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Histoire moderne et contemporaine de l'Occident

Méthodes en histoire du monde portugais

Conférences de l’année 2011-2012
Dejanirah Silva-Couto
p. 226-234

Résumé

Programme de l’année 2011-2012 : I. Le Portugal et la Méditerranée orientale. — II. Le Portugal et l’Allemagne hitlérienne (II).

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Texte intégral

I. Le Portugal et la Méditerranée Orientale

1Le séminaire de cette année, qui inaugure un cycle de trois ans consacré à la présence du Portugal en Méditerranée orientale aux xve-xvie siècle, est destiné à combler une lacune, car l’historiographie portugaise et internationale, portant sur la période médiévale ou moderne, a essentiellement orienté ses travaux vers l’histoire du monde atlantique. Notre propos – en nous appuyant sur une documentation en provenance des archives portugaises, à laquelle on additionnera l’année prochaine une vingtaine de documents inédits – dont seulement une poignée a été transcrite par António Manuel Lázaro dans sa thèse de doctorat portant sur les Portugais en mer Rouge au xvie siècle (2008) –, est de restituer d’abord les mécanismes des relations économiques, et, dans un second temps, d’en éclairer les aspects politiques.

  • 1 Luís Adão da Fonseca, « Le Portugal entre la Méditerranée et l’Atlantique au xve siècle », Arquivos (...)

2L’attention de la couronne portugaise a d’abord incidé sur la Méditerranée occidentale, un espace à sa portée, désenclavé par la conquête de Tarifa en 1292, victoire qui a ouvert le détroit de Gibraltar à la navigation commerciale et rendu plus aisés les échanges entre les villes de la péninsule italienne et les ports de l’Europe du Nord. La conquête de Sabta (Ceuta) en 1415 témoigne de la tentative d’y établir une zone d’influence, dans un contexte d’émulation avec la Castille, disposée, elle aussi, à faire valoir ses ambitions stratégiques et économiques au Maghreb. L’intérêt pour cette région alla de pair avec l’entreprise atlantique (1417-1460), que l’on peut juger – en tout cas à ses débuts sous Alphonse III (1248-1279) –, comme une stratégie d’évitement de la Castille, avec laquelle les relations ont été généralement tendues, en particulier entre 1410 et 1433. À l’initiative d’Henri le Navigateur, la progression des expéditions le long de la côte occidentale africaine ne doit pas faire oublier, en effet, que la concurrence castillane s’exerçait aussi dans la zone dite « second Atlantique horizontal »1, ce dont témoigne la bataille diplomatique autour de la possession de l’archipel des Canaries entre 1418 et 1480.

  • 2 Arquivos Nacionais da Torre do Tombo, Lisbonne.

3En réaction à l’échec de la conquête de Tanger en 1437, l’établissement des possessions au Maroc – entre 1458, date de la conquête d’Al Qsar Sgîr (Alcácer-Ceguer) et 1471, moment de la prise d’Arzila par Alphonse V –, mené de front avec la colonisation des îles atlantiques, n’a pas empêché les relations avec les villes italiennes, qui remontaient au xiiie siècle et qui s’étaient accrues au xive siècle. Une lettre de 1399, adressée de Lisbonne par le Florentin Bartolomeo Manni à la délégation de la maison Datini à Pise donne des détails sur les marchandises exportées du Portugal vers la Méditerranée à cette époque : cuirs, sel, sardines, peaux de lapin et graisses. Les cuirs permettaient l’achat des marchandises de luxe, comme les épices ou le safran. À l’exemple d’autre secteurs de production nationale, celui-ci a été aussi dominé par les Florentins (AN/TT2 Chancelaria de D.Duarte, l.2/ f. 24v, mandado régio du 10 mars 1437). Bartolomeu Florentin dans les années 1451 à 1453 et Piero Guidetti, qui envoyait son navire Santa Maria da Anunciada à Porto Pisano en 1470, constituent deux bons exemples. En réalité, la circulation et la vente des marchandises portugaises en Méditerranée dépendait de l’évolution du marché interne et de la croissance d’un groupe social doté de capacité financière pour pouvoir intervenir sur les marchés étrangers ; or, comme les travaux de Virginia Rau, de Prospero Peragallo, de Frederigo Melis, de Vitorino Magalhães Godinho et plus récemment ceux d’A. Marques de Almeida l’ont bien démontré, les colonies italiennes au Portugal disposaient de capitaux suffisants, ce qui ne manqua pas de provoquer des tensions entre marchands portugais et étrangers et obligea la Couronne, qui avait octroyé des concessions aux Italiens, à réglementer ces exportations. Ces dernières mesures sont néanmoins à mettre en rapport avec l’initiative de Jean II, qui entreprit d’acheter des armes en Italie en 1485 avec l’argent de l’exportation des cuirs et considéra la possibilité d’établir un monopole de la Couronne sur la vente des sucres de Madère et des cuirs vers le Levant en 1487 (Eduardo Freire de Oliveira, Elementos para a História do Município de Lisboa, Lisbonne, CML, 1882, vol. I, p. 359 ; Documentos do Arquivo Histórico da Câmara Municipal de Lisboa, Livro de Reis, vol. III, Lisbonne, CML, 1959, doc. 4, p. 276 [Livro 3o das Provisões. Livro II de D. João II, f. 21]). Le commerce du corail était aussi exploité par les Italiens : Bartolomeu Florentino en reçut le monopole en 1443. L’existence d’une association marchande qui s’étendait aux Cambini de Florence, aux Guidetti de Lisbonne et à Filipo Pierozzi de Valence est attestée en 1462. Ce n’est qu’en 1473 que Lopo de Almeida, seigneur d’Abrantes, reçut la concession sur la pêche du corail, pour neuf ans, du Cap Spartel jusqu’à Tagadarte (Maroc) [AN/TT/Chancelaria de D.João II, I, 14, f. 33]. Rappelons que Fernão Gomes de Lisbonne ne reçoit la concession du commerce de Guinée qu’en 1468 et que celle-ci fut conditionnée à la découverte annuelle de 500 lieues de territoires côtiers africains.

