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1. Un paysage médical en mutation

Dialogue croisé : Molière et la littérature médicale

Conçu par Béla Czuppon et Evelyne Berriot-Salvadore pour la compagnie Perles de verre/La baignoire, dirigée par Béla Czuppon
Evelyne Berriot-Salvadore et Béla Czuppon

Résumés

Cette lecture théâtrale a été conçue par Béla Czuppon et Evelyne Berriot-Salvadore pour la compagnie Perles de verre/La baignoire, dirigée par Béla Czuppon.

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Texte intégral

1Visionner la lecture promenade exploratoire : https://youtu.be/​GyvrJm6cIC8

2Interprété par Béla Czuppon, Julie Méjean, Cyril Amiot

*

3Béla

4Mes chères consœurs, mes chers confrères, chères auditrices, chers auditeurs, cher public,

5[...] Je vous donne ces Remarques, pour vous faire voir, quelle est la dignité des deux Escholes de Medecine les plus celebres, et vous montrer en mesme temps les avantages que la Faculté de Paris a sur celle de Montpelier, comme sur toutes les autres du monde. [...]

6La memoire du nom de Renaudot, et de ses temeraires desseins, nous sera à jamais odieuse ; il a voulu s’immortaliser en destruisant nostre Eschole, comme voulut faire autrefois cét Erostrate, en bruslant le Temple de Diane en Ephese. C’est certainement une grande temerité à un particulier, de choquer tout un corps, et un corps composé de tant de sçavans, estably depuis huict cens ans dans la Capitale du Royaume, et qui ne peut ce semble perir, qu’avec cette florissante Ville. Mais cette temerité ne doit pas demeurer impunie, et la playe que Renaudot a faite à notre Eschole saignant encore, il est bien raisonnable de la guerir, et de chastier celui qui l’a faite. Le libelle diffamatoire que l’Eschole de Montpelier a fait contre l’Eschole de Paris, se lit tous les jours ; ces nouveaux establissemens de pretendus Medecins de Montpelier, sous le nom de Conseillers et de Medecins du Roy, font tous les jours quelque blessure nouvelle à l’honneur de notre Faculté, et on ne peut ny parer ces coups, ni repousser ces injures, sans nommer le veritable Auteur de tous ces desordres [ : Renaudot !]

7[...]

8Autresfois nous traitions avec luy, et les autres Medecins de Montpelier, avec beaucoup de moderation, et de retenue ; nous les souffrions dans Paris sans les rechercher, nous avons laissé dormir long-temps nos Statuts et nos Privileges, de crainte de troubler la Paix, ou d’exciter du scandale ; mais voyant que Renaudot assembloit toutes les semaines dans son Bureau d’Adresse des Medecins, qui se disoient Medecins de Montpelier : voyant que ces assemblées grossissoient de jour à autre, et s’en alloient remplir cette ville de Medecins estrangers : qu’il se formoit une cabale contre la saine doctrine de notre Eschole, nous avons esté contraints de nous armer contre des nouveautez également préjudiciables à nostre honneur, et à la vie, et à la santé de nos Concitoiens. C’est une chose bien estrange, de voir de jeunes gens, ou plutost de jeunes Escholiers, qui se qualifient Docteurs Medecins en l’Université de Montpelier, s’eslever orgueilleusement contre la Faculté de Paris, et s’efforcer de renverser toutes les anciennes maximes de notre profession ; mais comme ces petits Docteurs se sont sentis trop foibles pour se maintenir, et que Renaudot estoit pour eux un appuy fort mal asseuré, ils ont imploré le secours, et mandié l’intervention de l’Escole de Montpelier ; cela pourtant ne leur a de rien servy, car par Arrest du premier jour de Mars 1644 defenses ont esté faites à ces nouveaux Docteurs, et aux Professeurs mesmes, residans en la ville de Montpelier, de faire des assemblées, n’y d’exercer la Medecine dans la ville de Paris. [...] Nous pensions voir bien tost cette grande Ville purgée de cette mauvaise semence, quand ils ont trouvé un expédient pour rendre inutile l’authorité des Arrests, et toute la prévoyance du Parlement. Cét expedient a esté d’obtenir des Lettres de Conseillers Medecins du Roy, pour s’establir dans Paris : Sous ce titre, ils se qualifient de Medecins, tantost Hermetiques, tantost Emetiques de l’Eschole de Montpelier : ils se vantent de sçavoir mille beaux secrets de Medecine, qu’ils vendent eux mesmes, et bien cherement aux malades, et en cette qualité chimerique de Conseiller et Medecins du Roy, ils ont trouvé un Chef qui les maintient, et qui les esleve infiniment au dessus des Medecins de Paris, qui ne sont que des ignorans, à leur dire, et qui traittent les malades à la vieille mode d’Hippocrate et de Galien. Ils disent que si ces grands Maistres de nostre art revenoient au monde, ils seroient ravis de voir leurs nouveaux remedes, condamneroient sans doute leur propre doctrine. 

9[Jean Riolan, Curieuses recherches sur les escholes en medecine de Paris et de Montpelier, necessaires d’estre sçeues pour la conservation de la vie. Par un ancien Docteur en Medecine de la Faculté de Paris, Paris, Gaspar Meturas, 1651, « Au lecteur sage et desinteressé ».]

*

10Cyril

  • 1 Simon Courtaud, doyen de la Faculté de médecine de Montpellier depuis 1637.
  • 2 Jean Riolan, Curieuses recherches, p. 13 : « Voilà les resveries, et folies d’un homme insensé, qui (...)

11Pour le moins, dites vous, si le Doyen1 [de la faculté de Montpellier] n’est menteur, c’est un chien tournebroche2 ; je suis de votre avis, Jean Riolan ; mais c’est un chien qui n’abaye jamais sans quelque sujet ; qui connoist son maistre et ses amis, qui distingue l’honneste du vilain, le civil du rustique, le discret de l’estourdy et le modeste du presomptueux, et le meurtrier d’avec le protecteur de la vie ; mais prenez garde que vous n’ayez éveillé le chien qui dormoit.

12Vous ne voulez pas qu’il soit un chien qui guette, mais un chien de cuisine. Je ne sçay que c’est, Messieurs de la Faculté ? on vous trouve toujours l’esprit dans la cuisine. Je doute si vous meditez quelque Codex culinarius, en suite de votre Codex Pharmaceutique ; je vous voy tousjours devant mes pas avec des termes de cuisine, et semble que vous soyez en alarme et en vouliez empoigner toutes les ustencilles pour vous defendre : si vous continuez il en sortira l’armée de Spartacus. Mais pourquoy tant de bonets et belles hermines parmy les sauces et bouillons ? Seroit ce point que vous travaillez à quelque grand appareil en faveur de cette belle compagnie de témoins que vous, Jean Riolan, avez apelez et invitez de toutes parts ? ou pour solemniser la dedicace de vostre Livre en l’Assemblée des Chirurgiens et Pharmaciens, des laquais, servantes, filles de chambre et de joye, en faveur desquels vous, Jean Riolan et votre Charitable avez tant travaillé. Il me semble que je voy le Doyen se riant doucement et se representant de vous voir tout en colere et fulminant, entrer dans la cuisine [...]. Le sieur Patin a bien meilleure grace, quand il parle avec la Comedie, que vous comme le Cuisinier ; aussi est-il d’une humeur plus agreable et plus ouverte que vous et moins rebarbative, et si vous l’eussiez bien consulté, il eust donné quelque coup de rabot et de polissure à vostre rudesse ; car il creve de plenitude de mots subtils et plaisans. [...]

13Concluons donc et disons, que le Doyen est un chien tournebroche ; mais qui la tourne contre la tripe de celui qui le pique. 

