Le développement urbain durable en question
Hajek I., Hammam P., Lévy J.-P. (dir.). 2015. De la ville durable à la nature en ville. Entre homogénéité urbaine et contrôle social. Regards croisés nord-sud. Lille, Presses universitaires du Septentrion, Collection Environnement et société.
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Credits: Presses universitaires Septentrion
1Seconde valorisation d’un cycle de trois colloques organisés à l’Université de Strasbourg en 2012-2013 sur la question « Villes du nord, Villes du Sud : la durabilité, entre prêt-à-penser et opérationnalité », l’ouvrage dont nous proposons la recension vient compléter une première publication dont Articulo s’est fait l’écho en 2015 sous la plume de Mario Carrier (http://articulo.revues.org/2841). Alors que le premier opus se concentrait sur le sujet de la gouvernance de la ville durable (Hajek et Hamman 2014), le présent ouvrage s’intéresse à la mise en œuvre du concept de durabilité urbaine. Il se compose de quinze chapitres proposant une analyse critique des pratiques, des représentations et des discours concernant le développement urbain durable, et ce, depuis sa genèse jusqu’à ce que les éditeurs analysent comme sa dénaturation ou réinterprétation.
2Une courte introduction de Jean-Pierre Lévy et Isabelle Hajek présente l’ambition de l’ouvrage autour de la question : « La ville durale : une injonction universelle et consensuelle ? ». Les auteurs soulignent que si l’existence d’un modèle de transposition locale du développement durable dans la gestion urbaine peut être questionnée, le livre y répond en mettant en évidence le fait que le développement urbain durable serait davantage un terme générique qu’un concept. Il permettrait de désigner un champ de l’action publique urbaine, mais serait incapable de référer à des normes ou des pratiques largement admises et répandues, tant au sein de la sphère des acteurs publics que dans la communauté des chercheurs. En outre, la diversité des contextes sociaux, politiques, culturels et géographiques invite en effet à penser que l’évolution des villes à travers le monde laisse place à une grande variété d’interprétations de la notion de durabilité appliquée aux villes. Cependant, il apparaît que la durabilité urbaine se traduit dans de nombreux cas par des projets d’écologisation des villes, ce que résume l’idée de « nature en ville », laquelle correspondrait à un changement d’optique, voire à un dévoiement du projet initial de durabilité urbaine.
3La première partie, intitulée « Le développement urbain durable : une transposition planétaire », propose cinq chapitres. S’ils interrogent tous la notion de développement durable, seuls les quatre premiers le font explicitement par rapport aux villes. Avec Jean-Pierre Lévy, la durabilité des villes est envisagée sous l’angle de l’étalement urbain et des mobilités quotidiennes et résidentielles. Rappelant les changements fondamentaux dans les logiques d’organisation et de structuration des villes au cours du XXe siècle, l’auteur expose la thèse d’une modification irréversible de l’organisation spatiale des villes. Celle-ci découle de la généralisation de la dissociation entre le lieu de travail et le lieu de résidence pour toutes les catégories de population, une dissociation en outre permise par le déploiement des infrastructures de transport en commun et surtout la diffusion de l’automobile. Ce mouvement qui consacre le périurbain a profondément recomposé l’espace des villes, introduisant de nouveaux enjeux pour la durabilité urbaine. Il pose la question de la segmentation de la société en secteurs résidentiels de plus en plus homogènes, car la mobilité individuelle a permis à des populations de mêmes catégories socioculturelles de se rassembler et d’habiter les mêmes quartiers, accentuant la ségrégation socio-spatiale. Parallèlement, l’éloignement des centres-ville permis par la mobilité crée un problème d’équité de tous les habitants vis-à-vis de l’accès aux services urbains, puisque nombre de communes résidentielles sont bien souvent dépourvues des aménités et services d’une ville. Enfin, le fait de pouvoir choisir un logement bon marché loin de son lieu de travail renvoie à la difficulté de lutter contre l’étalement urbain.
4Le cas de l’évolution de Hanoï au cours des dernières décennies, présenté par Helga-Jane Scarwell, Divya Leducq et Du Tran Dinh, souligne ensuite l’importance de la question foncière dans la gestion durable des villes, ainsi que l’effet des contradictions pouvant résulter de l’écart entre une politique de développement économique décidée à l’échelle nationale et des objectifs de durabilité qui seraient quant à eux définis à l’échelle locale. Au cours des années 1990, la capitale du Vietnam s’est ainsi trouvée soumise à des dynamiques de développement induites par la libéralisation de l’économie du pays. Des projets de villes nouvelles ont alors vu le jour, mais leurs objectifs de durabilité n’étaient que façade et les réalisations se sont avérées globalement peu durables sur les plans écologique, économique et social. Les auteurs indiquent alors que s’il existe des standards internationaux de durabilité urbaine, ils ne sont pas un gage de meilleur environnement urbain pour tous les habitants. Les objectifs de durabilité requerraient ainsi une meilleure coordination et davantage de régulation de la part d’une puissance publique avisée, éclairée et compétente, de même qu’une gouvernance juste et appropriée.
