Scènes de médecine dans la comédie italienne et française avant Molière
Résumés
Cette contribution étudie les scènes de médecine dans les comédies italiennes et françaises produites entre le début du XVIe et la première moitié du XVIIe siècle. Les médecins et la médecine, qui occupent une place importante dans le théâtre comique de Molière, sont moins présents dans les comédies italiennes et françaises du XVIe et du début du XVIIe siècle, mais leur rôle est loin d’être négligeable. À l’intérieur de la période considérée se dégagent en effet deux phases. Pendant la première, qui s’étend sur la première moitié du XVIe siècle, le médecin et la médecine ne sont pas critiqués mais sont les prétextes pour cibler les vices et les faiblesses de la société contemporaine. En revanche, au fur et à mesure qu’on approche du XVIIe siècle, la scène de médecine intéresse de plus en plus les dramaturges et le public pour son potentiel spectaculaire et psychologique.
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Mots-clés :
Commedia erudita, comédie de sentiment, pédant, vieillard amoureux, capitaine, déguisement, Hugues de Saint-Victor, satire sociale, nécromant, folieKeywords:
Commedia erudita, comedy of sentiment, pedant, old man in love, captain, disguise, Hugues de Saint-Victor, social satire, necromancer, madness.Auteurs et personnages cités :
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- 1 Pour rappel : Le Médecin volant, L’Amour médecin, Le Médecin malgré lui, Le Festin de Pierre (III, (...)
- 2 La première comédie italienne de la Renaissance est Formicone, pièce inspirée d’un épisode des Méta (...)
- 3 Une traduction des Suppositi en vers par Jacques Bourgeois paraît en 1545 sous le titre Comedie tre (...)
1Les médecins et la médecine, qui occupent une place importante dans le théâtre comique de Molière1, ne sont pas totalement absents des comédies italiennes et françaises composées au XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle. C’est en Italie, au début du XVIe siècle, que la comédie divisée en cinq actes et en scènes, inspirée des œuvres de Plaute et de Térence, refait surface après un long oubli2. En France, ce type de comédie voit le jour à peu près un demi-siècle plus tard sous la plume du poète de la Pléiade Étienne Jodelle, qui fait représenter en 1552 sa comédie Eugène, encore très proche de la farce tant pour son sujet que par sa rédaction en vers de huit syllabes. Il existe donc un décalage d’une cinquantaine d’années dans le développement de la comédie régulière en Italie et en France. Entre 1560 et 1570, l’influence de la comédie italienne sur la comédie française se fait de plus en plus forte ; à cet égard est déterminante, comme on le verra, la production dramatique de l’Arioste, dont deux pièces comiques, I Suppositi et Il Negromante, sont traduites en français de 1545 à 15733.
- 4 Sur la filiation entre comédie régulière et commedia dell’arte, voir Norbert Jonard, La Commedia de (...)
- 5 Voici notre corpus : N. Machiavelli, La Mandragola (composée vers 1513-1514) ; L. Ariosto, Il Negro (...)
2Bien que l’auteur de L’Avare ait entretenu des relations étroites avec la commedia et les comici dell’arte, le corpus ici présenté se compose d’une douzaine de comédies régulières, italiennes et françaises, rédigées entre 1514-1515 et le milieu du XVIIe siècle. Étant donné les rapports étroits de filiation et de métissage existant entre la comédie régulière des XVIe et XVIIe siècles et la commedia all’improvviso, on sera amené à faire référence à celle-ci le cas échéant4. Trois des comédies que nous allons considérer sont par ailleurs des adaptations, plus ou moins libres, de pièces italiennes5. La situation est tout à fait normale à une époque où les dramaturges français se tournaient volontiers vers l’Italie, patrie du teatro all’improvviso, et plus généralement de la comédie, à la recherche de suggestions et de nouveautés.
- 6 Sur les sources de Molière, voir C. Bourqui, Les Sources de Molière. Répertoire critique des source (...)
- 7 B. Rey-Flaud, Molière et la farce…, p. 9-10.
3Le but de cette contribution n’est pas de considérer les pièces comiques de l’époque indiquée comme des sources potentielles dont pourrait avoir tiré parti Molière dans ses comédies traitant de médecins et de médecine, mais plutôt de s’arrêter sur la circulation de certains thèmes et éléments dramaturgiques entre la comédie italienne et française pendant le XVIe siècle et la première moitié du suivant6. Ce faisant, nous nous plaçons dans la droite ligne de la remarque de Bernadette Rey-Flaud. Celle-ci, à propos des rapports que Molière entretenait avec la farce, observe que ce dernier ne s’inscrit pas comme l’héritier de la farce du Moyen Âge, mais plutôt comme celui d’une écriture dramatique présentant certaines caractéristiques codifiées7.
4Une « scène de médecine », dans notre optique, est un moment dramaturgique fondé sur l’interaction entre un ou des médecins, un ou des patients et leur entourage. Afin d’aborder le traitement de ces scènes dans la comédie italienne et française de la Renaissance et du Baroque seront successivement examinées des figures de médecins, puis les interactions avec leurs interlocuteurs : il sera ainsi question de leur réputation, de leur rhétorique, de leurs pratiques, mais aussi des symptômes des patients, des pathologies qu’ils sont censés guérir, de leur savoir médical, de leurs diagnostics et de leurs remèdes. Dans ce cadre, nous nous arrêterons sur les comédies qui ont tiré prétexte du motif médical pour pointer certains travers de la société de leur époque. Une attention particulière sera enfin consacrée aux dimensions spectaculaire et comique qui se dégagent des scènes où apparaissent des médecins en vue de repérer, si possible, les suggestions éventuelles que la comédie des XVIe et XVIIe siècles a pu transmettre à Molière.
Le médecin : une figure aux contours indécis
- 8 Voir Stefano Pittaluga, « Éloges de la médecine et médecins ignorants », dans P. De Capitani et C. (...)
5Par sa fonction de guérir la maladie, la profession médicale est considérée avec respect dans les sociétés occidentales même si à certaines époques elle a pu essuyer des critiques dues au contexte historique, social et intellectuel. Dès les débuts du christianisme, à travers la métaphore du Christus medicus, saint Augustin établit une relation entre le médecin qui soigne le corps et le Christ qui soigne les esprits. Cette image positive du médecin se fissure à partir du XIIe siècle lorsque Hugues de Saint-Victor, en théorisant, dans son Didascalion, la séparation entre les arts théoriques et les arts mécaniques, place la médecine dans le champ de ces dernières. Cette inclusion dans le domaine des mechanicæ est à l’origine d’un sentiment de méfiance vis-à-vis des médecins dont on commence à pointer l’arrogance et l’incompétence8.
- 9 En 1628 paraît à Francfort son Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus (« E (...)
6Jusqu’à la fin du XVIe siècle, les connaissances médicales reposent sur le savoir traditionnel des grands médecins de l’Antiquité Hippocrate et Galien. C’est seulement à partir de la première moitié du XVIIe siècle, avec l’apparition de la méthode scientifique moderne fondée sur l’observation, l’expérience et l’utilisation d’instruments adéquats, que l’édifice théorique du savoir médical traditionnel est ébranlé. Cela n’entraîne pas pour autant l’abandon du savoir médical traditionnel, qui subsiste malgré les avancées de la révolution scientifique. L’utilisation de nouveaux instruments, comme le microscope, permet des progrès importants dans le domaine de la connaissance de la physiologie – la découverte de la circulation du sang par l’Anglais William Harvey remonte à 16289 –, mais la thérapeutique se base toujours sur les pratiques anciennes de la saignée et de la purgation par voie de clystère ou de laxatif. Le fait est que le XVIIe siècle est une époque de transition où les vieilles et nouvelles méthodes scientifiques coexistent. Le recours à l’astrologie et à la magie pour résoudre des problèmes de santé, loin de disparaître, tend à augmenter tout au long du XVIIe siècle. Ce décalage entre les découvertes scientifiques et la pratique médicale encore archaïque peut expliquer, au moins en partie, les sarcasmes et la méfiance d’un auteur comme Molière vis-à-vis de la médecine et des praticiens de son temps.
- 10 Dans Les Ménechmes de Plaute intervient un médecin pour soigner la folie prétendue de Ménechme I (V (...)
- 11 La Mandragola fut représentée à Florence en 1518, mais elle aurait été composée entre la fin de 151 (...)
7Le médecin, avec son costume et son langage caractéristiques institutionnalisés par la commedia dell’arte, apparaît sur la scène italienne dans les années 1550. Cela ne signifie pas pour autant que ce rôle soit absent du théâtre avant cette date10. Jusque-là, le rôle du médecin était souvent endossé par d’autres figures comiques, telles que les amoureux. Ce biais leur permettait de contribuer à l’élimination des obstacles qui s’opposaient à leur bonheur sentimental et érotique. Ainsi, dans La Mandragola de Machiavel (1513-1514)11 et dans la Pellegrina de Girolamo Bargagli qu’une cinquantaine d’années sépare de la précédente, les amoureux font-ils semblant d’être médecins ou assimilés afin d’entrer en contact avec l’être aimé.
- 12 Il existe deux versions du Negromante de l’Arioste ; la première, celle qui a été traduite par Jean (...)
8Les limites de la médecine n’étant pas définies, et a fortiori à l’époque qui nous concerne, les médecins subissaient la concurrence de plusieurs autres praticiens qui se targuaient de pouvoir guérir toutes sortes de maladies. Cette particularité sociale constitue une aubaine pour le théâtre qui peut ainsi élargir sa typologie médicale. Situé chronologiquement entre la comédie de Machiavel et celle de Bargagli, le Negromante de l’Arioste, composé en 1520, représente par exemple un nécromant, engagé pour soigner un jeune mari frappé d’impuissance12.
9Le personnage du médecin en tant que tel fait sa première apparition sur la scène régulière italienne dans deux comédies produites respectivement à Venise et à Milan. Dans Lo Ipocrito de l’Arétin (1542), le médecin ne fait qu’une brève apparition, tandis que dans Gl’Inganni de Niccolò Secchi, une comédie qu’il avait été prévu de représenter à Milan devant Philippe II d’Espagne en 1548, il intervient tout au long de la pièce et son personnage est bien caractérisé, même s’il ne possède pas encore de nom propre.
- 13 Les comédies de Giovan Battista Della Porta furent publiées plusieurs années après leur rédaction ; (...)
- 14 Voir Louise George Clubb, Giambattista Della Porta Dramatist, Princeton, Princeton University Press (...)
