Le Dottor Graziano et les médecins dans les canevas de Flaminio Scala (1611) : chirurgiens, guérisseurs de folie et nécromants
Résumés
Cette étude rappelle d’une part les caractéristiques typiques du masque buffo du théâtre italien qu’est le personnage du Docteur dans les canevas dell’arte. D’autre part, elle dresse le profil de l’un des premiers qui incarna le Docteur Graziano, le comédien Lodovico De’ Bianchi qui a largement inspiré les Docteurs du Teatro delle favole rappresentative de Flaminio Scala publié en 1611. L’analyse des canevas de Scala permet alors de dessiner non seulement les contours de la figure du Docteur, plus souvent savant pédant ridicule que médecin, mais aussi de celle des médecins, vrais ou faux, apothicaires ou nécromants intervenant dans ces canevas. Centré sur un corpus théâtral italien témoin de la période entre les XVIe et XVIIe siècles, l’article étudie non seulement le style scénique (rhétorique, gestuelle et tenue vestimentaire) de ces personnages liés à la pratique de la médecine, mais tente de mesurer les limites de leur portée satirique.
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Mots-clés :
théâtre italien, Docteur Graziano, Gelosi, nécromantie, pédant, Lodovico De’ Bianchi, Flaminio Scala, folie, maladie, magieKeywords:
Italian theatre, Doctor Graziano, Gelosi, necromancy, pedant, Lodovico De’ Bianchi, Flaminio Scala, madness, disease, magicAuteurs et personnages cités :
Flaminio ScalaPlan
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1Notre objectif est ici de remonter aux caractéristiques originelles, dans le théâtre italien professionnel, du masque du Docteur, à travers la figure de l’un des premiers et des plus significatifs : Lodovico de’ Bianchi, Dottor Graziano, comédien des Gelosi à la fin du XVIe siècle. Le masque du Docteur incarne le docteur dans le sens de savant diplômé. Il est probablement la dernière figure à faire son entrée parmi les rôles buffi des comédiens de profession. Il vient en effet compléter, souvent en duo avec lui, Pantalon : l’autre vieillard, hérité du senex de la comédie latine, l’un des deux pères avec le Docteur, dans les intrigues.
- 1 Actif de 1576 à 1589, Lodovico de’ Bianchi est attesté de manière discontinue au sein des Gelosi ju (...)
- 2 Le volume de Scala s’inspire du répertoire des Gelosi. Flaminio Scala, Il teatro delle favole rappr (...)
2Comme pour la plupart des masques dell’arte, il y a toujours un comédien interprète précis à l’origine de la création du masque. Ainsi, c’est Tristano Martinelli qui invente à Paris vers 1594 le personnage d’Arlecchino. Quant à Lodovico de’ Bianchi, s’il n’est pas le premier Docteur de la comédie dell’arte, il en est l’un des plus anciens, ne serait-ce que par son appartenance de longue date à la compagnie des Gelosi dès 15761. Surtout, il est celui dont nous conservons probablement la trace papier la plus fidèle et la plus marquée. C’est lui qui se cache derrière le nom de scène et personnage du Dottor Graziano dans Il teatro delle favole rappresentative, volume de canevas publié par Flaminio Scala en 16112.
3Nous verrons dans un premier temps quel est le profil scénique et l’évolution progressive du Docteur en général, incarné par Lodovico de’ Bianchi dont nous rappellerons quelques aspects biographiques. Dans un second temps, nous nous attarderons sur les figures de Graziano dans Il teatro delle favole ainsi que sur son lien avec la médecine. Enfin, nous nous interrogerons sur les maladies, remèdes et pratiques médicales qui apparaissent dans le volume de Scala. À l’aune du texte, nous vérifierons les spécificités de ce personnage.
Profil du Dottor Graziano : le docteur et son interprète aux XVIe et XVIIe siècles
- 3 Luigi Rasi, I comici italiani, biografia, bibliografia, iconografia, 3 vol., Florence, Fratelli Boc (...)
- 4 Si chaque interprète du Docteur porte un nom différent à la scène, c’est que le comédien italien pr (...)
- 5 Ibid., vol. 1, p. 412-413.
4Comme le prouve le portrait de l’acteur effectué par Luigi Rasi3 qui lui attribue ses caractéristiques originelles, le modèle du docteur Graziano4 est bel et bien fondé par son interprète, Lodovico de’ Bianchi. Si l’acteur n’est pas à l’origine de ce personnage qui serait apparu sur les scènes vers 1560 et aurait été créé par Luzio Burchiello5, Lodovico de’ Bianchi est en revanche le premier à être figé sur le papier à travers Il teatro delle favole.
- 6 Ibid., vol. 1, p. 407.
- 7 Des lettres de De’ Bianchi (toutes signées « Humil. Servo/Lodovico de’ Bianchi da Bologna/detto Dot (...)
5Quelles sont les caractéristiques de ce masque, telles que les définit Luigi Rasi6 ? Tout d’abord, il comporte des traits distinctifs assez constants, ce qui laisse penser qu’il aurait pu évoluer assez peu tout au long du XVIIe siècle jusqu’à Molière. Luigi Rasi souligne en effet que ce masque peut, au gré des interprètes, changer de ville, de région, sans pour autant changer dans son essence et qu’il est aussi figé dans son costume (alors que le masque du Capitan comporte davantage de variations au gré des interprètes). Tout au long de son histoire, le Docteur est toujours représenté en toge professorale, en noir de pied en cap, avec une collerette blanche. Quant à son registre scénique, il serait plus juste de traduire ce masque de la comédie dell’arte par Docte que par Docteur comme c’est le cas ordinairement pour désigner ce personnage en français. Son répertoire est si indissociable de son interprète qu’il va jusqu’à déteindre dans sa correspondance. En effet, le style théâtral pompeux, grandiloquent et à la limite du compréhensible, qualifié de « balivernes doctorales » par Rasi imprègne par exemple une lettre du comédien (Pistoia, 21 octobre 1589) au Grand duc de Toscane Ferdinando I de’ Medici7.
- 8 Ibid., vol. 1, p. 408.
- 9 Historiquement, au premier rang, la plus ancienne université de médecine du monde serait celle de S (...)
- 10 L’université de médecine de Bologne pratiquait l’ouverture des cadavres dès le XIIIe siècle, ce qui (...)