14[Seconde apologie de l’Université en Medecine de Montpellier, Répondant aux curieuses Recherches des Universitez de Paris et de Montpellier, faites par un vieil Docteur Medecin de Paris. Envoyée à Monsieur Riolan, Professeur Anatomique par un jeune Docteur en Medecine de Montpellier. Paris, Jean Piot, 1653, section xv, p. 21.]

*

15La pluspart de ceux qui se disent Medecins de Montpellier sont comme ces Avocats de robe courte, qui n’ont jamais mis le pied au Palais que pour y acheter des cravates.

16[Jean Bernier, Reflexions, pensées et bons mots, qui n’ont point encore esté donnés par le sieur Pepinocourt, Paris, Guillaume de Luyne et Laurens d’Houry, 1696, p. 65.]

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17Béla (Des Fonandrès), Julie (Filerin), Cyril (Tomès)

18MONSIEUR FILERIN : N’avez-vous point de honte, Messieurs, de montrer si peu de prudence, pour des gens de votre âge, et de vous être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez-vous pas bien quel tort ces sortes de querelles nous font parmi le monde ? et n’est-ce pas assez que les savants voient les contrariétés, et les dissensions qui sont entre nos Auteurs et nos anciens Maîtres, sans découvrir encore au peuple, par nos débats et nos querelles, la forfanterie de notre Art ? Pour moi, je ne comprends rien du tout à cette méchante Politique de quelques-uns de nos gens. Et il faut confesser, que toutes ces contestations nous ont décriés, depuis peu, d’une étrange manière, et que, si nous n’y prenons garde, nous allons nous ruiner nous-mêmes. Je n’en parle pas pour mon intérêt. Car, Dieu merci, j’ai déjà établi mes petites affaires. Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il grêle, ceux qui sont morts sont morts, et j’ai de quoi me passer des vivants. Mais enfin, toutes ces disputes ne valent rien pour la Médecine. Puisque le Ciel nous fait la grâce que depuis tant de siècles, on demeure infatué de nous : ne désabusons point les hommes avec nos cabales extravagantes, et profitons de leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine. C’est là que va l’étude de la plupart du monde, et chacun s’efforce de prendre les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à profiter de l’amour que les hommes ont pour les louanges, en leur donnant tout le vain encens qu’ils souhaitent : et c’est un art où l’on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les Alchimistes tâchent à profiter de la passion qu’on a pour les richesses, en promettant des montagnes d’or à ceux qui les écoutent. Et les diseurs d’Horoscope, par leurs Prédictions trompeuses profitent de la vanité et de l’ambition des crédules esprits : mais le plus grand faible des hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie, et nous en profitons nous autres, par notre pompeux galimatias ; et savons prendre nos avantages de cette vénération, que la peur de mourir, leur donne pour notre métier. Conservons-nous donc dans le degré d’estime où leur faiblesse nous a mis, et soyons de concert auprès des malades, pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et rejeter sur la Nature toutes les bévues de notre art. N’allons point, dis-je, détruire sottement les heureuses préventions d’une erreur qui donne du pain à tant de personnes.

19MONSIEUR TOMÈS : Vous avez raison en tout ce que vous dites ; mais ce sont chaleurs de sang, dont parfois on n’est pas le maitre.

20MONSIEUR FILERIN : Allons donc, Messieurs, mettez bas toute rancune, et faisons ici votre accommodement.

21MONSIEUR DES FONANDRÈS : J’y consens. Qu’il me passe mon émétique pour la malade dont il s’agit, et je lui passerai tout ce qu’il voudra pour le premier malade dont il sera question.

22MONSIEUR FILERIN : On ne peut pas mieux dire. Et voilà se mettre à la raison.

23MONSIEUR DES FONANDRÈS : Cela est fait.

24MONSIEUR FILERIN : Touchez donc là. Adieu. Une autre fois, montrez plus de prudence.

25[L’Amour médecin [1666], III, 1 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. I, p. 624-626.]

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26Béla (Argan), Cyril (Monsieur Diafoirus), Julie (Thomas Diafoirus)

27MONSIEUR DIAFOIRUS : Nous allons, Monsieur, prendre congé de vous. 

28ARGAN : Je vous prie, Monsieur, de me dire un peu comment je suis. 

29MONSIEUR DIAFOIRUS lui tâte le pouls : Allons, Thomas, prenez l’autre bras de Monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ? 

30THOMAS DIAFOIRUS : Dico, que le pouls de Monsieur est le pouls d’un homme qui ne se porte point bien. 

31MONSIEUR DIAFOIRUS : Bon. 

32THOMAS DIAFOIRUS : Qu’il est Duriuscule, pour ne pas dire dur.

33MONSIEUR DIAFOIRUS : Fort bien. 

34THOMAS DIAFOIRUS : Repoussant. 

35MONSIEUR DIAFOIRUS : Bene. 

36THOMAS DIAFOIRUS : Et même un peu caprisant.

37MONSIEUR DIAFOIRUS : Optime. 

38THOMAS DIAFOIRUS : Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c’est-à-dire la rate. 

39MONSIEUR DIAFOIRUS : Fort bien. 

40ARGAN : Non, Monsieur Purgon dit que c’est mon foie qui est malade. 

41MONSIEUR DIAFOIRUS : Eh oui, qui dit parenchyme, dit l’un et l’autre, à cause de l’étroite sympathie qu’ils ont ensemble, par le moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti.

42ARGAN : Non, rien que du bouilli. 

43MONSIEUR DIAFOIRUS : Eh oui, rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être en de meilleures mains. 

44ARGAN : Monsieur, combien est-ce qu’il faut mettre de grains de sel dans un œuf ? 

45MONSIEUR DIAFOIRUS : Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs. 

46ARGAN : Jusques au revoir, Monsieur. 

47[Le Malade imaginaire [1675], II, 6 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 685.]

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  • 3 Jean-André, docteur de l’Université de Montpellier, médecin de monsieur, Philippe d’Orléans.
  • 4 François, dit l’aîné, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, meneur parisien du parti a (...)
  • 5 Élie Béda, sieur des Fougerais, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris.

48On joue présentement à l’hôtel de Bourgogne L’Amour malade [c’est-à-dire L’amour médecin]. Tout Paris y va en foule pour voir représenter les médecins de la cour, et principalement Esprit3 et Guénault4, avec des masques faits tout exprès ; on y a ajouté des Fougerais5, etc. Ainsi on se moque de ceux qui tuent le monde impunément.

49[Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, éd. Loïc Capron, biusante.parisdescartes.fr/patin/, Lettre 836, « 25 septembre 1665 de Guy Patin à André Falconet ».]

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50Béla (Argan), Cyril (Béralde)

51BÉRALDE : Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos Apothicaires, et de vos Médecins, et que vous vouliez être malade en dépit des gens, et de la nature ?  

52ARGAN : Comment l’entendez-vous, mon Frère ? […] Que faire donc quand on est malade ? 

53BÉRALDE : Rien, mon Frère. 

54ARGAN : Rien ? 

55BÉRALDE : Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies. 

56ARGAN : Mais il faut demeurer d’accord, mon Frère, qu’on peut aider cette nature par de certaines choses. 

57BÉRALDE : Mon Dieu, mon Frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et de tout temps, il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu’elles nous flattent et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un Médecin vous parle d’aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions : lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles, et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années ; il vous dit justement le Roman de la Médecine. Mais quand vous en venez à la vérité, et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus. 

58ARGAN : C’est-à-dire, que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que tous les grands Médecins de notre siècle. 

59BÉRALDE : Dans les discours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands Médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes. 

60ARGAN : Hoy. Vous êtes un grand Docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un de ces Messieurs pour rembarrer vos raisonnements, et rabaisser votre caquet. 

61BÉRALDE : Moi, mon Frère, je ne prends point à tâche de combattre la Médecine, et chacun à ses périls, et fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes ; et pour vous divertir vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une des Comédies de Molière. 

62ARGAN : C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses Comédies, et je le trouve bien plaisant d’aller jouer d’honnêtes gens comme les Médecins. 

