Navigation – Plan du site

AccueilNuméros124. L’héritage moliéresque dans le...Médecine et censure dans les trad...

4. L’héritage moliéresque dans le théâtre médical européen

Médecine et censure dans les traductions portugaises des comédies de Molière au XVIIIe siècle

Marie-Noëlle Ciccia

Résumés

Dans les années 1770, les six comédies de Molière à sujet médical n’ont pas toutes connu la même fortune au Portugal en raison de décisions censoriales parfois difficiles à cerner. La question du « traitement » par Molière du thème de la médecine n’est pas le seul critère d’évaluation et de rejet des censeurs ; il faut rappeler qu’au cours de la même décennie 1770, le Marquis de Pombal a imposé à l’université de Coimbra une réforme ambitieuse des études de médecine dans un projet global de modernisation du pays. La rationalisation et l’expérimentation succèdent brutalement à l’empirisme et la scolastique jésuite. La périlleuse articulation entre science et religion exige alors que le sujet sensible de la médecine soit précautionneusement abordé sur les planches des théâtres, à plus forte raison s’il s’agit de divertir et d’éduquer par le rire un public avide de comédies.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Le Médecin volant (1659), Dom Juan (1665), L’Amour médecin (1665), Le Médecin malgré lui (1666), Mo (...)
  • 2 Molière, O Dissoluto [traducteur anonyme], manuscrit, n. p. Interdit par la Real Mesa Censória (RMC (...)
  • 3 Il est probable que le traducteur s’est fondé sur le texte de Molière établi par Marc-Antonin Joly (...)
  • 4 Pièces autorisées : O Doente Imaginativo [Le Malade imaginaire], Lisbonne, Oficina de António Manue (...)
  • 5 Ana Rita Palma Mira Delgado, « A Fábrica do Teatro do Bairro Alto : 1761-1775 », thèse de doctorat, (...)

1Entre 1768 et 1771, cinq des six pièces de Molière à thème médical ou qui comportent des scènes de médecine1 ont été traduites en portugais. Le Médecin volant, pièce inconnue à cette époque, ne fait pas partie de cet ensemble. La comédie Dom Juan ne sera pas examinée non plus ici car sa traduction, O Dissoluto2, se fonde sur le texte français expurgé de sa fameuse scène sur la médecine3. Les quatre autres comédies ont été traduites mais pas toujours jouées ni imprimées. L’Amour médecin et Le Malade imaginaire reçoivent l’imprimatur de la Real Mesa Censória (RMC), tribunal censorial fondé en 1768 par le marquis de Pombal. Le Médecin malgré lui et M. de Pourceaugnac4 restent interdits. Que l’on sache, seule la comédie O Doente imaginário a été représentée au théâtre du Bairro Alto à Lisbonne en 17685, plusieurs années avant sa publication en 1774 et avec un titre légèrement différent, O Doente imaginativo.

2Quelles sont les raisons qui motivent les censeurs à accorder ou non l’autorisation de publier et de représenter ces pièces à thème médical ? Ces raisons sont-elles liées aux conceptions contemporaines de la médecine ? Les pièces en question offrent-elles une représentation des débats médicaux de l’époque ? Pour tenter de répondre à ces questions, il importera de dresser un panorama rapide de la question de la médecine au Portugal à cette période avant d’aborder la question censoriale : les censeurs sont-ils sensibles aux critiques réservées à la « science » médicale ? Ces premiers éléments associés à la comparaison entre textes sources et textes cibles apporteront peut-être des éléments de réponse aux choix des traducteurs dès lors qu’il est question de médecine et de médecins dans le Portugal du XVIIIe siècle.

***

  • 6 João Pedro Miller Guerra, « A reforma pombalina os estudos médicos », in Pombal Revisitado, vol. 1, (...)
  • 7 Bruno Paulo Fernandes Barreiros, « Concepções do Corpo no Portugal do Século XVIII : Sensibilidade, (...)
  • 8 Voir, par exemple, le premier traité d’infirmerie, ou applications de traitements ordonnés par les (...)
  • 9 Germano de Sousa, História da medicina portuguesa durante a expansão, Lisboa, Ed. Temas e Debates, (...)
  • 10 Francisco Xavier de Oliveira, Cavaleiro de Oliveira, Recreação Periódica, Lisbonne, 1922 [1751], vo (...)
  • 11 António Nunes Ribeiro Sanches est l’auteur du Tratado de Conservação da saúde dos povos, Paris, Bon (...)
  • 12 António Júlio de Andrade, Maria Fernanda Guimarães, Jacob de Castro Sarmento, Lisbonne, Nova Vega, (...)
  • 13 Voyageurs portugais à l’étranger, en contact avec les progrès scientifiques et la philosophie des L (...)
  • 14 Voir, par exemple, Roger Dachez, Histoire de la médecine de l’Antiquité à nos jours, Paris, Talland (...)
  • 15 Ibid., p. 461 et suiv.
  • 16 Rui Tavares, O Censor iluminado, Lisbonne, Ed. Tinta da China, 2018, p. 237-238.
  • 17 Ana Rosa Cloclet da Silva, « A Formação do Homem-Público no Portugal Setecentista: 1750-1777 », Rev (...)
  • 18 António Nunes Ribeiro Sanches, Método para aprender a estudar a medicina, ilustrado com os apontame (...)
  • 19 Cristiane Tavares Fonseca de Moraes Nunes, « A universidade de Coimbra e os estatutos pombalinos », (...)
  • 20 Luís Filipe Maiolini, Instruir a medicina : Antônio Nunes Ribeiro Sanches e a pedagogia médica sete (...)
  • 21 João Luiz Neves Abreu, « Os estudos anatômicos e cirúrgicos na medicina portuguesa do século XVIII  (...)
  • 22 João Rui Pita, « Medicina cirúrgica e Arte farmacêutica na Reforma pombalina da Universidade de Coi (...)