6La caractérisation en docte du personnage s’appuie sur la caricature du savant issu de l’Université de Bologne, le plus grand centre universitaire italien des sciences et des belles lettres8, historiquement la deuxième plus ancienne université et deuxième plus ancienne faculté de médecine du monde en particulier9. L’enseignement de la médecine à Bologne10 remonte en effet à 1088. Dans l’imaginaire collectif italien, Bologne représente la ville des savants et des doctes. À la scène, le Docteur bolonais incarne alors la caricature du pédant.
- 11 Luigi Riccoboni, Histoire du théâtre italien, cité dans L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 408 (...)
- 12 L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 407-408. Compte tenu de la forme à canevas des comédies del (...)
7Force est de constater que nombre de comédiens professionnels qui interprétèrent le Graziano étaient bolonais, en référence à leur origine universitaire. Le grand nombre de scienziati e dottori venant de Bologne qui avaient des chaires publiques dans cette université portaient la toge tant dans l’espace « scolaire » que dans la rue. Ce profil, bavard et pseudo savant, mêlant érudition, extraits tirés des plus grands auteurs latins et déclamations scientifiques, est confirmé au début du XVIIIe siècle par Luigi Riccoboni dans son Histoire du théâtre italien11. Car la forte caractérisation verbale de son langage représente un des traits majeurs du personnage ; elle consiste soit à faire la caricature d’une langue toscane si orthodoxe qu’elle tend au latinisme ridicule, soit d’un bolonais truffé de citations latines plus ou moins extravagantes. Par conséquent, ce masque du théâtre italien est plus proche du pédant que du médecin proprement dit. Son langage est un mélange de science et d’ignorance extrêmes, qui s’appuient sur un vernis de savoir dont la grandiloquence prête à rire. Ainsi, le Docteur est un pédant qui égrène maximes, aphorismes et sentences, ou vérités tautologiques, le tout mêlé d’étymologies farfelues, de citations mal à propos, de latin macaronique mais aussi de pédanterie ignorante, de déformations grotesques du lexique et de latin macaronique volontairement loufoque12.
- 13 Andrea Perrucci, Dell’Arte rappresentativa premeditata e all’improvviso, Naples, M. L.Mutio, 1699, (...)
8Si certains interprètes, écrit Rasi, le teintaient d’un registre plutôt sérieux, aucun exemple écrit ne subsiste d’un Docteur dont l’interprétation ne comportât, ne serait-ce que suggérée, une dimension comique ou parodique. Au mieux, il apparaît sous les traits plus classiques du pédant. Son langage verbal entraîne une forme de comique confirmée par Perrucci en 1699 ; elle repose sur la gravité de son savoir pédant, nourri par une logorrhée qui ne l’abaisse toutefois jamais au niveau de comique du second zanni : doctrine solide et érudite, longs discours sont les caractéristiques de ce masque13. La déformation de mots telle que la paronomase est également fréquente : ainsi, terribil orinale pour tribunale ou encore secolari per scolari illustrent une foi illusoire en un parler toscan orthodoxe. Ces grands discours doivent être énoncés d’un seul souffle, accroissant ainsi la portée comique de la grandiloquence. La facette pédante du personnage est celle qui domine, avec une focalisation sur le discours bien plus que sur la gestuelle. Le profil évoluant assez peu tout au long du XVIIe siècle il est probable qu’il soit véhiculé en France par les comédiens italiens sous cette forme relativement figée.
- 14 Francesco Andreini le cite nommément dans la liste des membres de la troupe (Francesco Andreini, Le (...)
- 15 F. Marotti, G. Romei, La professione del teatro..., p. 125-126.
- 16 Elles comprennent notamment une lettre de dédicace all’ Illustrissimo, et eccellettiss. Signor Don (...)
- 17 L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 407.
- 18 Flaminio Scala, ancien collègue des Gelosi (fin XVIe) passe à la tête de la compagnie des comédiens (...)
9Quant à Lodovico De’ Bianchi da Bologna, alias Graziano [Partesana] da Francolin à la scène, actif de 1576 à 1589, il est le célèbre Graziano des Gelosi14. L’identification du comédien avec son personnage est telle que sa langue graziana imprègne ses lettres, comme celle, précédemment citée, qu’il adresse au grand duc de Toscane en 1589. Il signe « Dottor Gratiano » tout en y formulant une requête de prébendes, dans un langage comique fondé sur le style plus que sur le contenu, prolongeant ainsi son rôle bien au-delà de la scène15. De’ Bianchi est aussi auteur, en 1587, de textes en langue graziana qui confirment le registre du personnage : Le Cento e Quindici conclusioni in ottava rima del Plusquamperfetto Dottor Graziano Partesana da Francolin, comico geloso16. Mal jugées par Luigi Rasi comme d’une indigence encore plus indigente que la langue du Graziano17, elles sont un témoignage de ce qu’était à la scène le style de ce personnage, pétri de tautologies, de grandiloquence et de paronomases. Le répertoire des Gelosi est évidemment méconnu en l’état puisqu’il s’agit d’un répertoire éphémère où le comédien est seul maître de son texte à la scène. Compilation de canevas dell’arte publiée par Flaminio Scala, futur capocomico des Confidenti18 et proche des Gelosi, Il teatro delle favole rappresentative constitue le seul témoignage existant du patrimoine dramaturgique d’une compagnie où le Graziano est inspiré de Lodovico de’ Bianchi.
Le Docteur et les médecins dans les Favole de F. Scala
- 19 Les dix dernières (XLI à L) comportent une tragédie, des opere regie, une pastorale et une épopée. (...)
- 20 Le Docteur n’apparaît pas dans les journées n° IV, XIX, XXII, XXVII, XXXV, XL. Il est également pré (...)