  • 3 José Hinojosa Montalvo, « Intercambios comerciales entre Portugal y Valencia a fines del siglo XV : (...)

4Au tournant de la seconde moitié du xve siècle, l’essor du commerce atlantique stimula la demande des produits africains (sucre, esclaves, malaguette, ivoire et sucre) en Méditerranée ; les marchands italiens, qui dominaient les circuits des produits portugais d’exportation ont rapidement pris la tête de cette nouvelle filière. Grâce à eux, les nefs et caravelles portugaises qui privilégiaient auparavant Gênes, Porto Pisano et le Levant espagnol (Valence et Barcelone) où elles déchargeaient blé, poisson, fruits secs, sel, cuirs et vins, commencent à fréquenter les ports siciliens, Venise et l’île de Chio vers 1451. Les tableaux de documents consignés par Paula Limão dans son mémoire de maîtrise (Portugal e o Império Turco na Área do Mediterrâneo [Século XV], Faculdade de Letras de Lisboa, 1994) en donnent plusieurs exemples. Retenons, pour n’en citer qu’un, la nef Santa Maria da Nazaré, propriété d’un certain Afonso Roiz, qui fait huit voyages entre 1489 et 1495, dont quatre au Levant (AN/TT, Chancelaria de D.Manuel, Liv.27, n2, édité par João da Silva Marques, Descobrimentos Portugueses. Documentos para a sua História, vol. III (1461-1500), Lisbonne, Instituto Nacional de Investigação Científica, 1988, doc. 399, p. 667-668). Plusieurs de ces embarcations n’étaient d’ailleurs portugaises que de fabrication : très recherchées sur les marchés méditerranéens, elles y atteignaient des prix élevés (51 392 reais en 1497). Les travaux de José Hinojosa Montalvo permettent d’évaluer leurs prix à Valence pendant cette période (entre 70 et 210 livres)3. Plusieurs d’entre-elles comme la Santa Maria Flor da Rosa étaient affrétées et réalisaient plusieurs voyages pour le compte des marchands italiens : en 1456, la Santa Maria transportait ainsi du blé de Tunis vers Gênes.

  • 4 Henrique Gomes de Amorim Parreira, « História do Açúcar em Portugal », Anais (Junta das Missões Geo (...)
  • 5 L’arroba portugaise = 14,688 kg, soit 220 320 kg.

