Démotique
Résumé
Programme de l’année 2010-2011 : I. Textes documentaires (suite). — II. Papyrus littéraires (suite).
Texte intégral
I. Textes documentaires
- 1 Cf. e.g. G. Goyon, « La plus ancienne monnaie frappée en Égypte : un tritemorion », BIFAO, 87 (198 (...)
1La campagne de fouilles effectuée en novembre 2010 par l’IFAO sur le site de Douch-Manâwir (Oasis de Kharga) a permis la découverte d’un nouvel ostracon d’époque perse (IFAO 7547) qui a été aussitôt présenté aux auditeurs. Daté du mois de Thôth de l’an 13 de Darius II ( = décembre 412 av. n. è.), il s’agit d’une déclaration chirographe d’Imhotep fils d’Ounamenheb et de Taïsé. Celui-ci renonce vis-à-vis de Pétéamenheb fils de Hor à toute réclamation fondée sur des reçus que lui aurait remis le père de ce dernier, car Pétéamenheb a probablement apuré entretemps les dettes grevant l’héritage paternel. L’élément le plus intéressant de ce document réside dans la clause de pénalité qui stipule une indemnité de « trois statères du trésor de Ptah ». Cette surprenante mise en relation du statère attique avec l’institution memphite qui garantissait le poids et l’aloi des lingots d’argent utilisés en Égypte perse est d’un grand intérêt, d’autant qu’il s’agirait de la plus ancienne mention égyptienne de l’étalon monétaire grec. Si l’on ne peut exclure que le scribe ait confondu en une même expression l’ancienne et la toute nouvelle unité de valeur, sans qu’un tel amalgame eût correspondu à une quelconque réalité matérielle, on peut aussi raisonnablement envisager la possibilité d’une circulation de monnaies d’étalon et d’aspect attique, mais frappées à Memphis, et dont les numismates ont décelé la présence dans des trésors datables de la fin de la domination perse1.
2D’autres ostraca découverts lors de campagnes précédentes ont également été lus et commentés. Ainsi deux documents liés à une seule et même affaire (IFAO 5507 et 5583) sont exceptionnellement datés de l’an 1 du très éphémère roi Psammouthis. Le premier, rédigé au mois de Pharmouthi par le scribe désormais bien connu Ounamenheb fils de Harsiésé, est une déclaration d’Amentefnakht fils de Pétéamenheb et de Tatéamenheb adressée à Pétéisé fils de Nesinher et d’Isetirdis :
3Tu as la jouissance de tout ce que je possède dans le village de Douch à partir de l’an 1, dernier jour de Pharmouthi, pour une période de trois ans qui font trente-six mois et demi, soit trois années encore. Je ne pourrai pas te réclamer de l’orge, du blé ou n’importe quel autre produit qui en proviendra, sauf pour ce qui dépend des domaines divins des dieux Amenheb et Osiris-iou, et tu me donneras (une rente consistant en) nourriture, vêtements et contribution territoriale ( ?), à partir du 30 Pharmouthi de l’an 1 jusqu’au 30 Pharmouthi de l’an 4, ce qui fait 36 mois et demi pendant lesquels tout ce qui m’appartient est en ta jouissance. Si je viens (pendant la période susdite) afin de reprendre pour moi ces parts d’irrigation, ces champs, ces bois ou tout autre bien que je possède, je te donnerai 30 artabes de belle orge…
4Un tel dépôt de biens immobiliers entre les mains d’un tiers, en prévision probable d’un départ prochain du déclarant loin de Douch, doit être lié à un contexte historique particulier, celui de la guerre civile opposant alors les deux compétiteurs au trône, Achoris et Psammouthis, en supposant qu’Amentefnakht ait pu être enrôlé dans le camp de ce dernier. Il est également remarquable que l’indemnité soit stipulée en orge et non en argent, particularité qui pourrait être la conséquence d’une pénurie momentanée d’argent en circulation due aux mêmes circonstances. L’autre aspect intéressant de ce texte concerne la fiscalité. Les éventuelles redevances devaient être payées par le propriétaire, aussi celui-ci précise qu’il pourra réclamer au dépositaire de son patrimoine celles exigibles pour les biens dépendant des domaines des dieux locaux. Également, ce dernier devra lui verser le montant d’un šty n tš, « contribution territoriale ( ?) ». Cette question fiscale devait être problématique, car un autre acte consacré à ce sujet fut dressé quatre mois plus tard (mois de Mésorê de l’an 1) par le même scribe, le déclarant étant cette fois le gardien des biens en question :
