que le manuscrit avait été destiné et manifestement gardé dans une bibliothèque (izāna) d’une ville du Levant (al-Šām), que l’on ne peut identifier, le toponyme ayant été gratté. Le ms montre 19 cartes, identiques à celles d’al-Iṣṭaḫrī et donc différentes de celles d’Ibn Ḥawqal. L’introduction de l’ouvrage est ici identique à celle d’al-Iṣṭaḫrī mais diffère fortement de celle d’Ibn Ḥawqal. Nous avons ainsi édité, traduit et comparé aux textes d’al-Iṣṭaḫrī et de la version finale d’Ibn Ḥawqal des passages relatifs au Maghreb.

Al-Iṣṭaḫrī Ms A 3012 Ibn Ḥawqal
Barqaa est une une ville moyenne, guère grande, entourée d’un grand district (kūra) florissant. Elle est située dans une plaine fertile. De tous côtés, elle est cernée par une steppe habitée par des groupes (awā’if) de Berbères. Un gouverneur (‘āmil) y était envoyé d’Égypte jusqu’au moment où ‘Ubayd Allāh – le vainqueur du Maghreb – apparut et en fit la conquête. Elle cessa alors d’appartenir à l’Égypte. Quant à Tripoli du Maghreb, c’est une ville Barqab est une ville moyenne, guère grande, entourée districts (kuwar) florissants et d’autres dépeuplés. Elle se situe dans une contrée spacieuse, dont la grandeur fait un jour et quelque sur la même distance. Une montagne entoure ce territoire. Son sol, fait de pierrailles et de terre, est rouge. Les vêtements de la population sont toujours rougeâtres. À Miṣr, on les reconnaît parmi les Maghrébins par la teinte rouge de leurs vêtements. Barqac est une ville moyenne, ni grande ou considérable, ni petite ou insignifiante ; elle possède des districts (kuwar) florissants et d’autres dépeuplés. Elle se situe dans une contrée spacieuse, dont la grandeur fait un jour et quelque sur la même distance. Une montagne entoure ce territoire dans toutes les directions. Son sol, fait de pierrailles et de terre, est rouge. Les vêtements de la population sont toujours rougeâtres. À Fusṭāṭ, on les
qui ressort à la province d’Ifrīqiya. C’est une ville construite en pierre, sur la côte de la Méditerranée (bar al-Rūm), elle est fertile, possède un vaste district (kūra) et est très fortifiée. La ville est entourée dans toutes les directions par une steppe habitée par des groupes (awā’if) de Berbères. Un gouverneur (‘āmil) y était envoyé d’Égypte jusqu’au moment où ‘Ubayd Allāh – le vainqueur du Maghreb – reconnaît parmi les Maghrébins par la teinte rouge de leurs vêtements et l’altération de leur teint. La ville est entourée dans toutes les directions par une steppe habitée par des groupes (awā’if) de Berbères et elle a les caractères d’un territoire en pleine terre,
[L’auteur passe alors à al-Mahdiya] apparut et en fit la conquête. Aǧdābiya est une ville maritime et montagneux. Ses ressources en richesses
qui en est éloignée de six étapes, et elle est séparée de la mer par environ un parasange. Elle est construite en pisé (īn) ; plusieurs sortes (urūb) de Berbères y circulent. Elle est aux sont nombreuses. C’est la première cité (minbar) où s’arrête celui qui va de l’Égypte à Kairouan. Il y a là tout le temps des commerçants et beaucoup
environs de la route du Maghreb. On y trouve des produits de qualité en laine, exportés vers l’Égypte. d’étrangers qui, de manière ininterrompue, y trafiquent des marchandises, et partent de là vers l’Occident et
Surt est plus agréable que [Aǧdābiya], elle en est distante de sept étapes. Elle est entourée par une muraille (ūr à lire sūr) en bon état (āli). Elle est habitée par l’Orient. Elle a en effet une position unique dans le commerce du goudron (qarān) dont on ne trouve guère de semblable ailleurs. Il en est de
deux tribus berbères antagonistes. On y trouve des marchandises régionales, ils ont aussi des exportations de laine et d’étoffes de qualité moyenne vers l’Égypte. [Surt] est à une portée de flèche de la mer. La ville même des peaux qui sont exportées pour être tannées en Égypte et des dattes qui y arrivent depuis l’oasis (ǧazīra) d’Awǧila. Elle dispose de marchés très fréquentés où on vend de la laine, du poivre, du miel, de
appelée Waddān en est distante de cinq étapes. Elle a beaucoup de dattes que l’on exporte, grâce à cette profusion [46] vers l’Égypte, et on s’en nourrit ; ils sont plus ou moins proches des Berbères. Elle se situe à l’est (fī qubūl) de Surt. Elle estd’ailleurs du ressort du gouverneur (ṣāḥib) de Surt. la cire, de l’huile et toutes les sortes de marchandises provenant de l’Orient et exportées de l’Occident. Les habitants boivent l’eau de pluie conservée dans des citernes. Les prix sont la plupart du temps bon marché pour toutes les denrées. Aǧdābiya est une ville de son ressort. Elle se situe dans
La ville d’Awǧila est à l’est (qubūl) d’Aǧdābiya et de Barqa, elle est distante d’Aǧdābiya de sept jours. C’est elle qui a de meilleures une plaine rocailleuse et est construite en pisé (īn), en brique et un peu en pierre. Elle dispose d’une belle