5Toutefois, c’est le négoce du sucre qui révèle le mieux l’ampleur des changements dans les réseaux de commerce, et le développement des échanges portugais avec la Méditerranée orientale. Il fut d’abord largement dominé par les Génois, et ensuite par les Affaitaiti de Crémone, les Sernigi et les Corbinelli florentins. Un document daté de 1498, conservé dans les archives de la Câmara Municipal du Funchal (Madère) (t. I, f. 70),4 permet de connaître le quota des exportations de sucre portugais à ce moment-là vers diverses destinations, atlantiques et méditerranéennes. Si la Flandres se taille la part du lion (40 000 arrobas), en Méditerranée, Venise demeure en tête (15 000 arrobas), à égalité avec l’île de Chio et Istanbul (15 000 arrobas)5, talonnées par Gênes (13 000 arrobas), mais laissant Livorno et Rome loin derrière. Ce commerce reposait sur le dispositif portugais bien connu des comptoirs (feitorias). Jean II, qui entretenait des contacts avec Tunis et Oran, en avait ouvert un à Oran, dirigé par Rui Fernandes de Almada entre 1483 et 1487. Plus intéressante pour nous (bien que rien n’ait été écrit sur ces établissements d’Afrique du Nord depuis l’article fondateur de Robert Ricard dans les Annales de l’Institut d’études orientales en 1941), a été la factorerie de Chio. Une lettre de privilège (Carta de Quitação) de Manuel Ier, datée du 14 mars 1499, publiée par l’érudit Braamcamp Freire dans l’Arquivo Historico Portuguez, 2 (1904), p. 239 (doc. 219), signale le voyage de Gaspar Pereira, moço de câmara de Manuel Ier, envoyé à cette date à Chio et Istanbul. Pereira, qui voyagea en compagnie d’un António do Porto, reposteiro du roi, reçut 706 ducats et 1/5 pour son défraiement ; il emportait également 10 000 reais pour les dépenses du voyage. Les deux Portugais avaient pour mission de retrouver à Chio l’agent royal Diogo Machado et son écrivain Lançarote Alvarez. Ce document est évidemment à mettre en rapport avec la statistique des exportations de sucres de 1498 et les 15 000 arrobas signalées à destination de Chio et Istanbul. Malheureusement, il n’apporte aucun renseignement sur le rythme des livraisons, un aspect que des recherches approfondies dans les archives de Madère permettraient peut-être d’éclairer. On se limitera donc à constater l’acheminement de ces cargaisons vers Istanbul par la voie de Chio, en rappelant que l’île, tout en étant possession génoise, payait à l’époque un tribut à la Porte ottomane. Cependant, en janvier 1498, le corsaire ottoman Qarq Hassan poursuit une barque portugaise qu’il prend en chasse dans les détroits. Celle-ci réussit à gagner Pera avec 1 700 caisses (environ 225 000 kg) ; il s’agit peut-être de la cargaison mentionnée dans le document de 1498.

6Quoi qu’il en soit, les embarcations avec du sucre portugais sont signalées également en Méditerranée centrale : en juin 1497, des corsaires français dispersent au large de la Sicile une flotte de neuf caravelles ; deux d’entre elles arrivent à Venise avec du sucre de Madère et deux autres gagnent Lesina (Marino Sanuto, I Diarii, I, 640).

7On ignore également le prix de vente pratiqué à Istanbul et par conséquent le profit dégagé par ces opérations ; mais une estimation des bénéfices reste envisageable sachant que la vente de 2 909 arrobas de sucre de Madère, transportées par Simão Rangel à Rome en mai 1497, avait rapporté la coquette somme de 1 460 490 reais (AN/TT, Chancelaria de D. Manuel, liv. 30, f. 106v éditée par Braamcamp Freire « Cartas de Quitação de D.Manuel », Arquivo Historico Portuguez, 5 [1907], p. 476 [doc. 581]). D’autre part, dans la mesure où l’on sait que D. Manuel achetait du blé ottoman en 1503 à Istanbul, il n’est pas exclu que ce sucre fut échangé par du blé : les négociations que le Portugal propose à la Porte en 1541 reposent sur ce type de dispositif, le sucre étant cette fois remplacé par des épices asiatiques et autres produits. Mais le sucre servait également à acheter des armes.

  • 6 La date de 1416 a été proposée, mais elle reste sujette à discussion. L’édition critique de Aires d (...)
  • 7 Roberto Gulbenkian, Les relations historiques entre l’Arménie et le Portugal du Moyen Âge au XVIe s (...)

