Histoire de Paris
Texte intégral
1On a examiné cette année le répertoire de l’hôtel de Bourgogne dans la deuxième moitié du xvie siècle et on s’est attaché à mieux cerner la personnalité des poètes employés par la confrérie de la Passion. Les titres de sept pièces jouées entre 1557 et 1585 ont été retrouvés dans différents documents d’archives, qui ont été lus et commentés avec les étudiants et auditeurs. Cinq de ces pièces sont tirées de romans de chevalerie, qu’il s’agisse d’anciennes chansons de geste remises au goût du jour et qui avaient fait l’objet d’une ou plusieurs éditions jusqu’au milieu du xvie siècle, comme Huon de Bordeaux, Artus de Bretagne et Ami et Amile, ou de romans écrits plus récemment, comme Mabrian et Morgan le geant. Le Roman d’Hercule, bien que se référant à un héros mythologique, était de la même veine, et reprenait un texte de la fin du Moyen Âge. Il s’agissait certainement d’une adaptation du Recueil des Histoires de Troyes, écrit vers 1465 par un serviteur du duc de Bourgogne, Raoul Lefèvre, dont le héros était Hercule. Enfin, la Destruction de Jérusalem était une version remaniée du Mystère de la Vengeance de Notre Seigneur. On a constaté que certains de ces textes ont été joués à plusieurs reprises au cours du siècle, ce qui montre l’attrait du public pour ce répertoire, qui était celui de la confrérie depuis les années 1530 au moins.
2En 1548, le Parlement avait qualifié de mystères profanes ce type de pièces, par opposition aux mystères religieux désormais interdits aux confrères de la Passion. L’expression continua à être employée sous le règne de Henri II, mais guère au-delà. En 1561, un marché passé avec le fripier Guillaume Daubonnet pour les costumes d’Artus de Bretagne parle encore des « jeux et misteres », mais c’est la dernière occurence. À cette date, on qualifie plutôt les spectacles de l’hôtel de Bourgogne de « jeux » ou de « romans », termes employés dans les registres du Parlement en 1577 pour autoriser la tenue dans certaines conditions de « certains jeuz ou anciens romans et histoires ».
3À l’exception de la Destruction de Jérusalem, les textes imprimés ayant servi de base aux jeux de l’hôtel de Bourgogne étaient écrits en prose et n’étaient pas destinés à la scène. Il fallait donc qu’un poète les transcrive en vers et écrive les rôles des personnages. Le premier à qui échut cette tâche semble avoir été Jean Louvet, dont la participation à l’organisation des grands mystères en plein air du règne de François Ier avait été étudiée les années précédentes. On a cherché à mieux cerner sa personnalité et sa culture littéraire, notamment grâce à deux inventaires rédigés en 1562, après le décès de sa première femme, et en 1574, lorsque lui-même mourut. Le premier décrit une bibliothèque d’une quarantaine d’ouvrages, dont la moitié avec suffisamment de précision pour être identifiés. On y trouve des textes médiévaux classiques, comme le Miroir historial de Vincent de Beauvais, et surtout de nombreux ouvrages historiques : la Mer des histoires, les Annales d’Aquitaine de Jean Bouchet, les Annales de France de Nicole Gilles, Les Chroniques de Froissart et celles d’Enguerrand de Monstrelet. Jean Louvet s’intéressait également à l’histoire ancienne, avec un volume comprenant des traductions françaises de Lucain, Salluste et Suétone, probablement celui publié pour Vérard en 1490 et réimprimé en 1500, la Vie des douze Césars de Suétone, également en français, deux volumes d’Orose et une édition de Thucydide dans la traduction de Claude de Seyssel. Les ouvrages traitant de religion étaient moins nombreux, et également tous en langue vulgaire : deux livres de la Bible, la Grand vita Christi de Ludolphe le Chartreux, et les Expositions des épîtres et évangiles de toute l’année de Nicolas de Lyre, traduites par Pierre Desrey. Jean Louvet semble s’être peu intéressé à la littérature de son époque, pas même au théâtre ou à la poésie. Sa bibliothèque n’était d’ailleurs pas fondamentalement différente de celle d’un marchand amateur de poésie comme Jacques Legros, aussi bien par son volume que par sa composition. Le seul livre évoquant son activité de fatiste est un « livre couvert de cuir noir, intitulé le premier volume des Actes des Apostres a personnaiges », mystère dont il avait été l’un des entrepreneurs en 1542, et dont l’estimation, 4 sous, est la plus faible des livres décrits. Il faut toutefois noter que l’inventaire mentionne vingt-quatre ouvrages reliés en cuir prisés globalement 100 sous, et donc d’une valeur similaire au précédent, dont les titres ne sont pas précisés et qui pouvaient aussi concerner le théâtre.