3Ainsi que l’annonce João Pedro Miller Guerra en préambule de son article6, l’art de soigner les malades au Portugal au XVIIIe siècle relevait encore bien souvent des activités des rebouteux et des guérisseurs, des pratiques interdites car assimilées à la sorcellerie7. Le malade et son entourage s’en remettaient aux apothicaires, parfois charlatans, dans l’espoir d’un soulagement immédiat relevant d’une médecine « miraculeuse » et limitée aux traitements traditionnels (potions d’herbes, clystères, saignées8, etc.). Les étudiants en médecine étaient peu nombreux et mal préparés à leur métier, les médecins étaient ignorants, les barbiers étaient aussi chirurgiens. Le contraste semble grand avec la période des Grandes Découvertes, lorsque cette science était en forte expansion, au Portugal et hors de ses frontières9. La médecine est un « art de la divination », assure le célèbre Chevalier de Oliveira10, au milieu du siècle. Il faut attendre les travaux du médecin portugais Ribeiro Sanches11, disciple de Boerhaave, pour que se développe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle une nouvelle vision de la médecine curative et que la recherche d’un savoir médical positif soit reconnue comme indispensable. Avec lui, le médecin Jacob de Castro Sarmento12 et le philosophe Luís António Verney sont les principaux penseurs de l’évolution de l’art médical et de son enseignement au Portugal au cours du siècle. C’est sous le gouvernement de Pombal (1750-1777), et grâce à l’action d’estrangeirados13, que la valorisation des études de médecine et de la recherche médicale éclairée, que l’observation et l’expérimentation succèdent progressivement à la médecine arabo-galénique. Le système circulatoire de Harvey14, l’iatromécanique de Hoffmann15 et les théories de Boerhaave sont enfin reconnus ; l’expérience et l’observation supplantent le savoir spéculatif. Durant ses années de diplomatie à Vienne (décennie 1740), Pombal avait lui-même eu pour médecin Gerard Van Swieten, le disciple et biographe de Boerhaave, pourfendeur des superstitions populaires et des Jésuites16. À la demande de Pombal, dont les réformes visent à la « formação ideal do homem luso-brasileiro17 », Ribeiro Sanches écrit une méthode d’apprentissage de la médecine18. En 1772, soit l’année suivant la période charnière des traductions de Molière, Pombal instaure à l’université de Coimbra une réforme d’envergure concernant, tout particulièrement, les études médicales19. Cette réforme rationaliste et expérimentaliste s’inspire directement des sciences des Lumières20 : un hôpital scolaire, un laboratoire expérimental et un amphithéâtre anatomique permettent des expériences et des observations nouvelles. La chirurgie est élevée au même degré de valeur que la médecine21. Si le Portugal a davantage reçu que créé un savoir scientifique22, c’est dans ce dernier tiers de siècle, quoi qu’il en soit, que ce savoir s’est diffusé favorablement. Les statuts de l’université prévoient la modernisation de l’enseignement par de nouveaux cours (anatomie et dissection), la médecine étant à présent considérée comme l’art de conserver et de rétablir la santé des hommes :

  • 23 Estatutos da Universidade de Coimbra (1772), vol. 3, p. 6. Cité par Pita, « Medicina, cirurgia… », (...)

La médecine ayant pour objet deux choses de la plus haute importance, que sont la conservation et le rétablissement de la bonne santé des hommes, il s’est avéré malheureusement qu’on n’y faisait pas les progrès qui convenaient ; beaucoup finirent par douter qu’il pût jamais exister de science en médecine, et d’autres par mépriser celle qui existe actuellement. Et il y en a encore qui la craignent, la pensant dangereuse et nocive parce qu’elle est très souvent pratiquée aveuglément par les mains de l’ignorance23.

  • 24 Fernando Taveira da Fonseca, « A dimensão pedagógica da reforma de 1772. Alguns aspectos », in Araú (...)

4Le rédacteur des Statuts de l’université de Coimbra porte un discours éclairé sur cette science humaniste dont il faut encourager les avancées. L’objectif du nouveau cursus médical de cinq ans lie doctrine et expérimentation. Outre l’érudition, il vise la pratique clinique, la professionnalisation des étudiants, sous tutelle de l’État, ainsi que la mise à pied de l’enseignement scolastique des Jésuites. Cette réforme s’inscrit dans un nouvel ordre de valeurs universelles, promouvant à la fois le progrès du genre humain et le respect des fondations chrétiennes du pays. Ôter des mains des « pessoas idiotas24 » l’art de soigner devient impératif.

  • 25 « [Ribeiro Sanches] Visou a partir de preceitos ilustrados, a aderir a instrução do saber médico ao (...)
  • 26 La réforme de l’université de Coimbra n’aura cependant pas d’effets immédiats en raison de la diffi (...)

5Dans son ouvrage sur la Méthode pour enseigner la médecine, Ribeiro Sanches dessine le profil du médecin idéal, habile, prudent, vertueux, moral et érudit, recruté par le pouvoir absolutiste pour en être le reflet25. En d’autres termes, le portrait inverse des médecins de Molière que les traductions donnent à voir ou à lire26 !

***

  • 27 Tavares O Censor iluminado, p. 273 et suiv.
  • 28 Ibid., p. 233.
  • 29 Ibid., p. 233.
  • 30 Ibid., p. 244-245.

6On comprend à ce rapide panorama que la médecine et les médecins de Molière ont des caractéristiques encore d’actualité un siècle plus tard au Portugal. Durant cette période de censure littéraire stricte, quelle fut la réception des comédies du dramaturge français ? Aucun des pareceres (avis censoriaux) concernant ces traductions n’invoque la question de la médecine pour justifier, ne serait-ce qu’en partie, la décision censoriale. Les deputados y laissent entendre qu’ils ne sont sensibles à l’édification du peuple qu’à travers la qualité littéraire du texte : langage et structure de la pièce doivent concourir à la correction des mœurs. C’est ainsi que les traductions du Médecin malgré lui et de Monsieur de Pourceaugnac sont considérées comme étant au-delà du médiocre et par conséquent impubliables, alors que celles de L’Amour médecin et Le Malade imaginaire ont bénéficié d’une lecture plus indulgente. Cette apparente incohérence est probablement liée en partie à la personnalité des censeurs. Les deux pièces interdites ont été examinées par Joaquim de Santa Ana et Frei João Baptista de São Caetano, un vieux janséniste farouchement sévère27. António Pereira de Figueiredo était le principal censeur des deux autres. Non pas que ce dernier ait été généralement moins implacable que ses collègues mais, boulimique de lecture et omnivore28, il avait surtout des connaissances plus étendues en matière médicale ayant, en effet, accordé leur imprimatur à plusieurs ouvrages médicaux, dont celui de Boerhaave en 176829. Il connaissait aussi fort bien le théâtre, particulièrement celui de Molière30 dont il avait évalué au moins neuf pièces. Son jugement prenait donc en compte à la fois l’intérêt dramatique de ridiculiser les médecins et une vision éclairée de cette science. On aurait pu penser que, en ce temps où se préparait une réforme universitaire des études médicales, le censeur aurait eu à cœur de refuser les pièces dénigrant la médecine. Ce n’est pas le cas. D’une part, une médecine inefficace justifie pleinement qu’une réforme en la matière voie le jour en 1772 ; d’autre part, en réalité, ce n’est pas la médecine qui est raillée mais les médecins incompétents, formés à l’ancienne, incapables de remettre en question leur statut et de faire progresser leur art. Se moquer de la mauvaise médecine c’est, par ricochet, valoriser celle qui est en train de se construire exactement à la même période.