10Après Secchi, il faut attendre la seconde moitié du XVIe siècle pour trouver à nouveau des personnages de médecins sur la scène italienne. Ceux-ci font des apparitions plus ou moins fugaces dans trois comédies du Napolitain Della Porta13. Dans La Fantesca interviennent un médecin et un apothicaire ; dans La Carbonaria, redevable du Persa de Plaute14, un vieillard, qualifié de Dottore sans plus de précisions, veut se marier avec une jeune fille, entrant par-là en concurrence avec le jeune premier qui l’aime aussi et qui aura, comme il se doit, gain de cause sur le vieillard. Un autre vieux docteur, spécialisé dans le soin de la folie, se trouve encore dans La Furiosa. Della Porta est le dramaturge qui a le mieux saisi et développé le potentiel comique et spectaculaire des scènes de médecine ainsi que nous le constaterons plus avant.
- 15 N. Machiavelli, La Mandragola, p. 159.
- 16 Voir plus haut, note 5.
11La comédie italienne de la Renaissance propose donc une typologie médicale, sinon fournie, au moins variée dont tireront parti quelques dramaturges français dès la seconde moitié du XVIe siècle. Plusieurs des comédies que nous venons de citer ont en effet été traduites en français. Si La Mandragola ne le fut pas avant la fin du XVIIIe siècle15 en raison de son sujet et de la réputation sulfureuse de son auteur, des traductions et des adaptations en français de comédies italiennes parurent entre les années 1540 et la première moitié du XVIIe siècle16.
- 17 Dans Les Corrivaus, inspirés de la nouvelle V de la cinquième journée du Decameron de Boccace, une (...)
12À côté des traductions, les comédies originales françaises comportant des scènes de médecine se réduisent au seul Muet insensé de l’angevin Pierre Le Loyer, une pièce très originale au carrefour entre la farce, la commedia erudita et la tradition alchimique. Par ailleurs, le médecin et la maladie jouent un rôle significatif dans le dénouement des Corrivaus de Jean de La Taille et des Contens d’Odet de Turnèbe, deux comédies parmi les plus intéressantes de la scène française de la Renaissance, sans que l’on puisse vraiment parler de scènes de médecine17.
13Au fur et à mesure qu’on se rapproche de la fin du XVIe siècle, des figures de médecins, quoique secondaires, intègrent la scène comique, surtout en Italie, sous l’impulsion des comici dell’arte. Ceux-ci, comme le laissent entrevoir les pièces de Della Porta influencées par le théâtre des histrions, avaient été les premiers à saisir le potentiel comique du médecin et de ses pratiques en mettant en avant la dimension du corps comme objet de spectacle et de moquerie. Dans la comédie régulière, en Italie comme en France, le médecin reste néanmoins un personnage marginal qui intervient surtout pour briser la monotonie de certaines scènes avec des lazzi basés sur une gestuelle appuyée et un comique facile, voire grossier.
14Si la thématique médicale est dans l’ensemble peu présente dans les pièces italiennes et françaises composées entre le XVIe siècle et le début du siècle suivant, elle revêt néanmoins des formes et des significations variées. Le comique qui se dégage des scènes de médecine comporte en effet plusieurs nuances allant du simple rire aux éclats jusqu’à l’ironie et à la satire. Cela s’observe notamment chez les auteurs qui ont fait de la thématique médicale un levier de critique sociale.
L’art médical en action : croyances et résistances
15Chez Molière, la maladie qui implique l’intervention du médecin touche essentiellement la jeune fille et relève de la catégorie des maladies simulées. Celles-ci se manifestent sous diverses formes – tristesse, dépérissement (Le Médecin volant, L’Amour médecin), perte de la parole (Le Médecin malgré lui), troubles du comportement (Monsieur de Pourceaugnac) – mais leur but est toujours d’échapper à un mariage honni ou à un célibat non souhaité (Le Médecin volant). Dans la comédie de la Renaissance le cadre pathologique est moins homogène, en raison d’une plus grande variété des situations sociales. Car l’amour, dans ces pièces, n’est pas seulement l’affaire de jeunes gens célibataires. Dans La Mandragola de Machiavel et dans le Negromante de l’Arioste, le praticien doit résoudre un dysfonctionnement sexuel au sein de deux couples mariés, la stérilité de la femme chez le premier et l’impuissance d’un jeune mari chez le deuxième.
16Chez Machiavel, Callimaco, amoureux de Lucrezia, jeune et belle épouse du riche Nicia, se feint médecin pour approcher la femme qu’il aime. Très vertueuse, celle-ci ne consentirait jamais à l’adultère bien qu’elle soit mariée à un homme moins jeune et séduisant que Callimaco et vraiment sot. Il s’agit donc d’ourdir une tromperie aux dépens de Nicia pour permettre au jeune homme de jouir de Lucrezia. Mais l’introduction du motif médical donne une tournure tout à fait différente, disons plus réaliste et moins mécanique, à la beffa (tromperie) classique où un amant jeune et rusé parvient à tromper un mari naïf. Lucrezia et Nicia étant en mal d’enfant, Ligurio, avatar contemporain du parasite latin vers lequel se tourne Callimaco pour avoir une aide, pense en effet tirer profit de ce problème du couple pour aider le jeune homme à parvenir à ses fins. Callimaco, un étranger qui vient d’arriver à Florence et que personne ne connaît, se présentera comme un médecin de renommée internationale, spécialiste de stérilité féminine. La question de la pathologie et de la médecine est donc d’entrée de jeu l’élément sur lequel se fonde toute l’action dramatique.
17À la différence de ce que font généralement les personnages de sa catégorie, Ligurio n’offre pas à Callimaco une beffa pré-confectionnée tirée du riche stock de la comédie antique ou de la nouvelle médiévale, mais il lui propose une solution de son cru. La proposition finale, consistant à convaincre Callimaco de jouer le rôle du médecin, intervient après des incertitudes et des tâtonnements émanant tant de Ligurio que de Nicia. Dans un premier temps, il est question d’emmener Lucrezia aux thermes, lieu que la médecine du temps réputait propice au soin de la stérilité féminine. Mais Nicia n’y est pas favorable pour deux raisons. La première est sa paresse, son hostilité à l’idée de quitter sa maison et ses habitudes. La seconde nous intéresse davantage car elle renvoie à sa méfiance envers les médecins qu’il qualifie de « babuassi » (babouins), « uccellacci » (oiseaux de mauvais augure), « cacastecchi » (constipés) ne sachant « quello che si pescano » (ce qu’ils veulent), formules familières visant leur incompétence. Étant donné ces prémisses, il est surprenant que Nicia accepte finalement de faire soigner Lucrezia par le médecin que feint d’être Callimaco. Le fait est, qu’en plus d’être paresseux et très riche, Nicia aspire à s’élever socialement en imitant les comportements des grands. Il suffit donc de lui faire croire que Callimaco a exercé en tant que médecin auprès de la cour de France pour susciter son intérêt envers ce docteur qui aurait résolu les problèmes de stérilité de la reine de France et de plusieurs autres princesses (II, 6). Par ailleurs, la vanité de Nicia ne concerne pas seulement la sphère sociale, mais aussi le domaine du savoir. Ayant étudié les lois, sans en avoir tiré un profit économique, Nicia connaît un peu de latin. Il suffit donc que Callimaco prononce quelques brèves phrases en latin concernant les urines de Lucrezia – l’examen des urines étant l’un des fondements de la médecine galénique – pour qu’il obtienne la pleine confiance de Nicia qui exprime son admiration de manière très colorée :
- 18 CALLIMICO Oh ! questo segno mostra debilità di rene. […] Non ve ne maravigliate. Nam mulieris urine (...)
CALLIMACO [en examinant les urines de Lucrezia] : […] Oh ! Voilà qui dénote une faiblesse de rein. […] Ne vous en étonnez pas. Nam mulieris urine sunt semper maioris grossitiei et albedinis et minoris pulcritudinis quam virorum […] / NICIA [à part] : Oh ! uh ! Ventredieu ! Celui-ci me devient de plus en plus subtil : regarde comme il raisonne bien cette affaire18!
- 19 NICIA Egli è brutto di viso, egli aveva un nasaccio, una bocca torta… ma tu non vedesti mai le più (...)
18En jouant sur la vanité sociale et intellectuelle de Nicia, Callimaco réussit à le convaincre de faire absorber à sa femme une potion de mandragore dont il possède la recette secrète et qui a donné des résultats concluants auprès d’importantes dames de la cour de France. Très efficace, mais très vénéneux, ce remède a l’inconvénient de provoquer la mort du premier homme qui aura une relation charnelle avec Lucrezia. Et Callimaco de rassurer immédiatement Nicia en lui disant qu’il suffira, tout de suite après l’absorption de la potion, de faire coucher Lucrezia avec un « giovanaccio » (II, 6), un vagabond trouvé au « Mercato vecchio ». Celui-ci absorbera les effets néfastes du poison, après quoi Nicia pourra exercer sans crainte ses droits de mari avec la certitude d’une paternité prochaine. La scène de l’enlèvement du « garzonaccio » est le pivot de la comédie et tous les acteurs y participent, dont Nicia et Callimaco. Le déguisement joue un rôle essentiel dans cette action. Pour éviter d’être reconnu par les autorités, chacun devra se déguiser. En fait, le travestissement est une idée de Ligurio pour tromper Nicia car, on l’aura compris, le rôle du « garzonaccio » est joué par le faux médecin travesti, tandis que celui du faux médecin est joué par Fra’ Timoteo, autre personnage clé de la beffa aux dépens de Nicia. Cependant, ces échanges de rôles et d’identités vertigineux n’enlèvent rien à la limpidité de l’intrigue dont le public ne perd jamais le fil. Absolument remarquable est la scène où le vieux mari, acteur sans le savoir de son propre cocuage, inspecte la nudité du « giovanaccio » attrapé au marché, avant de le mettre au lit avec sa femme. Il suffira à Callimaco qui joue un rôle triple, celui du faux médecin et du « giovanaccio » en plus du sien, de tordre la bouche et le nez pour ne pas être reconnu de Nicia, ébloui par la fermeté de ses chairs. En effet, en parlant du « giovanaccio » avec Ligurio, le mari observe : « Il a le visage moche, il avait un gros nez, la bouche tordue… Mais jamais on ne vit plus belle chair : blanche, douce, ferme… et sur la chose ne me questionne pas »19.
19Après la nuit passée avec le faux médecin, la vertueuse Lucrezia, ayant mesuré la différence entre la prestation sexuelle (la « ghiacitura ») de l’amant et celle de Nicia, avoue à Callimaco vouloir rendre pérenne une pratique qui, selon son mari, ne devait durer qu’une seule nuit (V, 4). À défaut de vaincre la stérilité, le remède du médecin aura réussi à réveiller la sensualité de Lucrezia qui, d’épouse vertueuse et soumise, devient une femme consciente de ses droits et de sa féminité (V, 5).
