Navigation – Plan du site

AccueilNuméros144Histoire moderne et contemporaine...Érudition historique et philologi...

Histoire moderne et contemporaine de l'Occident

Érudition historique et philologique de l’âge classique aux Lumières

Conférences de l’année 2011-2012
Jean-Louis Quantin
p. 221-223

Résumé

Programme de l’année 2011-2012 : I. Port-Royal et la Fronde : sur deux mazarinades attribuées à Arnauld d’Andilly. — II. Autour de Pascal. — III. Hagiographie et théologie politique : Savile, Casaubon et les Vies de Jean Chrysostome.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Hubert Carrier, « Port-Royal et la Fronde : deux Mazarinades inconnues d’Arnauld d’Andilly », Revue (...)

1Les conférences de 2011-2012 ont considéré une gamme de textes un peu plus étendue que les années précédentes, le fil conducteur étant la dimension politique et, plus précisément, la problématique des rapports entre Église et État. On est allé, pour ainsi dire, du moins au plus érudit. On a commencé par étudier deux mazarinades que le regretté Hubert Carrier, dans un article de 1975 dont l’historiographie a repris sans discussion les conclusions, avait voulu donner à Robert Arnauld d’Andilly : une défense assez conventionnelle de la Fronde parlementaire, pendant la « guerre de Paris » de 1649, l’Advis d’Estat à la Reyne, sur le gouvernement de sa Regence [C. Moreau, Bibliographie des mazarinades, 3 vol. , Paris, 1850-1851, no 498], et une pièce de l’été 1652, au sommet de la domination condéennes à Paris, La Verité toute nuë, ou Advis sincere et des-interessé sur les veritables causes des maux de l’Estat, et les moyens d’y apporter le remede [Moreau, Bibliographie, no 4007]1. Cette attribution constituerait, pour peu qu’elle fût fondée, l’unique élément sérieux en faveur de la vieille thèse polémique antijanséniste, accréditée en particulier par les Mémoires du jésuite René Rapin, sur l’engagement de Port-Royal dans les rangs de la Fronde. Un commentaire suivi des deux textes, en les comparant systématiquement aux mazarinades contemporaines, a permis de conclure que seul le second, La Verité toute nuë, pouvait être attribué à d’Andilly. Or ce texte ne saurait être considéré comme frondeur : il condamne tous les partis – Mazarin, le Parlement, Retz, Condé –, comme également coupables des horreurs de la guerre civile, supplie le jeune Louis XIV de renvoyer Mazarin, mais conclut sur une profession de quiétisme politique : il ne faut employer d’« autres armes pour combattre le Cardinal que nos prieres et nos larmes envers Dieu, et envers le Roy, afin qu’ils nous en delivrent ». On retrouve ici l’attitude qui est celle de tout Port-Royal, profondément, on pourrait dire désespérément loyaliste.

  • 2 L’ouvrage valut à Havet de devenir directeur d’études pour l’« histoire des origines du Christianis (...)

2Une série de conférences a ensuite été consacrée à Pascal. Prolongeant des recherches antérieures sur la condamnation romaine des Provinciales, par décret du Saint-Office du 6 septembre 1657, le directeur d’études s’est permis une incursion exceptionnelle dans le xixe siècle, sur la base d’un dossier retrouvé aux archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi. En un temps où l’école était au cœur des rapports entre Église et État, et où les « classiques » étaient avant tout les grands écrivains du « siècle de Louis XIV », l’histoire scolaire des Provinciales est comme un résumé de l’évolution religieuse et politique de la France. La mise des première, quatrième et treizième lettres au programme de la classe de rhétorique (et ipso facto du baccalauréat) en 1880, puis à celui du brevet supérieur, en 1884, entraîna la publication de plusieurs éditions scolaires. La première, savante mais très antijésuite et même anticatholique, fut donnée en 1881 par Ernest Havet, auteur d’un Le christianisme et ses origines (4 vol. , Paris, 1871-1884), où sans savoir, de son propre aveu, ni l’hébreu ni l’allemand, il avait entrepris de démontrer, sur un ton volontiers voltairien, que le christianisme avait presque tout emprunté à la philosophie grecque2. L’Alliance des maisons d’éducation chrétienne riposta en faisant réaliser une nouvelle édition par l’abbé Augustin Vialard, professeur de rhétorique au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet. Ce travail devait beaucoup à l’édition de l’ensemble des Provinciales donnée en 1851 par un ecclésiatique de Poitiers, le chanoine Michel-Ulysse Maynard, collaborateur de L’Univers et figure importante du catholicisme intransigeant. Vialard avait en outre été très influencé par De l’Église gallicane de Joseph de Maistre. Les Provinciales restant sous le coup de la condamnation de 1657, l’éditeur de l’Alliance, la maison Poussielgue, sollicita en octobre 1884, par l’intermédiaire de l’archevêque de Paris, le cardinal Guibert, une permission de la congrégation de l’Index. Le consulteur romain, le théologien barnabite et futur cardinal Giuseppe Granniello, rendit un avis négatif, en raison des erreurs doctrinales répandues dans les notes. De très abondantes corrections furent alors apportées par Alphonse Eschbach, supérieur du séminaire français de Rome, qui ne faisait en réalité que suivre les instructions du cardinal Johannes Baptist Franzelin. L’affaire éclaire les images de Pascal et de Port-Royal à l’époque, leur rôle dans l’affrontement entre cléricaux et laïques, et, à l’intérieur même du monde catholique, les différences culturelles entre Rome et la France. Si l’édition Havet relevait d’une laïcité de combat, l’édition Vialard n’était pas seulement catholique, mais intransigeante. Elle le resta même après l’intervention de l’Index, qui en éleva en revanche considérablement le niveau théologique. Jusqu’en 1914, tandis que les élèves de l’école laïque étudiaient les Provinciales dans l’édition Havet, ceux de l’enseignement libre les lurent, à leur insu, avec les notes du cardinal Franzelin : l’orthodoxie romaine et la libre pensée française étaient face à face, et au plus haut niveau. L’effort consenti par l’un et l’autre camp atteste l’importance stratégique que tous deux attribuaient alors à l’enseignement et plus particulièrement aux livres scolaires. Pour les spécialistes des Provinciales, l’examen de l’édition Vialard par l’Index est en outre d’un exceptionnel intérêt, puisqu’il livre la position catholique officielle sur ce qui constituait au xixe siècle, et constitue encore pour nous, le cœur des Petites Lettres, à savoir la morale – esquivée, au contraire, lors de la condamnation initiale des Provinciales en 1657, qui ne visa quasiment que le jansénisme proprement dit, celui des cinq propositions. L’épisode confirme le défi que l’ouvrage posait à la théologie catholique. Vialard resta prisonnier de la contradiction dont les adversaires jésuites de Pascal au xviie siècle n’avaient jamais pu s’extraire. S’il est aisé de traiter en général Pascal de menteur, comment le réfuter en détail sans justifier les casuistes ? Et, si l’on entreprend de défendre les casuistes sur le fond, ne donne-t-on pas raison aux accusations mêmes de Pascal ? Mais la piètre prestation du professeur au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet et la sévère critique qui en fut faite par Granniello éclairent aussi la différence de culture, et comme de climat, théologiques de part et d’autre des monts : se vérifie ainsi la richesse des archives de l’Index pour une histoire de la culture romaine au temps de la papauté intransigeante. Ce second trimestre a été complété par un commentaire d’un fragment des Pensées (Lafuma 567 - Sellier 473), qui ne semble pas avoir été bien compris jusqu’ici : « Il ne faut pas juger de ce qu’est le pape par quelques paroles des Pères (comme disaient les Grecs dans un concile, Règles importantes), mais par les actions de l’Église et des Pères et par les canons ».