  • 31 Les textes de tous les pareceres sont intégralement retranscrits dans Marie-Noëlle Ciccia, Le théât (...)
  • 32 Tavares, O Censor iluminado, p. 123-124.

7Les pareceres31 des deux pièces autorisées indiquent en creux que le censeur appréhende le texte par la négative. Dans la mesure où il ne trouve aucun grief susceptible de nuire à l’impression du texte (sans préciser quel type de grief il y cherche), il accorde l’imprimatur. Il s’agit pour lui de juger la qualité intrinsèque de l’ouvrage et non d’appliquer des critères extérieurs d’appréciation. Du reste, le texte régissant la création du tribunal censorial n’indique pas au censeur quelles sont les défauts des ouvrages à sanctionner et mais lui demande au contraire, en son âme et conscience, de les évaluer par lui-même32. Cette forte part de subjectivité occasionne des jugements parfois contradictoires dont on cherche aujourd’hui, peut-être en vain, la cohérence.

  • 33 Les deux versions du Médecin malgré lui, la première, interdite en 1769, et la seconde, publiée en (...)
  • 34 O médico por força (1769), p. 31 et suiv.

8Pour les deux pièces interdites, l’argument censorial porte sur la qualité trop médiocre de la langue portugaise et sur l’irrespect du texte source de la part du traducteur, un argument fallacieux puisque la pratique de l’adaptation au goût du public (ajouts, suppressions, modifications) est généralisée au Portugal comme dans toute l’Europe du XVIIIe siècle. Par exemple, la traduction du Médecin malgré lui a connu deux versions distantes de 20 ans33. Celle de 1769 présente cet ajout inutile à l’intrigue qu’est la dispute entre Lucas et Esganarelo pour une bouteille de vin. Ce passage34 remplace l’épisode des tétons de Jacqueline (II, 3), le personnage de la nourrisse étant purement et simplement supprimé par le traducteur : voir ses seins ou souhaiter boire son lait n’est pas concevable sur scène. Ce type de suppressions, mal compensées par des plaisanteries grasses sur la consommation démesurée d’alcool ou des ajouts inappropriés portés à l’intrigue, n’ont pas convaincu les deputados : la traduction du Médecin malgré lui (version 1769) est jugée relativement grossière, « défigurée » et « sans goût ». Celle de 1789 est plus soignée ; cependant, chacune fait fi d’éléments comiques chers à Molière, tel que le parler paysan qui n’est pas distinct en portugais du langage des autres personnages.

  • 35 Il arrive que le traducteur renchérisse sur Molière, comme ici : « Vos déjections, comment sont-ell (...)

9La version de Monsieur de Pourceaugnac pâtit de la même rigueur censoriale en raison, selon le parecer, de sa grande médiocrité d’expression et de l’incompétence du traducteur à servir fidèlement Molière35. Cependant, répétons-le, ici encore, aucune mention n’est relative à la médecine. Comment justifier, si une justification est possible, que ces deux pièces aient été interdites ? Il importe alors d’observer plus en détails comment sont traités les médecins et leur science dans les traductions qui nous intéressent.

***

  • 36 Par exemple, les références aux excréments, telles que « la Matière est-elle louable ? » (Molière, (...)

10Les comédies médicales de Molière adaptées au goût et aux coutumes portugaises subissent ponctuellement un toilettage de l’ordre de l’euphémisation d’un vocabulaire trop fleuri ou d’une critique trop corrosive36. Les phénomènes de simplification du langage médical dans les traductions pourraient être liés au besoin d’atteindre un public populaire mais peut-être aussi à l’ignorance d’un lexique scientifique de la part du traducteur. Par exemple, dans Monsieur de Pourceaugnac (I, 8), fondant sa théorie sur celle de Galien, le premier médecin considère que la mélancolie du Limousin

[…] procède du vice de quelque partie du bas-ventre et de la région inférieure, mais particulièrement de la rate dont la chaleur et l'inflammation portent au cerveau de notre malade beaucoup de fuligines épaisses et crasses, dont la vapeur noire et maligne cause dépravation aux fonctions de la faculté princesse.

11La traduction en portugais propose :

[…] provém do vício de alguma parte do baixo ventre e região inférior, cujo calor e inflamação põem em ascenso gazes espessos e crassos que, desordenando as funções vitais, constituem a doença sobredita. [provient de quelque part dans le bas-ventre et dans la région inférieure dont la chaleur et l’inflammation font s’élever des gaz épais et denses qui, en mettant désordre dans les fonctions vitales, constituent la maladie susdite.]

12On peut citer cet autre exemple emprunté au Malade imaginaire (I, 1) où l’efficacité de la formule ternaire décrivant le clystère reçu par Argan se perd dans une traduction plus humble : « un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir… » est rendu par « um clistério molificante, preparativo para abrandar » [un clystère ramollissant, préparatif pour adoucir…]. De même, « un bon clystère détersif » est rendu par « um clistério resolutivo » [un clystère résolutif].

  • 37 O Médico por força, 1769, p. 45.

13On le constate : les traductions sont également soumises à la sagacité du traducteur. Celui du Médecin malgré lui restitue avec une certaine finesse les jeux de mots ou les déformations des termes médicaux dans la bouche de Sganarelle ou des paysans (par exemple « os musgos » pour « os músculos ») mais butte sur l’« arétile » (déformation comique de l’émétique) qu’il traduit platement par « uma couza37 » [une chose], probablement par méconnaissance.