- 20 Leone de’ Sommi, Quattro dialoghi in materia di rappresentazioni sceniche, éd. Ferruccio Marotti, M (...)
20Si le faux médecin n’est pas à l’origine de la tromperie raffinée aux dépens du mari naïf, mais se laisse manœuvrer, ainsi que les autres personnages, par Ligurio, incarnation du metteur en scène, il joue néanmoins un rôle majeur dans une pièce au fort caractère métathéâtral Le point d’orgue de la métathéâtralité est atteint dans les scènes déjà évoquées des actes IV et V, mais il tient également au remarquable équilibre dans la répartition et la construction des rôles. Les personnages sont en effet des individus et non de simples marionnettes ridicules. Avant même l’éclosion de la commedia dell’arte et avant que Leone de’ Sommi ne fasse paraître ses dialogues consacrés au jeu des acteurs20, Machiavel confère à ses personnages, notamment à celui du faux médecin, une dimension individuelle affirmée dont ses interprètes sauront tirer parti avec profit. Cela est assez exceptionnel pour l’époque tout comme l’est le choix machiavélien d’avoir fait de valeurs sacrées – le mariage, la famille, la foi – des cibles d’ironie, d’humour, de sarcasme, en somme d’un rire qui ne respecte plus rien. Dans La Mandragola, le thème médical renouvelle profondément la tromperie traditionnelle en lui conférant une forte charge satirique visant la société florentine du début du XVIe siècle. Une société riche, désormais dépourvue d’idéaux ainsi que de freins moraux et cherchant seulement la satisfaction immédiate de ses plaisirs.
- 21 Ainsi est qualifié le nécromant dans la liste des personnages et dans la pièce ; le terme « physici (...)
21Peu de temps après Machiavel, l’Arioste met en scène dans son Negromante un « Physicien » (Fisico)21 qui prétend s’y connaître en médecine et en magie. Cette pièce connut un certain succès en France, puisqu’elle fut traduite et ensuite librement adaptée par Pierre Le Loyer dans Le Muet insensé, une comédie originale en vers sur laquelle nous reviendrons.
- 22 G. Coluccia, L’Esperienza, p. 24-25.
22La comédie de l’Arioste présente plus d’un point en commun avec La Mandragola de Machiavel, si bien qu’un critique l’a qualifiée « d’anti Mandragola »22. L’action de celle-ci se déroule à Florence, celle du Negromante à Crémone, mais certains des personnages de cette dernière pièce sont florentins. Callimaco prétendait soigner la stérilité de Lucrezia ; chez l’Arioste, Maestro Lachelino, le nécromant, veut guérir Cintio, jeune marié, de l’impuissance qui l’empêche de consommer son mariage. En fait Cintio n’est pas impuissant, mais fait semblant de l’être pour rompre son mariage avec Emilia, épousée contre son gré alors qu’il était déjà secrètement lié à une autre jeune fille, Lavinia. Sur ces entrefaites arrive à Crémone Maestro Lachelino qui se fait passer pour un grand savant capable de résoudre le problème de Cintio. Lachelino n’est pas médecin, mais à l’époque où se déroule notre pièce, les domaines d’action de la médecine et de la magie étaient encore entremêlés. Et cela était encore plus vrai pour la « pathologie » de Cintio qu’on attribuait souvent à un enchantement ou à un sortilège étant donné la difficulté à en repérer les causes physiques (I, 1).
- 23 Rappelons qu’un pentacle est un sceau magique, le plus souvent en forme d’étoile à cinq branches, c (...)
23Le père de Cintio, Massimo, s’empresse de contacter le nécromant qui, de son côté, se rend très vite compte des avantages qu’il peut tirer de l’inquiétude qu’éprouve un père riche et aimant face à la situation délicate de son fils. En fait, le nécromant ignore autant la médecine que la magie, celle-ci étant un simple paravent pour son avidité. Sa malhonnêteté se révèle dès sa première apparition où, sous le prétexte d’évoquer les esprits – prémisse indispensable aux soins qu’il entend prodiguer à Cintio, selon ses dires – il réclame toute une série d’accessoires nécessaires à son confort : un veau gras, tendre et de couleur noire, de la toile, des flacons d’argent et, juste pour la forme, un pentacle (I, 3)23. Toutes ses requêtes exorbitantes sont par ailleurs commentées en aparté par son serviteur Nebbio :
- 24 Nous citons d’après Jean de La Taille, Le Negromant, dans J. de La Taille, Dramatic Works, éd. Kath (...)
FIZICIEN : Or où pourrons-nous trouver une Aube neuve qui n’aye jamais servi ?
MAXIME : Je ne sçay.
FIZICIEN : Nous la ferons de vingt braces de toile, mais bien deliee et fort blanche
(NEBBIEN) : Il a besoing de chemises24.
24Les commentaires de Nebbio sur les réelles intentions de son maître prennent souvent la forme de l’aparté ou du soliloque et ont la fonction éminemment pédagogique d’alerter d’un côté le public sur la véritable nature du magicien et, de l’autre, de souligner la naïveté de ses victimes qui ne mettent jamais en doute ses requêtes farfelues. Dans le Negromante il n’y a pas de scène de médecine à proprement parler. La médecine, ou plutôt la magie, est évoquée dans les discours du nécromant qui traitent essentiellement d’économie, de pertes et de bénéfices. L’obsession du magicien pour les gains et les calculs est telle qu’à un certain moment même Jean de La Taille, qui traduit mot à mot le texte de départ, finit par se tromper, oubliant des chiffres, ce qui fausse les résultats des sommes (III, 2). Dans la bouche de Lachelino, les additions et, plus rarement, les soustractions remplacent les formules latines utilisées par Callimaco pour convaincre Nicia de l’excellence de son art.
25Le personnage de l’Arioste ne suscite aucune empathie : c’est une sorte de machine calculatrice non dépourvue d’amoralité. Il n’hésiterait pas, en effet, à salir l’honneur de la pauvre Emilia, déjà pénalisée par son mariage blanc, afin de satisfaire sa vénalité. Il propose ainsi à Camillo, amoureux éconduit d’Emilia, d’entrer dans un coffre qu’il fera déposer dans la chambre de la jeune fille. Tout amoureux qu’il est, Camillo hésite, conscient du mal qu’une telle manigance, si elle était découverte, ferait à la réputation d’Emilia. Mais il finira par accepter par naïveté la proposition du nécromant. En fait, par cet expédient, le nécromant entend simplement éloigner Camillo de sa demeure pour être libre de faire main basse sur ses biens en profitant de son absence. La malfaisance du physicien éclate au grand jour lorsqu’il expose à son serviteur Nebbio sa vision de l’escroquerie qui repose sur un grand mépris des êtres humains. Il les considère en effet comme des animaux à exploiter plus ou moins vite et à fond selon le bénéfice qu’il espère en tirer (II, 3). Si le métier du physicien est de guérir, le personnage de l’Arioste s’évertue surtout à dépouiller ceux qui lui prêtent foi sans se préoccuper un instant des conséquences de ses actions.
26La situation se renverse et tout commence à se précipiter pour le physicien au début de l’acte IV à cause de la caisse qui aurait dû lui procurer un enrichissement rapide et indolore. Celle-ci est en effet interceptée par Temolo, serviteur avisé de Cintio qui n’a jamais cru aux pouvoirs du nécromant (IV, 2). Grâce à Temolo, la caisse contenant Camillo est déposée au mauvais endroit : au lieu d’aller dans la maison de Maxime, elle est déroutée chez Cambio où habite Lavinia, l’épouse secrète de Cintio. Le motif de l’amant caché dans un coffre, très exploité à des fins comiques par la nouvelle et la comédie italienne, notamment la Calandria de Bibbiena (1513), est ici détourné à des fins morales pour dénouer l’intrigue et révéler l’avidité de Lachelino. Camillo, une fois sorti de la caisse, découvre ainsi que Cintio est déjà marié avec Lavinia. S’ensuit un moment d’énorme confusion, mais la vérité se fait jour après la dissipation des nombreux mensonges qui l’enveloppent. Le mariage entre Cintio et Lavinia est officialisé, le père d’Emilia accepte de donner sa fille, dont le précédent mariage n’a pas été consommé, au loyal Camillo et l’ordre social et moral sont rétablis. L’escroc et son malhonnête serviteur peuvent se sauver sans subir aucune poursuite pénale de la part des victimes, trop heureuses d’avoir échappé au déshonneur pour se préoccuper du sort du malfrat (V, 2). La pièce se clôt sur un éloge général de la providence divine et une invitation subreptice au pardon. N’oublions pas que le Negromante, commandé à l’Arioste par le pape Léon X, devait être joué à la cour de Rome, même si cela n’advint pas.
27Lachelino, à la différence de Callimaco, est le véritable meneur du jeu : c’est lui, faux médecin, qui oriente l’action et les personnages et qui domine toute la pièce par sa stature maléfique.
- 25 Voir Cesare Vasoli, « L’astrologia a Ferrara tra la metà del Quattrocento e la metà del Cinquecento (...)
28Ses nombreuses interventions verbales se révèlent essentielles au dénouement d’une intrigue complexe dont il est l’inventeur et le meneur. Maestro Lachelino est moins un personnage dramatique que le révélateur de la faiblesse de la raison humaine qui succombe facilement aux fables des imposteurs. Dans cette pièce, l’Arioste aborde le thème de la folie, fondement du Roland furieux, son chef-d’œuvre, sous l’angle de l’engouement de ses contemporains pour les sciences occultes. Cet engouement était, paraît-il, particulièrement fort à la cour de Ferrare à l’époque où la comédie fut composée25. Sans compter qu’en pointant les effets socialement et moralement néfastes de la magie, l’Arioste était sûr de l’approbation de l’illustre destinataire de sa comédie. L’attitude du dramaturge vis-à-vis de son personnage et de son sujet offre quelque affinité avec l’esprit qui anime L’Amour médecin (1665, princeps, 1666) de Molière où l’un des médecins s’exprime en ces termes :
- 26 L’Amour médecin, dans Molière, Théâtre complet, éd. Charles Mazouer, 4 vol., vol. III, Paris, Class (...)