10Dans les compagnies de comédiens italiens entre les XVIe et XVIIe siècles, on ne trouve pas de figure de médecin, en tant que masque. En revanche, la figure du Docteur incarne un savant dont le métier se précise parfois en figure de nécromant, charlatan ou même médecin. Mais la figure du Docteur est plus souvent distincte de celle du médecin. La démarche de Flaminio Scala est de figer ce qui était le répertoire et profil des Gelosi, non seulement pour conserver une mémoire de l’éphémère mais aussi pour en fournir un modèle. Il est donc intéressant de dégager les traits caractéristiques du Docteur qu’en donnent les Favole. Le volume se compose de cinquante journées, avec un canevas par journée, dont les quarante premières sont de strictes comédies (intitulées comedia)19. Sur ces quarante journées, l’absence du Docteur parmi les personnages n’est constatée que six fois20, qu’il soit nommé Graziano ou simplement dottore. Enfin, il s’agit toujours d’un personnage secondaire dans l’intrigue.
- 21 F. Scala, Il teatro delle favole…, Appendice V, p. XCVII.
- 22 Le Docteur Gratiano y apparaît libidineux, davantage intéressé par les jeunes femmes que par celles (...)
11Son répertoire scénique relève d’une codification précise et très caractérisée. Ici, il effectue une révérence alla Gratiana dont on imagine le ridicule appuyé sans qu’on puisse réellement en préciser la gestuelle. Là, c’est l’habituelle lascivité21 libidineuse du personnage de père âgé qui est soulignée, comme dans Lo specchio où il exige d’épouser la fille et non la mère22. Il est aussi coutumier des bravades, un peu à l’image du Capitano. Compte tenu de la récurrence de telles caractéristiques, celles-ci relèvent donc d’un répertoire codifié propre à ce masque.
- 23 Il pedante, XXXI, p. 322.
- 24 Il pedante, p. 323-24.
- 25 Il pedante, p. 326.
12Lorsqu’il n’est pas aussi médecin, le Docteur incarne souvent une figure de pédant. C’est le cas dans Il pedante où, ne détenant pas le rôle-titre, il refuse que le maître de sa fille soit un pédant qu’il méprise alors que lui-même se revendique comme étant plus savant. Il déclare posséder un livret de rimes pédantes faites par Fidenzio, qui se déclare le maître des autres pédants23. C’est donc lui qui fait office de caution du savoir. Ainsi, Cataldo, le pédant officiel de la pièce, est par lui considéré comme scélérat et adulateur24. Ce dernier est d’ailleurs la risée de tous, au point de finir ligoté au moyen d’une bonne corde. Suppliant d’être pardonné pour avoir trompé tout le monde, Cataldo est néanmoins chassé comme un personnage honteux et infâme25. Par contraste, dans ce canevas, le Docteur Graziano apparaît quant à lui comme un savant exemplaire. Il est un mélange entre le pédant de la comédie latine, le courtisan féru de rimes pétrarquisantes et de latin, figure courante des cours humanistes italiennes, et le savant bolonais prêchant la science et le latin. Néanmoins, il est celui qui prétend savoir et fait étalage de son savoir.
- 26 Manuscrit anonyme, Biblioteca estense di Modena, Ms. It. 74-.S.8.X., édition moderne dans F. Scala (...)
- 27 La schiava, Appendice IV, dans F. Scala, Il teatro delle favole…, p. XCVI–XCVII.
- 28 La schiava, p. XCVII. Les meretrices honestae étaient dans l’Italie entre XVIe et XVIIe siècle des (...)
- 29 La schiava, Appendice IV, p. XCIV.
- 30 Il pellegrino fido amante, XIV, vol. 1, p. 149 et p. 155.
- 31 Li duo capitani simili, XVII, vol. 1, p. 177.
- 32 Il finto Tofano, XXIV, vol. 2, p. 243.
- 33 En duo avec le Pantalon Giulio Pasquati dans la compagnie des Gelosi, il officie essentiellement co (...)
- 34 La gelosa Isabella, XXV, vol. 2, p. 252.
- 35 Li tappeti alessandrini, XXVI, vol. 2, p. 266-267.
13Le profil du savant est souvent augmenté d’une position sociale dominante, comme dans le canevas La schiava26. Ici, le Docteur Gratiano est aussi marchand, courtisan et poète27. Il se présente accompagné de son amante, une certaine Marsilia qui est tout sauf une femme de cour, une sorte de cortigiana onesta auprès de laquelle il exécute toute une série de gestes lascifs et de révérences grotesques28. Marsilia lui soutire son argent, tandis qu’il étale une science aussi excessive que ridicule. Lorsque Pantalon l’interroge pour savoir quand le temps sera propre à la navigation, il égrène la liste loufoque de tous les noms des vents29. Cette assise intellectuelle et sociale s’appuie aussi sur sa fonction familiale de père. Il est père d’Isabella dans Il pellegrino fido amante30 ; il est noble et fortuné dans Li duo capitani simili31. Le personnage de père et Docteur s’enrichit d’une multitude de facettes, dont le caractère colérique, ce qui le conduit parfois à en venir aux mains avec son binôme Pantalon (Il finto Tofano32). Ce duo comique33 entraîne une scène burlesque d’ivresse nocturne, à la lueur d’une bougie, dans La gelosa Isabella34 où le Docteur, ridicule, courtise la jeune fille du rôle-titre (Isabella) qui lui est offerte par Pantalon. Enfin, dans Li tappeti alessandrini son assise sociale de père lui permet d’intervenir auprès des sbires, en notable colérique et néanmoins reconnu. Ici, Graziano fait la leçon à tout le monde, à commencer par Pantalon auquel il s’adresse par proverbes et sentences35.
- 36 Voir Théâtre et charlatans dans l’Europe moderne, dir. Beya Dhraïef, Éric Négrel, Jennifer Ruimi, P (...)
- 37 La fortuna di Flavio, II, vol. 1, p. 31.
- 38 Isabella astrologa, XXXVI, vol. 2, p. 364.
- 39 Il fido negromante, XXI, vol. 1, p. 217-221.