63BÉRALDE : Ce ne sont point les Médecins qu’il joue, mais le ridicule de la Médecine. 

64ARGAN : C’est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la Médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s’attaquer au Corps des Médecins, et d’aller mettre sur son Théâtre des personnes vénérables comme ces Messieurs-là. 

65BÉRALDE : Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses Professions des hommes ? On y met bien tous les jours les Princes et les Rois, qui sont d’aussi bonne maison que les Médecins. 

66ARGAN : Par la mort non de diable, si j’étais que des Médecins, je me vengerais de son impertinence, et quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement ; et je lui dirais, crève, crève, cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté.

67BÉRALDE : Vous voilà bien en colère contre lui. 

68ARGAN : Oui, c’est un malavisé, et si les Médecins sont sages, ils feront ce que je dis. 

69BÉRALDE : Il sera encore plus sage que vos Médecins, car il ne leur demandera point de secours. 

70ARGAN : Tant pis pour lui s'il n’a point recours aux remèdes. 

71BÉRALDE : Il a ses raisons pour n’en point vouloir, et il soutient que cela n’est permis qu’aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que pour lui il n’a justement de la force que pour porter son mal. 

72ARGAN : Les sottes raisons que voilà. Tenez, mon Frère, ne parlons point de cet homme-là davantage, car cela m’échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal. 

73[Le Malade imaginaire [1682], III, 3 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 724-728.]

*

74Julie

75Comme il y a trois sortes de libertins en matiere de Religion, il y a trois sortes d’esprits particuliers qui declament de vive voix, ou qui ont declamé par écrit contre la Medecine. Les premiers, gens fort ignorans, le font sans sçavoir pourquoy ny comment ; les autres moins ignorans, pour faire les beaux esprits ; les derniers, quoi-que gens d’esprit et même d’érudition, sont à peu prés à l’égard de la Medecine, comme ces visionnaires qui ne se trompent et qui n’errent que sur certains objets ; mais qui ne peuvent revenir de cette erreur par un malheureux effet de la prévention.

76Je remarque donc que les premiers de ces esprits particuliers et de ces ennemis de la Medecine, ne sont, de même que la plûpart de nos libertins de Religion, que des miserables qui veulent parler de toutes choses, seulement pour parler, ignorans, dont toute la raison est qu’ils ont le bon sens, quoi-qu’il n’y ait rien de si rare que ce bon sens, et qu’ils ne sçachent pas même ce que c’est ; la plûpart brutaux et sac-à-vins plongez dans une vilaine crapule, qui croient avoir dit des merveilles, quand ils ont fait rimer d’un air goguenard, vin à Medecin [...]. Ceux du second ordre ne sont pas si bêtes que les premiers, ce sont des tiercelets de sçavans, qui s’admirent eux-mêmes, et qui sçachant bien qu’on n’aime guere les remedes, croient faire leur cour à la compagnie, en attaquant quelque miserable Medecin qui se défend mal [...] ; mais quoi, en se déchainant ainsi, ils croyent s’être érigés en gens du bel air. [...]

77Quant aux derniers, j’avoue que ce sont souvent des gens d’esprit, de bonne foy, et mêmes commodes, pourvû qu’on ne les mette pas sur le sujet de leur aversion, étant si malheureusement prévenus à cét égard, qu’ils n’y tombent jamais sans errer. [...] Ils n’ouvrent jamais les yeux aux lumieres de la raison pour se défaire de leurs préjugez, soit que quelque mal-habile Medecin ou Chirurgien les ait maltraités, ou que les maximes de la Medecine ne s’accordent pas avec leurs passions et leurs mœurs.

  • 6 Jean Bernier : docteur de Montpellier (en 1648), favorable au vin émétique. Il publie des ouvrages (...)

78[Essais de medecine où il est traité de l’histoire de la medecine et des Medecins, Du devoir des Medecins à l’égard des malades, et de celui des malades à l’égard des Medecins. De l’utilité des remedes, et de l’abus qu’on en peut faire, par J.6 Conseiller et Medecin ordinaire de feue Madame, Duchesse Douairiere d’Orleans, Paris, Simon Langronnes, 1689, liv. I, chap. 5, « Des ennemis de la Medecine, et du jugement qu’on en doit faire », p. 201-202.]

*

79Béla (Dom Juan), Cyril (Sganarelle) et un smartphone

80SGANARELLE : Ma foi Monsieur, avouez que j’ai eu raison, et que nous voilà l’un et l’autre déguisés à merveille, votre premier dessein n’était point du tout à propos, et ceci nous cache bien mieux que tout ce que vous vouliez faire.

81DON JUAN : Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule.

82SGANARELLE : Oui, c’est l’habit d’un vieux Médecin qui a été laissé en gage au lieu où je l’ai pris et il m’en a coûté de l’argent pour l’avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre, et que l’on vient me consulter ainsi qu’un habile homme.

83DON JUAN : Comment donc ?

84SGANARELLE : Cinq ou six Paysans et Paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies.

85DON JUAN : Tu leur as répondu, que tu n’y entendais rien.

86SGANARELLE : Moi, point du tout, j’ai voulu soutenir l’honneur de mon habit, j’ai raisonné sur le mal, et leur ai fait ordonnance à chacun.

87DON JUAN : Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ?

88SGANARELLE : Ma foi, Monsieur, j’en ai pris par où j’en ai pu attraper, j’ai fait mes ordonnances à l’aventure, et ce serait une chose plaisante si ces malades guérissaient, et qu’on me vînt remercier.

89DON JUAN : Et pourquoi non, par quelle raison n’aurais-tu pas les mêmes privilèges qu’ont tous les autres Médecins ? Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace, ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard, et des forces de la nature.

90SGANARELLE : Comment Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ?

91DON JUAN : C’est une des grandes erreurs qui soit parmi les hommes.

92SGANARELLE : Quoi ! vous ne croyez pas au Séné, ni à la Casse, au Vin émétique ?

93DON JUAN : Et pourquoi veux-tu que j’y croie ?

94SGANARELLE : Vous avez l’âme bien méchante, cependant vous voyez depuis un temps que le Vin émétique fait bruire ses fuseaux, ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n’y a pas trois semaines que j’en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.

95DON JUAN : Et quel ?

96SGANARELLE : Il y avait un homme qui depuis six jours était à l’agonie. On ne savait plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisaient rien ; on s’avisa à la fin de lui donner de l’émétique.

97DON JUAN : Il réchappa ?

98SGANARELLE : Non, il mourut.

99DON JUAN : L’effet est admirable.

100SGANARELLE : Mais laissons là la Médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses ; car cet habit me donne de l’esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous ; vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les Remontrances.

101DON JUAN : Eh bien.

102SGANARELLE : Je veux savoir un peu vos pensées à fond ; est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ?

103DON JUAN : Laissons cela.

104SGANARELLE : C’est-à-dire que non ; et à l’enfer ?

105DON JUAN : Eh.

106SGANARELLE : Tout de même ; et au Diable, s’il vous plaît ?

107DON JUAN : Oui, oui.

108SGANARELLE : Aussi peu ; ne croyez-vous point l’autre vie ?

109DON JUAN : Ah, ah, ah.

110SGANARELLE : Voilà un homme que j’aurais bien de la peine à convertir ; et dites-moi un peu, le Moine bourru, qu’en croyez-vous ? eh ?

111DON JUAN : La peste soit du fat !

112SGANARELLE : Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n’y a rien de plus vrai que le Moine bourru ; et je me ferais pendre pour celui-là ; mais encore faut-il croire quelque chose dans le monde, qu’est-ce donc que vous croyez ? 

113DON JUAN : Ce que je crois.

114SGANARELLE : Oui.

115DON JUAN : Je crois que deux et deux font quatre, Sganarelle et que quatre et quatre font huit .

