Langue et sources documentaires coptes
Résumé
Programme de l’année 2016-2017 : I. L’épistolographie copte : formulaires et stratégies rhétoriques. — II. Documents bilingues copte-grec et copte-arabe.
Texte intégral
- 1 W. C. Till, « Eine koptische Alimentenforderung », BSAC 4, 1938, p. 71-78.
- 2 Le texte sera réédité par J.-L. Fournet et moi-même.
1Après une courte introduction au genre épistolaire dans la documentation copte, nous avons étudié plusieurs lettres dans lesquelles les expéditeurs manifestent, de manière intense, leurs émotions et avons cherché à comprendre comment ces sentiments sont exprimés. Nous avons ainsi examiné en détail le papyrus de Vienne SB Kopt. IV 1709, décrit comme « eine koptische Alimentforderung » par le premier éditeur1. Il s’agit en réalité d’une pétition, et même de la première pétition connue en langue copte, qui fut sans doute rédigée dans la première moitié du viie siècle2. Dans ce document, une femme s’adresse à une autorité civile pour exiger le versement d’une pension alimentaire. On y apprend que son ex-mari a introduit une autre femme dans le ménage, avant de chasser sa femme légitime ainsi que les enfants du couple. Quoiqu’un arrangement ait manifestement été conclu, qui fixait le montant annuel de la pension alimentaire, il apparaît que le mari a cessé de payer. Ni le nom de l’expéditrice, ni le nom ou le titre du fonctionnaire en question n’avaient été déchiffrés par les éditeurs et commentateurs successifs. Ces informations figurent en fait d’une part dans l’endossement grec du document et, toujours en grec, au-dessus du texte principal, tête-bêche. La pétition est écrite par une certaine Merkouria et adressée à un ekdikos (defensor) de la ville d’Edfou, du nom de Johannès.
- 3 J. Drescher, « A Widow’s Petition », BSAC 10, 1944, p. 91-96.
2Un texte qui présente quelque similitude avec le document de Vienne, mais sans être une pétition au sens propre, a été lu ensuite : SB Kopt. I 2953, un ostracon thébain de la première moitié du viie siècle, écrit par une femme à un évêque pour lui demander son aide : son mari est mort et son fils a été battu par les Perses, qui ont aussi emporté son bétail. Elle en appelle au soutien et à l’intercession de l’évêque auprès des autorités locales, qui exigent d’elle le paiement des taxes qu’elle n’est plus en mesure de payer.
- 4 A. Delattre, P. Pilette et N. Vanthieghem, « Papyrus coptes de la Pierpont Morgan II. Lettre de con (...)
3Nous nous sommes ensuite intéressés aux lettres de condoléances, un genre épistolaire peu représenté en copte, mais bien en grec. Outre la brève missive O. Frangé 183, on ne possède qu’une seule lettre copte de condoléances à proprement parler, P. Amh. II 188 descr. Dans cette lettre inédite adressée à une femme, Talau, et à deux hommes, Apiôn et Épimakhé, une nourrice du nom de Maria témoigne de son affliction après avoir appris que sa fille était morte. Il faut, selon toute vraisemblance, voir dans les destinataires la famille biologique de la jeune défunte et comprendre que l’expression « ma fille », qui se lit sous le calame de la nourrice, désigne sa fille de lait4.
- 5 A. Delattre, « Les communications épistolaires dans les milieux monastiques en Égypte : l’exemple d (...)
- 6 A. Delattre et N. Vanthieghem, « Une nouvelle lettre de Frangé dans la collection de Berlin », Jour (...)