FILERIN : […] Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine. C’est là que va l’étude de la plupart du monde, et chacun s'efforce de prendre les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à profiter de l’amour que les hommes ont pour les louanges, en leur donnant tout le vain encens qu’ils souhaitent ; et c’est un art où l’on fait, comme on voit, des fortunes considérables. […] Mais le plus grand faible des hommes, c'est l’amour qu’ils ont pour la vie ; et nous en profitons nous autres, par notre pompeux galimatias, et savons prendre nos avantages de cette vénération, que la peur de mourir leur donne pour notre métier. Conservons-nous donc dans le degré d’estime où leur faiblesse nous a mis, et soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art. N’allons point, dis-je, détruire sottement les heureuses préventions d’une erreur qui donne du pain à tant de personnes26.
- 27 Nous citons d’après Pierre Le Loyer, Le Muet insensé, éd. Anna Bettoni, dans Théâtre Français de la (...)
- 28 Sur les nombreuses sources du Muet insensé, voir l’introduction d’Anna Bettoni à son édition de la (...)
29Dans la comédie de la Renaissance, l’amour est présenté comme une terrible souffrance, une véritable maladie, qui ne demande qu’à être soulagée. L’Écolier repoussé du Muet insensé, comédie en vers du poète angevin Pierre Le Loyer, s’adresse donc à un Astrologue afin de vaincre la résistance d’une jeune fille rétive qui le rend malheureux. Cet homme de science jouit d’une très bonne réputation : face à des cas particulièrement difficiles, comme celui de l’Écolier, il peut même « […] en mots effroyables, / Appeler des Enfers les Diables »27. Après avoir vanté son immense savoir dans le domaine des sciences occultes, il donne à l’amoureux un anneau magique ayant le pouvoir de rendre docile la demoiselle. L’entreprise est sur le point de réussir quand l’arrivée inopinée de la mère de la jeune fille brise l’enchantement (III, 3, 4), laissant le timide Écolier désemparé. L’Astrologue propose alors d’évoquer les diables, mais là aussi il se passe quelque chose d’imprévu qui rend muet le pauvre garçon (IV, 3). Le sire Louis, père du jeune homme, se rend chez le magicien qu’il menace et qu’il bat (V, 5). Ce dernier prononce alors des formules magiques qui redonnent la parole au malheureux garçon. Le sire Louis et l’Astrologue se rabibochent et la pièce se termine sur une promesse de noces entre les deux jeunes gens. La pièce de Pierre Le Loyer est librement inspirée de plusieurs sources dramatiques, la farce de Maître Mimin étudiant, tout d’abord, la Calandria de Bibbiena, la traduction française du Negromante de l’Arioste, ainsi que la commedia dell’arte28. Dans cette comédie, les scènes de médecine sont remplacées par de longues tirades en octosyllabes où l’Astrologue fait étalage de son savoir sur la nature de l’amour (III, 2, v. 1068-1084), sur le pouvoir de la magie (III, 2, v. 1119-1200) ou encore sur la démonologie (IV, 2), À travers sa pièce, qui a beaucoup de points en commun avec la farce, à commencer par l’usage de l’octosyllabe, Le Loyer ridiculise les clichés de la maladie d’amour et le sérieux que la littérature, non seulement dramatique, attribue à cette pathologie. Est-il nécessaire de soupirer, de pleurer, d’arrêter de manger et de dormir quand on est amoureux ? Faut-il vraiment aller chercher un magicien pour assouvir son désir d’amour ? Il y a deux issues possibles à l’impasse devant laquelle se trouve l’Écolier selon Le Loyer. La première, incarnée par les propos grivois du serviteur Janin, consiste à seconder son désir en jouissant allègrement des plaisirs de la chair. Cette solution, inacceptable pour Marguerite, la jeune fille, et pour la morale, laisse la place à l’option finale du mariage où éros et sentiment sont censés trouver leurs droits. Faut-il arriver jusqu’à perdre ses esprits, comme le pauvre Écolier, alors qu’il suffit de trouver les mots justes pour livrer ses sentiments à la jeune fille et à sa famille ? Étant donné l’impuissance de la magie à guérir le jeune premier du mal d’amour, Le Loyer, à l’instar de l’Arioste et de Molière, pense que les problèmes de cœur pourront se résoudre en recourant à la sagesse, à la sensibilité et au plaisir, prérogatives propres à tout un chacun, plutôt qu’aux pratiques médicales ou surnaturelles.
- 29 La Pellegrina fut représentée pour la première fois en 1589 à Florence à l’occasion des noces entre (...)
30Drusilla, l’héroïne de La Pellegrina, comédie de sentiment, composée en 1564 par le Siennois Girolamo Bargagli avant même que n’explose la mode de la comédie sentimentale29, est l’énième avatar de l’héroïne romanesque et entreprenante célébrée dans la nouvelle du Moyen Âge et, plus tard, dans la comédie de la Renaissance. Abandonnée par le jeune homme qu’elle devait épouser, Drusilla se déguise en pèlerine, quitte sa ville de Lyon et se rend à Pise où se trouve celui qui l’a quittée. Là, elle acquiert, malgré elle et en peu de temps, une solide réputation de médecin :
31Néanmoins, à la différence des praticiens masculins déjà envisagés, elle garde toute sa modestie et attribue ses succès médicaux non pas à son savoir, mais au désir d’aider ses semblables :
32Nous savons qu’en réalité, son exercice de la médecine n’est pas complètement désintéressé, puisqu’il a pour but la recherche de son amant. En effet, celui-ci, qui a eu vent de ses compétences, vient la consulter sur la folie soudaine qui a frappé Lepida, la jeune fille qu’il doit épouser sans en être vraiment amoureux. La sensibilité, l’humilité et l’empathie toutes féminines dont Drusilla fait preuve vis-à-vis de ses patientes renouvellent et enrichissent efficacement la typologie habituelle du personnage du médecin. Un autre élément qui mérite d’être souligné est que l’héroïne de la pièce de Bargagli se déguise, change donc d’identité, mais non de sexe et, de surcroît, exerce une profession éminemment masculine. L’héroïne entreprenante et dynamique est une particularité revendiquée de la comédie siennoise de la Renaissance, mais souvent elle se déguise en homme pour donner libre cours à ses potentialités expressives. Ainsi, Lelia et Virginia, respectivement héroïnes des Ingannati (1532) et de l’Hortensio (1561), deux comédies des académiciens Intronati de Sienne, contribuent-elles activement à l’action sous des vêtements masculins.
33Même si la pèlerine ne prétend pas avoir étudié la médecine, elle applique scrupuleusement les règles de la profession. Ainsi demande-t-elle à voir Lepida avant de se prononcer sur sa pathologie. En médecin attentif, elle prescrit même un remède à sa patiente consistant en un bain avec des plantes médicamenteuses qui, heureusement, n’ont pas d’effets secondaires aussi néfastes que la mandragore (III, 10, p. 512). Quant à la visite médicale, seulement racontée et non jouée, elle se solde par l’établissement d’un lien de solidarité féminine entre la patiente et le médecin. Lepida, toute éplorée, lui révèle en effet qu’elle simule la folie pour éviter d’épouser Lucrezio puisqu’elle est déjà enceinte de Terenzio avec qui elle s’est unie en secret (ibid., p. 513-514). L’aveu de Lepida ne peut que réjouir la pèlerine, désormais sûre que Lucrezio, son amant, est encore libre. Mais voici qu’avant le dénouement intervient un coup de théâtre. La grossesse de Lepida est découverte et Lucrezio, le fiancé, est dénoncé comme étant le coupable. L’équivoque est bientôt dissipée et tout se termine pour le mieux pour les deux couples d’amoureux. En ce qui nous concerne notons que, dans ce moment de confusion avant le dénouement heureux, le dramaturge trouve le moyen d’insérer des pointes satiriques contre les médecins et les pharmaciens (speziali). Paradoxalement, c’est la pèlerine elle-même qui souligne l’incertitude de l’art médical et l’incapacité des apothicaires :
- 32 PELLEGRINA : […] La prima cosa, i medici vanno tentoni e poi, se pur la colgono qualche volta a cas (...)
PELLEGRINA : […] Tout d’abord, les médecins tâtonnent et si parfois ils font le bon diagnostic, les pharmaciens par leur négligence ignorante gâchent tout. Chacun de nous devrait, ô combien, veiller à ne pas tomber entre leurs mains. […] / RICCIARDO : Vous avez raison. Et moi le peu de fois où je me suis confié à des médecins, je l’ai plus fait par convenance sociale que parce que j’avais confiance en eux32.
34Ainsi que nous l’avons déjà précisé, La Pellegrina de Bargagli fut adaptée en français en vers alexandrins par Rotrou sous le titre La Pelerine amoureuse tragi-comedie (Paris, Anthoine De Sommaville, 1637). Dans l’ensemble, Rotrou ne modifie pas la structure de la pièce de Bargagli, se limitant à introduire les modifications strictement requises pour la transformation de la comédie en une tragi-comédie. Il fait donc disparaître quelques figures de serviteurs qui dans la pièce de départ tenaient des propos grivois, adapte le registre des discours au nouveau statut des personnages qui semblent appartenir à l’aristocratie et non pas à la bourgeoisie, d’où le recours à l’alexandrin, et plus généralement il introduit des changements formels pour rendre l’intrigue plus claire et plus fluide. Cela ne vaut toutefois pas pour l’acte V que Rotrou surcharge avec d’improbables digressions poétiques de son cru (V, 5), peut-être afin de retarder la rencontre entre les deux protagonistes de la tragi-comédie et d’accroître le suspens du dénouement.
35En ce qui concerne les scènes de médecine, dans ce cas aussi, Rotrou ne bouleverse pas le cadre général de la pièce d’origine. Il amplifie néanmoins considérablement les scènes de folie, plus nombreuses que chez Bargagli. Dans la comédie italienne, les interventions de la folle Lepida étaient limitées à deux brèves scènes (II, 2 ; II, 6) avec peu de répliques de la part de l’héroïne, alors que chez Rotrou Celie intervient sinon plus souvent au moins plus longtemps que son homologue italienne en tenant des propos décousus mais bourrés de références mythologiques, en tout cas d’un niveau culturel élevé (I, 3 ; III, 8-9). Cette valorisation des scènes de folie est sans doute à mettre en relation avec le succès que celles-ci avaient dans la commedia dell’arte. Les prime donne jouaient volontiers ce rôle difficile qui leur permettait de montrer leur talent. L’autre écart important par rapport à la pièce italienne est de nature qualitative. On se souviendra que la scène de la rencontre entre Lepida et la pèlerine était simplement rapportée et non représentée chez Bargagli. Chez Rotrou, en revanche, cette scène est jouée et constitue le moment de plus intense pathos de l’acte II. Arrivée en présence d’Angelique, la pèlerine, Celie se jette à ses pieds et lui adresse des propos aptes à l’émouvoir :
- 33 Toutes nos citations sont extraites de La Pelerine amoureuse. Tragi-comédie (1637), éd. Perry Gethn (...)