116SGANARELLE : Belle croyance, et les beaux articles de foi que voici ; votre religion à ce que je vois, est donc l’arithmétique ; il faut avouer qu'il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bien étudié on est bien moins sage le plus souvent ; pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne se saurait vanter de m’avoir jamais rien appris, mais avec mon petit sens et mon petit jugement je vois les choses mieux que tous vos livres, et je comprends fort bien que ce monde, que nous voyons, n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce Ciel que voilà là-haut, et si tout cela s’est bâti de lui-même ; vous voilà vous, par exemple, vous êtes là ; est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? pouvez-vous voir toutes ces inventions, dont la machine de l’homme est composée, sans admirer de quelle façon cela est agencé l’un dans l’autre ? ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces... ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui... ah Dame, interrompez-moi donc si vous voulez, je ne saurais disputer si l’on ne m’interrompt, vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice.

117DON JUAN : J’attends que ton raisonnement soit fini.

118SGANARELLE : Mon Raisonnement est qu’il y a quelque chose d’admirable dans l’homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient expliquer ; cela n’est-il pas merveilleux que me voilà ici ; et que j’aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu’elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au Ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner, il se laisse tomber en tournant.

119DON JUAN : Bon, voilà ton raisonnement qui a le nez cassé.

120SGANARELLE : Morbleu, je suis bien sot de raisonner avec vous, croyez ce que vous voudrez, il m’importe bien que vous soyez damné.

121DON JUAN : Mais tout en raisonnant, je crois que nous sommes égarés ;

122Béla s’en va chercher du réseau…

123[Le Festin de Pierre [1683], III, 1 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 873-876.]

*

124Béla (smartphone en main) :

125Les temps, disoit Tacite, sont rarement assez heureux, pour permettre à un chacun d’avoir les sentimens tels que bon luy semble, et dire hardiment ce qui lui vient en la Pensée : mais nous pouvons dire aujourd’huy, que nostre siecle est trop remply de ce bon heur puis qu’au grand detriment de la Republique il est permis à un chacun, sans que les loix y pourvoient, de produire et mettre au jour toutes les nouvelles opinions erronées et pernicieuses, que son caprice luy fournit, tant en matiere de Religion, que de Medecine : Aussi voyons-nous, que la veritable et primitive Religion de nos ancestres se destruit journellement, que l’Ancienne et veritable Medecine, confirmée par les experiences de tant de siecles, se corrompt et pervertit entierement, tant par l’introduction des nouveaux monstres d’opinion chymeriques, que par l’exhibition de mille sortes de medicamens venimeux, inventez pour tuer les hommes impunément. [...]

  • 7 Jean Pecquet (1622-1674) découvre, dans le sillage du De lactibus, sive lacteis venis (1627), la ci (...)

126Il ne se faut pas donc estonner, si la Medecine est devenue aujourd’huy si défaite et difforme par tant de fausses opinions qu’à peine luy est-il demeuré aucune marque de sa première splendeur. Pecquet7 a bien fait davantage, il a commencé à bouleverser la structure et composition du corps humain, par sa doctrine nouvelle et inouïe, qui renverse entierement la Medecine Ancienne et moderne, ou la nostre, tant en la Physiologie, qu’en la Pathologie, et Therapeutique. Car si le Foye, suivant son opinion, n’est plus au rang des parties principales, n’est plus le siege de la faculté naturelle, n’est plus celuy qui produit le sang dans nos corps ; mais seulement dedié à un emploi beaucoup plus vil et abject, à sçavoir à purger et separer l’excrement de la bile contenue dedans le sang de la veine Porte : il s’ensuivra, que les maladies que nous attribuons au Foye, à cause de son action blessée, à sçavoir lors que l’attraction ou retention du chyle est diminuée, ou abolie ; ou que la sanguification ne se fait pas, telles que sont la Diarrhée chyleuse, la Diarrhée hepatique, la cachexie, l’atrophie, l’hydropisie : il s’ensuivra, dis-je, que ces maladies ne dépendront plus du Foye, mais seulement de ces veines lactées nouvellement découvertes, ou bien du Cœur mesme, et des Poumons [...]. C’est pourquoi il faudra d’oresnavant trouver ou forger une nouvelle methode de guerir.

127[Jean Riolan, Manuel anatomique et pathologique, ou abrégé de toute l’anatomie, Lyon Antoine Laurens, 1672, p. 688-690 « Discours contre la nouvelle Doctrine des Veines Lactées, tiré de la Response faite par le sieur Riolan. »]

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128Cyril

129Ceux qui se sont heureusement défaits de la prévention qu’ils avoient pour les Anciens, et qui suivent les principes fondez sur l’experience et la raison, nous donnent des explications claires et mécaniques de tout ce qui a paru jusqu’icy de plus obscur et de plus caché dans l’Anatomie.

130Je dis heureusement, parce que les Anciens ignorant le cours du sang, et croyant que le foye l’envoyoit par les vénes à toutes les parties du corps pour leur nourriture ; il étoit impossible qu’ils ne fussent pas dans l’erreur, et que les consequences qu’ils tiroient, fussent justes, puisque le principe dont ils étoient si persuadez, n’est pas veritable, et qu’il se trouve au contraire détruit par un autre, qui est la Circulation du sang [...].

131Les Partisans des anciennes opinions alleguent contre les découvertes des Modernes, qu’il est inutile de sçavoir, si le chile est porté au foye par les vénes mesaraïques, ou au cœur par les vénes lactées et le canal thorachique, puisque cela ne change rien dans la pratique, et que les Medecins saignent et purgent comme auparavant ; mais quand il seroit vray que ces connoissances ne changeroient pas la cure de quelques maladies, il est toujours constant qu’elles nous empêchent de nous tromper sur beaucoup d’autres, et qu’elles font que nos raisonnemens sont plus justes, puisqu’ils sont appuyez sur des fondemens plus certains et plus solides que ceux des Anciens.

  • 8 Jean-Georges Virsungus ou Wirsungus, médecin allemand formé à Padoue, observe le canal pancréatique (...)
  • 9 Gaspard Asellius, professeur d’anatomie à Pavie, remarque les veines lactées dans le mésentère en 1 (...)

132Si l’Anatomie a beaucoup d’obligation à Harvée qui a découvert la Circulation ; à Virsungus8 qui a trouvé le canal Pancreatique ; à Asellius9 qui a fait voir les veines lactées ; à Pecquet qui le premier a démontré le canal thorachique, et à plusieurs Modernes qui y ont travaillé avec succès ; elle n’en a pas moins à Monsieur Daquin premier Medecin du Roy, par le rétablissement qu’il fit des Démonstrations publiques au Jardin Royal, où il a voulu que l’Anatomie fut démontrée suivant la Circulation du sang, et les dernières découvertes.

133Ce fut en l’année 1672 que le Roy choisit Monsieur Daquin pour son premier Medecin, et dés cette même année les exercices du Jardin Royal, qui regardent l’Anatomie, ayant été interrompus pendant plusieurs années, recommencerent [...].

134Cet établissement, quoy que des plus utiles pour le public, ne laissa pas de trouver des oppositions qui furent formées de la part de ceux qui prétendoient qu’il n’appartenoit qu’à eux seuls d’enseigner et de démontrer l’Anatomie : Mais le Roy par une Declaration particuliere qu’il fit verifier et enregistrer en Parlement, Sa Majesté presente, dans le mois de Mars de l’année 1673, ordonna que les Demonstrations de l’Anatomie et des Operations de Chirurgie se feroient au Jardin Royal à portes ouvertes, et gratuitement, dans un Amphitheatre qu’elle y avoit fait construire à cet effet, et que les sujets qui seroient nécessaires pour faire ces Démonstrations, seroient délivrez à ses Professeurs par préference à tous autres. [...]

135Le nombre des spectateurs, qui montoit toûjours à quatre ou cinq cens personnes, étoit une preuve qu’elles ne déplaisoient pas, et qu’elles se faisoient avec utilité pour le public.