4Le cours s’est enfin concentré sur la correspondance du moine thébain Frangé, qui vécut dans la première moitié du viiie siècle. Ses archives offrent un corpus épistolaire exceptionnel constitué de plusieurs centaines de lettres qu’il a écrites à divers correspondants. Un premier élément frappe tout d’abord : la grande variété des prescrits épistolaires que le moine utilise. Suivant la qualité de la relation qu’il entretient avec son correspondant, Frangé puise dans un stock qui va de la formule neutre, du type « c’est Frangé qui écrit » (p. ex. O. Frangé 156), à des expressions plus développées, comme « + Jésus-Christ, prends pitié de nous ! C’est Frangé le très humble, l’homme de Pétémout, qui habite sur la montagne de Djémé, qui écrit et salue » (O. Frangé 120), voire à des tournures particulièrement fleuries, comme dans la lettre P. Mon. Epiph. 247. Un deuxième élément intéressant du corpus est la présence de lettres du moine visiblement écrites sous le coup de la colère, un type de missives dont la documentation copte ne conserve que peu d’exemples. Enfin, l’ampleur du corpus permet de mettre en évidence les stratégies rhétoriques et psychologiques à l’œuvre dans la correspondance. Ainsi, par exemple, le fin lettré qu’était Frangé recourait volontiers aux citations bibliques. Les occurrences dans le corpus illustrent deux usages différents. Souvent Frangé cherchait à s’attirer par ce moyen la bienveillance de son correspondant, lorsque sa demande était pressante, quand il voulait se faire pardonner ou lorsqu’il souhaitait saluer avec emphase le destinataire. Mais Frangé citait aussi les Écritures lorsqu’il était en colère, dans des lettres de reproches voire de menaces. La citation en ce cas permet de déplacer une situation concrète dans la sphère de la morale religieuse : c’était une manière de dire au correspondant que son comportement déplaisait, non seulement à Frangé, mais encore à Dieu lui-même5. L’étude des lettres du moine a également permis de mettre en évidence des caractéristiques formelles qui lui sont propres, comme la présence de formules religieuses en tête ou à la fin du texte, destinées à remplir les espaces vierges du support, ou les variations du module des lettres pour souligner des parties saillantes du discours. Ces éléments, joints à l’analyse de l’écriture, permettent d’attribuer à Frangé des documents où son nom n’est pas conservé ou précisé, comme par exemple un ostracon de Berlin (BKU I 151)6.
- 7 Les versions coptes a été publiée entre-temps par A. Suciu, « The Coptic Versions of De ascetica di (...)
5La deuxième partie de la conférence concernait les documents bilingues. Pour aborder cette thématique, nous avons lu pendant quelques leçons une traduction copte du traité De ascetica disciplina attribué à Basile de Césarée (CPG 2890), que nous avons eu le loisir de comparer avec les versions grecque et latine7. Il est apparu que les textes copte et latin étaient très proches l’un de l’autre et traduisaient un original grec assez sensiblement différent du texte conservé par les manuscrits grecs. La traduction copte de Basile que nous avons lue est notée à la suite d’un manuel scolaire rédigé en langue copte, qui donne à voir les étapes de l’enseignement dans un monastère de Moyenne-Égypte, probablement celui de Baouît, à la fin du vie ou au début du viie siècle. Le début du codex est consacré aux exercices de syllabification (ⲇⲁⲡ, ⲇⲉⲡ, ⲇⲏⲡ, etc.), viennent ensuite des listes de mots de deux syllabes, classés par ordre alphabétique, puis de quatre syllabes ; s’y mêlent un alphabet avec le nom des lettres, une liste de nomina sacra et une autre de vertus. Plusieurs pages sont consacrées à des exercices de lecture de mots difficiles à prononcer, dont une bonne part sont inventés (ⲗⲙⲑⲕ, ⲙⲕⲑⲗ, ⲕⲙⲗⲑ, etc.). L’enseignement se poursuit avec des lectures tirées de la Bible, comme des listes de l’Ancien Testament (les villes de Judée, etc.) et du Nouveau Testament (la généalogie du Christ), et enfin des passages suivis : deux extraits des épîtres de Paul (Rom. 8, 28-32 et Phil. 4, 8…) et le Psaume 1. Le livre d’écolier illustre une double transformation du parcours scolaire : d’une part le copte est devenu la langue de référence plutôt que le grec (même si, dans le choix des exemples et dans les listes de mots en particulier, le poids du grec se fait sentir) ; d’autre part les textes chrétiens ont remplacé l’Iliade et l’Odyssée et les textes classiques.