5Moi, je te rendrai tout ce qui t’appartient à partir de l’an 4, mois de Pakhons, au terme de ces trois années pour lesquelles tu m’as fait un contrat qui a été dressé avec ton contrat de rente. Ils ( = tes biens) sont en ma jouissance, tandis que (le produit de) tes parts d’irrigation paiera tes impôts du village, sans qu’il en reste d’impayés. Je ne pourrai pas te forcer à vendre des parts d’irrigation, des champs ou des bois pour eux ( = pour les payer), en-dehors de l’impôt d’adduction du domaine divin qui est consigné à leur sujet et qui me sera appliqué en tant que contribution du cultivateur. Si je me soustrais à ces accords écrits ci-dessus, je te donnerai 20 artabes de belle orge …
6Il est clair que deux sortes de redevances sont prises en compte : le šmw n dmy « impôt du village » qui est probablement équivalent à la « contribution territoriale » du document précédent, en principe due par le propriétaire, mais dont la charge est attribuée au gardien institué par le contrat ; et le šmw mw n ḥtp-ntr « impôt d’adduction du domaine divin » prélevé directement sur l’exploitant en tant que šty n ḥwty « contribution du cultivateur ». De plus, la mention d’un contrat de rente (s῾nḫ) indique qu’un troisième acte, non parvenu, devait préciser le montant de la rente en nourriture et vêtements que le gardien devait fournir au bailleur.
7Enfin, également en rapport avec les pratiques fiscales en usage à Douch sous les Perses, un autre contrat (IFAO 4316), daté de l’an 35, mois de Tybi, du roi Artaxerxès Ier ( = avril 430 av. n. è.), a été lu et commenté :
8Les accords conclus entre Hor fils de Horkheb et Onnophris fils de Pétéamenheb selon lesquels on leur a confié le quart du ricin d’Osiris-iou : « Nous sommes convenus par eux ( = les accords) de prélever ce quart sur les cultivateurs du village. Celui d’entre nous qui manquera à son compagnon de sorte qu’il ne le collectera pas avec lui, il devra donner à son compagnon trois deben d’argent fondu du trésor de Ptah, et nous devrons livrer malgré cela le ricin aux prêtres d’Osiris-iou ».
9Ce contrat d’association de deux collecteurs de taxes fournit des renseignements importants sur le fonctionnement de l’économie du temple d’Osiris-iou à Douch sous la domination perse. L’huile de ricin, très présente dans la documentation démotique de Manâwir, était utilisée comme combustible d’éclairage pour les besoins du culte, mais elle devait probablement aussi être exportée dans la Vallée, fournissant ainsi un revenu non négligeable au temple. La proportion du quart mentionnée dans ce texte est cependant problématique : les deux associés ont-ils affermés le quart de la taxe globale prélevée sur les cultivateurs dépendants du temple, les trois autres quarts étant confiés à d’autres fermiers, ou bien ce quart représente-t-il le montant même de la taxe prélevée sur les récoltes au profit du temple, nos deux associés s’étant alors chargés de la totalité du prélèvement ?
10Outre ces ostraca enrichissant nos connaissances sur la vie de l’oasis de Douch à l’époque perse, le directeur d’études a complété le volet documentaire de son programme en proposant à son auditoire la lecture de quelques lettres inédites provenant d’Éléphantine et conservées à Berlin, ainsi qu’un texte déjà publié par Françoise de Cenival et appartenant à l’Institut de papyrologie de la Sorbonne (P. dém. Lille 118). Présenté par Lorenzo Medini dans le cadre du projet d’étude et d’édition des papyrus démotiques du fonds Jouguet, cette lettre comporte de nombreuses difficultés de lecture et d’interprétation qui, malgré le travail considérable du premier éditeur, sont loin d’être encore toutes résolues, ce que les nombreuses et intéressantes suggestions soumises par les auditeurs ont mis en évidence.
