Territoires et pouvoirs dans l’empire assyrien
Résumé
Programme de l’année 2015-2016 : Au cœur de l’empire, la question du triangle assyrien.
Texte intégral
1La conférence de l’année 2015-2016 portait sur la question de la constitution du fameux « triangle assyrien », considéré comme l’élément fondamental de l’empire. Mais finalement nous ne savons quasiment rien de sa formation, ni même la façon dont les anciens eux-mêmes se le représentaient.
2Au cours de l’année, nous avons étudié des textes cunéiformes retrouvés en Assyrie mentionnant des activités royales dans les villes constitutives de ce triangle, à savoir Aššur, Ninive et Arbèles. Cette étude s’est faite au plus près des originaux, au mieux en travaillant sur des photos directement quand elles étaient disponibles, au pire en lisant les copies cunéiformes modernes des editio princeps.
3Le travail de l’année a très vite révélé que nos lacunes concernant nos connaissances du cœur assyrien venaient de notre documentation, qui est issue des grandes capitales assyriennes, Aššur, Kalhu et Ninive. Or, pour ces deux dernières les grands travaux d’aménagements qu’y ont réalisés les empereurs néo-assyriens ont masqué les époques antérieures. C’est ce qui explique que la ville d’Aššur semble être sur-
4documentée pour l’époque médio-assyrienne, car c’est la seule à avoir livré une vaste documentation de cette époque notamment en inscriptions royales qui célébraient la construction des monuments où elles étaient précisément déposées.
5Les documents étudiés en début d’année appartiennent au règne d’Aššur-uballiṭ Ier, considéré comme le fondateur du royaume médio-assyrien.
- 1 A. K. Grayson, Assyrian Rulers of the Third and Second Millennia BC (To 1115 BC), RIMA 1, Toronto, (...)
- 2 La copie ne laisse aucun doute sur la restitution du bâtiment : l. 15 [… é-ga]l* ša uru gibil.
6Le premier d’entre eux1 se présente comme une inscription royale en forme d’amulette rédigée en écriture néo-assyrienne. La question de savoir s’il s’agit d’une copie néo-assyrienne d’un document plus ancien, ou d’une composition récente inspirée d’une version ancienne est complexe. En effet, outre la graphie, on constate dans ce texte de nombreuses particularités grammaticales ou orthographiques spécifiques de l’époque néo-assyrienne. Il ne s’agit donc pas d’un copie fidèle, mais seulement d’une version remise au goût du jour d’un document plus ancien. L’exemple le plus significatif de cette « modernisation » en est la date, rédigée selon la terminologie médio-assyrienne des mois, mais avec des standards graphiques néo-assyriens telle que la façon d’écrire « éponyme » lim-mu au lieu du li-mu médio-assyrien. Bien qu’abîmé, le tecte commémore sans aucun doute la construction d’un palais dans la ville d’Aššur2. Son auteur, Aššur-uballiṭ a une titulature qui ne le distingue pas de ses prédécesseurs, étant qualifié de ŠID du dieu Aššur.
- 3 Grayson, op. cit., p. 114-115, texte A.0.73.6.
7En revanche, le deuxième document que nous avons déchiffré et commenté est celui qui, pour la première fois de l’histoire assyrienne, mentionne le pays d’Aššur et son roi. Il s’agit de l’empreinte du sceau de ce même souverain3, retrouvé sur plusieurs tablettes dont la légende indique en effet : « Sceau d’Aššur-uballiṭ, roi du pays d’Aššur, fils de Erîba-Adad ».
8L’association de ces deux documents amène quelques commentaires. Il est intéressant de noter que dans ses inscriptions royales (qui proviennent d’Aššur) Aššur-uballiṭ Ier conserve la titulature traditionnelle des souverains assyriens, tandis que sur des documents de la pratique il se déclare roi du pays d’Aššur. Nous avons commenté le fait que ce document ne fait que donner la plus ancienne attestation du « pays d’Aššur », et ne nous fournit donc pas la date de création de cette entité, qui aurait pu être un peu antérieure et non encore documentée par nos sources.
9Nous avons ensuite étudié l’inscription du cylindre en pierre d’un des successeurs d’Aššur-uballiṭ, Arik-dîn-ili. Il s’agissait de présenter une inscription simple, traitant de la construction du temple de Šamaš à Aššur. Cela a été l’occasion de refaire le point sur la structure d’une inscription royale assyrienne.
- 4 Grayson, op. cit., p. 309-311, texte A.0.86.1.