6Nous nous sommes ensuite penchés sur le bilinguisme fonctionnel entre le copte et le grec, qui rend compte, la plupart du temps, du partage entre séquences grecques et coptes au sein d’un document : dans de nombreux textes, les éléments formulaires (date, récapitulation du montant, témoignage, etc.) sont rédigés en grec, tandis que le corps du document est noté en copte. Plusieurs leçons ont été consacrées à un intéressant papyrus de la première moitié du viie siècle, conservé dans la collection de Vienne, qui porte au recto un testament (CPR IV 177), et dont le verso a été réutilisé pour noter des modèles de contrats en grec avec une traduction copte (CPR IV 34 = SB Kopt. IV 1806). On y trouve au début, l. 1-14, la fin d’un contrat de vente à terme de roseaux. Au centre du document, l. 15-41, on déchiffre les restes d’un contrat de vente d’amphores établi entre un potier et un certain Flavios Gennadios. La transaction porte sur la livraison de six cents aggeia de grande taille, deux cents kollatha et cent poteries à quatre anses. La fin du document, l. 42-45, note le début, en grec, d’un dernier contrat, passé entre une institution religieuse et un fabricant de lits. Il est apparu lors des conférences que les éditeurs successifs se sont concentrés tantôt sur le versant copte, tantôt sur le côté grec, sans chercher suffisamment à restituer les textes grec et copte l’un par l’autre. Pourtant, en dépit de l’état fragmentaire du document, les deux versions s’éclairent mutuellement et un examen serré permet de résoudre la plupart des problèmes d'établissement du texte. Ce papyrus unique illustre l’essor de la langue copte dans le domaine du droit à la fin de la période byzantine et, en même temps, le poids de la tradition juridique grecque.
7Un document trilingue a été enfin étudié : un papyrus assez exceptionnel, qui appartenait à la première collection constituée par L. T. Lefort, dont il a fait don à l’université de Louvain. Le document a péri dans la destruction de la Bibliothèque universitaire en juin 1940, mais il en subsiste un cliché. Il s’agit d’un reçu qui provient du nome Hérakléopolite et date du viiie siècle. Le corps du texte est rédigé en copte ; la formule de validation, la mention du scribe et les témoignages sont en grec ; enfin, un fonctionnaire a apposé en arabe son ultime témoignage au bas du coupon. Au bilinguisme fonctionnel grec / copte traditionnel, s’ajoute ici l’arabe.
Notes
1 W. C. Till, « Eine koptische Alimentenforderung », BSAC 4, 1938, p. 71-78.
2 Le texte sera réédité par J.-L. Fournet et moi-même.
3 J. Drescher, « A Widow’s Petition », BSAC 10, 1944, p. 91-96.
4 A. Delattre, P. Pilette et N. Vanthieghem, « Papyrus coptes de la Pierpont Morgan II. Lettre de condoléances d’une nourrice », Journal of Coptic Studies 20, 2018, sous presse.
5 A. Delattre, « Les communications épistolaires dans les milieux monastiques en Égypte : l’exemple de la correspondance de Frangé », à paraître dans le volume Mobilités monastiques, en préparation à l’École française de Rome.
6 A. Delattre et N. Vanthieghem, « Une nouvelle lettre de Frangé dans la collection de Berlin », Journal of Coptic Studies 18, 2016, p. 13-17.
7 Les versions coptes a été publiée entre-temps par A. Suciu, « The Coptic Versions of De ascetica disciplina attributed to Basil of Caesarea (CPG 2890). With an Appendix Containing the Armenian Version », Revue des études byzantines 75, 2017, p. 65-100.
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Référence papier
Alain Delattre, « Langue et sources documentaires coptes », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 149 | 2018, 109-111.
Référence électronique
Alain Delattre, « Langue et sources documentaires coptes », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 149 | 2018, mis en ligne le 11 juillet 2018, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/2328 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.2328
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