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AccueilNuméros149Résumés des conférencesPhilologie moyen-indienne

Résumé

Programme de l’année 2016-2017 : I. Initiation au pali. — II. Examen de travaux récents dans le domaine du moyen-indien et lecture de textes en pali.

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Texte intégral

1En 2016-2017, l’auditoire a rassemblé un petit groupe d’étudiants avancés. L’orientation de leurs recherches a en partie déterminé l’organisation de l’année et les thèmes abordés.

2Le domaine central durant le premier tiers de l’année a été celui de la grammaire. L’une des participantes travaillant sur la notion de racine (dhātu) dans la tradition grammaticale sanskrite (vyākaraṇa) et l’organisation du verbe en dix classes sur la base des formations de présent, on s’est attaché à examiner le traitement de ces phénomènes dans la tradition palie en prenant comme points de départ la grammaire de Kaccāyana (Pind 2013), la Saddanīti d’Aggavaṃsa (Smith 1928sq., section Dhātumālā) ainsi que les deux principaux Dhātupāṭha indépendants (Andersen 1921). On note une tension entre, d’une part, l’adoption générale de la division en dix classes et, d’autre part, la réalité de la conjugaison du verbe pali (plus de détails dans Balbir 2017, issu d’une communication sur le sujet présentée en novembre 2016). Il en résulte que certaines classes sont absentes (classe 2, présent radical athématique, sk. ad-ādi) ou très sporadiques (classe 3, présent à redoublement, sk. hv-ādi) ou que certains verbes sont attestés dans deux classes différentes (ex. jayati / jināti « vaincre »). La « Guirlande des racines » d’Aggavaṃsa fait suivre chaque racine des formes verbales afférentes mais aussi de nombreux exemples tirés des sources canoniques. Il arrive que cette démarche produise des associations curieuses, par exemple celle qui conduit à rapprocher bhikkhu « moine mendiant » (cf. bhikkhati, « se nourrir d’aumônes ») de bhindati « fendre, couper » sur la base de Dhammapada 266-267. Aussi étrange qu’il puisse paraître à première vue, ce rapprochement illustre une tendance importante de la tradition bouddhique : interpréter les mots fondamentaux de la doctrine dans une perspective sotériologique pour laquelle est convoquée « l’étymologie » qui fait ressortir toutes les potentialités sémantiques d’un terme. Les deux strophes du Dhammapada expliquent que le vrai bhikkhu est celui qui a expulsé – fendu – le mal et représente un modèle de vie parfaite. La grammaire et l’exposé des racines participent de ce mouvement, ce qui explique aussi les liens entre exégèse et grammaire : les commentaires de Buddhaghosa (ve s. de notre ère) sur le canon relient souvent mots à expliquer et énoncé des racines par les grammairiens (cf. Pind 1989). La rencontre, dans ce contexte, de Dhammpada 266-267 a été l’occasion d’étudier en détail non seulement les strophes mais aussi leur commentaire, d’y ajouter le commentaire du Saṃyuttanikāya (I 182) qui les cite aussi, et de discuter l’interprétation du mot vissaṃ (266c), qui fait difficulté, en présentant aux auditeurs les leçons adoptées par les autres traditions textuelles de cette strophe (Mahāvastu, Udānavarga, Dharmapada en gāndhāri, bilingue sanskrit-tokharien A).