8Le comptoir de Chio a-t-il été le seul entrepôt portugais en Méditerranée orientale dans la seconde moitié du xve siècle ? Il s’agit d’une période antérieure à la première grande migration de conversos d’origine castillane ou portugaise vers la Méditerranée, qui entraînera, à l’aube du siècle suivant, l’installation de plusieurs communautés dans le monde insulaire du Levant et dans l’Empire ottoman, où certaines d’entre elles serviront de relais aux intérêts économiques de la Couronne portugaise. On a pu constater que le Livro dos Arautos (De Ministerium armorum), chronique anonyme du xve siècle dont on ne connaît pas la date exacte de rédaction6 qui décrit minutieusement plusieurs villes du Levant ainsi que les îles de la mer Égée, n’apporte aucune information à ce sujet. Un comptoir a peut-être existé à Chypre, liée au Portugal en raison du premier mariage de Charlotte de Lusignan avec Jean du Portugal, fils de Pierre Ier (1456). Roberto Gulbenkian, qui a consacré des travaux aux relations entre l’Arménie et le Portugal n’a malheureusement pas abordé les questions liées au commerce7.

  • 8 Éditée par Charles-Benoît Hase, Notices et extraits de manuscrits de la Bibiothèque nationale, Pari (...)
  • 9 Cité par Wilhelm von Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Âge, vol. I, 1885, Leipzig, O. H (...)
  • 10 The Itinerary of Rabbi Benjamin of Tudela. Text, Bibliography and Translation, Adolf Asher (éd.), v (...)
  • 11 Bailey W. Diffie, Prelúdio ao Império. Navegações e Comércio Pré-Henriquinos, Lisbonne, Teorema, 19 (...)

9Bien entendu, les marchands portugais ont certainement fréquenté la Méditerranée orientale avant le xve siècle, mais la question reste à étudier. De plus, les maigres indices livrés par la documentation dont nous disposons actuellement incitent à la prudence. Selon la chronique byzantine de Timarion, auteur de la première moitié du xiie siècle8 la foire de S. Démetrius, qui se tenait annuellement dans la région de Thessalonique, accueillait des Portugais parmi les marchands étrangers qui la fréquentaient. Distingués des Castillans, précision rare en ce temps-là, ils sont désignés sous le nom de « Lusitaniens »9. Le terme figure-t-il dans le manuscrit original, conservé au Vatican, ou s’agit-il d’une lecture fautive ? En contrepartie, l’erreur est évidente dans une référence qui ne porte pas sur la Méditerranée orientale, mais sur sa partie centrale à la même époque. Deux traductions anciennes de l’itinéraire de Benjamin de Tudèle10 laissent penser que les Portugais venaient faire du commerce à Montpellier en 1166 : en effet le passage énumérant les « nations » marchandes qui fréquentaient cette foire a été traduit par Adolf Asher (1840) de façon très libre. Bien que les différentes versions manuscrites du texte hébreu ne mentionnent explicitement le mot « Algarve » (Al-Gharb) c’est ainsi qu’Asher a traduit un mot qu’il n’a pas compris. Pour mieux identifier ce toponyme, il lui a ajouté la mention « Portugal ». De son côté, Adler (1907), a lu Al-Ervah (nu) et non Al-Gharb. En parlant des marchands qui venaient à Alexandrie, Tudèle mentionne les Espagnols (Castillans), les Catalans, les Flamands, les Français (Provençaux), les Aragonais et les Navarrais mais ne mentionne pas les Portugais. Le Portugal n’est pas non plus signalé lorsqu’il évoque les relations de la Castille avec Constantinople, ou nomme Thessalonique11.

II. Le Portugal et l’Allemagne hitlérienne (II)

10Dans la continuation du séminaire de l’année 2010-2011 consacré aux relations entre le Portugal et l’Allemagne hitlérienne pendant la Seconde Guerre mondiale, on a abordé en 2011-2012 l’étude de la propagande et des services secrets allemands au Portugal pendant la période des hostilités. Nous avons commencé par faire un tour d’horizon en examinant les positions (par rapport aux puissances belligérantes) des membres les plus influents du premier cercle du régime et de l’intelligentzia portugaise. En faisant appel aux sources portugaises (APDGS), à la documentation de première main du Public Record Office en particulier, ainsi qu’à l’étude d’António José Telo (Propaganda e Guerra Secreta em Portugal 1939-1945, Lisbonne, Perspectivas e Realidades, 1990) on identifia d’abord ceux qui, par leurs sympathies politiques, ont crée un terrain propice à l’essor de la propagande, à l’installation et au fonctionnement des services secrets allemands.

