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Proche et Moyen-Orient anciens

Épigraphie et histoire sudarabiques

Conférences de l’année 2012-2013
Iwona Gajda
p. 56-59

Résumé

Programme de l’année 2011-2012 et de l’année 2012-2013 : Les inscriptions sudarabiques de l’époque monothéiste (fin du ive - fin du vie siècle de notre ère).

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Texte intégral

1Ce cycle de conférences a duré de la fin de l’année 2010 jusqu’au printemps 2013. Nous avons étudié ou réexaminé les plus importantes inscriptions sudarabiques de l’époque monothéiste, de la fin du ive jusqu’à la fin du vie siècle de notre ère. L’étude des textes a donné l’occasion de présenter l’histoire de l’Arabie du Sud ancienne durant les deux derniers siècles précédant l’avènement de l’islam et de réexaminer la nature du monothéisme pratiqué en Arabie du Sud. La région entière était alors dominée par un seul royaume, le royaume de Ḥimyar. Des informations provenant de sources extérieures à l’Arabie du Sud ont été également prises en compte.

2Le corpus des inscriptions de cette époque compte une centaine de textes de caractères variés : des textes commémorant la construction de maisons, d’un palais royal, de sanctuaires (dans certains cas, des synagogues) ; des aménagements agricoles, surtout hydrauliques ; des récits d’expéditions militaires et de conflits armés, des expéditions lancées par des rois ḥimyarites en Arabie centrale. Ces textes apportent souvent d’importants renseignements permettant une tentative de reconstruction historique et une réflexion sur la politique et la religion en Arabie du Sud de cette époque (voir le rapport des conférences de l’année 2010-2011).

3Les conférences du premier semestre de l’année 2011-2012 ont été consacrées à l’étude des trois longues inscriptions provenant de la grande digue de Mārib.

4Le premier texte, comportant cent lignes inscrites sur les quatre faces d’un bloc monumental, relate des travaux de réfection de la digue par le roi Sharaḥbiʾīl Yaʿfur, régnant à la fin du ve siècle de l’ère chrétienne (CIH 540). Cette inscription a servi de modèle aux deux autres inscriptions, présentées de la même manière, rédigées plusieurs décennies plus tard, dans la deuxième moitié du vie siècle, par Abraha, le roi chrétien d’origine éthiopienne (CIH 541 et DAI GDN 2002-20).

5Les trois inscriptions font état de grands travaux sur la digue de Mārib, un ouvrage hydraulique d’exception comportant un mur de barrage de 680 m environ, deux môles avec écluses, des trop-pleins, deux grands canaux maçonnés et taillés dans la roche, des répartiteurs avec vannes. Cette digue faisait partie d’un vaste et complexe système d’irrigation drainant les eaux de pluie descendant des hautes montagnes et permettant d’irriguer près de 10 000 ha de champs. Les travaux, nécessaires à cause des ruptures successives de la digue, sont décrits en détail, les éléments de la digue sont nommés et peuvent, pour la plupart, être identifiés avec des vestiges archéologiques. De plus, les inscriptions détaillent le nombre des ouvriers et des bêtes de somme employés dans les travaux, ainsi que la nature et la quantité de vivres consommés.

6Dans l’inscription CIH 541, Abraha rapporte, outre les travaux effectués sur la digue, également d’autres événements importants de son règne. Il commence solennellement son inscription en invoquant la Sainte Trinité, Raḥmanān (le Miséricordieux), son Messie et le Saint Esprit (Rḥmnn w-Ms¹ḥ-hw w-Rḥ [Q]ds¹). Il affiche ainsi sa foi chrétienne. Dans son titre détaillé par la suite, il mentionne son origine éthiopienne, tout en se plaçant dans la tradition des rois ḥimyarites qui l’avaient précédé, car il porte leur titre traditionnel, utilisé depuis la moitié du ve siècle (« roi de Sabaʾ, dhū-Raydān, Ḥaḍramawt, Yamanat et leurs nomades de Ṭawdum et de la Tihāmat »).

7Abraha décrit la révolte des tribus ḥimyarites, fomentée par des princes de Kinda et des princes ḥimyarites au sud du pays. Il relate comment il a mobilisé une armée composée d’Éthiopiens et de Ḥimyarites « par milliers », comment il a lancé ses troupes en marche vers la région en rébellion, à travers les montagnes et le désert, puis a réussi à rétablir la paix sans coup férir, les insurgés ayant envoyé des émissaires à sa rencontre pour prêter allégeance. On voit ensuite de nombreuses tribus envoyer des ouvriers et des vivres pour participer aux travaux de réfection de la grande digue de Mārib. L’église de Mārib est consacrée par un prêtre.

