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4. L’héritage moliéresque dans le théâtre médical européen

Jean-Louis Laruette, médecin de l’opéra-comique en 1758

Gabrielle Ordas et Patrick Taïeb

Résumés

En 1758, deux opéras-comiques de Louis Anseaume campent des personnages de médecin incarnés Jean-Louis Laruette (acteur, chanteur et compositeur). Le Docteur Sangrado (musiques de Egidio Duni et Laruette, vaudevilles) transpose à la scène une figure de Alain-René Lesage issue de son roman picaresque, Gil Blas de Santillane et rend ainsi hommage à Molière, au théâtre espagnol et surtout à un auteur favori des théâtres forains du début du XVIIIe siècle. Le Médecin de l’amour (musique de Laruette et vaudevilles) campe une figure plus proche du philosophe. Cet article analyse le genre dramatique et le style musical des deux pièces dans leur rapport avec la querelle des bouffons et la naissance du drame bourgeois et présente les captations des extraits mis en scène par la Compagnie Théâtre du Matin. 

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Texte intégral

  • 1  « Avertissement de l’auteur », Michel-Jean Sedaine, Blaise le savetier, 1759 (BnF : Th. 488), cité (...)

Si quelqu’un me reproche l’attention avec laquelle j’ai écrit la pantomime de cette farce, qu’il fasse réflexion que le grand défaut de la plupart des ariettes au théâtre, est de se voir dénuées d’action, soit que ce défaut vienne des paroles et de la situation théâtrale, soit que l’acteur, seulement musicien, ne sache point les revêtir des gestes et des sentiments vrais1.

  • 2 Opéra-comique en un acte créé à la Foire Saint Germain le 13 février 1758, d’après la page de titre (...)
  • 3  Opéra-comique en un acte créé à la Foire Saint Laurent le 22 septembre 1758, d’après la page de ti (...)

1L’année 1758 rend hommage aux scènes de médecine d’une façon tout à fait singulière. En l’espace de huit mois, le même librettiste, Louis Anseaume, et le même acteur des foires parisiennes, Jean-Louis Laruette, s’associent dans l’écriture de deux pièces : Le Docteur Sangrado2 et Le Médecin de l’amour3. Elles offrent du personnage de médecin un portrait de Janus, à deux faces, l’une tournée vers le passé, l’autre vers l’avenir.

  • 4 Ces thématiques médicales et satiriques sont tirées des chapitre 2 et 3, Livre II, du roman picares (...)
  • 5 Le sujet de Stratonice n’est pas fréquent aux XVIIe et XVIIe siècles. Il retrouve grâce en peinture (...)
  • 6 La quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie (1762) fournit l’explication suivante : « On dit (...)

2La dette de la première à l’égard du siècle d’or espagnol et de Molière est flagrante. Sangrado se nourrit du personnage imaginé par Lesage dans son Gil Blas de Santillane, c’est-à-dire d’un type de charlatan cupide et sans scrupule qui pour tout remède ne prescrit que de l’eau et pratique la saignée car, dit-il, « c’est une erreur de penser que le sang soit nécessaire à la conservation de la vie4 ». Il est l’héritier de la Commedia Dell’Arte, puisque tel Pantalone, il se réserve la jeune et jolie servante (Jacqueline), sur laquelle il exerce une contrainte à la fois sexuelle et économique. La deuxième pièce fait aussi référence à une tradition bien établie de représentation du médecin et à une tradition à certains égards plus ancienne que celle de la satire moliéresque. Le scénario transfère dans le foyer de Géronte (un Bailly), l’argument antique de Stratonice5 : un fils cache l’amour qu’il éprouve pour la jeune femme que son père a choisie pour épouse. Très différent de son collègue Sangrado, le médecin de l’amour est un moraliste qui pense que la nature est un livre d’heures et qu’elle dicte sa loi : la jeunesse doit aller avec la jeunesse et le père protéger l’enfant. Scientifique, il observe, diagnostique et prescrit dans le but de rétablir l’équilibre et la gaieté. L’opposition entre les deux figures est assumée par les auteurs suivant une pratique autoréférentielle qui fait le sel des spectacles forains et qui, dans cet exemple, paraît désigner Sangrado comme un stéréotype usé et son confrère comme un prototype d’avenir. Dans la scène 6 du Médecin de l’amour, Dame Pérette s’exclame : « J’avions un médecin, ce n’était qu’une bête, / Pour tous les maux il ordonnait de l’eau. » Ce qui fait dire à son moderne confrère : « Ah ! Ah ! n’était-ce pas le Seigneur Sangrado. / Je l’ai fait déguerpir, il en a sur la crête6. »

  • 7 Nougaret utilise l’expression de « théâtre moderne » pour désigner le nouveau genre d’opéra-comique (...)
  • 8 Voir source, note 2.
  • 9 Le Docteur Sangrado, « Chez M. De Lachevardière, rue du Roule à la Croix d’or, et aux adresses ordi (...)
  • 10 Pour le livret, voir note 3 ; pour la partition, voir : Le Médecin de l’amour, « Chez M. De Lacheva (...)

3Envisagée comme la confrontation de deux figures concurrentes, l’une tournée vers la comédie moliéresque, l’autre vers le drame bourgeois, la gémellité des pièces met aussi en jeu des débats propres à la querelle qui se joue dans les années 1750 entre héritage du Grand Siècle et « théâtre moderne7 », musiques italienne et française, vaudeville et ariette. L’année précédente (1757), un opéra-comique du même Louis Anseaume était présenté au public de la Foire Saint Laurent avec une musique de l’italien Egidio Duni, Le Peintre amoureux de son modèle, dont le personnage principal du peintre Alberti était joué par le même Jean-Louis Laruette. L’« Avertissement » du compositeur parmesan répondait à la Lettre sur la musique française de Jean-Jacques Rousseau (1753) – qui condamnait à l’avance tout ouvrage lyrique composé sur la langue française –, en se faisant fort de « rendre hommage à la langue [le français] qui [lui avait] fourni de la mélodie, du sentiment et des images » et de contredire par l’exemple « l’auteur anti français ». Le recrutement du musicien italien par les forains servait, par un argument publicitaire, à dévier la charge rousseauiste vers la musique plutôt que vers la langue, et à ouvrir la voie à un type d’opéra-comique mêlant les ariettes dans le style italien aux vaudevilles, tout cela sur un texte original en Français. Les deux comédies qui nous occupent s’inscrivent exactement dans cette veine intermédiaire entre l’opéra-comique en vaudevilles (première moitié du siècle) et celui à ariettes (deuxième moitié du siècle). Le livret de la première ne comporte pas de nom de compositeurs dans sa page de titre et se contente de mentionner les incipit des vaudevilles et les noms de Duni et Laruette à l’intérieur du texte8 ; ce n’est qu’en 1763, au moment de l’édition de la partition9, que les noms de Duny [sic] et Laruette apparaissent sur la page de titre. En revanche, pour la seconde, les noms d’Anseaume et de Laruette figurent sur les pages de titre du livret comme de la partition dès la première édition10. Vers la fin des années 1750, un opéra-comique devient de plus en plus le fruit d’une collaboration à part égale entre deux auteurs, un librettiste et un compositeur.

  • 11 Le Docteur Sangrado et Le Médecin de l’amour sont repris par la Comédie Italienne, à l’Hôtel de Bou (...)
  • 12 Antoine Trial (1737-1795) et Madame Dugazon, Louise-Rosalie Lefèvre (1755-1821). Voir Hervé Lacombe (...)
  • 13 Paulette Letailleur, « Jean-Louis Laruette chanteur et compositeur. Sa vie et son œuvre », dans « R (...)
  • 14 L’institution de 1762 comporte également une troupe italienne dont Carlo Goldoni assume la responsa (...)

4Jean-Louis Laruette (1731-1792) est celui des cinq forains passés de la Foire à la Comédie Italienne qui fait le trait d’union le plus consistant entre deux pratiques dramatiques mêlant le parlé et le chanté, et, pour ce qui concerne plus précisément notre propos, celui auquel nous devons l’intégration au répertoire de la nouvelle institution des deux pièces à médecin11. Son activité à la Foire, comme acteur, chanteur et compositeur, à partir de 1752 puis son intégration à la troupe de 1762 dans laquelle il demeure jusqu’en 1779, expliquent que l’historiographie de l’opéra-comique l’a considéré comme un fondateur du genre. De tous les emplois d’opéra-comique, celui de Laruette est donc le plus ancien et celui qui a connu la longévité la plus grande. Aux côtés de ceux de Trial et de Dugazon qui renvoient à des acteurs-chanteurs, membres de la troupe au tournant des XVIIIe et XIXe siècles12, celui de Laruette figure en permanence dans les tableaux de troupes ambulantes et stationnaires du territoire national, depuis la Révolution jusqu’à la Première Guerre mondiale. Et en 1968, Paulette Letailleur témoigne du fait que le nom de Laruette sert encore à désigner un membre voué à des rôles comiques jusqu’en 1972 – date de la dissolution de la troupe – et après plus de deux siècles d’existence continue13. L’origine de l’emploi de Laruette remonte donc à cette époque essentielle de l’histoire du genre, celle de l’absorption des théâtres des foires Saint Germain et Saint Laurent par la Comédie Italienne en 1762, et celle du remplacement d’un type d’opéra-comique par un autre. Laruette a donc été un artisan complet – acteur, chanteur, compositeur – d’une mutation qui met fin à la production extraordinaire des pièces en vaudevilles et opère la renaissance du genre en réunissant une troupe vouée entièrement au genre nouveau de l’opéra-comique « à ariettes »14.