CÉLIE : Illustre Pèlerine,
Espoir des affligés, céleste Medecine ;
[…]
Mes parents sont auteurs du mal que j’ai commis
Ma vertu trouve en eux ses plus grands ennemis,
Et par eux ma raison fut capable d’un vice
Dont depuis quatre mois je porte le supplice. (III, 8)33.
- 34 Ibid., p. 114.
36À ces mots de la malade font écho les paroles de la « Médecine », empreintes de sensibilité et de compassion pour la situation de Celie ; qui mieux qu’Angelique, en effet, qui a failli mourir d’amour, aurait pu comprendre la souffrance de sa patiente qui, par amour pour un humble peintre (telle est la profession de l’amant), a sacrifié son bonheur et, surtout, son honneur ? La rhétorique propre au médecin, axée sur l’usage d’un jargon latinisant et de termes techniques, est ici remplacée par une rhétorique de l’affect qui vante la puissance de l’amour à travers une série d’antithèses : « N’excusez point un mal digne de nos louanges / L’amour est adorable en ses effets étranges, / Ce Dieu se fait connaître en l’excès seulement, / Et ce n’est pas aimer que d’aimer froidement, […] Je partage avec vous votre pire douleur / Et saurai bien cacher cet aimable malheur »34. Son discours se termine en effet sur une exhortation à Celie à mettre un terme à sa folie simulée et à dire la vérité ; l’exhortation est accompagnée de la promesse faite par la pèlerine d’aider sa patiente à convaincre ses parents.
37Tout comme Drusilla, Angelique ne possède pas non plus de savoir médical : « Je ne possède point cet art dont on me loue, / Je n’ai point de secrets, que ceux que je t’avoue », déclare-t-elle à son conseiller Clorimand (III, 4, p. 107) ; néanmoins sa réputation est bien établie lorsqu’elle arrive à Florence. Cette réputation repose sur son désintéressement, qualité éminemment féminine, comme l’avait déjà relevé Bargagli, dont Rotrou emboîte ici le pas :
- 35 La Pelerine, II, 3, p. 88.
LUCIDOR : C’est une Pèlerine, illustre de naissance,
Dont les plus beaux esprits vantent la connaissance,
Qui se fait renommer sans espoir d’interêts35.
38Quant aux remèdes pour guérir la folie, Angelique, à la différence de Drusilla qui conseillait un bain à Lepida, a des doutes sur l’efficacité des remèdes des médecins :
- 36 La Pelerine, III, 9, p. 117.
PELLERINE : Adieu, je vais rêver sur le remède unique
Qui puisse rétablir cet esprit frénétique,
Et s’il ne peut guérir un mal si furieux,
N’espérez plus Monsieur, sa santé que des Cieux36.
39La suite de l’intrigue est conforme au texte italien : on découvre que Celie n’est pas folle, mais simplement amoureuse et enceinte du faux peintre Leandre, de son vrai nom Lucidor. Cette homonymie entre l’amant d’Angelique et celui de Celie, déjà présente chez Bargagli, engendre une terrible équivoque qui pousse le père de Celie à accuser le Lucidor d’Angelique d’avoir causé le déshonneur de Celie. Mais tout se résout pour le mieux après la découverte que Léandre-Lucidor n’est pas un humble peintre mais l’héritier d’une noble et illustre famille allemande. Une fois cette ultime difficulté surmontée, Angelique et son Lucidor peuvent enfin se déclarer leur amour réciproque et mettre un terme à leurs souffrances de parfaits amants (V, 8, p. 154-158).
- 37 G. Bargagli, La Pellegrina, éd. Florindo Cerreta, Florence, Olschki, 1971, Introduction, p. 30-32.
40La pièce de Rotrou est une adaptation ou plutôt une réécriture, à notre avis très réussie, de la comédie de sentiment de Bargagli. Les aspects les plus notables des interventions du dramaturge français concernent la clarification et la fluidification de certaines parties de l’intrigue qui restaient un peu confuses chez Bargagli. Pour nous en tenir à notre sujet, notons que Rotrou a introduit dans l’intrigue deux nouveautés particulièrement efficaces. Ces nouveautés se situent toutes deux dans l’acte III qui est le pivot de la pièce. Dans la scène 5 de cet acte, la Nourrice de Célie se rend chez la pèlerine pour lui révéler la vérité quant à la folie de sa maîtresse. Cette révélation ouvre la voie à la scène 8 de ce même acte où les deux prétendues rivales se trouvent face à face et entament une compétition de perfection amoureuse qui est le point d’orgue de l’action. Florindo Cerreta, dans son édition critique de La Pellegrina, observait que cette pièce, qui eut peu de succès sous sa forme imprimée, fut en revanche très bien accueillie lorsqu’elle fut transformée en scenario et introduite dans le répertoire des acteurs professionnels. Il n’est donc pas impossible que Rotrou ait connu la comédie de Bargagli à travers les représentations données par les troupes de Giovan Battista Andreini et de Niccolò Barbieri, actifs à la cour de France entre 1624 et 162937. Quoi qu’il en soit, il est incontestable que dans la pièce de Bargagli, ainsi que dans la réécriture de Rotrou, la scène de médecine atteint une profondeur psychologique et pathétique qui fera école par la suite. En revanche, la dimension satirique de critique de la profession médicale, encore active chez Bargagli, disparaît complètement chez Rotrou qui le premier aborde avec sensibilité, par le biais d’un personnage féminin, la question cruciale de l’indispensable empathie entre patient et médecin.
La médecine en spectacle
41Au fur et à mesure que l’on s’approche du milieu du XVIe siècle, la figure du médecin gagne en autonomie et ne se confond plus avec celle d’autres praticiens. Même le personnage du « faux médecin », tel que l’avait imaginé Machiavel, disparaît de la scène italienne pour faire place à des figures de médecins bien définies mais plus stéréotypées. Cela répond davantage aux exigences de la professionnalisation du théâtre et du métier de l’acteur. L’avantage est de rendre le personnage immédiatement reconnaissable et jouable. Sur quels modèles pouvaient compter les dramaturges afin de construire leurs personnages de médecins ? En nous basant sur notre corpus, certes restreint mais néanmoins représentatif, nous constatons que le médecin est un hybride issu de la fusion entre personnages divers, notamment ceux du vieillard bourgeois et respectable qui se ridiculise en tombant amoureux d’un tendron, du pédant qui parle en latin et qui est plutôt misogyne, et enfin du soldat fanfaron. Ces trois figures ont en commun d’être des boucs émissaires dans la mesure où elles échouent systématiquement dans leurs entreprises. Le vieillard et le pédant sont punis parce qu’ils éprouvent un penchant pour des formes d’amour qu’on reprouvait, alors que le capitaine est un fantoche que personne ne prenait au sérieux, ce qui était une manière comme une autre d’exorciser par le rire les menaces bien réelles de la violence et de la guerre qu’il incarnait.
- 38 Dans Gl’Inganni de Nicolò Secchi, le personnage du médecin intervient quasiment dans tous les actes (...)
- 39 La date de composition et de représentation des Inganni est incertaine. Une comédie de Secchi (ou S (...)
- 40 P. de Larivey, Les Tromperies, dans Ancien théâtre françois, Paris, 1856, t. VII (Nendeln/Liechtens (...)
- 41 Voir L. G. Clubb, Giambattista Della Porta, p. 238 et 240 où on peut lire que le Dottore a une visi (...)
42La typologie du médecin pédant et misogyne n’intervient que dans Lo Ipocrito de l’Arétin (1542) et son apparition est strictement orientée vers le dénouement. La misogynie innée du médecin, qui s’exprime en latin et répond au nom de Biondello, s’avère salutaire pour le couple d’amoureux. Sa méfiance envers le sexe féminin le pousse en effet à remplacer le poison que la jeune première lui avait demandé par un somnifère. Il évite ainsi la mort tragique des jeunes premiers en garantissant un dénouement heureux. Si chez l’Arétin le rôle du médecin est très réduit – il intervient seulement dans deux scènes (III, 5 ; V, 4) –, il est davantage développé dans Gl’Inganni de Niccolò Secchi38, une comédie rédigée une dizaine d’années après la précédente39. Elle fut transposée en français par le fameux traducteur et dramaturge Pierre de Larivey et publiée en 1611 sous le titre Les Tromperies. Le médecin, sans nom propre et simplement désigné comme « Medico », est un vieux praticien, flanqué d’une femme qu’il déteste, et amoureux d’une courtisane qui parle de lui et de sa profession en termes très peu flatteurs : « Ô quel joly muguet ! ô quel tendre chevreau à qui la bouche sent encore le laict. Que la peste te vienne, vieil pourry, à qui les mains ne sentent que l’urine, ou ne puent que le clystère. », et encore, « Ouy, ouy, crie tout ton saoul ! Courez après ce beau muguet. Que la bosse te vienne, hume-urine ! ronge-estron ! Voicy le diable qui vient » 40. Il est par ailleurs peu courageux et lâche comme un soldat fanfaron, ce qui en fait la risée de son serviteur Cima qui le titille sur sa faible virilité (V, 1). Surpris avec la courtisane alors qu’il est en train de dire du mal de sa femme, le médecin sera d’abord couvert d’insultes par celle-ci, mais non pas frappé comme il adviendra à certains de ses homologues plus tardifs (V, 14). La figure du médecin amoureux d’une courtisane est certainement l’élément le plus original de la pièce de Secchi qui ne comporte du reste aucune scène de médecine. Un personnage qualifié de « Dottore » intervient également dans La Carbonaria, comédie du dramaturge napolitain Giovan Battista Della Porta. Dans ce cas aussi, le personnage n’est jamais représenté dans l’exercice de ses fonctions. Il appartient à la grande catégorie des vieillards amoureux, mais il ne fait pas l’objet de mépris et de sarcasmes grossiers à la différence du médecin de la pièce de Secchi. Cela tient probablement au fait que le vieux docteur est reconnu au dénouement comme étant le père de la jeune première avec qui il voulait se marier avant de connaître la vérité41.
- 42 Parmi les sources latines on citera Les Ménechmes, La Casina, les Captivi de Plaute et L’Eunuque de (...)
- 43 Un des personnages évoque la maladie qu’Erasto aurait attrapé en exerçant ses fonctions de médecin (...)
- 44 « Va ragionando per la strada con quanti huomini da bene incontra, con dir che Gerasto è un medica (...)