3Kaccāyana complète les sutta spécifiquement consacrés aux classes verbales (447-454) par d’autres qui touchent plutôt aux formations des verbes en fonction de leur diathèse : actif, moyen, causatif. Cela implique d’aborder la question des fonctions casuelles et de certains suffixes. On a donc enchaîné avec la lecture des sutta et du commentaire relatifs aux suffixes de type –aya- (434-446), au causatif et à ses constructions (Kacc 302, 485-486, 623) et aux notions d’agent et d’objet (Kacc 281-284). Parmi les exemples donnés dans la vutti qui ont particulièrement retenu notre attention figure la phrase Upaguttena baddho Māro « Māra fut attaché par Upagupta » (sur Kacc 283), car ce personnage, absent des sources strictement canoniques en pali, est également inconnu des commentaires standard et son nom est inconnu à Ceylan (Strong 1992 : 4 ; il est absent du Dictionary of Pali Proper Names). Ce moine bouddhiste, envoyé par Asoka pour dompter Māra selon la légende, est associé aux bouddhistes Sarvāstivādin et à la tradition sanskrite. En revanche, il est bien connu en Birmanie où l’un des vecteurs de transmission textuelle est un texte pali: la Lokapaññatti texte cosmologique qui donne un récit très détaillé de sa légende (chap. 14 : Denis 1977, traduction p. 147-153 ; Strong 1992 chap. 9 : 186-208). Écrite aux xie-xiie s. à Thaton, en Birmanie, cette œuvre se fonde sur des sources du boud­dhisme sanskrit et donne une image complexe et syncrétique d’Upagupta. S’y ajoutent des textes vernaculaires birmans et thaïs. Tous concourent à montrer que le maître est vénéré comme une figure protectrice par les fidèles de Birmanie, mais aussi de Thaïlande et du Laos, et fait l’objet de nombreux cultes. Les exemples fabriqués de la vutti de Kaccāyana – ceux qui ne sont pas des citations – relèvent de la sphère courante. Le choix de la phrase « Māra fut attaché par Upagupta » tendrait à montrer que ce commentaire, ayant pour auteur un certain Vimalabuddhi (xe s.), fut élaboré non pas à Ceylan mais dans une région où le personnage d’Upagupta était bien connu, vraisemblablement la Birmanie. Il n’est pas surprenant de voir que la Saddanīti d’Aggavaṃsa, produite en Birmanie au xiie s., reprend cet exemple (691,14), dont on ne peut dire qu’il proviendrait d’une source grammaticale sanskrite puisqu’il ne figure pas dans le commentaire de l’aphorisme correspondant du Kātantra (II 4.14). La phrase en question fait référence aux dernières séquences de la bataille sans merci entre le maître et le Mauvais : après que chacun a pris des formes magiques diverses qui ne sont jamais à l’avantage de Māra, Upagupta crée une carcasse de chien remplie de vers et répugnante qu’il fixe au cou de Māra, lien que ni dieu ni humain ne sont capables de détacher. Lorsque, admettant sa défaite, Māra retourne auprès d’Upagupta en lui demandant de retirer la carcasse, le moine le conduit à une montagne : « Ils y allèrent tous les deux et, après avoir enlevé le cadavre du chien, (le doyen) lia avec sa ceinture la taille de Māra (Mārassa kaṭiṃ bandhitvā) ; puis il allongea magiquement la ceinture, la passa autour de la montagne, la noua solidement (daḷhaṃ bandhitvā) et dit : “Tiens-toi ici, Māra, ne t’en va pas” » (Denis 1977, traduction p. 151).