dattes que Waddān, en plus grande quantité, [mot illisible] et exportées. Ses prix sont meilleurs marchés que ceux de Waddān. Sa population est également berbère et on y trouve des canaux (sawāqī) d’irrigation grande mosquée (ǧāmi‘). Elle est entourée de beaucoup de tribus (ayā’) berbères. Son agriculture est de piètre qualité. Ni elle ni Barqa ne dispose d’eau courante. Les dattiers sont en quantité suffisante
et beaucoup de sources. Leur eau et celle de Waddān possèdent une certaine douceur (līn) qui n’est pas goûtée par l’étranger. Tripoli est le lieu d’habitation des Berbères et de leurs tribus. Les Hawwāra pour leur besoin. Leur responsable (al-qā’im), qui a en charge les ressources financières, les contributions fiscales des Berbères, l’impôt foncier, la dîme sur les potagers et les jardins est aussi leur chef
possèdent au milieu de la route deux grands lieux fortifiés (qarayn, pour qarān) qui appartiennent à un homme (li-raǧul ?) des Hawwāra. Elles sont antagonistes (mutāḍayni), et entre les tribus de chacune des deux fortifications, il y a des guerres et des vendettas. militaire (amīr) et leur responsable pour la prière. Hormis ce qu’il retient pour l’autorité centrale, il perçoit les taxes sur les caravanes qui vont et viennent du pays des Noirs. La ville est aussi à proximité de la mer Méditerranée (bar al-maġribī). Des bateaux y
Un gouverneur est installé sur elles deux, relevant du souverain de Tripoli. [L’auteur continue avec la description de Tripoli.] arrivent chargés de biens et de marchandises et d’autres la quittent avec toutes sortes de produits. La majeure partie de ce qui est exporté est constituée d’étoffes de qualité médiocres et de ballots de laine de qualité moyenne. L’eau des habitants vient d’eau de
pluie (mā’ al-samā’). L’oasis d’Awǧila en est éloignée de plusieurs jours vers le sud-est, c’est une immense palmeraie qui produit énormément de dattes. À notre époque, c’est un homme nommé par le
gouverneur de Barqa qui la gouverne. Anciennement, ses revenus et ses apports au trésor central n’étaient pas compris dans les rentrées de Barqa ; lorsqu’elle fut rattachée à Barqa, elle vint
en augmenter et amplifier la richesse, et sa prospérité s’en est accrue. De là, on se rend à l’oasis de Waddān par une route qui prend la direction du désert. Waddān est une
région et une ville au sud de Surt et elle lui a été rattachée. Elle ne lui est pas inférieure par rapport à la petitesse des prix de ses dattes, de leur quantité et qualité. Et si Awǧila est très riche en dattessèches et
possède des plantations étendues, Waddān produit plus abondamment des dattes fraîches, juteuses et douces. Surt est une ville dotée d’une muraille en bon état, construite en pisé et en torchis. Elle est quasi imprenable. On y rencontre des tribus de Berbères qui disposent de cultures dans la
campagne même. Ils viennent s’installer dans les environs lorsqu’il a plu et tirent profit des pâtures. La ville dispose de ressources en revenus directs et des
prélèvements sur les chameaux et les moutons paissant qui dépassent ceux d’Aǧdābiya à notre époque. On y trouve des palmiers qui donnent des dattes fraîches. On n’y trouve pas de dattes sèches (qasb), ni en quantité appréciable car leurs palmiers suffisent [seulement] à leur besoin.
Ils ont des raisins, des fruits et leurs prix sont corrects au cours des saisons. Celui qui a en charge leurs prélèvements, leurs impositions et leur impôt
foncier ainsi que les taxes sur les caravanes est le responsable de la prière (āib al-alāt). Il lui revient aussi de gérer la contrée, de contrôler les importations et les exportations en vue de prélever les redevances et les impositions ; il doit aussi
veiller aux registres et décrets [du pouvoir] à propos de l’imposition des marchandises. Il doit le faire avec soin de crainte de la fraude qui se commettrait
pour se soustraire au droit [d’entrée] en Ifrīqiya. Ses rentrées sont ainsi bien plus importantes que celle d’Aǧdābiya, comme nous l’avons dit. Elle est située à une portée de flèche de la mer, dans une plaine
sablonneuse. Des bateaux y apportent des marchandises et en repartent avec notamment de l’alun dit de Surt, qu’on y trouve en grande quantité, ainsi que de la laine. La viande de chèvre y est plus appétissante et plus appréciée que celle de mouton. Celle-ci occupe la place de celle de chèvre en d’autres endroits car elle n’est pas goûtée des habitants ni des nomades qui viennent profiter de ses pâtures. Les habitants boivent l’eau de pluie, qui est conservée dans des citernes. Le nombre de Berbères y est plus
imposant, plus grand, plus considérable que dans les régions avoisinantes. Ces Berbères ont même un groupe établi au cœur de la
cité. De temps à autre, apparaissent des querelles entre eux et parfois éclatent des combats armés entre certaines tribus ; cela est fréquent, mais ne dure pas. Leur responsable
(‘āmilu-hum) est autonome, mais sous l’autorité d’une autorité suprême.
[L’auteur continue avec la description de Tripoli.]
a. Al-Iṣṭaḫrī, K. masālik al-mamālik, Leyde, 1927, p. 38.
b. Ms. Topkapı Sarayı A 3012, p. 45.
c. Ibn Ḥawqal, K. ūrat al-ar, Leyde, 1939, p. 66-67.