43Des scènes de médecine se trouvent dans deux comédies de Della Porta, à savoir La Fantesca et La Furiosa. Dans la première, qui est une véritable mosaïque de sources latines et italiennes42, le médecin Gerasto exerce effectivement la profession médicale comme le prouvent ses contacts avec le « speziale », c’est-à-dire le pharmacien, les références au monde de l’hôpital43 et, surtout, ce que disent de lui ses détracteurs. Ainsi Essandro, s’adressant à Gerasto, lui révèle comment il est considéré par quelqu’un de son entourage : « Il [Narticoforo] dit à droite et à gauche à tous les honnêtes gens qu’il rencontre que Gerasto est un soigne-chevaux, un castrateur de porcs, un manieur d’excréments et d’urine » 44.
44Gerasto, qui relève de la typologie du vieillard amoureux, s’est entiché de la servante Fioretta : celle-ci est en réalité Essandro, un garçon, amoureux de Cleria, fille de Gerasto. Ce dernier s’apprête à marier Cleria avec Cintio, le fils du pédant Narticoforo. Mais pour éviter ces noces, Essandro, d’accord avec Cleria, qui l’aime aussi, a l’idée de faire croire à Narticoforo que Cleria a une maladie repoussante qui la rend inapte au mariage et à Gerasto que Cintio est dans la même situation que sa fiancée. Pour réaliser cette tromperie aux dépens des deux vieillards, Essandro recourt aux services du parasite Morfeo qui, par les contorsions de ses membres et d’horribles grimaces, mime d’abord le corps déformé par la maladie de la jeune première et ensuite celui du prétendant malheureux afin d’empêcher un mariage non voulu. Comme la maladie doit être particulièrement repoussante, Morfeo va jusqu’à se procurer des boules d’une matière puante qui sont censées accentuer le réalisme de la scène. Voici donc les réactions que suscite chez Narticoforo la vue de la fausse Cleria, malade au point de ne pas pouvoir articuler les mots et, de surcroît, malodorante :
- 45 CLERIA [Morfeo] : Che volete, pa, pa, padre caro ? / GERASTO : Narticoforo caro, eccovi un poco di (...)
CLERIA [Morfeo] : Que voulez-vous, pè, pè, père très cher ?
GERASTO : Cher Narticoforo, voici un peu de vinaigre, passez-le sur les narines et prenez cette balle de parfum.
NARTICOFORO : O mi Deus, o Iuppiter, quel est ce monstre, il me fait peur45.
- 46 L. G. Clubb, Giambattista Della Porta, p. 161.
45Le texte ne donne qu’une idée abstraite de la drôlerie que pouvait atteindre ce type de scène jouée par un bon acteur. En avançant vers la fin du XVIe siècle, la maladie, notamment sur la scène italienne, devient un élément saillant du spectacle et du rire. C’est ce que montre ce bref exemple, extrait de la dramaturgie de Della Porta dont la production comique alimenta le théâtre des comici dell’arte et qui, à son tour, s’inspira de leurs spectacles pour agrémenter ses pièces. Ce type de scène expressive et réaliste tire profit des connaissances scientifiques de Della Porta qui nous a laissé, entre autres, un important traité de physiognomonie46.
- 47 « il t’élimine toutes les mauvaises humeurs du corps, il t’allège la tête, il te libère le cerveau (...)
46Toujours dans La Fantesca se trouvent d’autres scènes de médecine animées, pour ainsi dire, non pas par le médecin lui-même, mais par son collaborateur attitré, c’est-à-dire le « speziale ». Celui-ci se présente en effet chez Gerasto avec un gros clystère qu’il veut à toute force administrer à Morfeo, le personnage sur lequel repose en large partie le comique gestuel de la pièce. Morfeo, qui n’a aucune intention de se soumettre au clystère, essaie, dans un premier temps, de chasser l’apothicaire à coups de bâton, mais celui-ci ne démord pas de sa mission sanitaire en insistant sur les bienfaits du lavement qui était, on s’en souviendra, l’un des principaux remèdes de la médecine ancienne avec la saignée47. Alors Morfeo, excédé par tant d’insistance, jette au visage du pharmacien le contenu chaud du clystère en provoquant sa réaction outrée : « Ah ! poltron d’âne, tu m’as aveuglé, si je t’attrape… » (« Ah poltron asino, che m’hai cieco, se ti giungo... ») (III, 12, p. 532).
- 48 Voir le prologue de La Cortigiana (1525) de l’Arétin qui se présente sous la forme d’un dialogue en (...)
47Notons que Della Porta est le premier dramaturge en Italie à représenter une scène de ce type. Chez Machiavel, Callimaco pratiquait l’examen des urines, mais n’allait pas aussi loin. Nous savons par ailleurs qu’au XVIe siècle le mot « Argomento » (argument), avait, en plus du sens actuel, celui plutôt surprenant de lavement, clystère. Cette deuxième signification était activée surtout dans les paratextes de certaines pièces comiques afin de préparer le public au caractère grivois, voire scatologique, du spectacle qui allait suivre48. Cet exemple montre bien comment les mots peuvent parfois nous rappeler les liens invisibles mais réels qui existent entre des univers mentaux apparemment très éloignés tels que la médecine et le théâtre.
48Le « speziale » intervient encore dans la dernière scène de médecine de la Fantesca, celle qui est censée précipiter le dénouement de la pièce. Gerasto, amoureux de Fioretta, veut jouir des grâces de celle qu’il croit être une jeune fille. Pour mettre toutes les chances de son côté, il a demandé au pharmacien de lui fabriquer des pilules aphrodisiaques dont il lui a fourni lui-même la recette. Après s’être exécuté, le naïf apothicaire se rend chez Gerasto où il tombe sur sa femme qui lui demande ce qu’il veut. Et celui-ci de répondre qu’il vient apporter « Des pilules que [Gerasto] m’a demandées pour être gaillard dans un combat amoureux avec une de ses servantes » (« Certe pilole, che [Gerasto] m’ha chieste per esser gagliardo in una battaglia amorosa, che vuol far con una sua serva », V, 2, p. 564). Il va sans dire que même cette dernière entrevue, simple ébauche d’une scène de médecine non aboutie, se termine par des coups de bâton que l’épouse de Gerasto, très jalouse, administre à l’innocent apothicaire (V, 2, p. 565).
- 49 Voir par exemple L. G. Clubb, Giambattista Della Porta, p. 226-227.
49La Furiosa, dernière comédie de notre corpus, est composée de deux intrigues, l’une romanesque et l’autre comique, qui, aux dires de certains critiques, ne parviennent pas à se fondre49. En fait, la liaison entre elles est assurée par le personnage du médecin. L’intrigue romanesque représente deux amants parfaits, Ardelio et Vittoria, tels qu’on en trouvait dans la comédie de sentiment ou dans la tragi-comédie, mais qui ont sombré dans la folie après avoir été séparés par leurs pères. La deuxième intrigue, de type grivois, concerne les manigances de Foiana, la femme du médecin, beaucoup plus jeune que lui, en vue de se retrouver avec son amant, le capitaine Basilisco.
50Le médecin qui est censé soigner la folie des deux jeunes premiers est amené à favoriser, à son insu, son propre cocuage. En effet, puisque le vieux docteur soigne les fous, Foiana conseille à son amant de se déguiser en fou pour la rejoindre chez elle sans attirer de soupçons. Malheureusement, à la suite d’une série de quiproquos habilement orchestrés par le dramaturge, le capitaine, déguisé en fou, est intercepté par le médecin qui, l’ayant pris pour Ardelio, s’acharne à vouloir le soigner de sa folie. Après moult tortures, le capitaine réussit à rejoindre Foiana et à se venger des tourments que lui a infligés le docteur en le rendant cocu.
- 50 « il dolore, vigilie, fatiche, disaggi, disperazioni e simili travagli », Giovan Battista Della Por (...)
- 51 La Furiosa, III, 3, p. 148.
- 52 « Or se costoro non vogliono mangiare, con dir che sieno morti, arò cura far vestir duo da morti, a (...)
51La pièce comporte de nombreux aspects novateurs, mais nous nous bornerons à relever ceux qui concernent notre problématique. On remarquera tout d’abord, comme nous l’avons déjà observé dans La Fantesca, le réalisme de la description et de la représentation de la pathologie. Ainsi Bizozero et Agazio, les pères des deux jeunes fous, sont-ils très précis quand ils décrivent les causes et les symptômes de la « frenesia » (folie) qui a atteint leurs enfants. Parmi ces causes, ils évoquent « la douleur, le manque de sommeil, la fatigue, les difficultés, le désespoir et les tourments50 ». Quant aux effets, ces derniers se manifestent par des propos et des comportements délirants comme le fait de courir tels des furies par les rues de Naples en faisant craindre pour leurs vies (III, 3). Le médecin, quant à lui, s’exprime longuement sur la folie en démontrant une certaine compétence sur ce sujet. Après avoir dit que la folie amoureuse est plus facile à soigner qu’on ne le pense, il ajoute qu’il lui suffira de faire avaler aux deux jeunes gens quelques pilules de sa composition qui « en faisant rejeter toute la colère noire retenue dans leurs corps » les guérira complètement et immédiatement (« di subito »)51. Il donne d’autres intéressantes indications médicales sur la manière de traiter ce type de folie engendrée par l’amour contrarié sur les manifestations de laquelle Della Porta et ses contemporains pouvaient trouver des exemples dans l’Orlando furioso de l’Arioste. D’après le médecin, qui tient compte de l’avis d’illustres docteurs de son temps (« Dicono i nostri dottori »), il ne faut surtout pas contrarier les patients qui en sont atteints, mais faire semblant de seconder leurs caprices : « s’ils ne veulent pas manger parce qu’ils se croient morts, je ferai déguiser deux individus en morts, comme s’ils venaient de sortir de leur sépulture, et en disant que ceux-ci, bien que morts, mangeront en leur présence, eux aussi auront envie de manger »52. On retrouve dans ce discours du médecin la compétence de l’homme de science qu’était Della Porta. Cet aspect constitue l’élément le plus original de ses pièces, et notamment de la Furiosa qui est particulièrement riche en détails scientifiques.
52Malheureusement, ces beaux discours ne sont pas suivis d’effets, car lorsque le médecin se trouve en présence de celui qu’il croit être le fou Ardelio, et qui est en réalité son rival, il met de côté ses principes. Pour convaincre le rétif capitaine à avaler ses pilules, il n’hésitera pas à recourir à la force la plus brutale : coups de gourdin, appel à de robustes adjuvants (portefaix et faux morts), ouverture forcée de la bouche à l’aide d’un coin (IV, 5).