14Si le Docteur n’est pas toujours médecin, tout autre personnage occupant cette fonction est relativement fréquent dans les canevas de Scala. Le médecin est alors soit un charlatan, soit une sorte de magicien nécromant exerçant son art de manière strictement farfelue, ce qui laisse soupçonner une influence de la figure du médecin de rue, en d’autres termes l’arracheur de dents36. Dans La fortuna di Flavio, il est un Gratiano charlatan37. Occupant un rôle plutôt effacé dans Isabella astrologa où l’héroïne astrologue est centrale, le rôle de Graziano en tant que médecin38 se limite à son statut social en tant que père de Cintio. La figure du faux médecin devient le rôle-titre de Il fido negromante39. Le Docteur y est distinct du personnage de médecin, simple medico parfaitement anonyme, plutôt mauvais médecin que faux médecin : Arlecchino, dans une scène loufoque, vomit après ingestion d’un médicament par lui administré. Arlecchino en personne finit par le remplacer à l’acte III, dans un costume grotesque de nécromant comme requis par Pedrolino. D’abord travesti en Mercure, il est ensuite habillé en nécromant sous les traits duquel il organise une scène d’exorcisme aux côtés de deux complices habillés en esprits (Orazio et Flavio) sous les yeux ébahis des deux pères (Graziano et Pantalon). Le canevas fait donc passer de la vraie (mais mauvaise) médecine à la nécromancie incarnée par un Arlecchino qui s’enorgueillit de son propre mérite, dévoilant la supercherie en enlevant sa fausse barbe à la fin.
- 40 Flavio finto negromante, XXVIII, vol. 2, p. 288.
15À la fausse médecine est consacré un canevas tout entier : Flavio finto negromante, qui clôture le premier volume. Comme précédemment, ça n’est pas Graziano qui occupe la fonction de médecin, mais Flavio habillé en nécromant et qui, fort de sa position, ordonne la fiction aux autres personnages : ainsi, à l’acte III, il demande à Pedrolino qu’il s’habille en femme, avant de confier à Isabella qu’il est magicien40. Les remèdes et produits qu’il utilise ont de quoi prêter à rire puisqu’il envoie Burattino trouver de la poudre de ricotta auprès des orfèvres. La magie sert à nouveau la mise en scène lorsque ce faux nécromant affirme avoir transformé Isabella à l’effigie d’une voisine d’Orazio et qu’il saura faire en sorte de lui redonner son apparence initiale. Ce faux guérisseur est qualifié à maintes reprises de magicien.
Maladies et pratiques médicales dans les Favole
16Mais sous quelle forme s’exerce la médecine dans les canevas de Scala ? Quelles maladies et quels remèdes sont les plus fréquemment associés à cette fausse médecine ?
- 41 Li duo fidi notari, XX, vol. 1, p. 209-211.
17L’un des faux médecins les plus significatifs apparaît dans Li duo fidi notari. C’est le Capitano, dirigé par Pedrolino qui lui demande de faire mine de détecter une haleine fétide chez Graziano dottore afin de passer pour un médecin. S’ensuit une scène de fausse médecine loufoque où tous les personnages entreprennent de humer l’haleine du voisin, vérifiant, tour à tour, si Isabella, Pantalon ou Graziano ont une haleine fétide. Le dindon de la farce est finalement Graziano car, même s’il n’est concerné par aucun problème d’haleine, il sert de caution pour valider les (fausses) compétences médicales du Capitano. Ce dernier est tout de même accusé de nécromancie par le même Pedrolino, après une fausse scène de guérison d’Isabella, prétendument soignée par le Capitano au moyen de paroles magiques murmurées à son oreille. En somme, les scènes de fausse médecine n’ont pas pour objet le sujet médical en lui-même ; elles servent en revanche de prétexte à un comique de geste et de situation entre les huit différents personnages de l’acte III (Arlecchino, Capitano, Isabella, Pedrolino, Franceschina, Flavio, Pantalone et Orazio). Parfaitement complice de cette fiction plus scénique que médicale Isabella, s’exclamant de joie, déclare que le Capitano l’a guérie41. En d’autres termes, la satire n’est pas le sujet, elle est davantage le moyen du jeu de scène.
- 42 Il fido amico, XXIX, vol. 2, p. 293.
- 43 Il fido amico, p. 302.
- 44 Il fido amico, Acte III, p. 302.
- 45 Il finto cieco, XXXIV, vol. 2, p. 350-353.
18Deux exemples seulement comportent des maux naturels justifiant l’intervention d’une médecine traditionnelle. Dans Il fido amico, la blessure physique de Flavio est si visiblement sanguinolente et si réaliste que la liste des objets servant à la comédie indique qu’il faut du sang et une pâte servant à imiter une blessure, assortie de nombreux bandages de tissu pour bander la tête d’un blessé42. À l’acte III Flavio entre effectivement, soutenu par Isabella, blessé, un bandage autour de la tête43, suscitant lamentation collective et force larmes de toute la compagnie. La blessure ensanglantée frappe par sa présence durable, puisque Flavio reparaît à la fin, soutenu cette fois par trois des personnages (Pedrolino, Arlecchino et Isabella), lors d’une pantomime tragicomique où tous les personnages pleurent une nouvelle fois à chaudes larmes. En revanche, aucun médecin n’y participe : Graziano, en simple Docteur, n’intervient pas pour soigner Flavio44. Le texte n’indique pas que des soins soient prodigués pour sa blessure, même s’il se rétablit pour un dénouement heureux en vue de son mariage. La cécité, une autre maladie physique, est par ailleurs guérie par l’amour dans Il finto cieco : l’aveugle revoit la lumière grâce aux baisers d’une jeune fille. Il s’agit bien sûr d’un subterfuge : Isabella l’embrassant à la fin sur les yeux, le faux aveugle dévoile son identité. Blâmé par Burattino pour sa traîtrise, Flavio épouse néanmoins Isabella. Bien que frauduleuse, la guérison est assimilée à un miracle fabuleux, fondé sur une série de travestissements45.
- 46 La finta pazza, VIII, vol. 1, p. 95.
- 47 La finta pazza, p. 97.
- 48 La finta pazza, p. 98-99.
19Toutefois, la maladie dominante dans les canevas de Scala est la folie, souvent incarnée par Isabella. Elle en est ensuite guérie, soit par l’amour, soit par la vertu de pilules ou de potions miraculeuses. Dans La finta pazza comme le titre l’indique, elle se fait passer pour folle par amour pour Orazio afin d’échapper au mariage arrangé par son père (Pantalon) qui l’a promise au personnage du Docteur. Les symptômes de sa folie sont la mélancolie, des discours délirants d’amoureuse éplorée, si expressive qu’un serviteur est pris d’une crainte effroyable à sa vue46. À la fin de l’acte II, un pèlerin donne à Flavio une liqueur dont il lui assure qu’elle soigne la folie47. Au grand désespoir de tous, on apprend par Bigolo qu’Isabella a été empoisonnée, mais elle revient saine et sauve à la fin. Elle administre alors le breuvage guérisseur de folie à son bien aimé Orazio car lui-même est emporté dans un délire verbal et mental48 en croyant Isabella morte. Du point de vue dramaturgique, ces différents breuvages permettent au personnage de passer de manière vraisemblable de la pure folie verbale à une attitude raisonnable de manière extrêmement soudaine.