11Les germanophiles furent surtout nombreux parmi les officiers et cadres de l’armée (voir notre rapport 2010-2011), dans les rangs du parti unique, l’União Nacional (UN), et au sein du régime : on a ainsi signalé João Costa Leite Lumbralles, président de la Junta Central da Legião Portuguesa (JNLP) et ministre des Finances, Nobre Guedes, directeur de la Mocidade Portuguesa (MP), Mário de Figueiredo (ministre de l’éducation), Santos Costa (ministre de la Guerre), Ortins Bettencourt (ministre de la Marine) et Alfredo Pimenta. Bien que ses déclarations soient sujettes à caution, Rolão Preto, l’ex dirigeant des Camisas azuis, mouvement « national-syndicaliste », s’est déclaré, paradoxalement, pro-allié (voir Luís C. Lupi, Memórias-Diário de um Inconformista 1938-1943, vol. II, Lisbonne, Pax, 1972). En contrepartie, on a reconnu, parmi les anglophiles, des ambassadeurs comme Armindo Monteiro (Londres) et Pedro Teotónio Pereira (Madrid), mais aussi des ministres comme Rafael Duque (agriculture), des hauts fonctionnaires comme Trigo Negreiros (gouverneur civil de Porto) ou António Ferro (directeur du SNI, le Secrétariat national de l’information, l’une des personnalités les plus en vue du régime). Cependant, la « sympathie » pro-alliée d’Agostinho Lourenço, directeur de la Police politique (PVDE) laisse perplexe (Public Record Office, attaché naval anglais : doc. 24 488 – du 13 décembre 1939), dans la mesure où la PVDE a étroitement collaboré avec les services secrets allemands. Quoi qu’il en soit, dès le début de la guerre, un certain nombre de personnalités et des intellectuels, souvent liés à la Première république (1910-1926) sont venus proposer leurs services à l’ambassade britannique : ce fus le cas du général Norton de Matos, de Ramada Curto, d’António Maria da Silva, de Ramon la Feria et de Bernardino Machado.

12La presse catalyse parfaitement l’évolution des positions en faveur de l’un ou de l’autre camp, et à ce titre, la position des grands quotidiens est très révélatrice. Des journaux comme O Século et le grand quotidien Diário de Notícias, le Diário da Manhã (organe de l’UN) et le Jornal de Notícias affichent leurs inclinations pro-germanophiles jusqu’en 1942, autrement dit, pendant la période où l’Allemagne hitlérienne engrangeait des victoires sur les divers fronts de guerre (le Diário da Manhã diffuse les bulletins de la Deutsches Nachrichten Büro). On observe toutefois un changement à partir de 1942, qui n’est pas dû uniquement aux revers subis par Hitler, mais au poids croissant de la propagande et des services secrets alliés au Portugal (ce glissement vers le terrain allié affectera aussi les services de la censure). Connoté à gauche, avec des rédacteurs proches du parti communiste, le Diário de Lisboa, mais aussi la República, o Sol, le Comércio do Porto et le Diário de Notícias do Funchal (comme d’ailleurs les journaux des colonies africaines, de Goa et de Macao), distillent des prises de position où l’on discerne une inclination pro-alliée qui ne variera pas dès le début des hostilités. Dans le camp adverse, le journal pro-hitlérien A Esfera maintiendra aussi ses positions de départ.

13Au début de la guerre, la propagande allemande trouve facilement ses marques, dans la mesure où la position de Salazar (Salazar, Antologia. Discursos Notas, Relatorios, Textos, Artigos e Entrevistas : 1909-1955, Lisbonne, Vanguarda, 1955) demeure ambiguë. S’il chercha à freiner les tendances anglophiles dans le pays classifiant le conflit de « choc de civilisations » plutôt que d’idéologies, il se servit du Pacte germano-soviétique pour stigmatiser une fois de plus les « régimes totalitaires » (voir son discours du 26 février 1940). Le journal A VOZ, monarchiste, avait déjà donné le ton dans son numéro du 5 septembre 1939, déclarant que les régimes russe et allemand représentaient « l’Antéchrist ». Cela ne l’empêche pas, dans ses déclarations – qui évitent généralement des prises de position sur l’Allemagne hitlérienne et sur la guerre – d’attribuer au gouvernement autrichien la responsabilité de l’Anschluss (Franco Nogueira, Salazar, Coimbra, Livraria Civilização, vol. III, p. 151).