8La grande inscription d’Abraha est bien plus qu’une description des travaux hydrauliques, c’est un texte de propagande. Le roi s’y présente comme un souverain maîtrisant pleinement le pays, sachant maintenir la paix, un souverain légitime. Il rapporte également l’arrivée des délégations de pays étrangers à Mārib, en respectant apparemment l’ordre de préséance : en premier il mentionne l’ambassade du négus éthiopien (Ella Aṣbəḥa ou Kālēb), puis l’ambassade du roi de Rome (l’empereur byzantin Justinien) et la délégation du roi de Perse (Husraw Ier Anūshirwān), ensuite les messagers (rasūl) d’al-Mundhir (le prince lakhmide al-Mundhir III), d’al-Ḥārith b. Jabala (le prince ghassānide, de la famille de Jafna, phylarque de Palestine), d’Abūkarib b. Jabala (probablement Abocharabos nommé « phylarque des Saracènes de Palestine » par Justinien). Le roi, qui affiche sa religion chrétienne et son origine éthiopienne, tout en se réclamant de l’héritage des rois ḥimyarites, affirme aussi sa légitimité reconnue à l’étranger.

9Par ailleurs, la comparaison des données de ces trois inscriptions de la digue, qui mentionnent les dates des travaux, a permis de réexaminer les hypothèses concernant le début de l’année dans le calendrier ḥimyarite. L’année commençait selon toute vraisemblance au mois de dhū-ḥillatān (février).

10Au cours du deuxième semestre 2011-2012 nous avons analysé plusieurs inscriptions comportant des formules religieuses et du vocabulaire religieux. Dans le texte fragmentaire YM 1200, le roi Marthadʾilān Yunʿim, régnant au début du vie siècle, commémore la construction de deux édifices dédiés probablement au culte, nommés mk(r)[b et kns¹t. Le nom mkrb est attesté plusieurs fois dans les inscriptions de l’époque monothéiste et désigne un sanctuaire (ou une synagogue dans certains cas, sinon dans tous les cas). Le mot kns¹t apparaît pour la première fois dans une inscription sudarabique. Il peut être rapproché du mot kenēset en hébreu post-biblique ou de l’araméen kenīštā avec le sens « synagogue » ou « assemblée ». Ce nom est connu également en arabe avec le sens de « synagogue » ou d’« église ».

11L’inscription Ry 520 commémore la construction de mkrbn Yʿq, probablement une synagogue ou un sanctuaire nommé Yaʿūq. Un texte publié en 2009 par W. W. Müller (ZM 5 + 8 + 10) mentionne le terme zkt en rapport avec le dieu unique Raḥmanān, ce terme signifiant probablement « la grâce (divine) ». Il apparaît aussi dans deux autres textes, l’un explicitement juif (Bayt al-Ashwal 1) et l’autre probablement chrétien (Gar AY 9 d).

12Durant l’année 2012-2013 nous avons poursuivi et terminé notre programme.

13Le réexamen du corpus des inscriptions ḥimyarites de cette époque, enrichi des inscriptions récemment publiées, permet de reconsidérer la nature du monothéisme pratiqué en Arabie du Sud.

14L’inscription MS Šiǧāʿ 1 est un cas très intéressant. Elle a été publiée en 2010 par Mohammed Ali Al-Salami qui l’a découverte sur le col de Šiǧāʿ, quelques 40 km au nord-est de Ṣanʿāʾ, la capitale de Ḥimyar, près de l’ancienne route menant de Ṣanʿāʾ à Mārib. Cette inscription a pour auteur le roi Abīkarib Asʿad. Elle pourrait dater de l’an 539 de l’ère ḥimyarite (429 de l’ère chrétienne). Le roi Abīkarib Asʿad était l’un des premiers rois monothéistes de l’Arabie du Sud. Les premières inscriptions royales monothéistes datent du règne de ce roi avec son père Malkikarib Yuha’min et son frère, en l’année 493 de l’ère ḥimyarite (384 de l’ère chrétienne). Le roi Abīkarib Asʿad était le principal acteur de la conversion du pays au monothéisme. La tradition arabe islamique a gardé un souvenir d’Asaʿd al-Kāmil, un roi puissant, conquérant, qui s’était converti au monothéisme, au judaïsme selon plusieurs sources. L’inscription MS Šiǧāʿ 1 est un texte rupestre, inscrit à côté d’une inscription royale bien plus ancienne, datée du ier siècle de l’ère chrétienne, commémorant une chasse rituelle. L’inscription du roi Abīkarib décrit une chasse dans les montagnes environnantes. Bien que fragmentaire, le texte ne laisse aucun doute : cette chasse était liée au culte du dieu unique Raḥmanān. Soit la chasse fut organisée en l’honneur de Raḥmanān, ce qui est le plus probable, soit les animaux chassés furent offerts à ce dieu. Or le dieu Raḥmanān fut bien le dieu unique (connu aussi sous le nom d’Ilān / Ilāhān), vénéré en Arabie du Sud depuis la deuxième moitié du ive siècle de l’ère chrétienne. Dans la religion juive, ni la chasse rituelle ni le sacrifice d’animaux chassés au dieu n’étaient autorisés. Quelle était alors la religion pratiquée par le roi Abīkarib ? Un judaïsme interprété d’une façon totalement libre ? Un monothéisme inspiré du judaïsme ? En effet, aucune inscription monothéiste royale n’est explicitement juive, alors que plusieurs inscriptions rédigées par des particuliers mentionnent le peuple d’Israël.