- 49 Rappelons que les compagnies italiennes de théâtre professionnel comportaient une hiérarchie de rôl (...)
- 50 « Chi ha denti guasti? », Il cavadente, vol. 1, p. 133.
- 51 Il cavadente, p. 133.
- 52 Il cavadente, p. 135-136.
20Dans Il cavadente, autrement dit l’arracheur de dents, figure de charlatan par excellence, Arlecchino déguisé occupe cette fonction médicale. Son diagnostic repose sur un constat simpliste : puisque Pantalon, le père de Flaminia, a une haleine peu rassurante, il faut lui arracher les dents. Aussi l’acte I finit-il sur la scène de l’arracheur de dents aux prises avec le pauvre Pantalon. Le premier zanni49 Pedrolino ordonne à Arlecchino, habillé en arracheur de dents, de s’attaquer à toutes les dents de Pantalon. Il commence par hurler sous les fenêtres de Pantalon : « qui a les dents abîmées ?50 ». On assiste ensuite à une caricature évidente de ce en quoi consistait l’opération entre les XVIe et XVIIe siècles : Arlecchino est davantage armé d’outils de forgeron que de dentiste, ustensiles dont il fait la liste en les nommant un à un de manière comique. Pantalon hurle de douleur alors qu’Arlecchino lui extrait quatre dents saines au moyen d’une tenaille51. Mais la fiction dans la fiction est révélée, et la supercherie dévoilée : de douleur, Pantalon s’accroche à la barbe postiche du faux charlatan (un médecin est toujours barbu !) ; Arlecchino s’enfuit, pris pour cible par Pantalon qui lance sa chaise à travers la scène. À la fin du canevas (actes II-III), la fiction dans la fiction domine largement avec un autre type de subterfuge médicinal. Afin d’obtenir Orazio pour époux, Isabella fait avaler à ce dernier les dragées (confetti) de la folie ce qui a pour effet de lui faire perdre la raison52. Isabella déclare alors avoir le pouvoir de le guérir, à condition que Pantalon (père d’Orazio) cède à ses volontés. Grâce au contre-poison, Orazio retrouve la raison et Pantalon consent à le lui donner pour époux.
- 53 Li quattro finti spiritati, XXXXVIII, vol. 2, p. 343.
- 54 Li quattro finti spiritati, p. 344.
21La folie comme maladie à guérir est également très présente dans Li quattro finti spiritati. Ici, le pouvoir médical n’est pas entre les mains du Docteur Graziano, mais entre celles de Flavio, déguisé en nécromant. L’enjeu est de guérir Orazio de sa folie, verbale et mentale53. À cette folie s’ajoute celle, feinte, d’Isabella qui déclare être un amoureux esprit qui ne saurait libérer le corps d’Orazio tant que le sien ne s’unira pas à celui de son bien-aimé. Pantalon supplie alors celui qu’il croit être le nécromant Flavio de libérer les corps des deux amants. Flavio les guérit en les unissant charnellement54. Ici, la guérison est fondée sur le spiritisme, incarné par Flavio en faux nécromant.
- 55 Il dottor disperato, XIII, vol. 1, p. 144.
- 56 Le canevas de Scala est une réécriture de la prestation scénique dans laquelle s’illustra Isabella (...)
- 57 La pazzia di Isabella, XXXVIII, vol. 2, p. 386.
22Dans les canevas de Scala, la folie est si récurrente qu’elle s’empare même du Docteur dans Il dottor disperato55 qui, sous l’effet de la colère, perd la raison. Mais c’est surtout dans La pazzia di Isabella56, que médecine et folie sont étroitement liées. Le Dottor Graziano y est lui-même médecin. Les objets nécessaires à la mise en scène décrivent tout un arsenal médical : un habit pour la folle, plusieurs petites fioles d’apothicaire, une belle ampoule de verre et même des vessies pleines de sang57. Ces dernières servent aux trucages, puisque Flavio reçoit un coup de poignard d’Isabella et s’écroule sur scène, ensanglanté. Intervient alors Graziano, le médecin auquel Flaminia confie le blessé. Flavio est conduit chez lui pour être soigné.
- 58 La pazzia di Isabella, p. 393-396.
- 59 Sur cette prestation et ses aspects techniques et dramaturgiques, entre métamorphoses, éloquence dé (...)
- 60 La pazzia di Isabella, XXXVIII, vol. 2, acte III, p. 394.
- 61 La pazzia di Isabella, p. 392.
- 62 La pazzia di Isabella, p. 396.
23Mais la plus grande malade est Isabella qui interprète la folie sur scène, en un torrent de paroles décousues, et néanmoins d’une grande virtuosité verbale mêlant assonances, allitérations et parataxe absurde, déchirant ses propres vêtements, durant toute la fin de l’acte II58. Sa folie, véritable morceau de bravoure du canevas59, se prolonge jusqu’à l’acte III. Entre temps, Graziano réapparaît, armé de nombreuses fioles pour soigner Flavio. Il ajoute qu’il s’agit d’attraper au plus vite Isabella pour la guérir de sa folie, tant que le mal est frais car lui connaît des recettes secrètes pour cela60. La figure du Dottor Graziano médecin est ici enrichie des compétences de physicien et chirurgien61. Ses fioles contiennent un secret composé d’hellébore, avec lequel il affirme pouvoir guérir Isabella en un instant, pour l’avoir déjà expérimenté plusieurs fois à l’hôpital des fous de Milan. L’expédient médical de la potion assoit la vraisemblance du passage de la folie à la raison chez Isabella. Graziano exhibe son produit secret avec lequel, dit-il, il est parfaitement possible d’enduire jusqu’aux affects et sentiments puis fait boire à Isabella une liqueur contenue dans une petite fiole, à la suite de quoi elle reprend peu à peu ses esprits62. D’une part la scène de folie met en valeur la virtuosité de l’actrice, et d’autre part le médicament rend vraisemblable une guérison depuis un état dont la gravité laisse les autres personnages pantois.