14On peut constater ainsi que les services de la censure favorisent systématiquement les dépêches et les illustrations en provenance des agences d’information de l’Axe, dans l’espoir de contrarier les inclinations pro-alliées des quotidiens (AN/TT MAI, Pasta 520, Boletim dos Serviços de Censura du 11 janvier 1941). Ce qui n’empêchera pas la légation allemande de se plaindre d’être soumise à la censure (entre janvier et avril 1941 le gouvernement de Salazar reçoit 32 protestations allemandes à ce sujet). La propagande allemande – envoyée d’abord de l’Espagne par courrier postal –, est très ciblée et utilise adroitement les stéréotypes de la culture populaire portugaise chers au régime. Elle exploite les contradictions politiques du salazarisme, insiste sur la position défensive de l’Allemagne et s’adresse d’abord aux élites provinciales déjà touchées par le « national-syndicalisme » de Rolão Preto (c’est le cas dans la ville d’Elvas), aux cadres de l’armée, aux industriels, aux milieux universitaires (Coimbra) et aux professions libérales. Les représentants des entreprises commerciales ou les ingénieurs travaillant dans les mines du wolfram lui servent de relais ainsi que les membres des organisations de la jeunesse du régime ou de la police portugaise (GNR et PSP). En septembre 1939, le journal Portugal de Leiria change son nom pour Portugal et devient un journal pro-allemand, distribué gratuitement à plus de 1 700 personnes. Transportés à bord d’un navire italien, 400 appareils TSF débarquent au Portugal en provenance de l’Allemagne (Dez Anos de Política Externa (1939-1947). A Nação Portuguesa e a 2a Guerra Mundial, Lisboa, MNE, vol. VI, p. 524). Des livres comme Quem vem lá ? de Félix Correia, trouvent leur public. Correia est également directeur de la revue A Esfera (7 000 exemplaires en 1943). Un périodique comme Sinal dispose d’un tirage de 15 000 exemplaires en 1943. La propagande pro-allemande essaie également d’infiltrer le monde du travail. En 1944, les légionnaires distribuent O Alerta à la sortie des chantiers navals de Barreiro, ce qui oblige la PVDE à intervenir (AN/TT/APDGS procès 6660-SR du 3 mars 1944). Les films de l’UFA, Jud Süss de Veit Harlan (1940), Ohm Krüger d’Hans Steinhoff (1941) ou Die Frau meiner Träume avec Marikka Rökk (1944) connaissent un succès considérable, même s’ils n’arrivent pas à détrôner les productions américaines, en particulier après 1943. (Se reporter, à ce sujet, aux dossiers inédits conservés à l’Arquivo Histórico du ministère des Affaires étrangères, Repartição dos Negócios políticos/orgânica 1938/2PAo 49 e 50 [(Proc.31, 31(6) (1940-1944)].

15Cette machine bien huilée compte sur l’appui des instituts culturels allemands qui relaient efficacement la propagande de Berlin à Lisbonne et à Porto ; ils agissent en concertation avec plusieurs organisations du Parti, parmi lesquelles le service du Landesgruppe / NSDAP, dirigé au Portugal par Julius Claussen, attaché commercial à la légation de Lisbonne. En 1939, le Landesgruppe comptait sur 285 militants à Lisbonne, et sur 40 à Porto (ce dernier chiffre se reportant à 1933). Par ailleurs, beaucoup d’organisations allemandes, comme la Hitlerjugend, dirigée par Hans Berner et par Fritz Issel, s’installent au Portugal. En accord avec l’auditoire du séminaire, l’étude détaillée de la participation de ces organisations aux échanges culturels luso-allemands fera l’objet de la conférence de l’année prochaine. Nous nous proposons ainsi d’étudier en 2012-2013 l’exposition sur la « Nouvelle architecture allemande », organisée en novembre 1941 par Albert Speer, qui s’est déplacé à Lisbonne pour l’inauguration, et sur laquelle il n’y a pas eu de travaux à ce jour.

16La Grande-Bretagne se manifeste tardivement et n’est prête à rivaliser avec l’Allemagne qu’en 1941, copiant parfois les méthodes allemandes, en particulier au niveau des techniques de diffusion du matériel graphique. Les alliés bénéficient de l’estime des milieux intellectuels et artistiques (à l’exclusion de quelques architectes de renom, proches du régime et très germanophiles) et lancent des revues comme le Mundo Gráfico, la Guerra Illustrada (tirée à 20 000 exemplaires) ou le Anglo- Portuguese News. À l’activité des bureaux de Lisbonne et de Porto s’ajoutera la création du Centre britannique d’information (CBI) qui couvre le nord du pays et s’appuie sur un large réseau de volontaires. 2 000 000 tracts sont ainsi distribués au Portugal (Foreign Office, 371 34641 C361). Contrairement aux Allemands, les Anglais visent la population urbaine pauvre et les campagnes non alphabétisées. Madère, qui accueille déjà une importante colonie anglaise, devient l’un des centres de la propagande alliée (Arquivo Histórico du ministère des Affaires étrangères, Repartição dos negócios políticos/orgânica 1938/2PAo 49 e 50 [(Proc.33, 2 - 2o piso, 48, 184. Livres et articles publiés au Portugal considéré par la légation allemande comme injurieux (1934-1943)].