  • 15 Les liens insérés dans le présent article renvoient à cette captation. Captation et montage de Sonn (...)

5Parallèlement, la fin des années 1750 est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du théâtre français. En l’espace de trois années, l’on assiste à la publication des deux drames de Diderot, en même temps que de son Discours sur la poésie dramatique. La création simultanée d’une poignée d’opéras-comiques fondant un nouveau genre nous invite à envisager les deux pièces à médecins et leur mise en musique comme une contribution non seulement à l’amusement du public des foires, mais encore à une mise à l’épreuve des idées dramatiques et musicales en débat à un moment clé de l’histoire du théâtre. Elle concerne le choix des musiques (ariettes et vaudevilles, musiques française et italienne), celui des personnages et des situations, ainsi que la délicate question du jeu spécifique au genre de l’opéra-comique. Nous l’abordons ici en nous intéressant d’abord aux éléments d’intertextualité reliant les deux pièces aux corpus dramatiques auxquels elles se réfèrent, puis à la question des vaudevilles et des ariettes et, enfin, à la mise en scène des extraits qui accompagnaient la conférence-concert intitulée « Scènes de médecine dans l’opéra-comique », dont Sonny Merchat a réalisé une captation puis le montage d’un filage qui s’est tenu en novembre 2022 à la Maison des chœurs de Montpellier15.

I. Intertextualité et références génériques

6Des deux ouvrages de 1758, Le Docteur Sangrado est celui qui comporte le plus d’éléments communs avec les médecins de Molière, les vrais comme les faux, et, par-dessus tout, par la mise en cause satirique de la profession. Si le personnage du roman de Lesage est aisément reconnaissable, le scénario consiste par ailleurs en une succession de scènes types, communes à beaucoup de comédies et canevas de commedia. La pièce commence par la visite d’un vieux barbon en quête du remède qui lui permettrait de satisfaire sa jeune maîtresse et donne lieu à un hommage drolatique sur les vers « Honneur, honneur au Docteur Sangrado, / Pour tous les maux il n’ordonne que de l’eau » (scène 2), renvoyant aux énormités des scènes de travestissement présentes chez Molière. Viennent ensuite Blaise, jeune paysan ignorant, qui souffre sans le savoir du « mal d’amour » ; Jacqueline, servante vive et malicieuse du docteur, que ce dernier envisage d’épouser avant la fin du jour malgré sa réticence ; puis Lolotte, ingénue libertine qui s’ignore, qui voudrait bien être aussi grande que sa sœur et avoir des amants ; et, enfin, la tante de Jacqueline qui rappelle à sa nièce que son sort est bien celui d’épouser le docteur quoiqu’elle en pense. À chacun des consultants, il est recommandé de boire de l’eau, remède infaillible qui fait toute la science du charlatan. Le dénouement arrive lorsque ce dernier est ridiculisé par Blaise et Jacqueline qui se sont avoués leur inclination réciproque, et que les notaires conviés par le docteur marient. Tout le monde lui recommande alors, pour se remettre de sa déconvenue, de boire de l’eau

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Extrait vidéo 01 - Sangrado

8L’intertextualité avec les scènes de Molière repose sur le vocabulaire : Sangrado décrie tous ses confrères en énumérant le sené (plante laxative), l’émétique (vomitif), la saignée, et tout un jargon qui établit une parenté entre la scène 4 de l’acte II de L’Amour médecin et la scène 4 de l’opéra-comique.

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Extrait vidéo 02 - Sangrado

10Le personnage du barbon rappelle aussi le projet de Gorgibus vouant sa fille à l’union avec un vieux mari et, toujours dans Le Médecin volant, celui de Sangrado priant Jacqueline de recevoir à sa place rappelle Valère priant son valet de faire le médecin. Il n’est pas nécessaire de dresser un inventaire de ses ressemblances pour révéler le caractère anthologique du Docteur Sangrado dont le scénario parvient à camper successivement deux types présents chez Molière, le vrai charlatan et le faux médecin, et à multiplier les lazzis traditionnels propres au Pantalon, vieux barbon, ou au dottore.

  • 16 Cécile Gral Cavillac, L’Espagne dans la trilogie picaresque de Lesage, thèse de l’Université de Bor (...)
  • 17 Ernest Martinenche, Molière et le théâtre espagnol, Paris, Hachette, 1906.

11Sangrado, cependant, par son patronyme, renvoie au théâtre espagnol que Lesage a intimement fréquenté grâce à son protecteur l’abbé Jules Paul de Lionne, qui lui ouvre sa bibliothèque et lui offre ainsi une mâne au travers de la traduction et de l’adaptation de pièces de Rojas, Lope de Vega ou Calderón16. Lesage écrit Crispin rival de son maître pour la Comédie française en 1707, adaptation de Los Empenos del mentir de Hurtado de Mendoza, et le patronyme de son héros a quelque ressemblance avec Sagredo, un personnage de Marcos de Obregon, roman de Vicente Espinel qui est une source d’inspiration reconnue du Gil Blas de Santillane. Si la pièce rappelle Molière, elle entretient avec lui des rapports directs et indirects que l’on serait bien en mal d’inventorier parce qu’au jeu des renvois, on se perdrait dans l’infini17.

  • 18 Voir à ce sujet l’édition par Érik Leborgne de l’Histoire de Gil Blas de Santillane, Paris, Flammar (...)
  • 19 Cette estimation est proposée par Judith Leblanc et, indirectement, David Trott ; voir Hervé Lacomb (...)

12Pour ce qui concerne la lubie de Sangrado, qui soigne tous les maux avec de l’eau, elle renvoie directement au roman de Lesage et à son protecteur. Le personnage d’Oquetos, développé dans le chapitre 3 du livre IV de Gil Blas, tourne en dérision les méthodes du médecin Philippe Hecquet (1661-1737), auteur de l’Explication physique et mécanique des effets de la saignée et la boisson dans la cure des malades et préconisateur de la cure auprès de l’abbé de Lionne18. C’est donc avant tout à l’œuvre de Lesage que renvoie le livret de Louis Anseaume, lequel rend hommage de manière explicite à son théâtre forain. Il semble que la composition de Louis Anseaume consiste authentiquement en un assemblage inspiré par la lecture attentive du recueil anthologique publié sous le titre de Théâtre de la Foire, ou l’opéra-comique entre 1721 et 1737. Sur les 79 pièces contenues dans les 9 volumes, Lesage est l’auteur de 62 d’entre elles, dont 15 qu’il a écrites seul19. Dans le livret de 1758, une note précise que « L’idée de cette scène est prise dans La Foire des Fées », une pièce de Lesage représentée à la foire Saint Laurent en 1722. Le lecteur aguerri sursaute dans chaque scène : l’aparté de Blaise (scène 10), émoustillé par la physionomie et par les manières de Jacqueline, « Elle est tatigoi ben drôlette », est emprunté à L’Éveillé dans La Chercheuse d’esprit (scène 4) de Charles-Simon Favart (1741).

  • 20 Les deux airs dans le style italien sont ceux de Sangrado, « Pour guérir toute maladie », et « Si t (...)

13On l’aura compris, pour le spectateur averti de 1758, Le Docteur Sangrado est un hommage à l’auteur forain mort en 1747. Un hommage quelque peu équivoque, cependant, puisqu’il renvoie le personnage traditionnel du médecin à son long héritage dans la farce, tout en faisant place pour l’occasion à un compositeur moderne dont deux airs donnent voix au personnage principal, dans ce style italien qui est l’objet de la querelle musicale restée sous le nom de Querelle des bouffons20.

  • 21 Le livret de 1758 précise que « Les couplets marqués d’une étoile sont de M. de Marcouville, qui a (...)

14Par son argument, Le Médecin de l’amour a peu d’antécédents sur la scène française, du moins sous cette forme qui consiste à transposer dans l’univers villageois, cher à Charles-Simon Favart, une intrigue faisant la part belle au sentiment. Le sujet de Stratonice a bien été traité par Philippe Quinault en 1660 mais il s’agit d’une tragi-comédie dont l’action est située à Antioche et composée entièrement en vers. Elle commence par une tirade de 48 vers recourant à un style louis-quatorzien dont on doute qu’il ait inspiré Anseaume – et son acolyte Marcouville21 – de quelque manière, si ce n’est pour son argument.

15Géronte, dit « Le Bailli », veuf âgé de 60 ans, à mi-chemin entre Pantalon et les pères du drame diderotien, a choisi Laure pour seconde épouse, une femme beaucoup plus jeune que lui. Tandis qu’il s’apprête gaiement à organiser la noce, l’état de son fils Léandre, « rêveur, mélancolique, Moribond, & tout prêt à devenir étique » (scène 1), le rend anxieux. Sur le conseil de Guillot, un valet plus proche de Figaro que du Piarrot de Molière, il convoque son vieil ami le médecin de l’amour dans l’espoir qu’il saura guérir son fils du mal mystérieux qui le dévore. Le médecin organise la rencontre de Léandre avec Laure dans un bal, observe la nature et perce le mystère : Léandre est amoureux de sa future belle-mère, laquelle partage son sentiment.

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Extrait vidéo 03 - Le Médecin de l’amour

17Il reste au docteur à mettre en œuvre une stratégie qui rappelle plutôt Marivaux ou Goldoni – que Molière –, et qui consiste à convaincre le père qu’il éprouvera une satisfaction plus grande en faisant le bonheur des deux jeunes premiers qu’en persistant à brimer son fils et à contredire les élans d’une jeune épouse.