136[Pierre Dionis, L’anatomie de l’homme suivant la circulation du sang, et les dernières découvertes, démontrées au jardin royal, Paris, Laurent d’Houry, 1690, Préface.]

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137Julie (Sabine), Béla (Gorgibus), Cyril (Sganarelle)

138SABINE : Je vous trouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle, je vous amène le plus habile Médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute guérira ma cousine, on me l’a indiqué par bonheur, et je vous l’amène, il est si savant, que je voudrais de bon cœur être malade, afin qu’il me guérît.

139GORGIBUS : Où est-il donc ?

140SABINE : Le voilà qui me suit ; tenez, le voilà.

141GORGIBUS : Très humble serviteur à Monsieur le médecin ! Je vous envoie quérir pour voir ma fille qui est malade, je mets toute mon espérance en vous.

142SGANARELLE : Hippocrate dit et Galien par vives raisons persuade qu’une personne ne se porte pas bien quand elle est malade, vous avez raison de mettre votre Espérance en moi, car je suis le plus grand, le plus habile, le plus docte Médecin qui soit dans la faculté végétable, sensitive et minérale.

143GORGIBUS : J’en suis fort ravi.

144SGANARELLE : Ne vous imaginez pas que je sois un Médecin ordinaire, un Médecin du commun, tous les autres Médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de Médecine, j’ai des talents particuliers, j’ai des secrets. Salamalec, Salamalec, Rodrigue, as-tu du cœur ? Signor, si Segnor, non, per omnia saecula saeculorum, mais encore voyons un peu.

145SABINE : Eh ce n’est pas lui qui est malade, c’est sa fille.

146SGANARELLE : Il n’importe, le Sang du père et de la fille ne sont qu’une même chose, et par l’altération de celui du père, je puis connaître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y aurait-il moyen de voir de l’urine de l’Égrotante ?

147GORGIBUS : Oui-da ; Sabine, vite allez quérir de l’urine de ma fille. Monsieur le Médecin, j’ai grand-peur qu’elle ne meure.

148SGANARELLE : Ah qu’elle s’en garde bien, il ne faut pas qu’elle s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance du Médecin. Voilà de l’urine qui marque grande chaleur, grande Inflammation dans les Intestins, elle n’est pas tant mauvaise pourtant.

149GORGIBUS : Eh quoi Monsieur, vous l’avalez.

150SGANARELLE : Ne vous étonnez pas de cela, les médecins d’ordinaire, se contentent de la regarder, mais moi qui suis un Médecin hors du commun je l’avale, parce qu’avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie, mais à vous dire la vérité il y en avait trop peu pour asseoir un bon Jugement : qu’on la fasse encore pisser.

151SABINE : J’ai bien eu de la peine à la faire pisser.

152SGANARELLE : Que cela, voilà bien de quoi, faites-la pisser copieusement, copieusement. Si tous les malades pissent de la sorte, je veux être médecin toute ma vie.

153SABINE : Voilà tout ce qu’on peut avoir, elle ne peut pas pisser davantage.

154SGANARELLE : Quoi, Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes, voilà une pauvre pisseuse que votre fille, je vois bien qu’il faudra que je lui ordonne une potion pissative. N’y aurait-il pas moyen de voir la malade ?

155SABINE : Elle est levée, si vous voulez, je la ferai venir.

156SGANARELLE : Eh bien Mademoiselle vous êtes malade.

157LUCILE : Oui, Monsieur.

158SGANARELLE : Tant pis, c’est une marque que vous ne vous portez pas bien. Sentez-vous de grandes douleurs à la tête, aux reins ?

159LUCILE : Oui, Monsieur.

160SGANARELLE : C’est fort bien fait. Ovide, ce grand médecin, au chapitre qu’il a fait de la nature des animaux dit... cent belles choses, et comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport, car par exemple comme la mélancolie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et qu’il n’est rien plus contraire à la Santé que la maladie, nous pouvons dire avec ce grand homme que votre fille est fort malade, il faut que je vous fasse une ordonnance.

161GORGIBUS : Vite une table, du papier, de l’encre.

162SGANARELLE : Y a-t-il ici quelqu’un qui sache écrire ?

163GORGIBUS : Est-ce que vous ne le savez point ?

164SGANARELLE : Ha je ne m’en souvenais pas, j’ai tant d’affaires dans la tête, que j’oublie la moitié, je crois qu’il serait nécessaire que votre fille prît un peu l’air, qu’elle se divertît à la campagne.

165GORGIBUS : Nous avons un fort beau Jardin, et quelques chambres qui y répondent. Si vous le trouvez à propos, je l’y ferai loger.

166SGANARELLE : Allons ; allons visiter les Lieux.

  • 10 Sur la datation de cette pièce et l’histoire de son texte, voir l’article de Bénédicte Louvat dans (...)

167[Le Médecin volant10, sc. 4-5 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 1093-1095]

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168Béla

169De Bussy-Rabutin à Madame de Sévigné :

170J’ai appris que vous aviez été fort malade ma chère cousine cela m’a mis en peine pour l’avenir et m’a obligé de consulter votre mal à un habile médecin de ce pays-ci. Il m’a dit que les femmes d’un bon tempérament comme vous, demeurées veuves de bonne heure et qui s’étaient un peu contraintes, étaient sujettes à des vapeurs. Cela m’a remis de l’appréhension que j’avais d’un plus grand mal car enfin, le remède étant entre vos mains, je ne pense pas que vous haïssiez assez la vie pour n’en pas user ni que vous eussiez plus de peine à prendre un galant que du vin émétique. Vous devriez suivre mon conseil ma chère cousine, d’autant plus qu’il ne saurait vous paraître intéressé, car si vous aviez besoin de vous mettre dans les remèdes, étant, comme je suis, à cent lieues de vous, vraisemblablement ce ne serait pas moi qui vous en servirais. Raillerie à part, ma chère cousine, ayez soin de vous. Faites-vous tirer du sang plus souvent que vous ne faites ; de quelque manière que ce soit, il n’importe, pourvu que vous viviez. Vous savez bien que j’ai dit que vous étiez de ces gens qui ne devaient jamais mourir, comme il y en a qui ne devaient jamais naître. Faites votre devoir là-dessus. Vous ne sauriez faire un plus grand plaisir à madame de Grignan et à moi.

171A Chaseu ce 16 août 1674

172[Madame de Sévigné, Correspondance I, éd. Roger Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1972, p. 696.]

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173Julie

174Notez que l’Art de purger les malades est la partie la plus lucrative de toute la Medecine, et celle à laquelle on a plus de confiance ; c’est pourquoy il ne se faut pas estonner si les Medecins la défendent avec tant d’interest, et c’est aussi la raison pour laquelle tous ces Charlatans trouvent si bien le moyen de tirer l’argent de la bource des Peuples, avec tous leurs emetiques en bols, ou potions, ou tasse d’antimoine, qui n’est que l’arsenic reduit en verre par fusion avec l’antimoine et le fer, où les esprits arcenicaux du salpestre y sont si subtils, que la seule vapeur qu’en reçoit le vin ou autre liqueur qui a sejourné dedans, fait un bouleversement horrible dans les corps de ceux qui prennent de ces poisons ; et encore le Medecins le nomment l’Antidote Royal : Bon Dieu que les Roys sont mal-heureux ! [...] 

  • 11 Jean Michault (1632-1694), maître chirurgien juré de Paris– ouvrage saisi le 8 novembre, Michault e (...)

175[Jean Michault11, Le barbier medecin ou les fleurs d’Hypocrate. Dans lequel la Chirurgie a repris la queue du Serpent, Paris, Jean Guignard, 1672, Au lecteur.]