5Il est ainsi évident qu’Ibn Ḥawqal utilisa puis augmenta considérablement le texte d’al-Iṣṭaḫrī, par ailleurs, la version donnée par le ms. A 3012 est largement plus développée dans la version finale et selon un ordre un peu différent. On pourrait croire que ce ms. A 3012 n’est peut-être que la réduction mécanique, avec quelques interpolations, opérée par un copiste après la rédaction de l’ouvrage. Nous ne le pensons pas car la version du ms. A 3012 donne par endroit des détails inconnus de la version « élargie », comme les Hawwara établis à Tripoli. Ce sentiment se renforce à la comparaison d’autres passages :

Al-Iṣṭaḫrī Ms A 3012 Ibn Ḥawqal
Siǧilmāsaa est une ville moyenne à la limite de Tāhert quoiqu’elle en est séparée et aucune route ne la rejoigne hormis par le désert et les sables. Elle est proche d’une mine d’or, qui se situeentre elle, le pays des Noirs et le territoire de Zawīla. On prétend qu’il n’y a pas de gisement en or plus abondant ni plus pur, quoique la route qui y mène soit difficile et Siǧilmāsab est une très belle ville, à la population et à l’activité très considérables (ǧalīla). Elle possède une rivière qui permet grâce à son eau une mise en culture, comme celle-ci est effectuée Siǧilmāsac est une ville d’une belle situation, à la population importante (ǧalīla) et à l’activité illustre. Elle est située sur une rivière qui augmente en été comme le Nil est en crue au
en Égypte par une pratique agricole (fallāa) [spécifique]. En effet, l’eau arrive faiblement et, parfois, ils cultivent une année des semences de blé ou d’orge, moment où le soleil se trouve dans les Gémeaux, le Cancer et le Lion. La mise en culture se fait grâce à son eau, comme celle-ci est pratiquée en Égypte par une
d’une préparation très dure. Elle fait partie du royaume (mamlakat) de ‘Ubayd Allah.[L’auteur passe alors à al- ils irriguent les années suivantes et ils récoltent ce qu’ils ont semé cette année-là sept ans de suite sans pratique agricole (fallāa) [spécifique]. Il arrive qu’ils sèment des semences une année et récoltent ce qui a
Tāhert] recommencer l’ensemencement, grâce à poussé et ils irriguent les années suivantes. Et une
cette agriculture [bien] humide. On ne connaît ce phénomène nulle part ailleurs sur terre pour le blé et l’orge. Sa population est généreuse et aisée. C’est que‘Ubayd Allah ibn al- année après l’autre, cette terre donne une récolte abondante jusqu’à atteindre sept ans. Les épis ne ressemblent pas à ceux du froment ou de l’orge, les grains sont de première
Ḥusayn ibn ‘Abd Allāh ibn Muḥammad ibn Ismā‘īl ibn Ǧa‘far s’y est réfugié lorsqu’il est entré au Maghrebfuyant l’Égypte. Et il en repartit souverain qualité et agréables de goût. Leur forme est entre le froment et l’orge. Ils disposent aussi de palmeraies, de beaux vergers et de jardins. Ils ont une
(mālik) du Maghreb après avoir eu avec son gouverneur al-Yassa‘, l’un des Banū Midrār, des histoires incroyables dont la mention serait trop longue espèce de datte verte comme les bettes, extrêmement douce. Sa population est généreuse et aisée ; ils se distinguent des gens du Maghreb par leur mise et
[51] dans ce livre. De là, il s’en alla à Kairouan au mois de ramaan 294 / juin 907 et en ū l-iǧǧ/ septembre de cette année, il tuait Abū‘Abd Allāh. [Siǧilmāsa] possède leur comportement. Ils ont un goût pour la science, de la pudeur, de la modestie, de l’élégance, la pratique de qualités vertueuses, de la bienveillance et de la
des jardins, des vignes et des arbres. On y trouve des marchandises et des biens à destination du pays des Noirs. Les Berbères qui vivent au-delà modération. Leurs bâtiments sont comme ceux de Kūfa, par les portiques élevés de leur palais, solidement construits. [L’auteur continue avec