- 63 Né à Bologna en 1628, naturalisé français ainsi que son épouse Patrizia Adami (Diamantina) le 16 ju (...)
- 64 Aux côtés de Domenico Biancolelli (Arlecchino/ Arlequin), Domenico Locatelli (Trivellino/ Trivelin) (...)
- 65 Domenico Biancolelli, Le Remède à tous les maux dans Delia Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenar (...)
- 66 « Troupe très noire, très redoutée, quoique très incommode, de la Faculté sans faculté, c’est à vou (...)
24Au cours du XVIIe siècle, chez les comédiens italiens œuvrant régulièrement à Paris et notamment dans les canevas de Domenico Biancolelli, Angelo Agostino Lolli63 en Docteur Baloardo joue aux côtés de l’Arlequin Biancolelli, Trivelin et de Scaramouche64. Dans les canevas où la médecine intervient, on retrouve les mêmes parodies de faux médecins, à l’instar du Remède à tous les maux (Théâtre du Palais-Royal, Paris, septembre 1668). Mais point de Docteur médecin : c’est l’Arlequin Biancolelli qui est tout à la fois « médecin chirurgien apothicaire et barbier » capable de guérir en seulement huit jours un jeune homme malade depuis quinze ans avec une « poudre de perlin pin pin » qui guérit toute sorte de maladies65. Lolli a probablement fréquenté Molière qui lui-même côtoyait les comédiens italiens. Il semble qu’il y ait une évolution vers une figure de pédant-médecin se renforçant au fil du temps. Il serait intéressant d’analyser ce qu’il reste, chez Molière, de ce personnage clairement issu de la Comédie italienne des masques, en passant justement par le répertoire de ces pièces et ce que devient le docteur italien, en France, à la comédie italienne. Un parcours rapide des canevas de Domenico Biancolelli révèle néanmoins les mêmes accents fortement parodiques que ceux que l’on trouve chez Scala : un médecin rarement incarné par le Docteur, mais plutôt par Arlequin Biancolelli, en une caricature loufoque pratiquant davantage la magie de nécromant que la médecine proprement dite, ou faisant allusion à une médecine qui rend malade à force de purgations (harangue scatologique d’Arlequin médecin66 dans Arlequin médecin d’eau douce). Par rapport aux canevas italiens en Italie de Flaminio Scala, l’impression générale qui ressort des canevas du Théâtre Italien en France va dans le sens d’une accentuation de la satire, notamment verbale, à l’encontre des médecins et de leurs pratiques, essentiellement par le truchement d’Arlequin travesti en médecin.
Conclusions
- 67 Comédien bolonais spécialisé dans le rôle de second zanni puis cité en 1638 parmi les meilleurs Doc (...)
25Comme nous l’avons vu, les remèdes, sous forme de potions magiques, ne sont pas forcément l’apanage du Docteur mais sont souvent utilisés comme expédients théâtraux pour résoudre une intrigue ou créer une situation comique. Ainsi, la médecine est indissociable de la fiction théâtrale. Soit parce que le médecin est un faux médecin, soit parce que les remèdes employés sont des breuvages magiques dont l’efficacité n’est aucunement médicale. Pour autant, il est aussi possible que la superposition fréquente entre charlatan, nécromant loufoque ou faux médecin et fiction théâtrale soit le produit d’une rencontre urbaine bien réelle entre deux groupes sociaux apparentés à la fiction : les comédiens des places publiques d’une part, et l’arracheur de dents usant de remèdes miraculeux d’autre part. Le comédien Giovanni Rivani67 (Docteur Graziano Campanaccio dei Budri à la scène) en est l’exemple parfait, lui qui, dans la deuxième décennie du XVIIe siècle, gagne sa vie comme charlatan-saltimbanque pour subvenir à titre individuel aux difficultés économiques de la compagnie à laquelle il appartient. En effet, les deux univers utilisaient les mêmes outils de communication fictionnels, partageant parfois les mêmes tréteaux. De fait, dans le répertoire des comédiens italiens professionnels, il existe un lien naturel et historique entre fiction et exercice de la médecine, cette dernière n’étant pas réservée aux seuls médecins dans les canevas. Quant à la figure de l’un des premiers dottori de la comédie italienne en Italie, elle ne véhicule aucune satire du médecin, mais davantage celle du savant-ignorant ridicule. Cette satire est toutefois dénuée de toute cible sociale à l’encontre des médecins.
Notes
1 Actif de 1576 à 1589, Lodovico de’ Bianchi est attesté de manière discontinue au sein des Gelosi jusqu’en 1587.
2 Le volume de Scala s’inspire du répertoire des Gelosi. Flaminio Scala, Il teatro delle favole rappresentative, éd. Ferruccio Marotti, Milan, Il Polifilo, 1976. Les références aux canevas de cet ouvrage, répartis en cinquante journées, se feront par les titres des canevas cités et par la journée correspondante en chiffres romains.
3 Luigi Rasi, I comici italiani, biografia, bibliografia, iconografia, 3 vol., Florence, Fratelli Bocca, 1897-1905.
4 Si chaque interprète du Docteur porte un nom différent à la scène, c’est que le comédien italien professionnel qui reprend le rôle apporte des nuances légères, propres à ses capacités personnelles, au masque d’origine. Aussi peut-on aisément reconnaître le comédien derrière chaque nom de Docteur en particulier (dans une canevas dell’arte par exemple). Ainsi, le Docteur Graziano Partesana da Francolin est forcément Lodovico De’ Bianchi, tandis que le Docteur Graziano Campanaccio dei Budri se réfère à Giovanni Rivani etc. Voir L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 407.
5 Ibid., vol. 1, p. 412-413.
6 Ibid., vol. 1, p. 407.
7 Des lettres de De’ Bianchi (toutes signées « Humil. Servo/Lodovico de’ Bianchi da Bologna/detto Dottor Gratiano ») sont conservées à l’Archivio di Stato di Firenze, adressées à Ferdinando I de’ Medici. Elles révèlent la familiarité avec laquelle le comédien échange avec le Grand duc de Toscane. Luigi Rasi retranscrit la première, pleine de ce jargon doctoral loufoque si propre à la rhétorique scénique du personnage. Ibid., vol. 1, p. 405.
