Culture et vulgarisation dans la France médiévale
Résumé
Programme de l’année 2009-2010 : I. Les traductions françaises de l’Epitoma rei militaris de Végèce (suite). — II. Les figures du savoir.
Plan
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1Vulgariser au Moyen Âge signifie sans doute mettre en langue vernaculaire, mais c’est aussi une représentation des savoirs qui s’opère par ce biais, soit en fonction de la nature des textes transmis en français, soit dans l’image du domaine savant qui en est donnée dans les textes dits littéraires, qu’il s’agisse de ses acteurs ou des institutions ou de ses habitus. C’est autour de ces deux questions que la conférence s’est organisée avec une étude des traductions de Végèce qui a été poursuivie et une nouvelle thématique, les figures du savoir dans la littérature.
I. Les traductions françaises de l’Epitoma rei militaris de Végèce
2Lors de l’année précédente, trois traductions intégrales en prose avaient été étudiées ainsi que l’adaptation en vers que Priorat de Besançon avait faite de la traduction de Jean de Meung. Le travail a été centré cette année sur la traduction anglo-normande et les traductions partielles de Végèce, en particulier des Regulae belli.
3La traduction anglo-normande, étudiée par L. Thorpe en 1952 et 1953 ainsi que par D. Legge en 1953, effectuée ou copiée par un certain maître Richard, n’a guère suscité de travaux depuis. Sa date de rédaction est d’ailleurs en débat chez ces deux critiques, soit vers 1254‑1256, soit 1271-1272. L’argument en faveur d’une rédaction postérieure à 1265 est cependant renforcé dans le texte qui fait référence à la bataille de Kenilworth, ce qui semble partiellement confirmé par les miniatures, comme l’a signalé C. Allmand (The De re militari of Vegetius, Cambridge, 2011). C’est donc la première version française de ce texte, qui est à situer dans l’ensemble des traductions émanant de l’aire anglo-normande. Il est à noter qu’elle pratique davantage l’omission que la glose, à la différence des versions ultérieures, avec des résumés ou des omissions, en particulier pour le livre IV où les chapitres sont réduits à 21 – alors qu’il s’agit d’un livre qui a suscité l’intérêt des traducteurs ultérieurs – et bon nombre de chapitres dans toute l’œuvre sont résumés. Ce phénomène d’abrègement est à mettre en relation avec un lexique qui évite tout emprunt ou l’explicite, donnant une vision de l’art militaire où l’écart chronologique et les différences avec le monde médiéval sont gommées ainsi que tout ce qui relève d’une langue technique, qui visiblement n’est pas comprise. Cette première tentative est à mettre en relation avec les autres adaptations du latin effectuées dans le monde anglo-normand, qui relèvent moins de la transmission intégrale d’un texte d’autorité que d’un savoir d’intérêt plus immédiat que culturel. C’est dans cette perspective qu’il faut situer la pratique lexicale, sans emprunt latin, avec des équivalents français et compréhensibles.
4Le succès des traductions se mesure également à l’importance des traductions partielles, centrées autour des Regulae belli, préceptes qui, de manière abrégée, résument les conseils donnés aux chefs militaires. La première adaptation, en vers, a deux variantes, l’une insérée dans Le Chapel des trois fleurs de lis, de Philippe de Vitry, composé avant 1333, et l’autre à la fin de la traduction anonyme de 1380. La première œuvre contribue à l’éloge allégorique des qualités morales du roi et la rupture de type de rimes entre les Regulae et les autres sizains met en évidence la nature du texte, avec des rimes plates, qui en rappellent l’origine formelle. Les deux autres traductions sont postérieures et datent du xve siècle : l’une se trouve avec d’autres extraits à la suite des Stratagèmes de Frontin, traduits par Jean de Rouvroy, en complétant ce livre d’anecdotes par des principes théoriques (Aucuns notables extraicts du livre de Végèce), l’autre est au sein d’un manuscrit du début du xve et a été ajoutée à la fin de ce même siècle dans un ensemble constitué principalement des œuvres littéraires de Jean de Meun et semble comme un rappel de sa traduction, même si le texte copié n’a aucun rapport avec celui de Jean de Meun. Il faut noter que cette version est en latin et en français, la partie française adaptant sans recherche véritable le texte latin. Ce succès, qu’il faut rapprocher de celui des Disticha Catonis, relève du genre du florilège : un condensé des conseils de Végèce, présenté souvent sous forme versifiée ou avec une prosodie évidente, dont l’enjeu didactique clair peut laisser penser à un memorandum soit à destination de clercs, parfois consultés par les seigneurs sur le texte de Végèce, soit utilisés dans l’éducation des laïcs.