n’appartiennent plus aux pays du Maghreb (buldān al-Maġrib). Le bénéfice du pouvoir à Siǧilmāsa vient du grand nombre de dîmes, d’impôts (ǧawāl), droits de douane (arād) et taxes sur les caravanes qui viennent du pays des Noirs, sur le Aġmāt. Plus loin, l’auteur revient sur Siǧilmāsa, donnant une appréciation de sa population que l’on retrouve résumée dans la version éditée par De Goeje :] Siǧilmāsad ressemble à Kairouan dans la salubrité de son climat et le voisinage du
marché des chamaux et des bovins (dawābb). Les prix(qiyām) et les prélèvements (adaqāt) atteignent tous les jours mille dinars. [L’auteur continue avec Aġmāt] désert, ainsi que le commerce ininterrompu avec le pays des Noirs et d’autres contrées, des profits abondants, des caravanes (rifāq) continuelles, [La population se caractérise par] la maîtrise des opérations et un souci de perfection
dans les mœurs et les affaires. Par leurs usages, ils dénotent de la méticulosité des gens du Maghreb dans leurs opérations. Leur zèle à
accomplir des bonnes œuvres est courant. Leur tendance à faire le bien est évidente et ils montrent un effort viril et chevaleresque
à s’entraider. Même s’il y a eu entre eux une iniquité et une querelle (tirāt) ancienne, ils se réconcilient en cas de besoin et ils la rejettent par un esprit de magnanimité et
pardon, par une générosité innée particulière. Cette tournure d’esprit est due à leurs fréquents voyages, à la
longueur de leur absence loin de chez eux et de leur terre natale (awāni-him). J’y suis entré en [3]40/951-52.
a. Al-Iṣṭaḫrī, K. masālik al-mamālik, Leyde, 1927, p. 39.
b. Ms. p. 50.
c. Ibn Ḥawqal, K. ūrat al-ar, Leyde, 1939, p. 66-67.
d. Ibn Ḥawqal, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. M. De Goeje, Leyde, 1873, p. 70 ; Ibn Ḥawqal, K. ūrat al-ar, Leyde, 1939, p. 99.

6La description de la situation physique de Siǧilmāsa est en substance identique dans la dernière version et dans celle du ms. A 3012, à l’exception de l’excursus historique uniquement donné par le ms. A 3012. Par ailleurs, la description « morale » des habitants de l’oasis qui n’est donnée que dans la dernière version se retrouve effectivement « réduite » dans la version du texte éditée par De Goeje, qui apparaît bien comme un résumé de cette dernière version.

7Enfin, un dernier exemple nous a montré que ce manuscrit A 3012 n’était pas une réduction mécanique de la dernière version, car à propos d’Awdaġušt, l’auteur donne ici un témoignage inédit et original (ms. A 3012, p. 57-58) : « Awdaġušt est une ville bien établie (mudinat), son minbar fut installé en ma présence en [3]41/952-953. C’est une localité ancienne en tant que telle, mais récente dans son appartenance aux territoires musulmans (bilād al-islām) et au pays des Noirs. On y rencontre des commerçants généreux et aisés. Les Ṣanhaǧa sont riches en bétail (al-māšiya) au point qu’aucune tribu berbère ne peut les concurrencer. Leur souverain fait des cadeaux aux rois de Ġāna, Kūġa, Sāma et aux autres [58] rois des Noirs par la nécessité qu’implique le commerce avec eux. La chose la plus considérable à leurs yeux est le sel ; tout (umūruhum) repose sur lui, l’organisation de leur bien-être comme leur sécurité. Il leur suffit également de manière très profitable dans leur commerce de chevaux musulmans (al-ayl al-islāmiya) et des raretés (arā’if) les plus ravissantes qui sont exportées chez eux. La route qui mène de Siǧilmāsa à Awdaġušt demande deux mois pour être parcourue. »