17Après avoir présenté l’organigramme général des services secrets allemands pendant la guerre, nous nous sommes intéressés à leurs bases au Portugal. Le service le plus important fut le Sicherheitsdienst (SD), qui opérait à l’étranger à travers le RSHA VI, héritier de la Section III du SD. Cet organisme a été’abord dirigé par Walter Schellenberg (AMT VI-SS Ausland), qui programma en 1940 le recambolesque kidnapping du duc de Windsor à Lisbonne. Ce service a été confié d’abord au capitaine Fritz Kramer, épaulé par Erich Emil Schroeder, « assistant scientifique » à la légation allemande, dirigée par le baron Huene, dont nous avons déjà étudié l’activité au Portugal lors de la conférence de 2010-2011. Installé à Lisbonne en 1941, Schroeder fut envoyé par Reinhardt Heydrich au Portugal. Officier de liaison de la police allemande, Polizei Verbindungsführer (OLPA) il était en charge de trois antennes : Lisbonne (agents Henss, Haack, Spreu et Salsieder), Portimão (agents Schmuck, Fontaine, entre 1943 et 1944) et Porto (agent Henss, 1942-1943, remplacé à partir de 1943 par les agents Ruh et Stueve). La cellule de Porto s’est distinguée par son activité (AN/TT, APDGS, 1539 - SR). Les fonds, envoyés de Berlin, étaient déposés à la banque Pinto e Sotto Mayor. Ce n’est qu’en 1944 que Schroeder a cessé d’utiliser cette voie de financement, car la Banque du Portugal bloqua les comptes allemands. Il demanda alors un prêt à la délégation allemande (1 750 000 escudos).

18Le SD travaillait en étroite collaboration la PVDE et l’apogée de ces relations date de 1942 (avant la défaite de Stalingrad). C’est dans ce cadre que le capitaine de la PVDE, Paulo Cumano fut entraîné à Berlin, sa tâche consistant à surveiller les juifs allemands au Portugal et les diplomates suspects de contacts avec l’amiral Canaris. La PVDE collabora dans les missions destinées à kidnapper le duc de Windsor ainsi que l’opposant Otto Strasser (mort sous la torture à Berlin) ; les Allemands ont pu compter ainsi, en quelques heures, sur l’aide de mille agents. On a constaté que le développement des organismes de propagande a beaucoup contribué à l’élargissement du réseau d’informateurs, dont plusieurs procès étudiés dans le séminaire ont révélé la capacité à employer les techniques de renseignement les plus diverses (voir AN/TT, APDGS, 6512 - SR, 5415 - SR, 3351- SR).

19Cela dit, le véritable service de contre-espionnage (AMT VI) a été dirigé au Portugal par Adolf Massenstein (assisté de son secrétaire Volbrecht). Arrivé en 1942, celui-ci eut pour mission de surveiller les services secrets britanniques et américains et d’essayer de « casser » les codes du MI6 britannique ; cette dernière opération se solda par un échec, mais, en contrepartie, les services allemands excellèrent dans les manœuvres d’« intoxication », en fabriquant, notamment à partir de 1943 (date à laquelle le parti communiste fut en mesure d’organiser quelques grèves), des faux destinés à faire croire à la PVDE et à Salazar que les alliés organisaient des réunions secrètes avec l’opposition, dans le but de déstabiliser et de renverser le régime (AN/TT, APDGS, 1539 - SR ; 1026-SS, 503 - SR, 112 - SR.). Par ailleurs, ils réussirent, jusqu’en 1944, à renforcer la position des éléments pro-allemands dans toutes les forces portugaises affiliées au régime, notamment dans la Légion, la PSP, et la GNR, la PVDE constituant un cas à part, en raison de la lutte entre les clans germanophiles et anglophiles au sein de l’institution.