4La lecture des passages consacrés au suffixe ṇa (ṇa paccaya) qui est employé dans des formations verbales mais aussi nominales a conduit à lire les aphorismes portant sur ces dernières également (Kacc 346-348 et 402) et à en examiner les exemples, tous des noms propres, patronymes en majorité auxquels s’ajoutent quelques métronymes. Ce cheminement nous a menés vers la lecture de quelques textes utilisant ces formations, le but étant également d’introduire les étudiants à des œuvres de styles et de genres différents. Le choix s’est porté d’abord sur le poème attribué à Vāseṭṭhī dans les Therīgāthā (133-138), accompagné de son commentaire. Pour illustrer la catégorie des Jātaka, on a choisi le Gaṅgeyyajātaka (no 205) qui, sous couvert d’une anecdote amusante mettant en scène la rivalité entre un poisson du Gange (gaṅgeyya) et un autre de la Yamunā (yāmuneyya), chacun se trouvant le plus beau, traite d’un thème important : le rapport au corps et à la beauté dans le bouddhisme. L’introduction du Jātaka met l’accent sur le fait que la préoccupation de l’apparence (rūpa) est un sujet de méditation non propice (asubhabhāvanā). Le reste de l’année a été consacré à discuter des passages représentatifs en guise d’illustration. La section sur la vieillesse du Dhammapada (Jarāvagga, 146-156) a été suivie du passage classique du Vinaya où le Bouddha, dans le sermon au groupe des cinq moines, développe l’absence de soi (rūpaṃ anattā…), et complétée par une anecdote du Visuddhimagga qui montre le thera Mahātissa devenir Arhat après avoir perçu le répugnant (asubhasaññā) devant le rire d’une femme. Il explique : « Je ne sais si c’est une femme, ou un homme qui est allé par ici. C’est plutôt un amas d’os qui passe sur le grand chemin ». Il convenait alors de lire la troisième section du Khuddakapāṭha qui énumère les trente-deux constituants du corps. Cette description très complète et technique est une manière de déconstruire l’idée abstraite ou positive de beauté en réduisant le corps à une taxonomie simplement objective sans jugement de valeur. On s’est ensuite penché sur le poème des Therīgāthā consacré à Abhirūpanandā, la Belle, dont les strophes (19-20) décrivent à leur tour le corps comme impur et répugnant, puis sur celui de Khemā (139-144) qui décline le même thème. Les séances de la dernière partie de l’année ont été consacrées aux biographies de ces mêmes femmes telles que les relate le Therī-Apadāna (143-167 et 289-343 respectivement) : le noyau des strophes sur le corps s’y trouve augmenté d’autres empruntées à tel ou tel poème des Thera et Therīgāthā (ex. 157-159 et Th 394-396 avec la formule yathā idaṃ tathā etaṃ sur la compréhension de laquelle on s’est attardé). Ce noyau se trouve intégré dans un récit développé qui s’étend sur plusieurs vies, illustrant les modalités des renaissances des personnages et leurs déplacements dans les espaces déterminés par la cosmologie bouddhique. L’ensemble aboutit à une véritable mise en scène du processus de rétribution karmique. L’Apadāna, dont l’édition occidentale (Pali Text Society) est extrêmement défectueuse, mérite d’être étudié soigneusement et fournit un terrain de choix pour introduire les étudiants à la critique textuelle. Il a souvent été négligé car, jugé « tardif », il contient des éléments qui ont déconcerté les chercheurs du fait des évocations nombreuses qu’il contient d’un culte bouddhique quotidien dans ses aspects pratiques plutôt qu’un bouddhisme abstrait et spiritualisé. Il met l’accent sur la générosité et les actes de bienveillance et contient de nombreuses références aux stūpa ou aux reliques. Mais l’intérêt pour l’Apadāna va croissant depuis au moins une décennie, suscitant édition critique partielle (Clark 2015), articles monographiques (Collett 2009 et 2011), ou même, tout récemment, traduction intégrale de bonne qualité, qui prend en compte les variantes (Walters 2017, pas encore accessible au moment du déroulé des conférences). Ces travaux ont été présentés aux auditeurs. La langue de l’Apadāna offre aussi des particularités déjà observées utilement par H. Bechert (1958), mais qu’il convient de continuer à explorer. On peut y lire des descriptions qui portent la marque de la poésie savante sanskrite, par exemple celle de la beauté féminine (345-347) qui alterne composés nominaux stéréotypés pour les uns, moins connus pour les autres, tel hemadolābha-savanā (346). La série est à rapprocher de 207 à 209 (description de Nandā) car les poèmes sont reliés par un fort rapport d’intertextualité. On espère que ces lectures encourageront de futures recherches sur ce riche corpus de narrations vivantes.