14Plus intéressante est la question de la morale liée au métier de médecin. Le clinicien, tel Thomas Diafoirus, est-il sot, ignorant ? son sort est scellé : il est gaiement brocardé, fidèlement à Molière. Est-il, tel le Filerin de L’Amour médecin, fourbe, immoral ? Mieux vaut ne pas s’y frotter et le traducteur supprime l’édifiant monologue (III, 1) dans lequel Filerin expose avec froideur sa théorie sur la posture du médecin, dévoyée en ce qu’elle vise à tromper son prochain avec un implacable mépris. Selon Bénédicte Louvat-Molozay, Claude Bourqui et Anne Piéjus,

  • 38 Bénédicte Louvat-Molozay, Claude Bourqui et Anne Piéjus, « Notice » de L’Amour médecin, in Œuvres c (...)

[C]ette tirade se donne d’emblée comme un manifeste : dépourvue de toute utilité dramatique, elle n’a de fonction que sur le plan idéologique où elle sert non plus à tourner la médecine en ridicule mais à en dénoncer l’imposture38.

  • 39 Georges Couton, « Notice » de L’Amour médecin, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque (...)
  • 40 Anthony McKenna, Molière dramaturge libertin, Paris, Honoré Champion, collection Champion classique (...)

15Elle « repose sur une analyse sans illusion de la nature humaine39 » et sur la fourberie médicale consistant à maintenir le patient dans l’ignorance et la crainte du soignant. Ce dernier en retire un bénéfice pécuniaire et une emprise morale sur sa victime. Comme le faux libertin ou le faux dévot, le faux médecin est odieux à Molière, la forfanterie de son art consistant à s’assurer la mainmise matérielle et spirituelle sur ses patients, tout comme Tartuffe maintenait son ascendant sur Orgon. Hautement politique, ce monologue mêle les pouvoirs religieux et royaux, engage Molière à dévoiler son impiété, voire son athéisme40. Une telle position est inenvisageable sur une scène de théâtre portugais au XVIIIe siècle.

16On pourrait, à ce titre, s’étonner que la scène entre Argan et son frère (Le Malade Imaginaire, III, 3) ait été restituée dans son intégralité en portugais puisque Béralde y fait une critique farouche des médecins, peu ou prou dans le même esprit que Filerin : les médecins sont de méprisables charlatans. Cependant, outre qu’il n’est pas médecin lui-même et n’a pas son arrogance, s’il attaque la médecine en début de scène, son discours s’oriente ensuite vers ses sbires : incapables de soigner un malade mais persuadés de leur science, leur bêtise est bien souvent de bonne foi. Leur faiblesse les discrédite. Béralde est conciliant. Filerin et Sganarelle sont d’une autre nature : pleinement conscients de leur fourberie, de leurs actions immorales, ils adoptent une posture indigne d’être représentée devant un public.

17Médecine et médecins inspirent donc la méfiance. Cependant, peu à peu les nouvelles théories scientifiques sont introduites au Portugal et les traductions actualisent par endroits les comédies du siècle précédent. Les scènes de médecine traduites en portugais mettent-elles en débat les conceptions contemporaines en matière médicale ? Il serait abusif de l’affirmer. Toutefois, depuis un siècle, les avancées scientifiques, ont fait leur chemin : les allusions à Galien sont, par exemple, systématiquement supprimées ou remplacées par celles à Hippocrate, une référence pourtant ancienne elle aussi mais un nom peut-être davantage connu du public (Pourceaugnac, I, 6 et 8, p. 42 et 47). Les médecins qui s’y réfèrent sont particulièrement brocardés, tels ceux de O Amor médico. Leurs sobriquets les catégorisent (Carniceiro signifie « boucher » et Mata-vivos « tueur de vivants »). Aveuglés par leur sujétion à la médecine antique, ils méprisent sottement les médecins étrangers (français et anglais) pourtant mieux formés qu’eux :

  • 41 O Amor Médico, p. 41 : Não, meu amigo, aquilo são uns estrangeiros com quem nos não entendemos. Est (...)

MATA-VIVOS : Non, mon ami, ce sont-là des étrangers avec qui nous ne nous entendons pas. Ils étudient avec d’autres livres, citent des auteurs dont les noms nous indiquent qu’ils sont des hérétiques, ils parlent un latin étranger, comme si nous étions obligés de connaître le latin de France ou d’Angleterre. Ils ne connaissent ni Curvo, ni Quevedo, ni Madeira, ni Moreto, ni Tavares, etc. Ils se moquent de nos poulets, de nos laits d’ânesse et de nos préparations aux amandes, des remèdes si souverains que nous les appliquons indiféremment à toutes les maladies41.

  • 42 Cristina Marinho, « Un recul en avant. La traduction de L’Amour médecin de Molière, au XVIIIe siècl (...)
  • 43 Orthographié « Boarrave », O Amor médico, p. 44.
  • 44 Adaptant la comédie au contexte de son époque, le traducteur supprime les échanges concernant la po (...)
  • 45 Marinho, « Un recul en avant… », p. 78.

18Cet ajout au texte source pointe la fatuité des médecins portugais et signale, en contrepoint, la nécessité de faire évoluer connaissances et pratiques42 au Portugal, d’autant qu’Hippocrate fait place à Boerhaave43 et que les nouvelles techniques comme l’iatromécanique ou l’inoculation de la variole44 à laquelle les deux médecins portugais s’opposent, suscitent dans la pièce un débat qui a eu effectivement lieu au Portugal45 :

  • 46 O Amor médico, p. 43 : Tem razão, eu sou do mesmo parecer, e será preciso unirmo-nos para que se nã (...)

CARNICEIRO : Vous avez raison, je suis de votre avis, et il nous faudra nous unir pour que ne soit pas introduit chez nous ce discours car, bien qu’il ait eu le plus grand succès en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, il nous suffit pour ne pas y croire de voir qu’on n’en parle ni dans l’Atalaia da Vida, ni dans la Luz da Medicina, ni dans la Polianteia ni dans la Correcção de Abusos46.

  • 47 João Curvo Semedo, Atalaia da Vida contra as Hostilidades da Morte, Lisbonne, Oficina Ferreyrencian (...)
  • 48 McKenna, Molière, p. 110 et 115.