8 Ibid., vol. 1, p. 408.
9 Historiquement, au premier rang, la plus ancienne université de médecine du monde serait celle de Salerne (Schola Medica Salernitana). Fondée en Europe au Moyen Âge, vers le IXe siècle, elle atteint son apogée aux XIe et XIIe siècles, tandis que la plus ancienne encore en activité est celle de Montpellier qui a fêté ses 800 ans en 2020.
10 L’université de médecine de Bologne pratiquait l’ouverture des cadavres dès le XIIIe siècle, ce qui était considéré comme un grave péché par l’Église. Elle attirait les maîtres de leur discipline. Parmi les professeurs les plus célèbres au XVIe siècle, figurait probablement le médecin alchimiste Paracelse.
11 Luigi Riccoboni, Histoire du théâtre italien, cité dans L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 408-409.
12 L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 407-408. Compte tenu de la forme à canevas des comédies dell’arte, il est complexe de trouver des exemples in extenso des répliques du Docteur au XVIIe siècle italien. Néanmoins, le matériel scénique verbal proposé par le Dottor Spacca Strummolo qu’incarnait Aniello Soldano vers 1610 fournit un modèle de ce que pouvait être cette rhétorique. Il suffira de citer ici un seul extrait de son catalogue d’étymologies farfelues, à savoir celle qu’il donne du nom de la ville de Bologne : « Et ideo cette cité fut appelée Bologne, autrement dit Bonus logos, c’est-à-dire, le bon parler, du mot latin bonus, a, um, qui signifie bon, et du mot grec Logos, qui veut dire parler ». Nous traduisons ce bref extrait de l’italien cité par Ferruccio Marotti, Giovanna Romei, La professione del teatro in La commedia dell’arte e la società barocca, vol. 2, Rome, Bulzoni, 1991, p. 463.
13 Andrea Perrucci, Dell’Arte rappresentativa premeditata e all’improvviso, Naples, M. L.Mutio, 1699, et L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 409. Perrucci propose des modèles de tirades pour jouer le Docteur. Sur le Docteur, sa rhétorique et Lodovico De’ Bianchi, nous renvoyons aussi à Ferruccio Marotti, Giovanna Romei, La professione del teatro…,, p. 125-134.
14 Francesco Andreini le cite nommément dans la liste des membres de la troupe (Francesco Andreini, Le bravure del Capitan Spavento, 1607, éd. Roberto Tessari, Pise, Giardini, 1987, p. 70).
15 F. Marotti, G. Romei, La professione del teatro..., p. 125-126.
16 Elles comprennent notamment une lettre de dédicace all’ Illustrissimo, et eccellettiss. Signor Don Virginio Orsino Duca di Bracciano ecc. [1587/ sottoscritta da Lodovico Bianchi da Bologna. Alias Dottor Gratiano Partesana della vera Compagnia delli Comici Gelosi] dans Ferruccio Marotti, Giovanna Romei, La professione del teatro..., p. 128-134, avec des exemples de langue graziana et de tirades. Voir aussi L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 406.
17 L. Rasi, I comici italiani…, vol. 1, p. 407.
18 Flaminio Scala, ancien collègue des Gelosi (fin XVIe) passe à la tête de la compagnie des comédiens Confidenti, sous protection de Don Giovanni de’ Medici à partir de 1614, jusqu’à la mort de ce dernier en 1621.
19 Les dix dernières (XLI à L) comportent une tragédie, des opere regie, une pastorale et une épopée. F. Scala, Il teatro delle favole…, p. 423-525.
20 Le Docteur n’apparaît pas dans les journées n° IV, XIX, XXII, XXVII, XXXV, XL. Il est également présent – mais sans rôle médical – dans trois des dix autres journées finales (Gli avvenimenti comici, pastorali e tragici, opera mista (XLII) ; L’Alvida, opera regia (XLIII) ; et Rosalba incantatrice, opera eroica dans laquelle il fait le majordome (XLIV).
21 F. Scala, Il teatro delle favole…, Appendice V, p. XCVII.
22 Le Docteur Gratiano y apparaît libidineux, davantage intéressé par les jeunes femmes que par celles de son âge (Lo specchio, XVI, vol. 1, p. 169).
23 Il pedante, XXXI, p. 322.
24 Il pedante, p. 323-24.
25 Il pedante, p. 326.
26 Manuscrit anonyme, Biblioteca estense di Modena, Ms. It. 74-.S.8.X., édition moderne dans F. Scala, Il teatro delle favole…, p. XCIII–C.
27 La schiava, Appendice IV, dans F. Scala, Il teatro delle favole…, p. XCVI–XCVII.
28 La schiava, p. XCVII. Les meretrices honestae étaient dans l’Italie entre XVIe et XVIIe siècle des femmes entretenues, cultivées et dites oneste parce qu’elles avaient un statut social quasiment officiel. Sur le sujet, voir Giovanni Scarabello, Meretrices. Storia della prostituzione a Venezia tra il XIII e il XVIII secolo, Venise, Supernova, 2006, rééd. 2018.
29 La schiava, Appendice IV, p. XCIV.
30 Il pellegrino fido amante, XIV, vol. 1, p. 149 et p. 155.
31 Li duo capitani simili, XVII, vol. 1, p. 177.
32 Il finto Tofano, XXIV, vol. 2, p. 243.
33 En duo avec le Pantalon Giulio Pasquati dans la compagnie des Gelosi, il officie essentiellement comme père (de Flaminia, d’Isabella) ridicule, grotesque, parfois même ivre.
34 La gelosa Isabella, XXV, vol. 2, p. 252.
35 Li tappeti alessandrini, XXVI, vol. 2, p. 266-267.
36 Voir Théâtre et charlatans dans l’Europe moderne, dir. Beya Dhraïef, Éric Négrel, Jennifer Ruimi, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2018.