18Certes, on pourrait voir quelque ressemblance entre l’examen médical de Léandre par le médecin et le dialogue de Sganarelle avec sa fille Lucinde dans L’Amour médecin (I, 4). Mais le sentiment est présent d’un bout à l’autre de la pièce et tire la comédie vers le drame en substituant au piège moqueur de la première – par lequel elle corrige les mœurs par le rire –, la morale édifiante du second. L’étude de la psychologie des personnages donne lieu à plusieurs scènes développées, notamment la scène 12 où le médecin feint d’être le rival de Léandre pour pousser le Bailli à exiger de lui qu’il renonce à Laure et se désiste en faveur de Léandre.

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Extrait vidéo 04 - Le Médecin de l’amour

  • 22 La lecture de la Nouvelle Héloïse de Rousseau, des malheurs de Julie et Saint-Preux, avait ouvert l (...)

20Le procédé connaît une postérité nombreuse dans l’opéra-comique larmoyant des années 1760-1770. On le trouve, par exemple, dans Julie (1772) de Monvel et Dezède, où l’on voit le bûcheron Michaud feignant de maltraiter Catau et Lucas devant le Marquis de Marsange pour l’amener à le conseiller de ne pas contredire le sentiment de la jeunesse (III, 12). Bouleversé par ce morceau de théâtre dans le théâtre, le Marquis prend conscience du mal qu’il inflige à sa fille Julie et décide d’accorder sa main à Saint-Alme22. Grâce à la musique, qui assume pleinement l’expression du sentiment, le livret d’Anseaume est moins verbeux que le théâtre de Diderot, mais il est aussi plus joyeux car il laisse place à quelques lazzis et au personnage de Perrette, mère de Laure, dont la rustrerie introduit une touche de gaieté bien nécessaire avant le dénouement heureux.

II. Vaudeville et ariettes

21Les deux pièces mêlent les vaudevilles et les ariettes. Elles sont représentatives, pour cette raison, d’un état intermédiaire de l’opéra-comique, entre les opéras-comiques entièrement en vaudevilles de la première moitié du siècle et ceux entièrement à ariettes de la seconde moitié. Notons que Le Peintre amoureux de son modèle (1757, Anseaume et Duni) et Blaise le savetier (1759, Sedaine et Philidor), dans lesquels jouait Laruette, offrent le prototype de la deuxième manière puisqu’ils sont presqu’entièrement dépourvus de vaudeville.

22Pour l’heure, si l’on se réfère d’abord au livret de 1758, plutôt qu’à la partition de 1763, Le Docteur Sangrado contient 32 vaudevilles et 10 ariettes (voir Tableau 1 : Morceaux musicaux dans Le Docteur Sangrado). Parmi ces dernières, trois sont de Duni, six de Laruette, et une autre pour le personnage de Lolotte, qui est supprimée en 1763, figure sans nom de compositeur. La partition de 1763 comporte la musique des morceaux que nous avons numérotés de 1 à 13, mais cinq d’entre eux sont des vaudevilles écrits et orchestrés. Aucun morceau n’est attribué, la page de titre se contentant d’indiquer que le livret est mis « en musique par Duny [sic] et Laruette ». À cette date, il n’est plus question de présenter un opéra-comique sans un nom, au moins, de compositeur et le décompte produit un total de 28 vaudevilles présentés comme tels et 13 ariettes dont cinq sont des vaudevilles non explicités.

  • 23 Le timbre préconisé est le vaudeville final de la pièce des Fées (Romagnesi, Comédiens Italiens, 17 (...)

23La liste des timbres employés confirme le caractère anthologique que nous avons relevé au sujet des scènes : pour la plupart, ils sont connus et employés régulièrement par les forains depuis plus de quarante ans. Plusieurs d’entre eux sont des airs favoris que le public connaissait soit par leurs originaux, soit par les remplois dans des opéras-comiques antérieurs. Cette considération rend leur utilisation épineuse dans une mise en scène contemporaine car le jeu des références sous-entendues devient non seulement inopérant pour l’auditeur mais très difficile à élucider pour le chercheur, fût-il un spécialiste de ce répertoire. Par exemple, la scène 6 se termine sur la plus franche expression du charlatanisme de Sangrado. Tandis qu’il prie Jacqueline de recevoir ses patients en son absence, il chante « Adieu, tu prendras soin d’écrire / Tous les gens qui viendront pour moi, / De leurs noms il faudra m’instruire » sur l’air « Tout roule aujourd’hui dans le monde ». L’on devine approximativement l’effet recherché, à la lecture, mais la mélodie n’est plus utilisable de nos jours23.

  • 24 « vaudeville (1758) » indique que l’air était signalé comme un vaudeville dans le livret. « Laruett (...)

24Parmi les vaudevilles24, on remarque le détournement de l’air de Jean-Jacques Rousseau, « C’est un enfant » (Le Devin du village), dans la scène 13, dont les nouvelles paroles, « Ah ! le nigaud », devaient produire un éclat de rire général et qui conserve tout son sel même pour un auditoire qui ignore la référence. Plus subtilement, l’air « Mon cœur volage » (no 8) qui porte le texte « Fille à mon âge / du mariage / fuit l’embarras / et n’entend point tout ce tracas » par lequel Jacqueline s’efforce de décourager les ardeurs du barbon, entretient une parenté mélodique et harmonique évidente avec le fameux Air des Sauvages de Rameau (Les Indes galantes). L’on se plait à penser que par certains choix, Louis Anseaume et ses acolytes ont fait preuve d’une malice qui nous échappe à jamais et qu’il ne serait possible de reproduire qu’en recourant à des mélodies beaucoup plus récentes.

Tableau 1 : Ariettes et vaudevilles du Docteur Sangrado

Tableau 1 : Ariettes et vaudevilles du Docteur Sangrado

25Le nombre des interventions rappelle celui des livrets de Favart qui impose un jeu d’acteur contraint par le passage constant du chant à la parole. L’expérience de la mise en scène laisse croire que les vaudevilles figurent comme autant de propositions mais qu’ils n’étaient pas nécessairement conservés dans leur intégralité. Il reste qu’ils imposent une forme dramatique continue, sans rupture franche entre ce qui est énoncé en chantant et ce qui l’est en parlant. Et c’est bien ce jeu vivant qui produit la magie d’un genre imposant à la représentation une vivacité continue des personnages, un jeu permanent sur le sens des répliques et une ouverture constante vers le lazzi.

26Les sources du Médecin de l’amour se présentent d’une autre manière. Nous disposons du livret édité en 1758 qui contient quelques musiques notées à la fin du volume pour servir dans la scène 8. Elles sont indispensables pour le réglage de cette scène cruciale de l’observation par le Médecin de Laure et Léandre qu’il a conviés à un bal improvisé dans le but d’examiner leurs attitudes réciproques. La partition éditée la même année par La Chevardière ne comporte que la musique, ce qui est extrêmement rare, exceptionnel jusqu’à la période du Directoire où quelques partitions d’opéras-comiques sont éditées sans livret. Les deux sources concordent parfaitement, sauf pour la scène 8 dont la musique pour le bal intitulée (dans le livret) « Contredanse des amants jardiniers » est absente. Elle est probablement empruntée à L’Amant jardinier ou l’amusement de campagne (Favart et Voizenon, 1756) et fait partie d’un répertoire instrumental, circulant d’une pièce à une autre, que l’éditeur s’est interdit de publier dans une partition attribuée à Laruette.

27La pièce comporte 30 vaudevilles et 13 ariettes. La même observation que celle que nous avons faites au sujet de Sangrado concernant la popularité des timbres et le rythme des scènes peut être faite au sujet du Médecin de l’amour. Il faut mentionner cependant l’écriture en vers (948) et la longueur des répliques qui impose un rythme discursif plus lent que dans Le Docteur Sangrado, ainsi que les fameuses scènes 12-13 qui contiennent à elles seules 155 vers et dont l’ariette No 12 est chantée seul en scène, comme à l’opéra. Le style musical de Laruette est, par ailleurs, varié. Résolument italien pour le premier air du Bailli, « Quel plaisir j’aurais », ou pour celui de Dame Perrette, « Dans son ménage », il est expressif dans l’air de Laure, « Je dois le plus tendre retour », ou dans le duo « Ah ! mon malheur est extrême » et il adopte ailleurs un style français qui se réfère à la danse ou à la cantatille. L’air du Médecin « Je plains un cœur », écrit dans la mesure inattendue de 6/4, est le parangon de l’air descriptif où la flûte fait un commentaire de la métaphore picturale « C’est un oiseau pris dans la cage » qui évoque le symbolisme des portraits de Greuze. Ce mariage de la métaphore poétique et du figuralisme mélodique évoque immédiatement l’univers de la pastoral et de la cantate française.

Tableau 2 : Ariettes et vaudevilles du Médecin de l’amour

Tableau 2 : Ariettes et vaudevilles du Médecin de l’amour

28Ces dernières considérations marquent la différence de caractère entre les deux partitions de Sangrado et du Médecin de l’amour. Toute tentative d’aligner les deux pièces sur une hypothétique expression de la tradition farcesque de la foire par une musique conservatrice et du drame par une musique moderne se heurte cependant à la variété de ton qui règne dans les deux ouvrages. De cette description, on doit tirer d’abord une conclusion essentielle. Si les deux pièces se distinguent très nettement par leur genre dramatique, la première étant plus proche de la comédie traditionnelle et l’autre tirant vers l’expression du sentiment, elles ont en commun un rythme dramatique semblable, propre à l’opéra-comique en vaudeville, c’est-à-dire vif et laissant le jeu d’acteur ouvert à la commedia. Le parti pris du mélange des vaudevilles et des ariettes les réunit dans une dramaturgie commune, quel que soit par ailleurs leur registre dramatique.