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176Pendant qu’Argan passe, les commentaires commencent en tuilant…

177Cyril

178Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. Plus, du vingt-quatrième, un petit Clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur, trente sols. Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant mon Apothicaire, c’est que ses Parties sont toujours fort civiles. Les entrailles de Monsieur, trente sols ! Oui : mais Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un Lavement ? Je suis votre Serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres Parties qu’à vingt sols ; et vingt sols en langage d’Apothicaire, c'est-à-dire dix sols. Les voilà. Plus, dudit jour, un bon Clystère détersif, composé avec Catholicon double, Rhubarbe, Miel rosat et autres, suivant l’Ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols. Avec votre permission, dix sols. Plus dudit jour, le soir, un Julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq sols. Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols six deniers. Plus, du vingt-cinquième, une bonne Médecine purgative et corroborative, composée de Casse récente avec Séné Levantin et autres, suivant l’Ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer, il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre livres. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. Bon. Dix, et quinze sols. Plus, du vingt-sixième, un Clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. Dix sols, Monsieur Fleurant. Plus le Clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. Monsieur Fleurant, dix sols. Plus, du vingt-septième, une bonne Médecine composée pour hâter d’aller et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. Bon. Vingt, et trente sols. Je suis bien aise que vous soyez raisonnable. Plus, du vingt-huitième, une prise de petit-Lait clarifié et dulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. Bon. Dix sols. Plus une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de Bézoard, sirops de Limon et Grenade et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. Ah, Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade. Contentez-vous de quatre sols. Vingt et quarante sols. Trois, et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Soixante et trois livres quarante sols six deniers. Si bien donc que de ce mois j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit Médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze Lavements ; et l’autre mois il y avait douze Médecines et vingt Lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à Monsieur Purgon, afin qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. Il n’y a personne. J’ai beau dire, on me laisse toujours seul. Il n’y a pas moyen de les arrêter ici. […] Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds. Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais point. Chienne, Coquine, drelin, drelin, drelin. J’enrage. […] Drelin, drelin, drelin. Carogne à tous les diables. Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade tout seul ? Drelin, drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable. Drelin, drelin, drelin. Ah, mon Dieu, ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin, drelin. 

179[Le Malade imaginaire [1675], I, 1 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 641-643]

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180Julie

181[...] Ce n’est pas sans raison, si j’ay dit ci-dessus que la saignée et la purgation estoient deux remedes sur lesquels la Police devroit bien avoir égard ; car de mes oreilles j’ay ouy plusieurs fois de la bouche des plus fameux Medecins de Paris, qu’il ne dépendoit que d’eux de ruiner les Chirurgiens et les Apothicaires quand il leur plairoit ; parce que lors qu’un Chirurgien leur estoit suspect dans une maison, et qu’ils ne le pouvoient pas faire chasser quand il leur plairoit, à cause de la confiance qu’on avoit pour lui, qu’au lieu de six saignées, ils ne luy en faisoient faire qu’une ou deux, et en la place ils faisoient d’autres remedes qu’ils composoient eux mesmes, ou faisoient composer par les Gardes dans les maisons, et par ce moyen ils se rendoient necessaires et destruisoient les Chirurgiens et Apotiquaires : mais qu’au contraire, lors qu’ils avoient aprés eux un Barbier leur Compere, et un Apotiquaire qui leur accolât la botte, ils faisoient faire dix saignées pour une, et quantité de remedes à l’Apotiquaire. [...]

182Mais en ma conscience, si j’estois capable de quelque bien pour l’utilité publique, je rendrois tous ces Sectateurs bien forts, en sorte que doresnavant lors qu’ils iroient dans une maison de qualité pour en écumer la marmite, la servante de cuisine leur diroit, Messieurs, ce n’est plus le temps : j’ay veu autrefois qu’il y avoit ceans trois Medecins, et autant de Chirurgiens ; sçavoir, l’un pour Monsieur, l’autre pour Madame, et l’autre pour le commun, avec autant d’Apotiquaires, qui tous les mois apportoient leurs parties, où il y avoit mille recipé de qui pro quo, avec un nombre de mots inconnus où l’on entendoit rien, et dont ils remportoient de la maison de grandes sommes d’argent : mais aujourd’huy il n’y a plus qu’un homme qui luy seul fait tout ce que ces autres là faisoient ensemble [...]. C’est pourquoy, Messieurs, pour le present l’on n’a pas besoin de vous. 

183[Jean Michault, Le barbier medecin ou les fleurs d’Hypocrate. Dans lequel la Chirurgie a repris la queue du Serpent, Paris, Jean Guignard, 1672, p. 308-311.]

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184Julie (l’apothicaire), Cyril (Éraste)

185ÉRASTE : Je crois, Monsieur, que vous êtes le Médecin à qui l’on est venu parler de ma part.

186L'APOTHICAIRE : Non, Monsieur, ce n’est pas moi qui suis le Médecin ; à moi n’appartient pas cet honneur, et je ne suis qu’Apothicaire, Apothicaire indigne, pour vous servir.

187ÉRASTE : Et Monsieur le Médecin est-il à la maison ?

188L'APOTHICAIRE : Oui, il est là embarrassé à expédier quelques Malades, et je vais lui dire que vous êtes ici.

189ÉRASTE : Non, ne bougez, j’attendrai qu’il ait fait ; c’est pour lui mettre entre les mains certain Parent que nous avons, dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie, que nous serions bien aises qu'il pût guérir avant que de le marier.

190L’APOTHICAIRE : Je sais ce que c’est, je sais ce que c’est, et j’étais avec lui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi, vous ne pouviez pas vous adresser à un Médecin plus habile ; c’est un Homme qui sait la Médecine à fond, comme je sais ma Croix-de-Pardieu ; et qui, quand on devrait crever, ne démordrait pas d’un iota des règles des Anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va point chercher midi à quatorze heures ; et pour tout l’or du monde, il ne voudrait pas avoir guéri une Personne avec d’autres remèdes que ceux que la Faculté permet.

191ÉRASTE : Il fait fort bien ; un Malade ne doit point vouloir guérir, que la Faculté n’y consente.

192L’APOTHICAIRE : Ce n’est pas parce que nous sommes grands Amis, que j’en parle ; mais il y a plaisir, il y a plaisir d’être son Malade ; et j’aimerais mieux mourir de ses remèdes, que de guérir de ceux d’un autre : car quoi qui puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l’ordre ; et quand on meurt sous sa conduite, vos Héritiers n’ont rien à vous reprocher.

193ÉRASTE : C’est une grande consolation pour un Défunt.

194L’APOTHICAIRE : Assurément ; on est bien aise au moins d’être mort méthodiquement. Au reste, il n’est pas de ces Médecins qui marchandent les maladies ; c’est un Homme expéditif, expéditif, qui aime à dépêcher ses Malades ; et quand on a à mourir, cela se fait avec lui le plus vite du monde.

195ÉRASTE : En effet, il n’est rien tel que de sortir promptement d’affaire.

196L'APOTHICAIRE : Cela est vrai, à quoi bon tant barguigner et tant tourner autour du pot ? il faut savoir vitement le court ou le long d’une maladie.

197ÉRASTE : Vous avez raison.

198L’APOTHICAIRE : Voilà déjà trois de mes Enfants dont il m’a fait l'honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours, et qui entre les mains d’un autre, auraient langui plus de trois mois.

199ÉRASTE : Il est bon d’avoir des Amis comme cela.

200L’APOTHICAIRE : Sans doute. Il ne me reste plus que deux Enfants dont il prend soin comme des siens ; il les traite et gouverne à sa fantaisie, sans que je me mêle de rien ; et le plus souvent, quand je reviens de la Ville, je suis tout étonné que je les trouve saignés ou purgés par son ordre.

201ÉRASTE : Voilà des soins fort obligeants.

202L’APOTHICAIRE : Le voici, le voici, le voici qui vient.

203[Monsieur de Pourceaugnac [1670], I, 5 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 213-214.]