53La gestion spectaculaire de la gestuelle ou, si l’on préfère, de l’éloquence du corps, est récurrente chez Della Porta. Mais dans La Furiosa on assiste à une surenchère dans l’usage de ces moyens. Cette outrance corporelle confère un caractère grinçant au comique de la pièce. Le médecin, ici, n’est pas seulement le trait d’union entre deux intrigues différentes, mais également la cible d’une satire assez virulente qui n’est pas sans rappeler les attaques de Molière contre les dérives de certains praticiens.
Conclusion
54La satire et le rire pointent certaines figures sociales représentatives de leur époque. Au XVIe siècle, le médecin n’en fait pas encore partie. Les cibles privilégiées du théâtre comique de la Renaissance sont plutôt le pédant, représentant d’une érudition déconnectée du réel, les hommes d’Église, à travers lesquels s’exerce la critique contre la corruption et l’hypocrisie de l’institution, ou encore le soldat fanfaron, incarnation d’une autorité brutale et injuste contre laquelle, par le biais du rire, les dramaturges italiens s’insurgent en relayant la détresse des populations soumises à la domination étrangère. Cependant, au fur et à mesure qu’approche la fin du siècle, on observe que le personnage du médecin gagne de plus en plus de place sur la scène comique. Son avènement dans la comédie est à mettre en relation avec l’éclosion de la commedia dell’arte où le masque du « Dottore » acquiert une importance croissante. Par ailleurs, sa nouveauté est toute relative dans la mesure où ce masque partage beaucoup de caractéristiques avec des personnages de la commedia erudita, tels le vieillard et le pédant qui annoncent le médecin.
55Si la satire contre la médecine et les médecins est pratiquement absente de la comédie de la Renaissance, en Italie, dans des comédies, et non des moindres, composées au début du siècle, la scène de médecine devient le lieu privilégié d’une forme d’humour qui s’attaque aux mœurs d’une société faible et corrompue, esclave d’un hédonisme égoïste. Dans La Mandragola et dans Le Negromant, la scène de médecine est la métaphore d’une maladie sociale. En France, la satire caractérise surtout les comédies de la Pléiade, produites entre le début des années 1550 et la fin des années 1560 et où, sous l’influence du théâtre médiéval et notamment de la farce, le rire vise certaines catégories sociales et professionnelles : abbés, avocats, soldats, financiers. Dans la péninsule italienne et sous l’effet de phénomènes majeurs – le succès d’un théâtre de divertissement, la censure exercée par l’Église catholique, la domination étrangère – ce comique engagé cède la place à un théâtre d’évasion ou de sentiment. En France, la comédie régulière connaît son apogée dans les années 1570-1580 avec les comédies adaptées de l’italien par Pierre de Larivey, Les Contens de Turnèbe et Les Néapolitaines de François d’Amboise. Ce sont là des auteurs occasionnels, qui parviennent néanmoins à réélaborer de manière très personnelle et originale les expériences dramaturgiques et culturelles transalpines dont ils ont nourri leur théâtre d’amateurs.
56Il n’en reste pas moins vrai qu’une certaine atmosphère comique et une série de motifs, bien que ne se retrouvant pas de manière visible dans les pièces de Molière sur la médecine, ont très probablement créé un soubassement culturel et un réservoir dramaturgique et expressif dans lesquels l’auteur du Malade imaginaire pouvait plus ou moins consciemment puiser pour nourrir son imaginaire médical. Ce qui distingue Molière de ses prédécesseurs est la présence de la thématique médicale dans une grande partie de son œuvre dramatique et tout au long de sa carrière. À cela s’ajoute le fait qu’il en embrasse de manière globale toutes les facettes – du personnage du médecin au diagnostic, de la thérapie à la guérison – en s’arrêtant sur ce qui représente le cœur du problème, à savoir le besoin primaire de l’être humain de faire confiance à la médecine.
Notes
1 Pour rappel : Le Médecin volant, L’Amour médecin, Le Médecin malgré lui, Le Festin de Pierre (III, 1), Monsieur de Pourceaugnac, Le Malade imaginaire, sans compter la farce (perdue) du Docteur amoureux que Molière représenta le 24 octobre 1658 devant le jeune Louis XIV. Le roi apprécia beaucoup ce petit spectacle, au point de permettre au comédien et à sa troupe de se produire au Petit-Bourbon en alternance avec les acteurs italiens. Voir B. Rey-Flaud, Molière et la farce, Genève, Droz, 1996, p. 25.
2 La première comédie italienne de la Renaissance est Formicone, pièce inspirée d’un épisode des Métamorphoses d’Apulée, de Publio Filippo de Mantoue. Le vrai fondateur de la comédie régulière est l’Arioste qui, en 1508, fit représenter à Ferrare la Cassaria, considérée comme la première comédie régulière originale en langue vulgaire.
3 Une traduction des Suppositi en vers par Jacques Bourgeois paraît en 1545 sous le titre Comedie treselegante, en laquelle sont contenues les Amours recreatifves d’Erostrate, filz de Philogone de Catania en Sicile : et de la belle Polymneste, fille de Damon, bourgeois d’Avignon (Paris, Denis Janot, 1545) ; sept ans plus tard sort une deuxième traduction, en prose, de la même comédie par Jean-Pierre de Mesmes (La Comedie des Supposez de M. Louys Arioste, Paris, E. Groulleau, 1552) et en 1573 est publiée la traduction du Negromante par Jean de La Taille (Le Negromant. Comedie de M. Louis Arioste, nouvellement mise en François, par Jehan de La Taille de Bondaroy, dans Les oeuvres de théâtre et poesies diverses de Jehan de La Taille de Bondaroy, Paris, Federic Morel) qui fut exécutée, semble-t-il, une dizaine d’années auparavant.
4 Sur la filiation entre comédie régulière et commedia dell’arte, voir Norbert Jonard, La Commedia dell’arte, Lyon, Edition l’Hermès, 1982, ainsi que Claude Bourqui, La Commedia dell’arte : introduction au théâtre professionnel italien entre le XVIe et le XVIIIe siècles, Paris, Colin, 2011.
5 Voici notre corpus : N. Machiavelli, La Mandragola (composée vers 1513-1514) ; L. Ariosto, Il Negromante 1e version (1520) ; J. de La Taille, Le Negromant (av. 1562) ; J. de La Taille, Les Corrivaux (av. 1562) ; P. Aretino, Lo Ipocrito (1542) ; N. Secchi, Gl’Inganni (1551) ; P. de Larivey, Les Tromperies (1611) ; G. Bargagli, La Pellegrina (1564) ; J. de Rotrou, La Pelerine amoureuse (1637) ; P. Le Loyer, Le Muet insensé (1576) ; O. de Turnèbe, Les Contens (1584) ; G. B. Della Porta, La Fantesca (1592) ; G. B. Della Porta, La Carbonaria (1601) ; G. B. Della Porta, La Furiosa (1609). Sur les rapports entre commedia erudita et comédie française à la Renaissance, qu’il nous soit permis de renvoyer à P. De Capitani, Du spectaculaire à l’intime : un siècle de commedia erudita en Italie et en France (début du XVIe siècle-première moitié du XVIIe siècle), Paris, Champion, 2005.
6 Sur les sources de Molière, voir C. Bourqui, Les Sources de Molière. Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques, Paris, SEDES, 1999.
7 B. Rey-Flaud, Molière et la farce…, p. 9-10.
8 Voir Stefano Pittaluga, « Éloges de la médecine et médecins ignorants », dans P. De Capitani et C. Terreaux-Scotto (dir.), Actualité de l’Humanisme. Mélanges offerts à Serge Stolf, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 241-258.
9 En 1628 paraît à Francfort son Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus (« Exercice anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux »).
10 Dans Les Ménechmes de Plaute intervient un médecin pour soigner la folie prétendue de Ménechme I (V, 5-6).
11 La Mandragola fut représentée à Florence en 1518, mais elle aurait été composée entre la fin de 1513 et les premiers mois de 1514, si bien que sa rédaction serait quasiment contemporaine de celle du Prince ; voir N. Machiavelli, La Mandragola, éd. Pasquale Stoppelli, Milan, A. Mondadori « Oscar classici », 2016, p. XI. Toutes nos citations sont extraites de cette édition.
12 Il existe deux versions du Negromante de l’Arioste ; la première, celle qui a été traduite par Jean de La Taille, remonte à 1520, et la deuxième à 1528 ; voir G. Coluccia, L’esperienza teatrale di Ludovico Ariosto, Lecce, Piero Manni, 2001, p. 16-35 et 162-206. La traduction par Jean de La Taille du Negromante aurait été exécutée peu avant 1562, date du début des guerres de religion auxquelles Jean a participé en tant que défenseur de la monarchie, et fut publiée en 1573 : voir plus haut note 3.
13 Les comédies de Giovan Battista Della Porta furent publiées plusieurs années après leur rédaction ; la plupart de ses comédies furent vraisemblablement composées après 1572 ; voir G. B. Della Porta, Teatro. Secondo tomo, Commedie, éd. R. Sirri, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 2002 (« Edizione Nazionale delle Opere di G. B. Della Porta »), p. XII.
14 Voir Louise George Clubb, Giambattista Della Porta Dramatist, Princeton, Princeton University Press, 1965, p. 238 et 240 où on peut lire que le Dottore a une vision sérieuse et éclairée de son rôle de père.
15 N. Machiavelli, La Mandragola, p. 159.
16 Voir plus haut, note 5.
17 Dans Les Corrivaus, inspirés de la nouvelle V de la cinquième journée du Decameron de Boccace, une nourrice maudit le médecin qui a révélé au grand jour la grossesse de la jeune fille dont elle a favorisé les rencontres secrètes avec l’amoureux : « Je voudroy que ce beau medecin et tous les medecins du monde fussent au diable. Que maudite en soit la race. N’avoy-je pas bien dit, qu’il ne failliroit point de dire à la mere que sa fille estoit grosse ? J’avois beau luy faire signe de l’œil, des doigts, et du pied, marchant sur le sien », J. de La Taille, Les Corrivaus, éd. Denis L Deysdall, Paris, Librairie Marcel Didier, 1974, III, 4, p. 99. Dans les Contens de Turnèbe, la maquerelle Françoise évoque une maladie cachée de la jeune fille convoitée qui est du genre à faire fuir même l’amoureux le plus obstiné : « EUSTACHE : À quoi tient-il donc qu’elle n’est aussi belle qu’elle sera quelque jour ? FRANÇOISE : […] Vous devez sçavoir que la pauvre fille est infiniement tourmentée d’un chancre qu’elle a à un tetin, il y a près de trois ans ; et n’y a autre que sa mere et moy qui en sçachent rien. Mais nous avons bonne espérance qu’elle se portera bien avant qu’il soit quinze jours. » (II, 2) ; nous citons d’après O. de Turnèbe, Les Contens, éd. Charles Mazouer, Paris, Champion, 2020, p. 119.