III. Les « Scènes de médecine dans l’opéra-comique » et la représentation historiquement informée

  • 25 Sur ces notions, voir le texte de Didier Plassard, « Texte événement, texte monument », Revue d’His (...)

29Il y a plusieurs manières d’exploiter l’information produite par les recherches en histoire du théâtre. Au-delà de l’indispensable réflexion sur le choix des sources à employer, ces dernières peuvent renseigner sur la prononciation du texte, le choix de la salle, le costume, le décor, l’instrumentarium ou sur la manière d’utiliser des partitions qui ne sont souvent que des traces écrites ouvertes aux interprétations. De l’approche historique, il est résulté au moins deux partis pris dont la contradiction apparaît avec évidence. D’une part, les mises en scène du théâtre classique recourent à la prononciation ancienne et à une gestique codée qui donnent l’illusion, jusqu’à un certain point authentique, que nous assistons à une représentation du XVIIe siècle en collant au texte et aux traités. D’autre part, la recherche sur la mise en scène au XIXe siècle, en particulier sur le mélodrame, fait la part belle aux paramètres de la représentation qui entourent le texte lui-même en introduisant une distinction entre le texte-monument, ce qui reste de la représentation quand on n’a plus que le texte, et le texte-événement, ce qui ressortit de la représentation et qui entoure le texte sans y figurer en totalité et en détail25. Les deux approches, également fertiles et également convaincantes quant à l’intention de restituer l’expérience théâtrale et le sens de la pièce, tirent les conséquences de conceptions théâtrales fortement datées, appropriées à leur objet, mais aussi très différentes selon que l’on met en scène une pièce de l’âge classique ou un drame romantique.

  • 26 Pour une mise en scène du Docteur Sangrado qui confirme notre propos, on peut se reporter à la prod (...)

30Pour plusieurs raisons, cependant, ces deux approches montrent leurs limites quand on cherche à les introduire dans la mise en scène d’un opéra-comique. Deux raisons, principalement, méritent d’être rappelées avant d’entrer dans l’analyse de la conférence-spectacle « Scènes de médecine dans l’opéra-comique ». La première découle de l’analyse des sources utilisées, livret et partition. L’observance rigoureuse du texte qui conduirait à l’utilisation de toutes les insertions musicales, vaudevilles et ariettes, proposées par les sources n’a sans doute jamais eu cours. L’idée que le livret de 1758 ou la partition de 1763 seraient les témoins complets, exacts et inaltérables des représentations par les forains puis par la Comédie Italienne résiste mal à l’épreuve de la scène, comme en témoigne la comparaison des deux pour Le Docteur Sangrado. La partition de 1763 paraît plutôt porter la trace de ce qui s’est passé sur scène au fil des représentations et elle laisse croire qu’il s’est passé beaucoup d’autres choses dont la trace n’a pas été conservée parce qu’il n’y a pas de solution éditoriale pour la retranscription d’un spectacle vivant26.

  • 27 « Continuity » dans David Charlton, Popular Opera in Eighteenth-Century France, Cambridge, Cambridg (...)

31La deuxième repose sur un constat plus grave pour notre temps : il paraît quasiment impossible de réunir dans une seule troupe une qualité d’exécution vocale et de jeu théâtral répondant aux exigences du genre. L’étanchéité des mondes du théâtre et de l’opéra est telle désormais qu’il paraît impossible de réunir les qualités de jeu et de chant nécessaires à la représentation d’un opéra-comique. L’opéra-comique relève d’une tradition spécifique dont la maîtrise est devenue extrêmement rare. Le problème soulevé par Sedaine à la fin des années 1750 (voir l’épigraphe de notre article) peut être lu comme l’enjeu central de la naissance de l’opéra-comique à ariettes : concilier deux dramaturgies antinomiques. Celle du théâtre, qui fait de chaque événement et de chaque réplique la conséquence et l’antécédent de ceux qui les précèdent et les suivent ; et celle de l’opéra qui sépare l’action dialoguée, confiée au récitatif, et l’expression du sentiment par la musique, enclos dans le temps de l’air. En substituant l’ariette au vaudeville, le spectacle mixte rencontrait une difficulté que toute la deuxième moitié du XVIIIe siècle s’est efforcée de surmonter, le plus souvent avec bonheur, au point de fonder un genre théâtral spécifique. La doctrine qui a inspiré les Scènes de médecine dans l’opéra-comique a privilégié ce point essentiel de la continuité dramatique et prétend par là rendre compte des préoccupations des créateurs du nouveau genre à la fin des années 175027.

Blaise et Sangrado, Salle Varèse, Cité des Arts de Montpellier, 28 mai 2022

Le théâtre d’abord : costumes, fonds de scène, voix et accompagnement musical

32Le décor des Scènes de médecine dans l’opéra-comique était bien entendu borné par des limites économiques mais nous avons fait le choix d’un contraste intérieur/extérieur. Pour Sangrado, un intérieur bourgeois figuré par deux fenêtres dans le style du XVIIe siècle rappelait à la fois le statut social du personnage et l’architecture de l’époque. Quant au médecin de l’amour, les allusions à la nature et les méthodes du médecin nous ont portés vers une représentation stylisée d’un extérieur du XVIIIe siècle à travers un théâtre d’ombre où une nature accueillante encadrait des musiciens et des danseurs mis en mouvement à un moment clé de la pièce.

33Le choix d’un plateau nu, à l’exception de quelques accessoires, est également l’occasion de donner des signes rares mais clairs d’une dramaturgie qui différencie chaque opéra : pour le docteur tout-puissant et autoritaire, un fauteuil chargé de velours et de dorure, dérivé burlesque du trône ; la hiérarchie et la solitude l’accompagnent. Tout au contraire, les deux chaises de jardin du médecin de l’amour invitent à la complicité amicale ou amoureuse et appellent le chant des oiseaux.

Géronte, Gillot et le Médecin de l’amour, Salle Varèse, Cité des Arts de Montpellier, 28 mai 2022

34« Un récipé joyeux d’amusement, de musique et de danse », telle était la nouvelle ordonnance d’un médecin version philosophe du XVIIIe siècle (scène 8). Ainsi la solennité des hauteurs intérieures des fenêtres (accentuée par une prise de vue en grand angle) contrastait avec la simplicité d’une atmosphère bucolique si chère aux tableaux de Watteau. Même souci de caractérisation dans les choix des deux médecins : le personnage de Sangrado fait signe vers des représentations très moliéresques, avec chasuble et chapeau du médecin, usant et abusant de cet attirail spectaculaire visant à impressionner le patient/client ; « tout notre talent est de savoir mentir » enseigne-t-il à Jacqueline, dont il compte faire sa complice. Cette dernière, élève douée, mais insolente, singe avec délice la figure du médecin, enfile la chasuble et y adjoint avec malice une boule de cristal, image scénique qui met ainsi un point d’orgue à la représentation du charlatan.

35

Extrait vidéo 05 - Sangrado

Jacqueline dans le costume de Sangrado, Salle Varèse, Cité des Arts de Montpellier, 28 mai 2022

36A contrario, le personnage du médecin dans le second opéra-comique, ne montre aucun stigmate de sa fonction thérapeutique, il a choisi une ressemblance rassurante avec le bourgeois. Il ne règne pas par le spectaculaire, au contraire, tout son art est de se confondre avec ses patients, par une sorte d’empathie bienveillante. Cette identité est essentielle dans la scène où il convainc Géronte de céder sa promise à son fils, puisqu’il fait comprendre, par un effet de miroir, que la situation de Géronte pourrait être la sienne (scène 12). La palette des costumes du Médecin de l’Amour fait également référence à l’univers du Dorval de Diderot, jeunes gens issus d’une bourgeoise lettrée, qui prétendent à un raffinement du costume. L’histoire de Laure et de Léandre, ainsi que celle de Géronte, le père rééduqué par l’ami bienveillant, s’éloigne de la pure comédie et se tourne très évidemment vers le drame bourgeois.

Laure, le Médecin de l’amour (Pauline Ruiz-Touzellier) et Léandre, Vacheresse les basses, 2 avril 2023

37Les moyens de production restreints du spectacle ont empêché la constitution d’un ensemble instrumental qui aurait pu rendre compte des conditions de représentation de la Foire. Celles-ci sont mal connues, mais les sources musicales peuvent orienter les choix, du moins pour ce qui concerne les ariettes de Sangrado. La partition de Sangrado est écrite à deux parties instrumentales (violon et basse) ; l’on peut utiliser les parties séparées de quatuor à cordes que La Chevardière publie simultanément si l’on veut obtenir une réalisation à quatre parties et l’on peut aussi doubler la basse avec un basson, comme cela est suggéré. La partition du Médecin est plus riche : elle est écrite à trois parties, le plus souvent, et fait apparaître des parties obligées pour la flûte, le basson et le hautbois. Ces derniers instruments ne jouent pas dans tous les morceaux, ils sont distribués avec l’intention de caractériser chaque morceau, y compris pour le basson qui peut jouer des parties distinctes de la basse.

  • 28 Depuis peu, nous avons ajouté une viole de gambe ; l’ensemble serait encore meilleur avec une basse (...)