19Les ouvrages choisis47 à dessein par le traducteur pour leurs théories médicales dépassées indiquent qu’ils sont largement connus. En outre, ils apparaissent dans le discours pour signaler, en creux, que les avancées médicales les ont rendus obsolètes. Enfin, l’impéritie des médecins portugais qui s’y réfèrent sottement se couple à une « croyance » dans les théories des Anciens qui est du même ordre que la radicalité religieuse : l’évidence elle-même ne les convainc pas. Dans les scènes de médecine de Molière, le parallèle, à peine voilé dans le cas de L’Amour médecin par exemple (« Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine », II, 1), entre médecine et religion a été souvent analysé. Le médecin, tel un prêtre ou un astrologue agirait comme un rédempteur devant la chute du corps et de l’esprit du malade48. Les théologiens comme les médecins abusent de la fragilité de leurs patients, affolés par l’éventualité de la mort, en leur enjoignant de déposer leur foi en eux (« Le plus grand faible des hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie ; et nous en profitons, nous autres, par notre pompeux galimatias, et savons prendre avantage de cette vénération que la peur de mourir leur donne pour notre métier », III, 1).

  • 49 Le Médecin malgré lui, p. 12 (éd. 1769) ; p. 5 (éd. 1789).
  • 50 « Tu não sabes que sou médico, que te posso cegar já no mesmo instante ou pregar-te alguma maligna (...)

20La rareté des allusions religieuses dans les traductions des pièces sur la médecine indique la prudence des traducteurs sur le sujet. Cependant, le parallèle entre médecine et superstition se maintient : la médecine peut relever de la « magie blanche », comme dans Le Médecin malgré lui, l’expression « les merveilleux talents qu’il [Sganarelle] a eus du Ciel pour la médecine » (I, 4), l’association du « merveilleux » (superstition) et du Ciel (foi chrétienne) étant traduite littéralement dans les deux versions49. Si la médecine est un don du Ciel, elle n’a rien à devoir à la science. Le médecin peut être aussi maléfique : Sganarelle promet de donner la fièvre à Lucas (II, 3) tandis qu’Esganarelo menace de rendre instantanément aveugle le mari de Jacqueline s’il ne lui donne pas sa bouteille de vin50.

  • 51 « Tem curado muita gente que já estava morta » (1769, p. 25) ; « Tem sarado pessoas que estavam já (...)
  • 52 Par exemple, « comme je sais ma Croix de par Dieu » (Monsieur de Pourceaugnac I, 5).
  • 53 « LUCRECE : Et moi, je tiens que votre fille n’est point du tout propre pour le mariage. Elle est d (...)

21De même, la foi en la capacité du médecin à ressusciter les morts (« Qui a guari des gens qui êtiant morts » (II, 1) est tellement puissante qu’elle est prise par le lecteur comme une farce visant à ridiculiser le paysan Lucas. C’est pourtant là aussi une attaque contre la médecine, perçue comme une religion dont on accueille les miracles comme des réalisations divines. Les traducteurs du Médecin malgré lui n’ont peut-être pas repéré l’allusion en la traduisant fidèlement51. En revanche, les expressions potentiellement assimilables à des blasphèmes sont soigneusement supprimées52, de même que, dans la traduction de L’Amour médecin, l’allusion au fait que l’on peut s’amuser dans les couvents53.

***

22On constate donc que les traductions des pièces en question ne martyrisent pas outre mesure les textes originaux, elles les toilettent sur le plan lexical et moral et y introduisent aussi de nouvelles références en matière médicale : il s’agit de montrer que la médecine portugaise est rétrograde. De toute évidence, des réformes s’imposent.

  • 54 Anonyme, O médico fingido, Lisbonne, Oficina Domingos Gonçalves, 1783, p. 9.
  • 55 Anonyme, O Castigo da Ambição ou O Velho Avarento enganado e desenganado, Lisbonne, Oficina de Fili (...)
  • 56 António Maria de Castro e Azevedo, O médico fingido e a doente namorada, Lisbonne, Impressão de Alc (...)
  • 57 José Daniel Rodrigues da Costa, A desgraça do bazófia ou Os dois doutores, Lisbonne, Oficina Doming (...)

23A partir de ces premières traductions, le thème de la médecine est régulièrement convoqué pour servir de fil aux intrigues du théâtre populaire. Par exemple, en 1783, dans un entremez intitulé O Médico fingido54, un jeune homme amoureux tente, en feignant d’être médecin, de pénétrer dans la maison de la demoiselle que son père veut marier à un vieillard. Dans un autre, O Castigo da Ambição ou O Velho Avarento enganado e desenganado55, un valet et son maître se déguisent en médecin et chirurgien pour tromper un vieil avare. Le thème de la médecine est traité selon des modèles identiques : les malades sont hypocondriaques (O Doente imaginativo e o médico astucioso), ou feignent une maladie pour que de faux médecins (en général de jeunes gens amoureux) puissent parvenir à leur but amoureux (O Médico fingido, O Médico fingido e a doente namorada56). Les vrais médecins sont, eux, pédants et ridicules (A desgraça do bazófia ou os dois doutores57), leurs diagnostics loufoques, leurs ordonnances fantaisistes. La médecine reste pour longtemps, on le voit, liée à la feinte, au mensonge, à la fausseté, à la tromperie mais aussi à la comédie.

Haut de page

Notes

1 Le Médecin volant (1659), Dom Juan (1665), L’Amour médecin (1665), Le Médecin malgré lui (1666), Monsieur de Pourceaugnac (1669), Le Malade imaginaire (1673).

2 Molière, O Dissoluto [traducteur anonyme], manuscrit, n. p. Interdit par la Real Mesa Censória (RMC, 12 décembre 1771). Une première traduction, dont le texte a été perdu, a été réalisée en 1769. Interdite par la RMC le 22 septembre 1769, elle est présentée à nouveau avec le même titre pour une demande d’imprimatur le 27 juin 1771. L’autorisation est donnée mais non suivie d’impression (Licença de impressão, 27 de Junho de 1771, AN/TT, RMC, caixa 19, nº105).

3 Il est probable que le traducteur s’est fondé sur le texte de Molière établi par Marc-Antonin Joly et publié en 1734 à Paris par Pierre Prault (voir Laureano Carreira, Uma Adaptação Portuguesa (1771) do Dom Juan de Molière, Lisbonne, Hugin, 2003, p. 39).