II. Les figures du savoir dans la littérature
5L’insertion du savoir dans la littérature est souvent traitée par les critiques par le biais soit de gloses et d’exposés didactiques, soit de thèmes ou de motifs (la mappemonde, les éléments, la mélancolie, la médecine…). Or les personnages qui incarnent le savoir sont souvent des éléments moteurs dans la narration, soit parce qu’ils servent de conseils ou s’opposent à d’autres : si le personnage de Merlin ou ceux des fées savantes apparaissent comme des lieux d’une relation ambivalente au savoir, à la fois du côté de Dieu, dont ils aident les desseins, et du côté du diable dans les effets parfois catastrophiques, d’autres figures, plus clairement associées au savoir institutionnalisé des universités ou à des connaissances plus marginales, sont présentes. Pour cette première année, les séances ont été centrées sur le clerc et sur la vieille femme, deux figures antithétiques, mais représentant littérairement et sociologiquement le savoir.
6La définition ancienne de Pauphilet considérant que « le roman médiéval, c’est un clerc et une dame qui l’écoute », démontre la position centrale du clerc dans les romans, du clerc-ermite écrivant et conseillant dans le Tristan de Béroul, à toutes les représentations du clerc, à côté du roi, le conseillant. L’étude de l’épisode de Maistre Hélie de Toulouse dans le Lancelot, laisse ainsi percevoir la diversité des formations et des parcours cléricaux dans la longue énumération des clercs consultés, avec la mention particulière d’un clerc pratiquant la divination et originaire de Toulouse. Le clerc instruit et donne à voir, remplissant pleinement sa fonction de maître. Clerc et université y sont associés dans les descriptions des arts, qu’elle soit encyclopédique (Gossoin de Metz), parodique (La bataille des sept arts d’Henri d’Andeli), polémique et satirique (Rutebeuf). Ce sont aussi les fonctions sociales du clerc et du chevalier qui sont mises en scène : le clerc éduque le futur seigneur, mais peut aussi y apparaître comme un rival, dans les Débats du chevalier et du clerc, genre où sont comparés, généralement par des dames, les mérites respectifs des deux. C’est bien le savoir et sa valeur qui sont au centre de ces textes, moyen de séduction ou de détournement, le clerc paraissant comme en quête d’un idéal qui peut être féminin ou marial, comme dans les Miracles de Gautier de Coincy.
7La deuxième figure est celle de la vieille femme, figure de guide, parfois reprenant le rôle de la sibylle antique, parfois démontrant un savoir médical et pratique, ou contribuant à une éduction de morale pratique. À la différence du clerc, elle n’est pas insérée dans un dispositif social de reconnaissance, mais apparaît comme l’incarnation d’une expérience, parfois positive ou négative. L’œuvre didactique de Richard de Fournival, qui réfère par son titre (la Vetula) à ce type, et sa traduction par Jean Le Fèvre, a terminé l’étude de cette année.
Pour citer cet article
Référence papier
Joëlle Ducos, « Culture et vulgarisation dans la France médiévale », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 143 | 2012, 169-171.
Référence électronique
Joëlle Ducos, « Culture et vulgarisation dans la France médiévale », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 143 | 2012, mis en ligne le 24 septembre 2012, consulté le 25 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1306 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1306
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