38Notre choix s’est porté sur l’association d’un instrument mélodique et d’un instrument accompagnateur seulement, faute de moyens28. En dépit de ce que nous avons dit sur la parenté des deux pièces, nous avons voulu un contraste expressif, redondant avec les fonds de scène et les costumes, qui s’affirme ici par le choix de l’instrument accompagnateur : la guitare, instrument espagnol, pour Sangrado ; la harpe, instrument du sentiment, pour Le Médecin de l’amour. Dans les deux cas, l’accompagnement s’en tient à une nuance douce qui ne couvre pas les voix. En distribuant des acteurs dans les deux ouvrages, il a fallu tenir compte de leurs capacités vocales inégales et c’est la raison pour laquelle nous avons transposé certains morceaux. Le diapason utilisé est à 415hz en raison de la présence du traverso comme instrument mélodique solo. Le texte de la plupart des vaudevilles a été conservé mais il est parlé, sauf lorsqu’une solution efficace existait pour reproduire l’effet voulu par les auteurs. L’arrangement musical et la direction d’acteur étaient concentrés sur l’effet théâtral.

Le style bouffe et l’ariette de type 2

  • 29 Voir Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki, L’Invention des genres lyriques français et leur redécou (...)
  • 30 Il s’en trouve un très bel exemple avec l’air d’Annette « Pauvre Annette » dans la scène 6 d’Annett (...)

39Dans un texte intitulé « Le matériel de l’opéra-comique », David Charlton a proposé une analyse des emplois du mot ariette au cours des années 1750 en faisant observer qu’il renvoie à l’opéra italien de deux manières différentes29. Il peut désigner l’air d’opéra en insistant sur la qualité mélodique, strictement musicale des airs d’opéra seria dont le public parisien avait connaissance par des exécutions en concert ou dans des circonstances détachées de leur contexte dramatique. Il en existe plusieurs exemples dans l’opéra-comique qui exercent une séduction immédiate par la seule force expressive de la beauté de la ligne et introduisent un moment d’émotion extatique (ariette de type 1). Parfois, il s’agit même d’airs italiens empruntés à des opéras contemporains et sur lesquels on écrit des paroles françaises30. On ne trouve pas d’ariette de type 1 dans les deux œuvres que nous analysons.

40« Ariette » peut aussi désigner plus précisément les airs entendus sur scène dans les intermezzos représentés à l’Académie royale de musique ou à la comédie italienne. Le mot ariette évoque alors un type d’air faisant agir le corps, dictant son tempo à la pantomime de l’acteur et produisant un « effet de réalité » (ariette de type 2). L’air bouffe, pour le dire autrement, celui que l’on trouve en abondance dans La Serva padrona de Pergolèse et quelques autres partitions ayant contribué à déclencher la Querelle des bouffons, répondent à cette définition. Plusieurs airs dans ce style se trouvent dans les deux pièces qui nous intéressent. Ce sont les deux airs de Duni dans Le Docteur Sangrado (no 1 et 9), l’air du Bailli (no 1) par lequel commence Le Médecin de l’amour et celui de Dame Perrette (no 7), tous trois de Laruette.

  • 31 P.-J.-B. Nougaret, De l’art du théâtre en général, Paris, Cailleau, 1769, p. 308.
  • 32 Voir note 1.
  • 33 Voir Patrick Taïeb, « L’air ‘Da Capo’ dans l’opéra-comique de Dauvergne à Grétry (1753-1771) », Mus (...)

41Pour certains commentateurs critiques de l’ariette, une caractéristique malheureuse de ces morceaux tient à l’effet de surplace dramatique qu’ils produisent « au théâtre », qu’il s’agisse du type 1 ou du type 2. Nougaret, par exemple, écrit que « généralement, les ariettes refroidissent l’intérêt31 ». C’est précisément pour contrecarrer la suspension de l’action que Sedaine multiplie les didascalies dans Blaise le savetier en 1757 et qu’il attire l’attention sur elles par un « Avertissement de l’auteur32 ». Les sept didascalies sont inattendues parce qu’elles précisent l’état psychologique des personnages, et prescrivent un jeu et des intentions non seulement au personnage qui chante mais également à celui qui l’écoute. Il est donc remarquable qu’elles concernent les caractéristiques formelles du Da capo bouffe : la longueur de la ritournelle (introduction instrumentale), les trop nombreuses répétitions du texte et la reprise (da capo). Les préoccupations de Sedaine pour son Savetier de 1759 offrent quelques clés de lecture pour le Sangrado de 175833.

42Les ariettes de type 2, adéquates pour camper les figures de Sangrado (sa lubie professionnelle), de Géronte (la bonhommie du père bourgeois) et de Dame Perrette (une radoteuse), s’écartent des conventions de l’air italien pour éviter le refroidissement de l’intérêt. Par exemple, les deux airs bouffes du docteur (no 1 et 9) qui sont pleinement des airs de caractères n’adoptent pas la forme da capo. L’air no 9 est dépourvu de ritournelle et jaillit littéralement du dialogue, comme c’est le cas pour la quasi-totalité des ariettes des deux opéra-comiques. Les répétitions de membres de phrases sont variées mélodiquement, comme si l’acteur changeait d’intention en répétant les mêmes propos.

43Le premier air de Sangrado comporte une ritournelle brève qui tient lieu d’ouverture à l’opéra, comme c’est le cas dans La Serva padrona. La situation suggère que le docteur s’adresse à une assemblée et fait du théâtre dans le théâtre pour exposer sa méthode : « Sangrado environné de différentes personnes qui sont venus le consulter ». Dans notre mise en scène, nous avons dû supprimer les scènes 1 et 2. La ritournelle sert à faire entrer Blaise qui s’endort derrière le fauteuil. Le jeu de Sangrado s’adresse au public tandis que la confrontation entre les deux personnages est préparée comme en second plan et de manière à camper le docteur en homme rusé. La ritournelle conclusive de l’air amène le dialogue par lazzi et Sangrado attrape Blaise à la gorge sur la dernière note de la cadence.

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Extrait vidéo 06 - Sangrado

45La scène du charlatan (6) dans laquelle se trouve le no 9, « Si tant de mes confrères », nécessite une continuité du jeu dans toute la scène et qui englobe l’air. Sangrado essuie un refus de la part de Jacqueline et reprend sa position de maître des lieux en la priant de recevoir les patients à sa place, tandis qu’il part en quête d’un notaire pour leur mariage. Surprise qu’on veuille la charger de tenir la place du médecin, elle provoque l’instruction drolatique du charlatan qui la distrait pour un moment. Les différentes parties de l’air obligent le chanteur à varier son jeu et, inversement, le phrasé périodique permet des repos et des reprises brisant l’effet de concert détaché du théâtre. La ritournelle conclusive est éloignée de l’air pour que le dialogue puisse reprendre sans attendre ; elle est déplacée sur la sortie de Sangrado où elle fournit une conclusion joyeuse et propulse le monologue de Jacqueline (scène 7) où elle dit sa réticence : « Hélas ! je vais être sa femme, / Déjà l’ennui saisit mon âme ».

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Extrait vidéo 07 - Sangrado

La pantomime

47Les deux pièces reprennent le thème de l’innocence – ou de la niaiserie –, celle qui invite à éclater de rire ou à sourire parce que le personnage ignore, plus longtemps que le spectateur, la nature du « mal qui le tient là ». L’éveil du désir, ce passage du trouble innocent à la conscience que symbolise le dénouement par le mariage se prête aisément au clin d’œil adressé par l’auteur au spectateur par-delà le personnage. Il existe chez Molière mais les héroïnes de ses pièces à médecin sont plus souvent conscientes de leur élan et de leur sort que les personnages de la foire. Leur conscience est le nerf du scénario qui conduit de l’amour contrarié au mariage d’amour, par la ruse d’une soubrette ou d’un amant habile. En revanche, Favart a tiré de ce ressort fertile le chef d’œuvre de La Chercheuse d’esprit (1741) où il offre un vaste champ à l’équivoque et à son plus sûr allié, la pantomime. Nicette s’ouvre innocemment auprès des « adultes » de son obsession pour cette chose dont elle ne sait rien d’autre que « C’est que quand ça vient, ça vient ! » (scène 8). Au cours de la déambulation sournoise dans les étapes de l’érotisme à tous les âges de la vie, elle demande obstinément et à l’encan qu’on veuille bien lui procurer cette chose inconnue d’elle dont tout le monde est instruit et qui semble faire le bonheur de chacun. Chaque personnage lui répond à sa manière, jusqu’à L’Éveillé, déjà très instruit, toujours vigoureux – bien que promis à Finette –, et que l’innocence de la jeune fille met en mouvement.

48La Chercheuse d’esprit (Charles-Simon Favart, 1741)

  • 34 L’italique distingue les répliques chantées des répliques parlées.

49NICETTE34
Air : Donnez, Amans, mais donnez bien.
Vaudeville du Magnifique.

Vos bonté me rendent confuse.
Me ferez-vous de tels présents,
À moi qui n’ait que quatorze ans ?

50L’ÉVEILLE

Jamais esprit ne se refuse…
Laissez faire, je vous en donnerai tout ce que j’en ai.

51Le ressort comique de l’innocence fait le sel du dialogue Blaise/Jacqueline (Sangrado, scène 10) et joue de la complicité avec le spectateur en s’inspirant directement de la scène 10 de La Chercheuse d’esprit. Dans cette scène de Favart, Mme Madré, « riche fermière », instruit Alain, le fils niais du mal nommé Monsieur Subtil qui entend épouser Nicette. À la scène 1, Mme Madré s’exclame « Comment, un homme d’esprit comme vous, Procureur & Notaire Royal, qui pis est, épouser une Agnès ! » parce qu’elle se voit dédaignée par M. Subtil au profit de sa fille. La scène 10 déroule la méthode reprise par Jacqueline dans Sangrado : on choisit « une amoureuse », on fait « un doux compliment », on compare « la belle aux fleurs, au beau jour », « on lui baise la main », « on l’embrasse » et « Le tour est fini ! » Le vocabulaire de Louis Anseaume reprend celui de Favart, pour camper la situation, en ajoutant un intérêt : ce n’est plus la mère qui instruit le garçon qu’elle se destine en espérant qu’il se serve de la leçon de séduction pour la demander en mariage, c’est la fille elle-même qui fait l’instruction du garçon parce que « avec un tel mari [elle serait] plus contente / Qu’avec ce vieux Docteur [Sangrado] ». Le stratagème de Mme Madré échoue dans La Chercheuse d’esprit, il réussit dans Sangrado car Jacqueline, par cette instruction, amène Blaise à lui faire sa demande.