Références bibliographiques

5Ānandajoti Bhikkhu, Pubbakammapilotika-Buddhāpadānaṃ. The Traditions about the Buddha (known as) The Connection with Previous Deeds. Text and translation of Ap. 39.10 with commentary Buddhajanavilāsinī, 2012.

6Andersen, Dines et Smith, Helmer, The Pāli Dhātupāṭha and the Dhātumañjūsā, edited with indexes, Copenhague, 1921.

7Balbir, Nalini, « Extended Grammars: from Sanskrit to Middle Indo-Aryan with Reference to Verb-Description », Histoire, Épistémologie, Langage, 39-2 (2017), p. 21-44.

8Bechert, Heinz, « Grammatisches aus dem Apadānabuch », ZDMG, 108 (1958), p. 308-316.

9Clark, Chris, A study of the Apadāna, Including an Edition and Annotated Translation of the Second, Third and Fourth Chapters. A thesis submitted in fulfilment of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy, Faculty of Arts and Social Sciences, université de Sydney, mai 2015.

10Collett, Alice, « Somā, The Learned Brahmin », Religions of South Asia, 3.1 (2009), p. 93-109.

11Collett, Alice, « The Female Past in Early Indian Buddhism: The Shared Narrative of the Seven Sisters in the Therī-Apadāna », Religions of South Asia, 5.1 (2011), p. 209-226.

12Denis, Eugène, La Lokapaññatti et les idées cosmologiques du bouddhisme ancien, Paris, Honoré Champion, 1977, 2 tomes.

13Deokar, Mahesh A., Technical Terms and Technique of the Pali and the Sanskrit Grammars. Sarnath, Varanasi, Central Institute of Higher Tibetan Studies, 2008 (Miscellaneous Series XXIII).

14Deokar, Mahesh, Some Probable Sanskrit Sources of the Pali Grammarians with Special Reference to Aggavaṃsa. In Saṃskṛtasādhutā, Studies in Honour of Professor Ashok Aklujkar, Chikafumi Watanabe, Michele Desmarais, et Yoshichika Honda (éd.), New Delhi, Printworld Publishers, 2012, p. 150-171.

15Franke, Rudolf Otto, Geschichte und Kritik der einheimischen Pāli-Grammatik und Lexicographie, Strasbourg, 1902.

16Katre, S. M., The Roots of the Pāli Dhātupāṭhas. Reprinted from The Bulletin of the Deccan College Research Institute, vol. 1, 2-4, 1940.

17Pind, Ole Holten, « Studies in the Pali Grammarians I. Buddhaghosa’s References to Grammar and Grammarians », JPTS, 13 (1989), p. 33-81.

18Pind, Ole Holten, Kaccāyana and Kaccāyanavuttiedited by O.H. Pind. With an index prepared by Dr. S. Kasamatsu and Professor Y. Ousaka, The Pali Text Society, Bristol, 2013.

19Smith, Helmer, La grammaire palie d’Aggavaṃsa, Lund, C. W. K. Gleerup, 1928-1966.

20Strong, John, The Legend and Cult of Upagupta, Princeton, 1992.

21Thitzana, A., Kaccāyana Pāli Vyākaraṇaṃ. Kaccāyana Pāli Grammar. Vol. 2 Translated into English with additional notes, simple explanations and tables, Pariyatti Press, 2016.

22Walters, Jonathan, Legends of the Buddhist Saints. Apadāna translation, 2017 (uniquement en ligne : http://beta.apadanatranslation.org).

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Pour citer cet article

Référence papier

Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 149 | 2018, 325-328.

Référence électronique

Nalini Balbir, « Philologie moyen-indienne »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 149 | 2018, mis en ligne le 11 juillet 2018, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/2687 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.2687

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Auteur

Nalini Balbir

Directeur d’études, Mme, École pratique des hautes études — Section des sciences historiques et philologiques

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