10La plus grande partie de l’année a été consacrée à l’étude d’un petit texte4 d’un souverain de la fin de l’époque médio-assyrienne, Aššur-rêšî-išši Ier, père de Tiglath-phalazar Ier. Écrit à l’origine sur des cônes d’argile, il a pu être recomposé à partir de nombreux fragments. Il relate notamment la reconstruction du temple d’Ištar de Ninive et recense les souverains précédents qui y ont laissé des traces de leurs interventions.
11Pour des raisons pédagogiques, plutôt que de se baser sur l’édition composite, nous avons repris les 29 exemplaires (souvent fragmentaires) du texte pour que nos auditeurs appréhendent dans le concret de la pratique les notions de base d’une édition de texte (exemplaires, variantes, versions, etc.). Nous sommes partis soit des copies soit, lorsque cela était possible, des photographies de ces objets. On a pu ainsi corriger un passage de l’exemplaire 20 l. 7 qui en fin de ligne doit se lire [mupah]-˹hi˺-ir*.
12En outre, ce travail n’a pas été vain, car la réalisation de la tablature du texte a permis de se rendre compte que plusieurs textes se dissimulaient dans ces différents fragments, contrairement à ce que supposait leur dernier éditeur. En effet, on constate que de manière générale il y a très peu de variantes dans les différents exemplaires de ce texte, et que celles que l’on observe ne sont généralement que graphiques (ša pour šá ; murub4 / qab-li). Or, les exemplaires 17, 20 et 29 laissent apparaître de véritables variantes. L’exemplaire 29 en livre le plus d’exemples. Ainsi la déesse Irnina, à la l. 5, au lieu d’être qualifiée de ur-šá-an qab-li la pa-du-ú « guerrier dont le combat est sans merci » l’est dans l’exemplaire 29 de šá-giš mul-tar-hi « celle qui massacre le présomptueux ». Cet exemplaire est le seul à livrer le passage […]-id la ka-ni-še « qui … l’insoumis ».
13L’exemplaire 20 mentionne une troupe (ṣa-ab) inconnue par ailleurs sans compter d’autres particularités.
14On peut dès lors se demander si les exemplaires 17, 20 et 29 ne seraient pas les vestiges d’une autre inscription royale de ce souverain. Les 17 et 20 compte tenu de leurs liens pourraient appartenir à la même inscription tandis que l’exemplaire 29 n’est pas suffisamment bien conservé pour savoir s’il appartient au même texte ou à un autre.
15Enfin, le cas de l’exemplaire 25 est encore plus intéressant. En effet, ce petit fragment ne se rattache à aucun exemplaire connu car on peut y lire [mgiš-tukul-ti-ibila-é]-˹šár˺ lugal kur a[š-šur…] ; [… š]a ? é dinanna ša uru […]. L’état de conservation du texte ne nous permet pas un trop grand commentaire si ce n’est qu’il ne peut pas dater du règne d’Aššur-rêša-išši, et que son successeur Tiglath-phalazar Ier est connu pour avoir restauré le temple de la déesse Ištar de Ninive et que de petits fragments de cône datant de ce souverain sont connus et pourraient donc appartenir à ce texte.
- 5 A. K. Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles, TCS 5, Winona Lake, 1975 / 2000, p. 162 s., Chro (...)
16L’année s’est terminée sur l’étude d’un passage des chroniques babyloniennes5 illustrant une situation géopolitique tendue entre la Babylonie de Nabuchodonosor Ier et Aššur-rêša-išši. Le texte montre bien que le petit Zab formait une frontière très disputée entre les deux royaumes.
17Au terme de l’année nous avons pu constater le peu de documents à notre disposition pour étayer l’idée de l’existence d’un cœur assyrien, structure fondamentale de l’empire. L’enquête doit donc être poursuivie.
Notes
1 A. K. Grayson, Assyrian Rulers of the Third and Second Millennia BC (To 1115 BC), RIMA 1, Toronto, 1987, p. 109-110, texte A.0.73.1.
2 La copie ne laisse aucun doute sur la restitution du bâtiment : l. 15 [… é-ga]l* ša uru gibil.
3 Grayson, op. cit., p. 114-115, texte A.0.73.6.
4 Grayson, op. cit., p. 309-311, texte A.0.86.1.
5 A. K. Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles, TCS 5, Winona Lake, 1975 / 2000, p. 162 s., Chronique 21).
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Lionel Marti, « Territoires et pouvoirs dans l’empire assyrien », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 148 | 2017, 23-25.
Référence électronique
Lionel Marti, « Territoires et pouvoirs dans l’empire assyrien », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 148 | 2017, mis en ligne le 21 septembre 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1922 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1922
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