18 CALLIMICO Oh ! questo segno mostra debilità di rene. […] Non ve ne maravigliate. Nam mulieris urine sunt semper maioris grossitiei et albedinis et minoris pulcritudinis quam virorum […] NICIA (tra sé) Oh ! uh ! potta di san Puccio ! Costui mi raffinisce in tra -lle mani : guarda come ragiona bene di questa cosa! , La Mandragola, (II, 6), p. 49 ; sauf indication contraire, c’est nous qui traduisons.
19 NICIA Egli è brutto di viso, egli aveva un nasaccio, una bocca torta… ma tu non vedesti mai le più belle carne : bianco, morbido, pastoso… e de l’altre cose non ne domandare (V, 2), p. 118.
20 Leone de’ Sommi, Quattro dialoghi in materia di rappresentazioni sceniche, éd. Ferruccio Marotti, Milan, Il Polifilo, 1968. Les Dialoghi furent vraisemblablement composés vers 1568. Voir Aldo Roma, entrée « L. de’ Sommi », in Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 93, Roma, Istituto dell’Enciclopedia Italiana (2018). Les Quattro dialoghi ont été traduits en français par Françoise Decroisette, Paris, Rampazzo et associés, 1992.
21 Ainsi est qualifié le nécromant dans la liste des personnages et dans la pièce ; le terme « physicien » indiquait celui qui s’occupe des sciences de la nature, médecin, magicien.
22 G. Coluccia, L’Esperienza, p. 24-25.
23 Rappelons qu’un pentacle est un sceau magique, le plus souvent en forme d’étoile à cinq branches, censé symboliser et capter les puissances occultes.
24 Nous citons d’après Jean de La Taille, Le Negromant, dans J. de La Taille, Dramatic Works, éd. Kathleen M. Hall and C. N. Smith, London, The Athlone Press, 1972, I, 3, p. 115. Une édition savante du Negromant par P. De Capitani est en cours chez Classiques Garnier dans le cadre de l’édition des œuvres des frères La Taille sous la direction de François Lecercle.
25 Voir Cesare Vasoli, « L’astrologia a Ferrara tra la metà del Quattrocento e la metà del Cinquecento », dans Paolo Rossi et alii (dir.), Il Rinascimento nelle corti padane : società e culture, Bari, De Donato, 1977, p. 469-494.
26 L’Amour médecin, dans Molière, Théâtre complet, éd. Charles Mazouer, 4 vol., vol. III, Paris, Classiques Garnier, 2020, III, 1, p. 78.
27 Nous citons d’après Pierre Le Loyer, Le Muet insensé, éd. Anna Bettoni, dans Théâtre Français de la Renaissance. La comédie à l’époque d’Henri III, deuxième série, vol. 7, Florence, Leo S. Olschki, 2015, III, 1, v. 1037-1038.
28 Sur les nombreuses sources du Muet insensé, voir l’introduction d’Anna Bettoni à son édition de la pièce, p. 34-50.
29 La Pellegrina fut représentée pour la première fois en 1589 à Florence à l’occasion des noces entre le grand-duc Ferdinand de Médicis et Christine de Lorraine.
30 LUCREZIO : Io ho inteso che in certi pochi giorni che sète stata in Pisa avete fatte alcune sperienze maravigliose di medicina. Nous citons d’après Girolamo Bargagli, La Pellegrina, dans Commedie del Cinquecento, éd. Nino Borsellino, Milan, Feltrinelli, 1962, vol. I., II, 7, p. 480.
31 PELLEGRINA: È il vero che in questo viaggio nelli alloggiamenti dove per caso mi sono abbattuta non ho saputo mancare d’adoperargli in benefizio altrui […], II, 7, p. 481.
32 PELLEGRINA : […] La prima cosa, i medici vanno tentoni e poi, se pur la colgono qualche volta a caso, gli speziali negligenti con la loro ignoranza guastano ogni cosa. Quanto dovrebbe guardarsi ognuno di noi di non venire alle lor mani. […] / RICCIARDO : Dite benissimo. E io quelle poche volte che mi sono messo in mano di medici, l’ho fatto più per onor del mondo che per fede ch’io abbia in loro., La Pellegrina, IV, 2, p. 518-519.
33 Toutes nos citations sont extraites de La Pelerine amoureuse. Tragi-comédie (1637), éd. Perry Gethner avec la collaboration de Sandrine Berrégard, dans Jean de Rotrou, Théâtre complet 7, Paris, STFM, 2004, III, 8, p. 113.
34 Ibid., p. 114.
35 La Pelerine, II, 3, p. 88.
36 La Pelerine, III, 9, p. 117.
37 G. Bargagli, La Pellegrina, éd. Florindo Cerreta, Florence, Olschki, 1971, Introduction, p. 30-32.
38 Dans Gl’Inganni de Nicolò Secchi, le personnage du médecin intervient quasiment dans tous les actes de la pièce, à savoir, I, 7-8 ; III, 3-4 ; IV, 12 ; V, 1 ; V, 14.
39 La date de composition et de représentation des Inganni est incertaine. Une comédie de Secchi (ou Secco, comme on l’appelait à cette époque), originaire de Montichiari, près de Brescia, fut représentée à Milan dans la salle du Sénat le 19 décembre 1548 lors de la visite de Philippe II d’Espagne, mais il semble qu’il s’agissait de l’Interesse, une autre comédie de Secchi. La didascalie qui figure sur le frontispice de la princeps de Gl’Inganni (1562) est d’ailleurs erronée puisqu’elle situe la représentation de la pièce en 1547 lors de la visite de Philippe II. Or, comme nous venons de le dire, la visite à Milan de Philippe II eut lieu en 1548 et la pièce représentée fut une autre. Il est donc vraisemblable que la didascalie ait été un choix éditorial pour faire un peu de publicité à Gl’Inganni. On estime désormais que cette dernière pièce fut composée en 1551 à l’occasion d’une deuxième visite de Philippe II à Milan. Voir Gl’Inganni comedia del Signor N. S., Florence, Giunti, 1562, éd. L. Quatermaine, Exeter, Exeter University Printing Unit, 1980, introduction, p. IX-XVII.
40 P. de Larivey, Les Tromperies, dans Ancien théâtre françois, Paris, 1856, t. VII (Nendeln/Liechtenstein, Kraus Reprint, 1972), II, 1, p. 30 et 32 : « O che gentil figliuoletto, o che capresto, a chi sente ancor la bocca di latte ! Che ti venga la peste, vecchio marcio rantacoso a chi puzzan sempre le mani d’orina e serviziali », II, 1, p. 21 ; « Sì, sì, gracchia pure, correte su dietro al bel giovine, che ti venga l’anguinaglia, che t’accuori, guardapiscio e rugastronzi, ecco il diavolo che viene. », II, 2, p. 22 ; Larivey, selon ses habitudes, atténue la violence et la grossièreté de certaines expressions du texte original.
41 Voir L. G. Clubb, Giambattista Della Porta, p. 238 et 240 où on peut lire que le Dottore a une vision sérieuse et éclairée de son rôle de père.
42 Parmi les sources latines on citera Les Ménechmes, La Casina, les Captivi de Plaute et L’Eunuque de Térence ; parmi les sources italiennes les Suppositi de l’Arioste (1509), La Calandria de Bibbiena (1513), la Clizia de Machiavel (1525), l’Hortensio des académiciens Intronati (1561), traduit par Antoine Le Métel d’Ouville sous le titre de Aymer sans sçavoir qui.
43 Un des personnages évoque la maladie qu’Erasto aurait attrapé en exerçant ses fonctions de médecin aux Incurables (La Fantesca, V, 1).
44 « Va ragionando per la strada con quanti huomini da bene incontra, con dir che Gerasto è un medica cavalli, castraporci, maneggiator di sterco e d’urina », G. B. Della Porta, La Fantesca, dans Commedie del Cinquecento, éd. Nino Borsellino, Milan, Feltrinelli, 1967, vol. II, IV, 3, p. 539.
45 CLERIA [Morfeo] : Che volete, pa, pa, padre caro ? / GERASTO : Narticoforo caro, eccovi un poco di aceto, ungetevi le nari togliete questa balla di profumi. / NARTICOFORO : O mi Deus, o Iuppiter, che mostro è questo, mi incute terrore. », La Fantesca, III, 10, p. 526.
46 L. G. Clubb, Giambattista Della Porta, p. 161.
47 « il t’élimine toutes les mauvaises humeurs du corps, il t’allège la tête, il te libère le cerveau […]. Peu de mal contre beaucoup de bienfaits » (« ti cava tutti i cattivi humori dal corpo ti alleggerisce la testa, leva la fumosità del cervello […]. Il male è poco, l’utile è molto »), La Fantesca, III, 12, p. 531.
48 Voir le prologue de La Cortigiana (1525) de l’Arétin qui se présente sous la forme d’un dialogue entre Prologue et Argument ainsi que l’article de B. Concolino Mancini Abram, « ‘Uno spettacolo fuor di commedia’ : Les prologues dialogués dans les comédies de l’Arétin, des Intronati et du Lasca », dans P. De Capitani, M. Douguet, M. Vuillermoz (dir.), Ouvertures du théâtre, le début de pièces (France, Italie, Espagne – XVIe-XVIIe siècles), Paris, Classiques Garnier, 2023, p. 335-346.
49 Voir par exemple L. G. Clubb, Giambattista Della Porta, p. 226-227.
50 « il dolore, vigilie, fatiche, disaggi, disperazioni e simili travagli », Giovan Battista Della Porta, La Furiosa, dans G. B. Della Porta, Teatro, éd. Raffaele Sirri, t. IV Commedie, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 2003, III, 3, p. 148.
51 La Furiosa, III, 3, p. 148.
52 « Or se costoro non vogliono mangiare, con dir che sieno morti, arò cura far vestir duo da morti, acconci in modo come uscissero dalla sepultura e, dicendo ch’ancor eglino son morti, mangiaranno in lor presenza, che verrà ancor voglia a lor di mangiare », III, 3, p. 149.
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Référence électronique
Patrizia De Capitani, « Scènes de médecine dans la comédie italienne et française avant Molière », Arrêt sur scène / Scene Focus [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 22 mars 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asf/6624 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asf.6624
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