  • 15 Ibn Ḥawqal, K. ūrat al-ar, Leyde, 1939, p. 99.

8Or, dans la version éditée Ibn Ḥawqal15 mentionnait qu’il avait vu à Awdaġušt une reconnaissance de dette (akk) d’un commerçant du lieu envers un autre de Siǧilmāsa s’élevant à 42 000 dinars. Ici, on a la date précise de son passage, 341/952-953, qui correspond à la date qu’il donne dans la dernière version de son texte pour sa présence à Siǧilmāsa, en 340/951-952.

9À la lumière de cette analyse limitée à un chapitre, nous en avons conclu que ce manuscrit, quoique tardif devait effectivement donner la première version d’Ibn Ḥawqal, mais peut-être même une version de travail, voire un brouillon. En effet, alors que l’auteur soigne son style dans les versions ultérieures, ses juxtapositions dans les énumérations, la parataxe, les anacoluthes indiqueraient plutôt ici une copie de travail.

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Notes

1 Al-Šayzarī, Nihāyat al-rutba fī alab al-isba, Freiberg, 2014, p. 174-183.

2 À titre d’exemple, M. Levey, The Medical Formulary or Aqrābādhīn of al-Kindī, Londres, 1966, où l’éditeur donne un lexique historique de 319 termes.

3 Al-Ǧawālīqī, Kitāb al-mu‘arrab min al-kalām al-a‘ǧamī ‘alā urūf al-mu‘ǧam, Leipzig, 1867.

4 Al-Ḫafaǧī, Mu‘ǧam al-alfā wa-l-tarāki al-muwallada, Tripoli, 1986.

5 S. Fraenkel, Die Aramäischen Fremdwörter im Arabischen, Leyde, 1886.

6 Ibn Abī ‘Uṣaybi‘a, ‘Uyūn al-anbā’ fī abaqāt al-aibbā’, Beyrouth, Dār maktabat al-ḥayyā, s.d., p. 546-548. S. de Sacy, Relation de l’Égypte par Abd-Allatif, Paris, 1810, p. 276-277.

7 G. Le Strange, Palestine under the Moslems, New York, 1890, p. 64-67 ; A.-S. Marmardji, Textes géographiques arabes sur la Palestine, Paris, 1951, p. 15-18.

8 C. T. Benchekroun, « Requiem pour Ibn Ḥawqal. Sur l’hypothèse de l’espion fatimide », Journal Asiatique, 204/2 (2016), p. 193-211, spéc. p. 197-198.

9 Ibn Ḥawqal, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, éd. J. De Goeje, Leyde, 1873.

10 Ibn Ḥawqal, Kitāb ūrat al-ar, éd. J. H. Kramers, Leyde, 1939.

11 Ibn Hauqal, Configuration de la terre, trad. J. H. Kramers, et G. Wiet, Paris, 1964.

12 G. Tibbetts, « The Balkhī School of Geographers », dans J. B. Harley et D. Woodward (éd.), Cartography in the Traditional Islamic and South Asian Societies, Chicago, 1992, p. 112. « Ibn Ḥawqal goes one stage further than al-Iṣṭaḫrī. In addition to his text on a particular region, he also inserts a section that describes the map literally in the simplest terms. »

13 T. Goodrich, « Old Maps in the Library of Topkapi Palace in Istanbul », Imago Mundi, 45 (1993), p. 120-133, spéc. p. 123.

14 J.-C. Ducène, « Quel est le titre véritable de l’ouvrage géographique d’al-Iṣṭaḫrī ? », Acta orientalia belgica, 19 (2006), p. 99-108.

15 Ibn Ḥawqal, K. ūrat al-ar, Leyde, 1939, p. 99.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Charles Ducène, « Philologie arabe »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 150 | 2019, 45-55.

Référence électronique

Jean-Charles Ducène, « Philologie arabe »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 150 | 2019, mis en ligne le 07 juin 2019, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/2884 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.2884

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Auteur

Jean-Charles Ducène

Directeur d’études, M., École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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