37 La fortuna di Flavio, II, vol. 1, p. 31.
38 Isabella astrologa, XXXVI, vol. 2, p. 364.
39 Il fido negromante, XXI, vol. 1, p. 217-221.
40 Flavio finto negromante, XXVIII, vol. 2, p. 288.
41 Li duo fidi notari, XX, vol. 1, p. 209-211.
42 Il fido amico, XXIX, vol. 2, p. 293.
43 Il fido amico, p. 302.
44 Il fido amico, Acte III, p. 302.
45 Il finto cieco, XXXIV, vol. 2, p. 350-353.
46 La finta pazza, VIII, vol. 1, p. 95.
47 La finta pazza, p. 97.
48 La finta pazza, p. 98-99.
49 Rappelons que les compagnies italiennes de théâtre professionnel comportaient une hiérarchie de rôles (masques) à la fois récurrente et rigoureuse : s’y trouvaient ainsi toujours un premier et second zanni : ici le primo zanni est Pedrolino (plus fourbe et apte à la manigance) et secondo zanni Arlecchino (plus instinctif et maladroit, toujours affamé et sans le sou). Ils inspireront fortement les serviteurs des comédies de Molière, comme par exemple Scappino, primo zanni porté par l’acteur Francesco Gabrielli.
50 « Chi ha denti guasti? », Il cavadente, vol. 1, p. 133.
51 Il cavadente, p. 133.
52 Il cavadente, p. 135-136.
53 Li quattro finti spiritati, XXXXVIII, vol. 2, p. 343.
54 Li quattro finti spiritati, p. 344.
55 Il dottor disperato, XIII, vol. 1, p. 144.
56 Le canevas de Scala est une réécriture de la prestation scénique dans laquelle s’illustra Isabella Andreini à Florence en 1589 à l’occasion des noces de Ferdinando I de’Medici et Cristina di Lorena. Voir le témoignage d’un spectateur direct de cette célèbre prestation, Giuseppe Pavoni : Édition moderne dans Introduzione à F. Scala, Il teatro delle favole… (1611), Ferruccio Marotti (dir.), Milan, Il Polifilo, 1976, vol. 1, p. LXXIII-LXXV.
57 La pazzia di Isabella, XXXVIII, vol. 2, p. 386.
58 La pazzia di Isabella, p. 393-396.
59 Sur cette prestation et ses aspects techniques et dramaturgiques, entre métamorphoses, éloquence débridées et capacités protéiformes d’Isabella Andreini, nous renvoyons à Stefano Mazzoni, Vicende sceniche e registri d’interprete dans Carlo Manfio (dir.), Isabella Andreini, una letterata in scena, Padova, Il Poligrafo, 2014, p. 42-44. Gerardo Guccini, « Intorno alla prima Pazzia d’Isabella. Fonti – intersezioni – tecniche », Culture Teatrali, n. 7/8, autunno 2002 – primavera 2003, p. 167-207.
60 La pazzia di Isabella, XXXVIII, vol. 2, acte III, p. 394.
61 La pazzia di Isabella, p. 392.
62 La pazzia di Isabella, p. 396.
63 Né à Bologna en 1628, naturalisé français ainsi que son épouse Patrizia Adami (Diamantina) le 16 juin 1683, Lolli meurt à Paris en 1702. L. Rasi, I comici italiani…, vol. 3, p. 32-34). L. Rasi indique que Lolli fut un Docteur Graziano Baloardo fort réputé en France.
64 Aux côtés de Domenico Biancolelli (Arlecchino/ Arlequin), Domenico Locatelli (Trivellino/ Trivelin), et Tiberio Fiorilli (Scaramuccia/ Scaramouche), figurent également comme membres de la troupe italienne les deux comédiennes Brigida Bianchi (Aurelia) et Eularia Coris (Eularia).
65 Domenico Biancolelli, Le Remède à tous les maux dans Delia Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenario di Domenico Biancolelli, Rome, Bulzoni, 1997, deuxième partie, vol. 3, p. 458-459. Nombre de canevas de Biancolelli retranscrits par Thomas-Simon Gueullette intègrent de manière assez importante la thématique médicale dans sa forme parodique. Ainsi, Arlequin est déguisé en chirurgien et Scaramouche en médecin dans l’Addition au triomphe de la médecine (p. 621-625), imitée de Molière (Hôtel de Guénéguaud, 12 et 19 mai 1674). C’est en revanche bel et bien le Docteur (Angelo Lolli) qui exerce ce métier dans les deux premiers actes de La Maladie de Scaramouche (p. 697-701).
66 « Troupe très noire, très redoutée, quoique très incommode, de la Faculté sans faculté, c’est à vous, Messieurs, que je m’adresse aujourd’huy pour une consulte sans exemple ; vous qui avec vos médecines purgatives avez tant raclé, lavé et relavé de boyaux pour en faire des boudins d’aloez, de scammonée,/ de coloquinte et de sené, pour nourrir, fomenter et entretenir hautte [sic] et puissante Madame la Fievre [sic], avec tout son train, sa suitte [sic], et les suppost<s> de la republique hypocratique qui a pour fin, pour but et pour terme la methode [sic] de faire chier, en touttes les dimmensions : longueur, largeur et profondeur […] ». Domenico Biancolelli, Arlequin médecin d’eau douce, dans D. Gambelli, Arlecchino a Parigi…, deuxième partie, vol. 3, p. 551-552.
67 Comédien bolonais spécialisé dans le rôle de second zanni puis cité en 1638 parmi les meilleurs Docteurs de son époque. Vito Pandolfi, La commedia dell’arte : storia e testo, Firenze, Sansoni, 1957-1961, 6 vol., 1958, vol. IV, p. 111-117. Giovanni Rivani fait partie de la troupe des Fedeli de Giovan Battista Andreini dès 1618. Mais il n’abandonne jamais sa panoplie de bonimenteur de rues, vendeur de remèdes miracles. Voir la Lettre de Giovan Battista Andreini à un secrétaire ducal de Mantoue, Milan, 18 juin 1620, dans Comici dell’Arte. Corrispondenze, éd. Claudia Burattelli, Domenica Landolfi, Anna Zinanni, Siro Ferrone, Firenze, Le Lettere, 1993, vol. I, p. 119-121.
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Référence électronique
Cécile Berger, « Le Dottor Graziano et les médecins dans les canevas de Flaminio Scala (1611) : chirurgiens, guérisseurs de folie et nécromants », Arrêt sur scène / Scene Focus [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 22 mars 2024, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asf/6729 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asf.6729
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