II. Papyrus littéraires
- 2 Cf. Annuaire de l’EPHE-Section SHP, 142 (2009-2010), 2011, p. 4.
11On a continué durant l’année la lecture des fables du « Mythe de l’Œil du soleil » (P. Leiden I 384). La séquence de transition entre la fable des deux chacals et du lion, abondamment commentée l’an dernier2, et celle bien connue par ailleurs du lion et de la souris, a été soigneusement examinée, car elle permet d’établir une étroite relation entre les deux apologues dans la démonstration morale développée par l’auteur. Deux raisons sont tour à tour invoquées pour inciter la magnanimité des grands (représentés par la chatte éthiopienne) envers les humbles (incarnés en la personne du chacal-singe) : d’abord leur amour-propre qui les dissuade de commettre une action vile en les disposant à la générosité, et ensuite les services que les seconds peuvent leur rendre face aux caprices imprévisibles du Destin, ce que la seconde fable va illustrer.
- 3 D. Agut-Labordère et M. Chauveau, Héros, sages et magiciens oubliés de l’Égypte ancienne, Paris, L (...)
12Celle-ci présente peu de difficultés de lecture, les colonnes 17 et 18 du papyrus de Leyde étant dans un état de conservation satisfaisant. L’apologue comprend deux parties bien distinctes dont la première, particulière à cette version égyptienne, pourrait être intitulée : « Le lion à la recherche de l’homme ». Un lion rencontre successivement une panthère, un cheval attelé à un âne, un taureau, un ours et un autre lion, tous dans des états lamentables à des degrés divers, et qui tous désignent l’homme comme le responsable de leurs maux. À chaque rencontre, le lion se met en colère contre l’homme, se promettant de lui faire payer ses méfaits quand il le trouvera. Dans la seconde partie – la seule retenue par les versions connues en-dehors de l’Égypte –tandis que le fauve se met en quête de cet ennemi insaisissable, une souris saute entre ses pattes et l’implore de l’épargner en jurant de le sauver lui-même lorsqu’il sera à son tour dans un mauvais pas. Le lion, incrédule mais bon prince, la laisse partir. C’est alors que le destin décide de lui jouer un tour en le faisant tomber dans un piège tendu par un chasseur qui l’emprisonne dans un filet. La souris revient pour le délivrer et accomplit ainsi le serment qu’elle lui avait fait auparavant. C’est donc le destin qui contraint les grands à prendre conscience des bornes de leur pouvoir en leur suscitant des adversaires plus forts qu’eux dont ils ne peuvent se prémunir qu’avec l’aide de leurs inférieurs, à condition qu’ils aient obligé ceux-ci par la démonstration de leur générosité, vertu cardinale des puissants. Le destin, véritable dieu suprême, est ainsi le fondement même de la morale sociale telle qu’elle est définie par l’auteur du « Mythe » et telle qu’on la retrouve décrite dans toutes les sagesses égyptiennes tardives, particulièrement dans celle du Papyrus Insinger où l’aphorisme : « C’est selon ce qu’Il leur a ordonné que vont et viennent la destinée et les événements » clôt chaque chapitre comme un refrain3.
Notes
1 Cf. e.g. G. Goyon, « La plus ancienne monnaie frappée en Égypte : un tritemorion », BIFAO, 87 (1987), p. 219-223.
2 Cf. Annuaire de l’EPHE-Section SHP, 142 (2009-2010), 2011, p. 4.
3 D. Agut-Labordère et M. Chauveau, Héros, sages et magiciens oubliés de l’Égypte ancienne, Paris, Les Belles-Lettres, 2011, p. 223-271.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Michel Chauveau, « Démotique », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 143 | 2012, mis en ligne le 02 octobre 2012, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/1246 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ashp.1246
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