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204Béla (Monsieur Purgon) , Cyril (Argan), Julie (Toinette)

205MONSIEUR PURGON : Je viens d’apprendre là-bas à la porte de jolies nouvelles. Qu’on se moque ici de mes ordonnances, et qu’on a fait refus de prendre le remède que j’avais prescrit.

206ARGAN : Monsieur, ce n’est pas...

207MONSIEUR PURGON : Voilà une hardiesse bien grande, une étrange rébellion d’un malade contre son Médecin.

208TOINETTE : Cela est épouvantable.

209MONSIEUR PURGON : Un clystère que j'avais pris plaisir à composer moi-même.

210ARGAN : Ce n’est pas moi...

211MONSIEUR PURGON : Inventé, et formé dans toutes les règles de l’Art.

212TOINETTE : Il a tort.

213MONSIEUR PURGON : Et qui devait faire dans des entrailles un effet merveilleux.

214ARGAN : Mon Frère ?

215MONSIEUR PURGON : Le renvoyer avec mépris !

216ARGAN : C’est lui...

217MONSIEUR PURGON : C’est une action exorbitante.

218TOINETTE : Cela est vrai.

219MONSIEUR PURGON : Un attentat énorme contre la Médecine.

220ARGAN : Il est cause...

221MONSIEUR PURGON : Un crime de lèse-Faculté, qui ne se peut assez punir.

222TOINETTE : Vous avez raison.

223MONSIEUR PURGON : Je vous déclare que je romps commerce avec vous.

224ARGAN : C'est mon Frère...

225MONSIEUR PURGON : Que je ne veux plus d’alliance avec vous.

226TOINETTE : Vous ferez bien.

227MONSIEUR PURGON : Et que pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisais à mon Neveu en faveur du Mariage.

228ARGAN : C’est mon Frère qui a fait tout le mal.

229MONSIEUR PURGON : Mépriser mon clystère ?

230ARGAN : Faites-le venir, je m’en vais le prendre.

231MONSIEUR PURGON : Je vous aurais tiré d’affaire avant qu’il fût peu.

232TOINETTE : Il ne le mérite pas.

233MONSIEUR PURGON : J’allais nettoyer votre corps, et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs.

234ARGAN : Ah mon Frère !

235MONSIEUR PURGON : Et je ne voulais plus qu'une douzaine de médecines, pour vider le fond du sac.

236TOINETTE : Il est indigne de vos soins.

237MONSIEUR PURGON : Mais puisque vous n’avez pas voulu guérir par mes mains.

238ARGAN : Ce n’est pas ma faute.

239MONSIEUR PURGON : Puisque vous vous êtes soustrait de l’obéissance que l’on doit à son Médecin.

240TOINETTE : Cela crie vengeance.

241MONSIEUR PURGON : Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais.

242ARGAN : Hé point du tout.

243MONSIEUR PURGON : J’ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l’intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l’âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs.

244TOINETTE : C’est fort bien fait.

245ARGAN : Mon Dieu !

246MONSIEUR PURGON : Et je veux qu’avant qu’il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable.

247ARGAN : Ah ! miséricorde.

248MONSIEUR PURGON : Que vous tombiez dans la Bradypepsie.

249ARGAN : Monsieur Purgon.

250MONSIEUR PURGON : De la Bradypepsie dans la Dyspepsie.

251ARGAN : Monsieur Purgon.

252MONSIEUR PURGON : De la Dyspepsie, dans l’Apepsie.

253ARGAN : Monsieur Purgon.

254MONSIEUR PURGON : De l’Apepsie, dans la Lienterie.

255ARGAN : Monsieur Purgon.

256MONSIEUR PURGON : De la Lienterie, dans la Dysenterie.

257ARGAN : Monsieur Purgon.

258MONSIEUR PURGON : De la Dysenterie, dans l’Hydropisie.

259ARGAN : Monsieur Purgon.

260MONSIEUR PURGON : Et de l’Hydropisie dans la privation de la vie, où vous aura conduit votre folie.

  • 12 Sur l’histoire des éditions du Malade imaginaire, voir l’article de Georges Forestier dans le prése (...)

261[Le Malade imaginaire [168212], III, 5 ; dans Molière, Œuvres complètes, dir. Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, t. II, p. 729-731.]

*

262Cyril

263MOLIERE etses Partisans pourroient être mis au nombre des ennemis déclarés de la Medecine, si Quintilien n’avoit remarqué, qu’encore que les Comedies soient bien reçues du public à cause de la grace que les Acteurs leurs donnent, elles ne trouvent aucune place dans les Bibliotheques ; et si ce Comedien n’avait luy-même retracté, ou si l’on veut interpreté en faveur de la Medecine tout ce qu’il avoit écrit de plus outré contre cette Profession. Mais pour ne laisser aucun doute sur cét article, il faut apprendre au peuple, aux demi sçavans, et aux adorateurs de la Comedie, que Moliere n’a fait monter la Medecine en spectacle de raillerie sur le Theâtre que par interest, et pour se vanger contre une famille de Medecins, sans se mettre fort en peine des regles du Théâtre, et particulierement de celle de la vrai-semblance : car de toutes les pieces dont ce Comedien a outré les caracteres, ce qui luy est souvent arrivé, et qu’on ne voit guere dans l’ancienne Comedie, celles où il joue les Medecins sont incomparablement plus outrées que toutes les autres ; mais comme il faut être maître pour s’en appercevoir, ceux qui cherchent à rire ne pensent qu’à rire, sans se mettre en peine s’ils rient à propos. [...]

264Quoi-qu’il en soit, si Moliere se moque avec succès de quelques Medecins, je ne crois pas pour cela qu’il ait ruiné le métier : car s’il arrive qu’un tombe malade au sortir de ses representations, on ne laisse pas d’avoir recours à des ignorans et même à des empiriques, pires que toutes les Satyres et tous les Theâtres. Après tout, il n’y eut pas trop à rire pour Moliere : car, loin de se moquer de la Medecine, s’il eût suivi ses préceptes, s’il eût moins échaufé son imagination et sa petite poitrine, et s’il eût observé cét avis d’un meilleur Medecin, quoique bien moins bon Poëte que luy,

Et l’on en peut guerir pourveu que l’on s’abstienne
Un peu de Comedie et de Comedienne,
Et que choyant un peu ses poûmons échaufés.

265s’il eût dis-je suivi cét avis, et qu’il eût bien ménagé l’Auteur et l’Acteur, ceux dont il prétendoit se railler n’auroient pas eu leur revanche et leur tour, outre que c’est une grande temerité à un mortel de se moquer de la maladie et de la mort, et particulièrement à un Chrétien qui n’y doit penser qu’en tremblant. Quant aux pauvres malades qu’il prend tant de plaisir à railler, comme les visionnaires mêmes sont en cela fort à pleindre, il me semble qu’il les devoit laisser là, s’il n’en vouloit avoir compassion.

266Aussi que luy arriva-t-il d’avoir voulu jouer les miserables, il fut luy-même joué en diverses langues, et puni selon son merite, d’avoir fait sottement le mort :

[...]
Ci gist un qu’on dit être mort,
Je ne sçay s’il l’est ou s’il dort,
Sa maladie imaginaire
Ne sçauroit l’avoir fait perir :
C’est un tour qu’il joue à plaisir,
Car il aimoit à contrefaire ;
Comme il étoit grand Comedien
Pour un malade imaginaire
S’il fait le mort il le fait bien.

267[Jean Bernier, Essais de médecine où il est traité de l’histoire de la médecine et des médecins, Paris, 1689, liv. I, chap. 5 « Des ennemis de la Médecine, et du jugement qu’on en doit faire », p. 215-217.]

*

268Ordonnance ou cocktail ? : Devant la fontaine. TOUS.

269La femme de Jean Daumont, Tailleur de pierre de Montpellier, âgée de trente ans, malade d’une colique bilieuse depuis huit mois, pendant lesquels elle prit plusieurs remedes ordonnez en vain par deux Medecins. Enfin prenant mon conseil elle fut guerie dans l’espace de cinq jours par les trois remèdes suivans.