15Nous avons ensuite étudié, entre autres, les trois inscriptions du nord de Najrān, Ry 508 et 507, Ja 1028. Nous avons pu examiner ces inscriptions rupestres en Arabie saoudite en 2006, lors de la mission de terrain dirigée par Christian Robin. La lecture de l’inscription Ja 1028 a été considérablement améliorée. Ces inscriptions du début du vie siècle de l’ère chrétienne relatent le blocus de la ville de Najrân par le roi juif Yūsuf et sa lutte contre les Éthiopiens établis dans le pays et leurs alliés chrétiens. Le roi Yūsuf Asʾar Yathʾar était un roi juif de l’Arabie du Sud, arrivé au pouvoir par un coup d’État en réagissant contre l’ingérence éthiopienne dans les affaires internes de son pays. Avant la publication des trois inscriptions dans les années 1950, ce roi était connu grâce à la tradition arabe yéménite, qui voyait en lui un héros défendant son pays contre les envahisseurs éthiopiens, mais aussi, grâce aux récits hagiographiques en plusieurs langues de la chrétienté de l’époque, qui le décrivaient comme un sinistre persécuteur d’innocents chrétiens. Les inscriptions sudarabiques, rédigées sur place à l’époque des faits, permettent de replacer les événements et les personnages dans une perspective historique plus complète. Consignés par le chef de l’armée du roi Yūsuf, qui décrit les actions et les déplacements des armées du roi, ces textes permettent de mieux saisir sa stratégie et les raisons de ses actions. Le récit de l’attaque contre la capitale ḥimyarite Ẓafār et Makhwān, port de la mer Rouge (l’actuelle al-Makhā’ – Mokka), où les armées du roi ont brûlé des églises et tué des Éthiopiens, montre que de nombreux Éthiopiens y étaient présents. Les inscriptions évoquent la préparation de la défense de la côte de la mer contre une attaque des Éthiopiens et l’installation d’une chaîne de Maddabān. Ce récit est complété par une source hagiographique en grec, le Martyre de Saint Aréthas qui décrit en détail cette chaîne en fer barrant l’entrée d’une baie sur la côte arabique, et aussi par un auteur arabe du xiiie siècle, Ibn al-Mujawir qui en a vu des vestiges dans une baie près de Bāb al-Mandab.

16Nous avons ensuite réétudié trois inscriptions relatives aux interventions des Éthiopiens en Arabie du Sud, vers 525-530 de l’ère chrétienne. Deux textes fragmentaires pourraient faire partie d’une même inscription royale (Ist. 7608 bis et Wellcome A103664). Le premier mentionne Sumyafaʿ Ashwaʿ, un roi chrétien mis sur le trône ḥimyarite par le négus éthiopien Ella Aṣbəḥa, le second évoque une guerre contre l’Éthiopie et un acte d’allégeance.

17Le troisième texte (CIH 621) est inscrit sur un rocher près de la forteresse sur la montagne Māwiyat (l’actuel Ḥuṣn al-Ghurāb), dominant le port de Qāniʾ (l’actuel Biʾr ʿAlī) sur la côte du golfe d’Aden. Ce document décrit des travaux de fortification faits après l’invasion de l’Arabie du Sud par les Éthiopiens qui avaient tué le roi de Ḥimyar. L’interprétation de cette inscription est mal assurée et a été beaucoup discutée, or elle est importante pour notre compréhension de cette période mouvementée de l’histoire ḥimyarite. Une étude détaillée de ce texte, fondée sur l’analyse de la syntaxe et la comparaison avec des données historiques des autres sources, a permis d’établir que le roi de Ḥimyar tué par les Éthiopiens n’était autre que le roi juif Yūsuf, et a permis aussi de formuler une hypothèse quand au déroulement des événements.

18Nous avons clos le cycle des conférences par une des dernières inscriptions sudarabiques, commémorant une expédition du roi Abraha, déjà mentionné, en Arabie centrale et occidentale (Ry 506), en comparant cette inscription avec les récits concernant la célèbre « expédition de l’Éléphant », une expédition contre la Mecque, évoquée dans le Coran et rapportée dans la tradition arabe islamique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Iwona Gajda, « Épigraphie et histoire sudarabiques »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 145 | 2014, 56-59.

Référence électronique

Iwona Gajda, « Épigraphie et histoire sudarabiques »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 145 | 2014, mis en ligne le 28 novembre 2014, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1574 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1574

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Auteur

Iwona Gajda

Chargée de conférences, École pratique des hautes études – Section des sciences historiques et philologiques

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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