20Les dernières séances de l’année ont été consacrées à l’étude du renseignement militaire allemand au Portugal et à l’activité de l’Abwehr en particulier, ainsi qu’à deux exposés sur les relations entre les colonies allemandes de l’Angola (renforcée dès le début de la guerre par l’arrivée de réfugiés de la République Sud-Africaine et les équipages des navires arraisonnés en 1939) et du Mozambique, avec les services secrets allemands. Nous avons ainsi signalé, à l’attention de l’auditoire, les dossiers inédits les plus importants sur le sujet, conservés à l’Arquivo Histórico du ministère des Affaires étrangères (Lisbonne), concernant les années 1940-1941 (Repartição dos negócios políticos/orgânica 1938/2PAo 49 e 50. Proc. 32, 316. Activités allemandes au Cap-Vert (équipage du navire Prometheus) ; Proc. 32, 31. Activités et propagande allemande au Portugal et dans les îles (1939-1941) ; Proc. 34, 16 - 2o Piso, 49, 17 - L’Allemagne et le Portugal. Bases navales allemandes en Afrique occidentale portugaise. Rumeurs).

21Grâce à l’amiral Canaris, qui développa des liens privilégiés avec les franquistes, la péninsule Ibérique fut choisie comme pivot des opérations de l’Abwehr. Le baron Huene était sympathisant de Canaris, et c’est ainsi que Lisbonne devint le centre des tractations secrètes entre celui-ci et les alliés, à partir du moment où la conspiration contre Hitler entra dans sa phase avancée. C’est aussi à Lisbonne que l’Abwehr a pu transmettre aux services alliés d’importantes informations techniques sur le chiffre allemand.

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Notes

1 Luís Adão da Fonseca, « Le Portugal entre la Méditerranée et l’Atlantique au xve siècle », Arquivos do Centro Cultural Calouste Gulbenkian, 26 (1989), p. 148-152.

2 Arquivos Nacionais da Torre do Tombo, Lisbonne.

3 José Hinojosa Montalvo, « Intercambios comerciales entre Portugal y Valencia a fines del siglo XV : el “dret portogues” », Actas das II Jornadas Luso-Espanholas de História Medieval, vol. II, Porto, Instituto Nacional de Investigação Científica, 1987, p. 771.

4 Henrique Gomes de Amorim Parreira, « História do Açúcar em Portugal », Anais (Junta das Missões Geográficas de Investigação do Ultramar), VII/I (1952).

5 L’arroba portugaise = 14,688 kg, soit 220 320 kg.

6 La date de 1416 a été proposée, mais elle reste sujette à discussion. L’édition critique de Aires do Nascimento, Livro de Arautos. De Ministerio Armorum : Estudo Codicológico, Histórico, Literário, Linguístico, Lisbonne (s. e.), 1977, est maintenant complétée par l’étude de Maria Alice Pereira Santos, O Olhar Ibérico sobre a Europa Quatrocentista no Livro dos Arautos, Lagos, Câmara Municipal de Lagos, 2008.

7 Roberto Gulbenkian, Les relations historiques entre l’Arménie et le Portugal du Moyen Âge au XVIe siècle, Lisbonne, Academia Portuguesa de História, vol. I, 1995, p. 161-210.

8 Éditée par Charles-Benoît Hase, Notices et extraits de manuscrits de la Bibiothèque nationale, Paris, Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, IX, partie 2, 1813, p. 171.

9 Cité par Wilhelm von Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Âge, vol. I, 1885, Leipzig, O. Harrassowitz, 1885, p. 244, no 5 et p. 264.

10 The Itinerary of Rabbi Benjamin of Tudela. Text, Bibliography and Translation, Adolf Asher (éd.), vol. I, Londres, A. Asher & Co, 1840 ; The Itinerary of Benjamin of Tudela. Critical Text, Translation and Commentary, Marcus Nathan Adler (éd.), Londres (s. e.), 1907.

11 Bailey W. Diffie, Prelúdio ao Império. Navegações e Comércio Pré-Henriquinos, Lisbonne, Teorema, 1989, p. 85, note 3 (traduction portugaise de Prelude to Empire, University of Nebraska Press, 1960).

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Pour citer cet article

Référence papier

Dejanirah Silva-Couto, « Méthodes en histoire du monde portugais »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 144 | 2013, 226-234.

Référence électronique

Dejanirah Silva-Couto, « Méthodes en histoire du monde portugais »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 144 | 2013, mis en ligne le 07 novembre 2014, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1520 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1520

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Auteur

Dejanirah Silva-Couto

Maître de conférences, École pratique des hautes études – Section des sciences historiques et philologiques

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