4 Pièces autorisées : O Doente Imaginativo [Le Malade imaginaire], Lisbonne, Oficina de António Manuel, 1774. Traduite en 1768. Représentation et impression autorisées le 5 avril 1769 (voir AN/TT, RMC, Cens. 1769, n°51, caixa 5) ; O Amor Médico [L’Amour médecin], Lisbonne, Oficina de José da Silva Nazaré, 1769. Impression autorisée le 26 juin 1769 (AN/TT, RMC, Cens. 1769, n°51, caixa 5). Pièces interdites : O médico por força [Le Médecin malgré lui], manuscrit, AN/TT, RMC, cód. 2279, impression interdite le 22 septembre 1769 (AN/TT, RMC, Cens. 1769, n°115, caixa 5), publiée à Lisbonne, Oficina de Filipe da Silva e Azevedo 1789 ; Pourceaugnac, manuscrit, AN/TT, RMC, cód. 2278. Impression interdite le 29 septembre 1770. Première publication à Porto, Lello e Irmão, 1971 [trad. de Henrique Braga].

5 Ana Rita Palma Mira Delgado, « A Fábrica do Teatro do Bairro Alto : 1761-1775 », thèse de doctorat, Lisbonne, Université de Lisbonne, 2017, p. 270. http://0-hdl-handle-net.catalogue.libraries.london.ac.uk/10451/32021 (consulté le 7 décembre 2023).

6 João Pedro Miller Guerra, « A reforma pombalina os estudos médicos », in Pombal Revisitado, vol. 1, Lisbonne, Editorial Estampa, Imprensa Universitária, 1984, p. 189-207, p. 191.

7 Bruno Paulo Fernandes Barreiros, « Concepções do Corpo no Portugal do Século XVIII : Sensibilidade, Higiene e Saúde Pública », thèse de doctorat, Universidade Nova de Lisboa, janvier 2014, p. 41. https://run.unl.pt/bitstream/10362/14924/1/Barreiros_2014.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

8 Voir, par exemple, le premier traité d’infirmerie, ou applications de traitements ordonnés par les médecins : Fr. Diogo de Santiago, Postilla religiosa e Arte de Enfermeiros, Lisbonne, na Oficina de Miguel Manescal da Costa, 1741.

9 Germano de Sousa, História da medicina portuguesa durante a expansão, Lisboa, Ed. Temas e Debates, 2013.

10 Francisco Xavier de Oliveira, Cavaleiro de Oliveira, Recreação Periódica, Lisbonne, 1922 [1751], vol 2. Cité par João Pedro Miller Guerra, « A reforma pombalina… », p. 193.

11 António Nunes Ribeiro Sanches est l’auteur du Tratado de Conservação da saúde dos povos, Paris, Bonardel et Dubeux, 1756.

12 António Júlio de Andrade, Maria Fernanda Guimarães, Jacob de Castro Sarmento, Lisbonne, Nova Vega, 2010, p. 8.

13 Voyageurs portugais à l’étranger, en contact avec les progrès scientifiques et la philosophie des Lumières.

14 Voir, par exemple, Roger Dachez, Histoire de la médecine de l’Antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, collection Texto, 2021 [2008], p. 414 et suiv.

15 Ibid., p. 461 et suiv.

16 Rui Tavares, O Censor iluminado, Lisbonne, Ed. Tinta da China, 2018, p. 237-238.

17 Ana Rosa Cloclet da Silva, « A Formação do Homem-Público no Portugal Setecentista: 1750-1777 », Revista Intellectus, ano 2, vol. 2, 2003, p. 3. http://www.intellectus.uerj.br/Textos/Ano2n2/Texto%20de%20Ana%20Rosa%20Cloclet%20da%20Silva.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

18 António Nunes Ribeiro Sanches, Método para aprender a estudar a medicina, ilustrado com os apontamentos para estabelecer-se uma Universidade Real na qual deviam aprender-se as ciências humanas de que necessita o Estado Civil e Político, Paris, 1763. Il y propose, entre autres, d’élargir le cursus à de nouveaux enseignements obligatoires, de créer un collège de sciences médicales et un hôpital universitaire, de reléguer les théories galéniques et hippocratiques pour privilégier les découvertes de Boerhaave, de mettre sur un pied d’égalité la médecine et la chirurgie.

19 Cristiane Tavares Fonseca de Moraes Nunes, « A universidade de Coimbra e os estatutos pombalinos », REVEC (Revista de Estudos de Cultura), n°4, O Marquês de Pombal e a Invenção do Brasil, 2016, p. 100-113, p. 108-110. https://periodicos.ufs.br/revec/article/view/5451 (consulté le 7 décembre 2023).

20 Luís Filipe Maiolini, Instruir a medicina : Antônio Nunes Ribeiro Sanches e a pedagogia médica setecentista (1763), Universidade Federal de Ouro Preto, Mariana, 2019, p. 7 et suiv. https://www.monografias.ufop.br/bitstream/35400000/2149/1/MONOGRAFIA_InstruirMedicinaAntonio.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

21 João Luiz Neves Abreu, « Os estudos anatômicos e cirúrgicos na medicina portuguesa do século XVIII », in Revista da SBHC, Rio de Janeiro, vol. 5 n° 2, p. 149-172, juillet-décembre 2007. http://www.sbhc.org.br/resources/download/1320064407_ARQUIVO_artigos_3.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

22 João Rui Pita, « Medicina cirúrgica e Arte farmacêutica na Reforma pombalina da Universidade de Coimbra », in O Marquês de Pombal e a Universidade, dir. Ana Cristina Araújo, Coimbra, Imprensa da Universidade, p. 129-162.https://estudogeral.uc.pt/bitstream/10316/46229/1/MedicinaCirurgArteFarm.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

23 Estatutos da Universidade de Coimbra (1772), vol. 3, p. 6. Cité par Pita, « Medicina, cirurgia… », p. 150 : [T]endo a Medicina por objecto duas coisas de tão grande importância, como são a conservação e restabelecimento da saúde dos homens : tem infelizmente sucedido não se fazerem nela os progressos que convinham ; chegando por isso muitos a desconfiar de que pudesse já mais haver ciência na Medicina ; e outros a desprezar a que actualmente existe ; e tem ainda a temê-la, como perigosa e nociva, por ser muitas vezes ministrada cegamente pelas mãos da ignorância.