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Extrait vidéo 08 - Sangrado

53Plusieurs détails des sources de Sangrado montrent que cette scène d’instruction par la jeune femme a inspiré une musique qui a été composée expressément pour accompagner une pantomime. La composition est intervenue à un moment impossible à définir précisément, entre la première de la pièce (1758) et la publication de la partition (1763). Cette dernière contient un épisode instrumental étranger au livret et ajouté au sein de l’air dialogué entre Blaise et Jacqueline. Le cas est particulièrement intéressant : dans le livret, il s’agit d’un vaudeville pendant lequel les deux amoureux chantent des paroles dont le premier couplet est repris. C’est avant la reprise que se situe l’ajout instrumental de la partition (voir ci-dessous).

54Le Docteur Sangrado, scène 10

Blaise
Oui, je crois cela
Très propre au mal qui me tient là
Ah mais oui-da
Ce secret-là
Plus sûrement je crois
Me guérira
Mais dites-moi vous qu’en savez tant
Pour l’employer comme on s’y prend

Jacqueline
D’une fillette gentille, jeunette, d’abord on fait emplette.

[
Épisode instrumental ajouté dans la partition]

Blaise
Oui,
Ah mais oui-da
Vl’a c’qui m’convient,
Vl’à ce qu’il m’faudra
Ce secret là plus sûrement me guérira.

55Le mal d’amour et le mariage valent comme symbolique du désir et de son accomplissement. En échangeant la duègne de Favart contre Jacqueline, qui instruit pour son seul usage, Anseaume introduit une initiation érotique qui n’est possible que parce que l’opéra-comique en vaudeville a formé un public dont la disposition repose sur le mécanisme du mot d’esprit : dire la moitié du propos et laisser faire le diable. C’est cela qui nous a inspiré la pantomime du voile, symbolique du drap et de la consommation du mariage, mais aussi du lien par lequel on s’attrape ou avec lequel on se cache, que Jacqueline utilise pour guider Blaise, dont elle se fait l’initiatrice, et canaliser son désir, selon une conception strictement genrée des rôles amoureux.

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Extrait vidéo 09 - Sangrado

Le vaudeville et le diable

  • 35 Parodier signifie écrire un texte sur une musique préexistante.

57Dans l’opéra-comique de la foire, le diable est souvent dans la mélodie originelle que l’on parodie avec un texte nouveau35. La rencontre des deux produit le mécanisme propre au mot d’esprit d’où procèdent des scènes à double ou triple sens qui sont laissées à la plus ou moins grande vivacité du spectateur. Là, sans doute, réside le principal écueil de la restitution historique : une pièce de Favart, aussi savoureuse que le karaoké d’une émission télévisée roulant sur un répertoire de chansons de variétés, devient vite un assommant exercice d’érudition destiné à un public de snobs parce que la trentaine de mélodies archi familières au public de 1750 est entièrement – ou presque – tombée dans l’oubli. C’est la raison pour laquelle, nous n’avons fait qu’un usage parcimonieux du procédé : le remplacement systématique des mélodies anciennes, sans efficacité sur un public contemporain, par des chansons de variétés eut totalement dénaturé le spectacle et brisé une cohérence stylistique, maintenue par ailleurs grâce aux costumes, au langage, aux mœurs, etc.

  • 36 Voir le volume V de Lesage et d’Orneval, Théâtre de la Foire, ou l’opéra-comique contenant les meil (...)

58Cependant, dans la scène de Lolotte (8), il ne fait pas de doute que la superposition de son texte chanté avec la mélodie « Quand la nuit, je vois Jeannette » vise un double sens égrillard. Lolotte est dans le même état d’innocence que Blaise quant à la jalousie féroce qu’elle conçoit pour sa sœur qui la traite en petite fille et l’évince sans ménagement quand elle reçoit des garçons. L’objet de sa visite chez le docteur Sangrado est d’obtenir un remède qui la ferait grandir suffisamment pour intéresser les soupirants et son issue est de repartir innocente en étant la dupe complète du discours qu’elle tient pour un spectateur ravi. Il fallait un soin particulier pour réaliser ce moment car il s’agit de la reprise de La Foire des fées dont Anseaume reprend le texte intégralement36, en ajoutant des vaudevilles, absents dans la source, qui introduise le double sens égrillard. La solution a consisté à utiliser pour le texte chanté du livret d’Anseaume une mélodie chargée d’un sens pornographique connu du public contemporain. C’est donc sur la fameuse chanson de France Gall, « Les sucettes à l’anis » (Serge Gainsbourg), que Lolotte chante « Avec un air de mystère », avant d’apprendre aux spectateurs que les visiteurs passent la nuit avec sa sœur ou sa mère :

59Le Docteur Sangrado, scène 8

60LOLOTTE
Sur l’air : « Quand la nuit, je vois Jeannette »
[remplacé par Les Sucettes à l’anis de Serge Gainsbourg]

Avec un air de mystère,
Ces beaux messieurs chaque jour,
Vont à ma sœur, à ma mère
Tour à tour faire la cour.
L’un dit « Je meurs de tendresse,
Si je n’obtiens du retour »
L’autre « Belle maîtresse,
J’vais expirer d’amour »

Jacqueline
Et ont-elles pitié d’eux ?

Lolotte
Dam ! je n’en sais rien,
On m’envoie toujours jouer avec mamie.
Mais ils ne meurent pas.

Jacqueline
Comment ?

Lolotte
Je le sais bien, le lendemain, je les revois en vie.

61

Extrait vidéo 10 - Sangrado

L’accent déclamatoire et l’ariette de type 3

  • 37 Judith Leblanc et Patrick Taïeb, « Merveilleux et réalisme dans Zémire et Azor : un échange entre D (...)
  • 38 André-Ernest-Modeste Grétry, Mémoires, ou essais sur la musique, Paris, Imprimerie de la République (...)

62À la typologie de David Charlton, on voudrait proposer un troisième type d’ariette dont les compositions de Laruette offrent plusieurs exemples. Comme celles du type 1, ils consistent en un moment d’expression du sentiment par la musique. Mais à la différence des airs d’opéra seria parodiés en français (comme dans l’exemple d’Annette et Lubin ; voir la note 28), ils ne sont pas détachés de l’action ni de la situation et ils ne laissent pas place à une expression mélodique pure, à un bel canto quasiment instrumental ; au contraire, ils sont forgés par elles, parce que la ligne mélodique est entièrement déterminée par l’accent déclamatoire. On n’en trouve aucun exemple dans Le Docteur Sangrado, où l’expression du sentiment est absente, mais plusieurs dans Le Médecin de l’amour où il est au centre de l’argument : Léandre, no 4 « Ah ! quel tourment » ; Laure, no 6 « Je dois le plus tendre retour » ; Léandre et Laure, no 8 « Ah ! mon malheur est extrême » ; Géronte, no 12 « Ô chers objets de ma tendresse ». On remarque que trois des incipits contiennent une exclamation, laquelle détermine le rythme et le dessin mélodiques, comme le préconise Diderot dans Le Neveu de Rameau37 ; nous y voyons aussi une application d’un principe analysé par Grétry dans ces Mémoires38, qu’il déclare recevoir de la lecture de Rousseau et de la fréquentation des salons : la mélodie est une exagération de la déclamation, la voix chantée une exagération de la voix parlée.

63Les quatre numéros ont d’autres points communs : leur tonalité est mineure (respectivement la, mi, do et sol) ; ils portent l’indication « tendrement » ou bien une mesure à la brève (2/2) ; la mélodie souligne le sens du texte et la vocalise y est très discrète. Les deux tonalités à bémol, do et sol, ont des armures défectives (deux bémols pour le premier et un bémol pour le second), ce qui renvoie à des conventions encore en vigueur dans la musique française. La position du morceau en fin de scène (no 8), ou occupant tout une scène en solo après la sortie d’un protagoniste (no 4 et 12), justifie l’exclamation qui est l’expression d’un trop plein d’émotion. Dans le duo de Laure et Léandre, l’exclamation initiale revient plusieurs fois et fournit le trait distinctif et mémorisable. Comme dans l’ariette de type 1, la musique prend en charge l’expression du sentiment, là où le drame diderotien aurait développé l’explication et produit l’émotion par l’argument, mais l’ariette de type 3 écarte toute suspension dramatique : elle jaillit du dialogue, sans laisser place à une ritournelle ni à aucun épisode instrumental, de même qu’elle entraîne une fin de morceau sur le point d’orgue, qui est le lieu conventionnel de la cadence précédant la conclusion instrumentale. Au contraire, la péroraison instrumentale s’efface pour laisser le dernier mot à la voix : « Et je vous perds sans retour [bis] ».