3On s’est enfin attaché aux travaux des critiques du début du xviie siècle autour des biographies byzantines de Jean Chrysostome, et en particulier à une remarquable dissertation que Sir Henry Savile avait prévu d’inclure dans son édition, « Ad Lectorem admonitio H. S. de scriptoribus rerum Chrysostomi, et praesertim Georgio caeterisque βιογράφοις recentioribus caute legendis ». Savile montra que la Vie de Chrysostome par Georges d’Alexandrie, la plus ancienne qu’il eût pu publier – tous ses efforts pour retrouver l’original grec du Dialogus de uita Chrysostomi de Pallade ayant été infructueux –, ne méritait aucun crédit : les miracles dont Georges avait rempli sa biographie imitaient ceux du Nouveau Testament, le prétendu séjour de Chrysostome à Athènes décalquait celui de Basile et de Grégoire de Nazianze. Mais Georges avait aussi raconté comment, après la mort de Chrysostome, le pape Innocent avait excommunié ses persécuteurs, l’empereur Arcadius, l’impératrice Eudoxie et les patriarches de Constantinople et d’Alexandrie : Arcadius avait alors fait une soumission complète. Cette légende, répétée par tous les auteurs ultérieurs, était devenue dans l’Occident latin une preuve classique des prérogatives pontificales. Son utilisation en ce sens remonte au moins à Grégoire VII et les récusants s’en servirent dans l’Angleterre élisabéthaine. Savile n’eut pas de peine à montrer, notamment en raison de contradictions chronologiques, que le récit était fabuleux, mais, malgré sa protestation qu’il n’était mû « par aucun esprit de parti », il se trouvait dès lors entraîné sur un terrain brûlant. Jamais peut-être les controverses sur les rapports des deux puissances et sur le pouvoir des papes dans l’ordre temporel ne furent aussi vives que dans la décennie 1605-1615, avec le serment d’Allégeance, l’Interdit de Venise, l’assassinat de Henri IV. Savile préféra sacrifier sa dissertation, qui ne fut communiquée en manuscrit qu’à quelques lecteurs, dont Isaac Casaubon, et demeura pratiquement enfouie jusqu’à la fin du xviie siècle.

Haut de page

Notes

1 Hubert Carrier, « Port-Royal et la Fronde : deux Mazarinades inconnues d’Arnauld d’Andilly », Revue d’Histoire littéraire de la France, 75, 1975, p. 3-29

2 L’ouvrage valut à Havet de devenir directeur d’études pour l’« histoire des origines du Christianisme » lors de la création de la section des Sciences religieuses de l’École pratique des hautes études. Cette nomination est curieusement passée sous silence dans l’étude quelque peu hagiographique d’Émile Poulat, « L’institution des “sciences religieuses” », dans Id., Liberté, laïcité. La guerre des deux France et le principe de la modernité, Paris, 1987, 285-334 (texte repris sans notes dans le volume commémoratif Cent ans de sciences religieuses en France, Paris, 1987, p. 49-78) : voir la liste des directeurs d’études donnée p. 320, et l’affirmation, p. 321, que « la Section était décidément laïque, dans l’esprit de la République qui l’avait créée. Elle n’était pas antireligieuse, ou irréligieuse ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis Quantin, « Érudition historique et philologique de l’âge classique aux Lumières »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 144 | 2013, 221-223.

Référence électronique

Jean-Louis Quantin, « Érudition historique et philologique de l’âge classique aux Lumières »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 144 | 2013, mis en ligne le 07 novembre 2014, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1518 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1518

Haut de page

Auteur

Jean-Louis Quantin

Directeur d’études, École pratique des hautes études – Section des sciences historiques et philologiques

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search