24 Fernando Taveira da Fonseca, « A dimensão pedagógica da reforma de 1772. Alguns aspectos », in Araújo, dir., O Marquês de Pombal…, p. 49-78, p. 74. https://digitalis-dsp.sib.uc.pt/handle/10316.2/31942 (consulté le 7 décembre 2023).

25 « [Ribeiro Sanches] Visou a partir de preceitos ilustrados, a aderir a instrução do saber médico ao ideal de educação, buscando, assim, desenhar um perfil ideal de médico – habilidoso, prudente, virtuoso e erudito : o médico recrutado pela Coroa deveria ter um novo perfil social que preencheria os sustentáculos do Estado absolutista ». [Ribeiro Sanches a cherché, à partir de préceptes éclairés, à faire correspondre l’instruction du savoir médical à l’idéal de l’éducation, cherchant ainsi à dessiner le profil du parfait médecin – habile, prudent, vertueux et érudit : le médecin recruté par la Couronne devait avoir un nouveau profil social adapté aux fondements de l’État absolutiste]. Maiolini, p. 19 et p. 25.

26 La réforme de l’université de Coimbra n’aura cependant pas d’effets immédiats en raison de la difficulté à renouveler le corps enseignant dans les disciplines médicales. Les dissensions ajoutées à l’influence de l’Église catholique ont contribué à limiter l’efficacité de la réforme. Ce n’est qu’à la fin du siècle que les avancées médicales gagneront une plus ample résonance. Voir João Pedro Dolinski, « O desenvolvimento da medicina moderna na cultura lusa do século XVIII », Temporalidades – Revista Discente do Programa de Pós-Graduação em História da UFMG, Belo Horizonte, vol. 6, n. 2, mai/août 2014, p. 29-40, p. 36.

https://periodicos.ufmg.br/index.php/temporalidades/article/view/5540 (consulté le 7 décembre 2023).

27 Tavares O Censor iluminado, p. 273 et suiv.

28 Ibid., p. 233.

29 Ibid., p. 233.

30 Ibid., p. 244-245.

31 Les textes de tous les pareceres sont intégralement retranscrits dans Marie-Noëlle Ciccia, Le théâtre de Molière au Portugal au XVIIIe siècle, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, 2003, p. 225-229.

32 Tavares, O Censor iluminado, p. 123-124.

33 Les deux versions du Médecin malgré lui, la première, interdite en 1769, et la seconde, publiée en 1789, n’ont rien en commun. Laureano Carreira les a analysées sur le plan des pratiques sociales. Il ne fait pas particulièrement référence à la médecine et à l’éventualité d’une censure spécifiquement sensible à cette question (O Teatro e a Censura em Portugal na segunda metade do século XVIII, Lisbonne, Imprensa Nacional-Casa da Moeda, 1988, p. 222 et suiv.).

34 O médico por força (1769), p. 31 et suiv.

35 Il arrive que le traducteur renchérisse sur Molière, comme ici : « Vos déjections, comment sont-elles ? » (Monsieur de Pourceaugnac, I, 8), traduit par « O ventre anda laxo. As dejecões naturais ? » [Le ventre est lâche. Les déjecions naturelles ?]. (Pourceaugnac, 8v).

Pour davantage de détails, voir Molière, « Nota introdutória », Pourceaugnac, éd. José Camões, Marie-Noëlle Ciccia, Ariadne Nunes, Lisbonne, Universidade de Lisboa, Centro de Estudos de Teatro, 2017, p. 5-25, p. 17.

36 Par exemple, les références aux excréments, telles que « la Matière est-elle louable ? » (Molière, Le Médecin malgré lui, II, 4, in Œuvres complètes, t. I, éd. dirigée par Georges Forestier et Claude Bourqui, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 2010, p. 750), sont traduites correctement mais sans recherche lexicale affinée (« A matéria é bem digerida ? », version 1769. Celle de 1789 supprime prudemment la réplique).

37 O Médico por força, 1769, p. 45.

38 Bénédicte Louvat-Molozay, Claude Bourqui et Anne Piéjus, « Notice » de L’Amour médecin, in Œuvres complètes, éd. dirigée par G. Forestier et C. Bourqui, t. 1, p. 1426.

39 Georges Couton, « Notice » de L’Amour médecin, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. 2, 1971, p. 91.

40 Anthony McKenna, Molière dramaturge libertin, Paris, Honoré Champion, collection Champion classiques, p. 118.

41 O Amor Médico, p. 41 : Não, meu amigo, aquilo são uns estrangeiros com quem nos não entendemos. Estudam por outros livros, citam uns autores que, pelos seus nomes, devemos acreditar hereges, falam um latim estrangeiro, como se fôssemos obrigados a saber o latim de França ou de Inglaterra. Não conhecem a Curvo, Quevedo, Madeira, Moreto, Tavares, etc. Riem-se dos nossos frangos, leites de burras e amendoadas, remédios tão soberanos, que os aplicamos indiferentemente a todas as doenças.

42 Cristina Marinho, « Un recul en avant. La traduction de L’Amour médecin de Molière, au XVIIIe siècle au Portugal », in Théâtre et médecine. De l’exhibition spectaculaire de la médecine à l’analyse clinique du théâtre, dir. Florence Filippi et Julie de Faramond, Revue Epistemocritique, collection Actes de colloques, 2016, p. 74-85. http://rnx9686.webmo.fr/wp-content/uploads/2016/05/Marinho.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