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Extrait vidéo 11 - Le Médecin de l’amour

65Il est remarquable que le type 3 soit si présent dans Le Médecin de l’amour et qu’il ne se rencontre aucun emprunt au bel canto italien. Laruette fait là un choix stylistique majeur en confiant l’expression du sentiment à une esthétique déclamatoire. Elle permet de différencier les personnages dans les ensembles en fonction de leur état psychologique ; on en voit l’ébauche dans l’opposition majeur / mineur au sein du trio no 9 où Laure et Léandre chantent en mineur, changeant l’indication « Gay » en agitation intérieure pour « De cette douce promesse quand verrons-nous les effets ? » Le procédé est encore rudimentaire, quoique très éloquent déjà, et il préfigure l’art de l’écriture des ensembles, de plus en plus raffinée pour l’expression de sentiments divergents.

66L’air de Géronte « Ô chers objets de ma tendresse » retient toute notre attention. Il remplit la scène 13 et tient lieu de monologue intérieur pour l’expression d’un dilemme moral. Géronte sacrifiera-t-il son fils à son bonheur en épousant Laure ou bien suivra-t-il le conseil du médecin de l’amour en renonçant à cette union et en mariant les deux jeunes gens ? La tonalité de mi mineur, l’appui mélodique sur l’exclamation initiale et le style déclamatoire en font le parangon du type 3, en dépit de sa forme Da Capo. Le long crescendo porté par les mots « Oui, la nature, / Tout bas murmure, / Et de mon fils prend le parti », part du plus grave de la voix (sib sous la portée en clé d’ut 4) et aboutit par paliers à son registre aigu (fa au-dessus de la portée). Une partie de basson obligé fait entendre ce murmure de la nature tandis que la volonté de Géronte s’affermit pour éclater sur sa résolution morale. Le même procédé figure dix ans plus tard dans le monologue de Blaise, à la scène 7 de Lucile (Marmontel et Grétry, 1769) : Blaise doit révéler le secret de la naissance de sa fille, ce qui compromet son mariage avec Dorval, ou le conserver et protéger le bonheur des deux jeunes gens en leur cachant la vérité. Grétry consacre plusieurs pages de commentaires à ce seul morceau qu’il conclut en soulignant la peine qu’il lui a coûtée :

  • 39 Grétry, Essais, op. cit., t. I, p. 180, l’analyse complète figure p. 175 à 181.

Ce monologue, le seul peut-être que je ferai dans ce genre, où la déclamation, l’harmonie et la mélodie concourent à l’expression, m’a paru mériter d’être analysé. On m’a demandé cent fois, si je préfèrais ce morceau au quatuor. Je dirai qu’il faut un sentiment plus profond, une plus grande connaissance du cœur humain, pour faire ce monologue et qu’un instant d’inspiration a suffi pour produire le quatuor39.

67Il est très remarquable que Jean-Louis Laruette (Timante) et sa femme (Lucile) soient dans la distribution de cet ouvrage qui inaugure la gloire parisienne de Grétry et, d’autre part, que la satisfaction de ce dernier soit argumentée dans des termes qui conviendrait tout autant à l’air de Géronte dans Le Médecin de l’amour. Cela inspire une remarque sur les années 1750 que l’on réduirait difficilement à un schéma d’opposition simple : Ancien/Moderne, comédie/« théâtre moderne », musique française/musique italienne. Les créateurs de l’opéra-comique à ariettes ont fait feu de tout bois en combinant efficacité et continuité dramatique avec des styles musicaux très variés, y compris celui des airs de sentiment qui contribuent à l’éclosion d’un art dramatico-musical totalement neuf après la disparition du vaudeville.

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Notes

1  « Avertissement de l’auteur », Michel-Jean Sedaine, Blaise le savetier, 1759 (BnF : Th. 488), cité par David Charlton, « Sedaine’s Preface : Pretexts for a New Musical Drama », David Charlton et Mark Ledbury, Michel-Jean Sedaine (1719-1797). Theatre, Opera and Art, Aldershot, Ashgate, 2000, p. 235.

2 Opéra-comique en un acte créé à la Foire Saint Germain le 13 février 1758, d’après la page de titre de l’édition Duchesne, 1758. Le Docteur Sangrado, « Chez N. B. Duchesne, librairie rue S. Jacques, au-dessous de la Fontaine S. Benoît, au Temple du goût. / M. DCC. LVIII. Avec approbation & Privilège du Roi. », BnF : YF 8061.

3  Opéra-comique en un acte créé à la Foire Saint Laurent le 22 septembre 1758, d’après la page de titre, de l’édition Duchesne, 1758. Pour le livret, voir : Le Médecin de l’amour, « Chez N. B. Duchesne, librairie rue S. Jacques, au-dssous de la Fontaine S. Benoît, au Temple du goût. / M. DCC. LVIII. Avec approbation & Privilège du Roi. », BnF : Yf 7414 ; pour la partition, voir :

Le Médecin de l’amour, « Chez M. De Lachevardière, rue du Roule à la Croix d’or, et aux adresses ordinaires. / À Lyon, M. Les Frères Legoux, Place des Cordeliers / Avec Privilège du Roy. », BnF : L. 3108 (1).

4 Ces thématiques médicales et satiriques sont tirées des chapitre 2 et 3, Livre II, du roman picaresque. Histoire de Gil Blas de Santillane, Paris, Flammarion, 2008, p. 128-140.

5 Le sujet de Stratonice n’est pas fréquent aux XVIIe et XVIIe siècles. Il retrouve grâce en peinture à la fin du XVIIIe siècle et devient un des plus grands succès d’opéra-comique de la période 1792-1815 (livret de F. B. Hoffmann, musique de É.-N. Méhul) ; voir Raphaëlle Legrand et Patrick Taïeb, « L’opéra-comique sous le Consulat et l’Empire », Paul Prévost (dir.), Le Théâtre lyrique en France au XIXe siècle, Metz, Éditions Serpenoise, 1995, p. 1-61.

6 La quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie (1762) fournit l’explication suivante : « On dit encore figurément & familièrement ; Rabaisser la crête à quelqu’un, lui donner sur la crête, pour dire, Rabattre l’orgueil de quelqu’un, le mortifier. » Voir : https://www.cnrtl.fr/definition/academie4/crête (consulté le 12 janvier 2024).

7 Nougaret utilise l’expression de « théâtre moderne » pour désigner le nouveau genre d’opéra-comique « à ariettes », c’est-à-dire avec de la musique nouvelle expressément écrite par un compositeur contemporain, par opposition à l’opéra-comique en vaudevilles qui prévaut dans la première moitié du siècle et recourt exclusivement à des chansons connues et à des airs d’opéra parodiés. Voir P.-J.-B. Nougaret, De l’art du théâtre en général, Paris, Cailleau, 1769, p. xiii.

8 Voir source, note 2.

9 Le Docteur Sangrado, « Chez M. De Lachevardière, rue du Roule à la Croix d’or, et aux adresses ordinaires. / À Lyon, M. Les Frères Legoux, Place des Cordeliers / Avec Privilège du Roy. » Bibliothèque de Toulouse : Cons. 803 (numérisé et disponible sur Gallica). Pour dater la partition, nous nous appuyons sur deux publicités. Celle de L’Avant-coureur du 26 juillet 1762 (p. 476) : « On se prépare à donner au public la partition du Docteur Sangrado avec les parties séparées » ; et celle du Mercure de France d’octobre 1763 annonçant la disponibilité de la partition chez La Chevardière (p. 180-181).

10 Pour le livret, voir note 3 ; pour la partition, voir : Le Médecin de l’amour, « Chez M. De Lachevardière, rue du Roule à la Croix d’or, et aux adresses ordinaires. / À Lyon, M. Les Frères Legoux, Place des Cordeliers / Avec Privilège du Roy. », BnF : L. 3108 (1).

11 Le Docteur Sangrado et Le Médecin de l’amour sont repris par la Comédie Italienne, à l’Hôtel de Bourgogne, après la réouverture d’avril 1762 et représentés jusqu’en 1771. Voir Clarence D. Brenner, The Theatre Italien. Its Repertory, 1716-1793, with a Historical Introduction, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1961 ; David Charlton, Popular Opera in Eighteenth-Century France, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, p. 200.

12 Antoine Trial (1737-1795) et Madame Dugazon, Louise-Rosalie Lefèvre (1755-1821). Voir Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français, Du Roi-Soleil à la Révolution, Paris, Fayard, 2021, p. 786 et 1001.

13 Paulette Letailleur, « Jean-Louis Laruette chanteur et compositeur. Sa vie et son œuvre », dans « Recherches » sur la Musique française classique, VIII (1968), p. 161-189, IX (1969), p. 147-161, et X (1970), p. 57-86. Voir aussi, Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français, op. cit., p. 733.

14 L’institution de 1762 comporte également une troupe italienne dont Carlo Goldoni assume la responsabilité artistique ; voir Emanuele De luca et Andrea Fabiano, « La Comédie Italienne et sa réunion à l’Opéra-Comique de la Foire », Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français, op. cit., p. 529-544.

15 Les liens insérés dans le présent article renvoient à cette captation. Captation et montage de Sonny Merchat. Mise en scène de Gabrielle Ordas, arrangements musicaux de Patrick Taïeb, Tom Kondlanski, Ivane de Raulin et Benjamin Frouin, cotumes de Laurence Magnanelli. Avec : Perceval Belot (un notaire, Géronte), Tristan Malengour (Docteur Sangrado, Léandre), Tao Lelièvre (Blaise, Guillot), Candice Tejedor (Lolotte, un notaire, Laure), Pauline Ruiz-Touzellier (Jacqueline) et Adrien Vignes (un notaire, Médecin de l’amour) ; Ivane de Raulin (Harpe), Benjamin Frouin (Traverso), Tom Koudlanski (guitare), Monica Lopez Illanez (Guitare).