Prenez de la decoction commune de clystere une livre,
de la casse nouvellement extraite une once,
d’hiere picre demi once,
du miel violat une once et demi,
du beurre frais deux onces,
du sel demi drachme.
Mélez le tout et faites un clystere qui sera reçu à une heure commode.

Prenez du polypode de chéne et de semence de carthame de châcun une once et demi, d’épithyme, des pointes de thym sechez, de chacun une pincée,
de semence d’anis, de fenouil, de carvi et chardon benit, de chacun deux drachmes,
de sené mondé une once et demi,
du turbith gommeux demi once,
de canelle une drachme et demi,
du cristal de tartre deux onces,
du sel gemme demi once.
Le tout sera grossierement pilé, et d’où l’on remplira le ventre d’un vieux coq en ayant tiré les entrailles ;
faites ensuite cuire le tout dans trois parties d’eau, et une de vin blanc jusques à ce que la chair du coq se separe des os.
Et que tous les matins elle prenne six onces de cette décoction continuant pendant sept ou huit jours, s’il en est besoin.

Prenez de la conserve de feuilles d’absinthe et des capillaires, de chacune demi once ;
d’écorce de citron confite au sucre, six drachmes,
des mirobolans confits, un en nombre,
de confection alkermes, quatre drachmes ;
du safran de mars aperitif deux drachmes,
de la poudre de l’electuaire diarhodon abbatis, une drachme et demi,
de spica-nard une drachme.
Faites en une opiate avec le syrop de l’écorce de citron, de laquelle il en faut prendre une drachme et demy tous les jours deux heures avant le soupé, beuvant par dessus un peu de vin temperé avec beaucoup de l’eau de cicorée.

Prenez de la racine d’aron preparée ainsi que l’enseigne la Pharmacopée de Quercetan, demi once ;
de la racine d’acorus vulgaire et de pimpinelle, de chacun deux drachmes ;
de canelle deux scrupules, du sel d’absinthe demi drachme,
du sucre rosat au poids de tous les autres,
faites en une poudre de laquelle vous en prendrez deux drachmes tous les jours trois heures apres le soupé, beuvant par dessus un peu du vin mêlé avec beaucoup de l’eau de cicoré, comme il a été dit.

270Ayant usé de ces remedes pendant quatre jours, et étant tourmentée de la douleur de colique comme auparavant, qui avoit accoutumé de retourner tous les jours une fois ou deux avec de cruelles douleurs qui continuoient deux ou trois heures ; Le cinquiéme jour environ le midy lors que le bouillon purgatif faisoit son operation, elle souffrit une si cruele douleur du ventre qu’il sembloit tout à fait intolerable, et elle assuroit qu’elle n’avoit jamais tant soufert, qui pourtant cessa entierement dans l’espace d’une heure et ne retourna jamais plus. Et par ce moyen la malade fut entierement délivrée de cette cruele maladie.

271[Les Observations de Medecine de Lazare Rivière, Conseiller et Medecin du Roy et Doyen des Medecins en l’Université de Montpellier, Lyon, Jean Certe, 1688. p. 5-7 Observation III. Une colique bilieuse.]

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Notes

1 Simon Courtaud, doyen de la Faculté de médecine de Montpellier depuis 1637.

2 Jean Riolan, Curieuses recherches, p. 13 : « Voilà les resveries, et folies d’un homme insensé, qui mérite plutôt d’estre estrillé en chien Courtaut, tourne-broche d’une cuisine, que d’estre admonesté de sa folie [...] ».

3 Jean-André, docteur de l’Université de Montpellier, médecin de monsieur, Philippe d’Orléans.

4 François, dit l’aîné, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, meneur parisien du parti antimonial.

5 Élie Béda, sieur des Fougerais, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris.

6 Jean Bernier : docteur de Montpellier (en 1648), favorable au vin émétique. Il publie des ouvrages satiriques sous le nom de Pepinocourt.

7 Jean Pecquet (1622-1674) découvre, dans le sillage du De lactibus, sive lacteis venis (1627), la circulation lymphatique ou petite circulation : Dissertatio anatomica de circulatione sanguis et chyli motu, 1651.

8 Jean-Georges Virsungus ou Wirsungus, médecin allemand formé à Padoue, observe le canal pancréatique en 1642.

9 Gaspard Asellius, professeur d’anatomie à Pavie, remarque les veines lactées dans le mésentère en 1622.

10 Sur la datation de cette pièce et l’histoire de son texte, voir l’article de Bénédicte Louvat dans le présent numéro.

11 Jean Michault (1632-1694), maître chirurgien juré de Paris– ouvrage saisi le 8 novembre, Michault est condamné à 100 livres d’amende et interdit du conseil des chirurgiens.

12 Sur l’histoire des éditions du Malade imaginaire, voir l’article de Georges Forestier dans le présent numéro.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Evelyne Berriot-Salvadore et Béla Czuppon, « Dialogue croisé : Molière et la littérature médicale »Arrêt sur scène / Scene Focus [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 22 mars 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asf/6237 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asf.6237

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Auteurs

Evelyne Berriot-Salvadore

Evelyne Berriot-Salvadore est professeure émérite de littérature française du XVIe siècle à l’Université Paul-Valéry Montpellier, membre de l’Institut de Recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL-UMR 5186). Après plusieurs ouvrages sur les femmes dans la société française de la Renaissance, parmi lesquels Un corps, un destin. La femme dans la médecine de la Renaissance (H. Champion, 1993 ; Classiques Garnier, 2022), elle a publié diverses études sur la littérature médicale en langue française, et a dirigé l’édition des Œuvres d’Ambroise Paré (4 vol. Classiques Garnier, 2019).
Evelyne Berriot-Salvadore is Professor Emerita of sixteenth-century French literature at the Université Paul-Valéry Montpellier 3, and a member of the Institute for Research on the Renaissance, the Neo-classical Age, and the Enlightenment (IRCL-UMR 5186). Following several books on women in French Renaissance society, including Un corps, un destin. La femme dans la médecine de la Renaissance (Honoré Champion, 1993 ; Classiques Garnier, 2022), she has published various studies on French medical literature, and edited the Œuvres d'Ambroise Paré (4 vols. Classiques Garnier, 2019).

Articles du même auteur

Béla Czuppon

Formé à l’INSAS, au Conservatoire de Bruxelles et à Mudra, école de danse de Maurice Béjart, Béla Czuppon est directeur artistique de la Compagnie Les Perles de Verre et anime « La baignoire », lieu des écritures contemporaines de Montpellier (www.labaignoire.fr). Il est titulaire d’un Master 2 en Arts du spectacle, spécialité Théâtre et spectacle vivant (Université Paul-Valéry Montpellier 3) et d’un diplôme d’État de professeur de théâtre (ERACM). Il a joué dans de nombreux spectacles en Belgique et en France, mis en scène diverses pièces et opéras, et dirigé des acteurs en situation de handicap au sein de L’Autre-Théâtre (2013-2018).À la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, il intègre le groupe des acteurs-lecteurs du Centre National des Écritures de la Scène (CNES).
Trained at INSAS, the Brussels Conservatory and Mudra, Maurice Béjart's dance school, Béla Czuppon is Artistic Director of Compagnie Les Perles de Verre and runs ‘La baignoire’, a studio for contemporary playwriting in Montpellier (www.labaignoire.fr). He holds an MPhil in Performing Arts (theatre and live performance) from Université Paul-Valéry Montpellier 3 and a state diploma in theatre teaching (ERACM). He has performed in numerous productions in Belgium and France, staged plays and operas, and directed actors with disabilities at L’Autre-Théâtre (2013-2018). At La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, he is a member of the actor-readers group at the Centre National des Écritures de la Scène (CNES).

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