43 Orthographié « Boarrave », O Amor médico, p. 44.

44 Adaptant la comédie au contexte de son époque, le traducteur supprime les échanges concernant la polémique autour des médecins Théophraste et Arthémius, et ajoute la question de l’inoculation de la variole : CARNICEIRO : Diga-me, meu senhor doutor, que conceito faz desta novidade chamada inoculação das bexigas ? MATA-VIVOS : São corriolas, amigo, que nos embutem aqui estes médicos estrangeiros. Enquanto eu tiver língua na boca, hei-de clamar contra esta novidade, ainda que eu veja morrer a maior parte da cidade de bexigas naturais e escapar todos aqueles que, por este modo, as tiverem. (O Amor médico, p. 42-3). [CARNICEIRO : Dites-moi, monsieur le docteur, que pensez-vous de cette nouveauté appelée inoculation de la variole ? MATA-VIVOS : Ce sont des tromperies que veulent nous inculquer ces médecins étrangers. Tant que j’aurai une langue pour parler, je m’insurgerai contre cette nouveauté, même si je vois mourir de la variole la majeure partie de la ville et en réchapper ceux qui l’auront attrapée de cette façon]. Cristina Marinho commente ces passages dans « Un jeu qui demeure une vérité. Silêncios de Molière em Portugal », Teatro do mundo : Teatro e censura, VIII Encontro Internacional do Centro de Estudos Teatrais da Universidade do Porto, Porto, Faculdade de Letras, 2012, p. 163-180, p. 174 et suiv. https://ler.letras.up.pt/uploads/ficheiros/11599.pdf (consulté le 7 décembre 2023).

45 Marinho, « Un recul en avant… », p. 78.

46 O Amor médico, p. 43 : Tem razão, eu sou do mesmo parecer, e será preciso unirmo-nos para que se não introduza essa arenga, pois ainda que em França, em Inglaterra, na Alemanha e na Itália tenha tido o mais feliz êxito, basta para a deacreditarmos que na Atalaia da Vida, na Luz da Medicina, na Polianteia e na Correcção de Abusos se não fala daquele método.

47 João Curvo Semedo, Atalaia da Vida contra as Hostilidades da Morte, Lisbonne, Oficina Ferreyrenciana, 1720 ; Francisco Morato Roma, Luz da Medicina, pratica racional, e methodica, guia de infermeyros, Lisbonne, Oficina de Francisco de Oliveira, 1753; João Curvo Semedo, Polianteia Medicinal, Lisbonne, Oficina de Miguel Deslandes, 1697 ; Frey Manoel de Azevedo, Correcção de abusos introduzidos contra o verdadeiro methodo da Medicina : em tres tratados..., Lisbonne, Oficina de Diogo Soares de Bulhões, 1668.

48 McKenna, Molière, p. 110 et 115.

49 Le Médecin malgré lui, p. 12 (éd. 1769) ; p. 5 (éd. 1789).

50 « Tu não sabes que sou médico, que te posso cegar já no mesmo instante ou pregar-te alguma maligna no corpo, que leve a fortuna ? » [Tu ne sais donc pas que je suis médecin, que je peux t’ôter la vue à l’instant ou te donner une fièvre maligne qui t’emportera ?] (1769, p. 32). Dans la version 1789, la scène est presque entièrement supprimée.

51 « Tem curado muita gente que já estava morta » (1769, p. 25) ; « Tem sarado pessoas que estavam já mortas » (1789, p. 11).

52 Par exemple, « comme je sais ma Croix de par Dieu » (Monsieur de Pourceaugnac I, 5).

53 « LUCRECE : Et moi, je tiens que votre fille n’est point du tout propre pour le mariage. Elle est d’une complexion trop délicate et trop peu saine, et c’est la vouloir envoyer bientôt en l’autre monde, que de l’exposer comme elle est à faire des enfants. Le monde n’est point du tout son fait, et je vous conseille de la mettre dans un couvent, où elle trouvera des divertissements qui seront mieux de son humeur. » (I, 1). « RICARDA : Não meu tio, Dórdia não tem vocação ao matrimónio. As vaidades, delícias, passatempos e embaraços do mundo não lhe convêm. Quereis tomar o meu conselho ? Metei-a em um convento. » (O Amor Médico, 1769, p. 4) [Non, mon oncle, Dórdia n’a pas de vocation pour le mariage. Les affectations, les délices, les passe-temps et les embarras du monde ne lui conviennent pas. Voulez-vous mon conseil ? Mettez-la dans un couvent.].

54 Anonyme, O médico fingido, Lisbonne, Oficina Domingos Gonçalves, 1783, p. 9.

55 Anonyme, O Castigo da Ambição ou O Velho Avarento enganado e desenganado, Lisbonne, Oficina de Filipe da Silva e Azevedo, 1785 (1e édition 1771), p. 8.

56 António Maria de Castro e Azevedo, O médico fingido e a doente namorada, Lisbonne, Impressão de Alcobia, 1831.

57 José Daniel Rodrigues da Costa, A desgraça do bazófia ou Os dois doutores, Lisbonne, Oficina Domingos Gonçalves, 1782.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Noëlle Ciccia, « Médecine et censure dans les traductions portugaises des comédies de Molière au XVIIIe siècle »Arrêt sur scène / Scene Focus [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 22 mars 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asf/5637 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asf.5637

Haut de page

Auteur

Marie-Noëlle Ciccia

Marie-Noëlle Ciccia est Professeur de langue et littératures lusophones à l'Université Paul-Valéry-Montpellier 3. Spécialiste du théâtre portugais au XVIIIe siècle, sa recherche porte sur la circulation des textes et des idées, la théorie et la pratique de la traduction, la diffusion de la pensée des Lumières au Portugal, la censure littéraire, la poésie satirique. Elle a notamment publié les ouvrages suivants : Le théâtre de Molière au Portugal au XVIIIe siècle (Paris Fondation Gulbenkian, 2003) ; Dom Juan et le donjuanisme au Portugal du XVIIIe siècle à nos jours (Montpellier, ETILAL, 2007) ; A Zamperineida. Uma contenda poética na Lisboa Pombalina (1772-1775) (Lisboa, Caleidoscópio, sous presse).
Marie-Noëlle Ciccia is Professor of Portuguese Language and Literature at University Paul-Valéry-Montpellier 3. She is a specialist of Portuguese theatre in the 18th century. Her research focuses on the circulation of texts and ideas, the theory and practice of translation, the diffusion of Enlightenment thought in Portugal, literary censorship and satirical poetry. Publications include the following books: Le théâtre de Molière au Portugal au XVIIIe siècle (Paris Fondation Gulbenkian, 2003) ; Dom Juan et le donjuanisme au Portugal du XVIIIe siècle à nos jours (Montpellier, ETILAL, 2007) ; A Zamperineida. Uma contenda poética na Lisboa Pombalina (1772-1775) (Lisboa, Caleidoscópio, in press).

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search