16 Cécile Gral Cavillac, L’Espagne dans la trilogie picaresque de Lesage, thèse de l’Université de Bordeaux, 1984.

17 Ernest Martinenche, Molière et le théâtre espagnol, Paris, Hachette, 1906.

18 Voir à ce sujet l’édition par Érik Leborgne de l’Histoire de Gil Blas de Santillane, Paris, Flammarion, 2008, p. 136.

19 Cette estimation est proposée par Judith Leblanc et, indirectement, David Trott ; voir Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français, op. cit., p. 545.

20 Les deux airs dans le style italien sont ceux de Sangrado, « Pour guérir toute maladie », et « Si tant de mes confrères », respectivement scènes 1 et 6.

21 Le livret de 1758 précise que « Les couplets marqués d’une étoile sont de M. de Marcouville, qui a fait la scène 6 & le canevas des scènes 7 et 8 sur le plan de l’auteur ». Il s’agit probablement de Pierre-Augustin Lefèvre de Marcouville (1723-1790), avocat et auteur de plusieurs opéras-comiques au milieu du siècle.

22 La lecture de la Nouvelle Héloïse de Rousseau, des malheurs de Julie et Saint-Preux, avait ouvert la voie à la moralité touchante qui fait le succès de l’opéra-comique à la fin des années 1760.

23 Le timbre préconisé est le vaudeville final de la pièce des Fées (Romagnesi, Comédiens Italiens, 1736), dont Mouret a composé la musique. Le premier couplet dit : « Tout roule aujourd’huy dans le Monde / Sur l’esprit & sur la Beauté, / […] Souvent & la Brune et la Blonde / Corrompent son intégrité ». Dans notre mise en scène, nous utilisons le thème du film Le Parrain « Parle plus bas car on pourrait bien nous entendre », joué tout bas, en trémolo et en mélodrame.

24 « vaudeville (1758) » indique que l’air était signalé comme un vaudeville dans le livret. « Laruette » et « Duni » précisent le nom du compositeur d’après les deux sources (livret de 1758 et partition de 1763).

25 Sur ces notions, voir le texte de Didier Plassard, « Texte événement, texte monument », Revue d’Histoire du Théâtre, n° 245-246, 1er et 2e trimestre 2010, p. 5-16.

26 Pour une mise en scène du Docteur Sangrado qui confirme notre propos, on peut se reporter à la production de la Compagnie des Monts du Reuil (6 février 2014) dont la scénographie diffère considérablement de celle que nous avons adoptée et qui propose néanmoins un spectacle réjouissant en suivant une tout autre route que la nôtre : https://www.bnf.fr/fr/mediatheque/le-docteur-sangrado-ou-comment-lesprit-vient-aux-filles, consulté le 12 janvier 2024.

27 « Continuity » dans David Charlton, Popular Opera in Eighteenth-Century France, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, p. 121-133 ; Patrick Taïeb, « Perspectives sur l’Opéra-Comique des Lumières », Hervé Lacombe (dir.), Histoire de l’opéra français, op. cit., p. 559-571.

28 Depuis peu, nous avons ajouté une viole de gambe ; l’ensemble serait encore meilleur avec une basse renforcée par un basson.

29 Voir Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki, L’Invention des genres lyriques français et leur redécouverte au XIXe siècle, Lyon, Symétrie, 2010, p. 239-255.

30 Il s’en trouve un très bel exemple avec l’air d’Annette « Pauvre Annette » dans la scène 6 d’Annette et Lubin, comédie de Justine Favart dont les ariettes et les vaudevilles sont écrits par Adolphe Blaise (voir l’édition La Chevardière, p. 29-30). L’air est emprunté à la partition d’Adriano in Siria composée par Hasse en 1752 : « Prigioniera abbandonata » (Emirena, acte I, scène 9).

31 P.-J.-B. Nougaret, De l’art du théâtre en général, Paris, Cailleau, 1769, p. 308.

32 Voir note 1.

33 Voir Patrick Taïeb, « L’air ‘Da Capo’ dans l’opéra-comique de Dauvergne à Grétry (1753-1771) », Musica e storia, 3/2008, dicembre, p. 665-680.

34 L’italique distingue les répliques chantées des répliques parlées.

35 Parodier signifie écrire un texte sur une musique préexistante.

36 Voir le volume V de Lesage et d’Orneval, Théâtre de la Foire, ou l’opéra-comique contenant les meilleures pièces qui ont été représentées aux foire St Germain et St Laurent, Paris, Étienne Ganeau, 1724, p. 384-391. Nous remercions Tristan Malengour pour l’idée d’utiliser la chanson de Serge Gainsbourg.

37 Judith Leblanc et Patrick Taïeb, « Merveilleux et réalisme dans Zémire et Azor : un échange entre Diderot et Grétry », Dix-huitième siècle, 2011/1 (n° 43), p. 185-201 ; Daniel Heartz, « Diderot et le Théâtre lyrique : ‘le nouveau stile’ proposé par Le Neveu de Rameau », Revue de musicologie, 64/2, 1978, p. 229-252 ; dans Franck Salaün et Patrick Taïeb, Musique et pantomime dans Le Neveu de Rameau, Paris, Hermann, 2016, voir Patrick Taïeb, « Le goût musical de Diderot », p. 35-48 ; David Charlton, « La comédie lyrique au temps de Diderot », p. 50-77 ; et Michael O’Dea, « ’Il s’empare de notre âme’ : Le Neveu de Rameau, Rousseau et les Italiens », p. 79-95.

38 André-Ernest-Modeste Grétry, Mémoires, ou essais sur la musique, Paris, Imprimerie de la République, an V [1797], t. I, p. 272-278 et t. III, p. 127-139, 327-337.

39 Grétry, Essais, op. cit., t. I, p. 180, l’analyse complète figure p. 175 à 181.

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Table des illustrations

Titre Tableau 1 : Ariettes et vaudevilles du Docteur Sangrado
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Titre Tableau 2 : Ariettes et vaudevilles du Médecin de l’amour
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Légende Blaise et Sangrado, Salle Varèse, Cité des Arts de Montpellier, 28 mai 2022
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Légende Géronte, Gillot et le Médecin de l’amour, Salle Varèse, Cité des Arts de Montpellier, 28 mai 2022
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Légende Jacqueline dans le costume de Sangrado, Salle Varèse, Cité des Arts de Montpellier, 28 mai 2022
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Légende Laure, le Médecin de l’amour (Pauline Ruiz-Touzellier) et Léandre, Vacheresse les basses, 2 avril 2023
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Pour citer cet article

Référence électronique

Gabrielle Ordas et Patrick Taïeb, « Jean-Louis Laruette, médecin de l’opéra-comique en 1758 »Arrêt sur scène / Scene Focus [En ligne], 12 | 2023, mis en ligne le 22 mars 2024, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asf/5010 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asf.5010

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Auteurs

Gabrielle Ordas

Professeure agrégée de Lettres Classiques, Gabrielle Ordas montée sur les planches à l’âge de 10 ans et ne les a jamais quittées. Comédienne et adaptatrice au sein de la Compagnie Théâtre du Matin, pour les spectacles mis en scène par Jacqueline Ordas, elle est aussi scénographe ou metteur en scène pour ses propres spectacles. Elle collabore régulièrement avec le Théâtre Amazone (https://theatreamazone.wixsite.com/infos/creations ; https://www.facebook.com/theatreamazone/) pour l’adaptation et la mise en scène d’un répertoire vaste, depuis Racine jusqu’à Tennessee Williams, en passant par Labiche, Diderot, Hugo, Dumas ou Marivaux, et de créations à partir de correspondances contemporaines (Boris Vian, Mariama Bâ, Benoît et Flora Groult, etc.).
Gabrielle Ordas is a Professeur agrégée of Classical Literature, who first took to the stage at the age of 10, and has never left it since. An actress and adaptor with the Compagnie Théâtre du Matin for productions directed by Jacqueline Ordas, she is also a set designer and director in her own right. She regularly works with Théâtre Amazone (https://theatreamazone.wixsite.com/infos/creations; https://www.facebook.com/theatreamazone/), adapting and directing a vast repertoire, from Racine to Tennessee Williams, including Labiche, Diderot, Hugo, Dumas and Marivaux, and creating works based on contemporary correspondence (Boris Vian, Mariama Bâ, Benoît and Flora Groult, etc.).

Patrick Taïeb

Patrick Taïeb est Professeur des universités en Musicologie de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 et membre de l’Institut de recherche sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (UMR5186). Ancien élève de Jean Mongrédien et de Jean Gribenski à la Sorbonne, ancien élève du Conservatoire de Paris (harmonie et contrepoint), membre de l’Institut universitaire de France (2000-2005) et directeur du programme ANR « Outils documentaires pour l’histoire des pratiques musicales en France, XVIe-XIXe siècles » (2006-2009), Patrick Taïeb est spécialiste de la musique et de la vie musicale françaises aux XVIIIe et XIXe siècles.
Patrick Taieb is Professor of Musicology at Université Paul-Valéry Montpellier 3 and a member of of the Institute for Research on the Renaissance, the Neo-Classical Era and the Enlightenment. A former student of Jean Mongrédien and Jean Gribenski at the Sorbonne, a former student of the Paris Conservatoire (harmony and counterpoint), member of the Institut universitaire de France (2000-2005) and director of a programme funded by France’s National Research Agency (“Outils documentaires pour l’histoire des pratiques musicales en France, XVIe-XIXe siècles”, 2006-2009), Patrick is a specialist in French music and musical life in the 18th and 19th centuries.

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