4Le second inventaire, rédigé une dizaine d’années plus tard, recense une centaine de livres. Certains étant prisés par paquets, on ne peut connaître, cette fois encore, que la moitié environ des titres. On retrouve tous ceux de 1562, ainsi que d’autres ouvrages d’histoire ancienne et universelle. S’y ajoutent cette fois une dizaine de romans de chevalerie comme Theseus de Cologne, Jourdain de Blaye ou encore l’Histoire du preux Meurvin, filz de Oger le Dannoys et deux romans dont on sait qu’ils furent adaptés à l’hôtel de Bourgogne, Morgan le geant, de Luigi Pulci, et Ami et Amile. Jean Louvet possédait aussi des ouvrages d’Ovide en français, le Jardin de plaisance, anthologie de poésies publiée pour la première fois en 1502 par Vérard, les Œuvres d’Alain Chartier et deux livres de Boccace.
5On a présenté à cette occasion aux auditeurs les différents outils bibliographiques permettant l’identification des éditions du xvie siècle. En effet, le notaire n’ayant pas jugé bon de faire appel à un libraire en 1574, les titres ont été notés phonétiquement par le clerc, et sont parfois très déformés. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le « Pere grant » est vraisemblablement la version française du Peregrino, roman de Giacomo Caviceo qui connut de nombreuses éditions en France dans sa traduction de François d’Assy revue par Jean Martin sous le titre Dialogue intitulé le Peregrin, tandis que « Geoffroy de Billon » pourrait être la Généalogie avecques les gestes et nobles faitz d’armes du très preux et renommé prince Godeffroy de Boulion de Vincent de Beauvais, traduit par Pierre Desrey, ou Les Faictz et gestes du preux Godeffroy de Boulion de Pierre Gringore.
6On s’est aussi efforcé de retracer la carrière de Jérôme Lejeune, qui prit la suite de Louvet comme poète attitré de la confrérie de la Passion, puis de la troupe des Comédiens français. Comme beaucoup d’hommes de théâtre de sa génération, venus souvent du monde de la marchandise ou des petits offices, il a d’abord pratiqué l’art dramatique en amateur, avant d’en faire son activité principale. Maître ès Arts, il était en 1568 huissier et conducteur des prisonniers de la cour de Parlement, office que tenait déjà son père. Six ans plus tard, il était l’un des « compaignons joueurs de comedies, tragedies et farces et autres grandz jeux » qui, autour de Pierre Dubu et Agnan Sirat, s’étaient engagés à jouer à l’hôtel de Bourgogne. À partir de 1579, il est toujours qualifié de « poete françois » et c’est à lui qu’étaient confiées l’adaptation et la direction des pièces.
7Aucune de celles-ci n’a pu être retrouvée, mais on a étudié un autre versant de son œuvre littéraire : des vers de circonstance pour vanter les mérites du duc d’Anjou, futur Henri III, à l’occasion de son élection au trône de Pologne, ou pour déplorer la mort de son frère, quelques chansons de même inspiration, une pièce de plus de quatre cents vers de douze pieds présentant la foi catholique comme le seul rempart contre la peste qui frappa la capitale en 1580, quelques chansons et, seul texte en prose mais suivi d’un sonnet, le Discours merveilleux d’un acte remarcable et deplorable advenu le seiziesme jour de septembre dernier, récit d’un viol et d’un meurtre commis par le capitaine Le Pont et sa troupe dans un village picard. Enfin, Jérôme Lejeune est l’auteur de deux chants royaux des Mays de Notre-Dame commandés par la confrérie des orfèvres, ceux de 1583 et 1584. On a étudié tous ces textes, ainsi que la personnalité de certains de leurs dédicataires, comme Nicolas Moreau, trésorier du duc d’Anjou puis trésorier de France, bibliophile et ami des poètes de la Pléiade, ou Pierre Testu, lieutenant du guet et capitaine de la Bastille, et familier du roi.
Pour citer cet article
Référence papier
Guy-Michel Leproux, « Histoire de Paris », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 148 | 2017, 245-247.
Référence électronique
Guy-Michel Leproux, « Histoire de Paris », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 148 | 2017, mis en ligne le 28 septembre 2017, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1973 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1973
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page