5En complément au premier chapitre, Mathias Jehling expose ensuite la problématique de la gestion durable de l’espace et des sols et un modèle possible pour la durabilité urbaine à partir de la situation allemande. Davantage que la simple reconstruction de la ville sur elle-même, l’utilisation du sol en circuit (apparue dans les années 2000) promeut le principe du recyclage des sols et espaces urbains, c’est-à-dire l’idée d’une réutilisation d’espaces précédemment urbanisés aussi bien pour en aménager de nouveaux que pour les remettre dans un état « naturel ». Défini à l’échelle nationale, le principe de l’utilisation du sol en circuit se heurte toutefois à des difficultés de mise en œuvre au niveau local. L’auteur pointe notamment l’importance de la planification spatiale et de la fiscalité locale qui déterminent les stratégies des collectivités locales. Les communes, qui disposent de la compétence en matière de planification urbaine, sont en effet tentées de se livrer à la concurrence, notamment pour attirer de nouvelles populations et de nouvelles activités dans un contexte de déclin démographique. De même, la concurrence entre territoires pour attirer des investisseurs à l’échelle internationale ne facilite pas la promotion d’une gestion économe du sol.
6La question foncière constitue également un point soulevé par la contribution d’André Donzel qui compare les trajectoires de développement et les postures de trois villes méditerranéennes (Barcelone, Marseille et Sfax) en matière d’engagement vers la durabilité urbaine. Après un rappel de l’évolution de la notion de développement (au départ fondamentalement économique) vers l’idée de durabilité (qui articule l’économique, le social et l’environnemental), l’auteur considère que les trois villes étudiées appartiennent à trois modèles d’urbanisation différents : « industrialiste » (Sfax), « mercantiliste » (Marseille) et « régulationniste » (Barcelone). De la première à la troisième, la considération accordée à l’environnement et aux problématiques sociales va croissant. Cette différence s’explique par une histoire politique, sociale et économique différente dans les trois villes, mais dans les trois cas le développement durable semble s’illustrer par une aspiration des habitants au « droit à la ville ». Accès au logement à Barcelone, réhabilitation de l’espace public à Marseille et reconquête du littoral et de l’accès à la mer à Sfax témoignent d’une volonté des habitants de s’approprier leur cadre de vie et d’influer sur son devenir. Cependant, l’auteur affiche un certain pessimisme pour les années à venir, arguant de la toujours plus grande « franchisation » des services et des fonctions publiques urbaines (transports en commun, collecte des déchets ménagers, distribution de l’eau, etc.), ainsi que des impératifs de la compétitivité économique.
7Le dernier chapitre de cette première partie, que l’on doit à Juan Matas, rend compte de la contribution des sciences humaines et sociales latino-américaines à la construction du concept de développement, puis à celui de développement durable. Il ne s’agit pas d’une contribution sur la durabilité urbaine, mais d’une mise en perspective intéressante pour apprécier à la fois la force du concept initial (développement) et la relative faiblesse du concept final (développement durable). Opposé à la croissance, dont il se distingue par une prise en compte plus large de la sphère sociale avec, entre autres, des considérations qualitatives sur l’essor et le bien-être des sociétés, le développement a été très largement construit dans un contexte de diagnostic des causes et des conséquences du sous-développement des pays que l’on regroupait alors sous le vocable Tiers-Monde. Au cours des trois dernières décennies du XXe siècle, la question environnementale s’est insérée dans le concept de développement et l’a fait évoluer vers le développement durable. L’auteur précise toutefois que ce dernier a rapidement été récupéré et dévitalisé par son emploi et son interprétation par les pays dominant l’économie mondiale. Le premier Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil) a alors remis en cause un concept qui a, depuis, connu un relatif succès puisqu’il peut être interprété de diverses manières permettant à celui qu’il l’emploie de préserver ses intérêts tout en bénéficiant des connotations positives de l’expression.
8La seconde partie, plus courte, se compose de trois chapitres sous l’intitulé « Métabolismes urbains : intégrer les fonctionnements naturels ? ». Il s’agit ici d’éclairer les conditions de la prise en compte de l’écologie dans les villes ou, plus simplement, de l’intégration des faits de nature, essentiellement biologiques, dans le fonctionnement urbain. Le chapitre d’Isabelle Hajek est consacré aux cycles des matières urbaines et plus particulièrement aux déchets. À partir de ce cas particulier, l’auteure propose une mise en perspective du concept de développement durable avec celui d’écologie urbaine. Elle rappelle que ce dernier, plus ancien, est moins englobant puisqu’il n’intègre pas certaines thématiques telles que la refonte des modes de vie, la recherche de la mixité fonctionnelle et sociale des espaces, etc. Pourtant, ce sont les principes de l’écologie urbaine qui innervent aujourd’hui les politiques dites de durabilité urbaine concernant le traitement des déchets. À une vision intégrée, partagée et socialement acceptable du développement des villes s’est substituée une vision « entrepreneuriale ». On comprend alors que la durabilité urbaine est devenue un projet économique et technique (notamment pour de grands groupes industriels constitués sur mesure pour traiter des rejets et des ressources urbains), assez éloigné d’une conception prônant une intégration des trois piliers du développement durable.
9Poursuivant sur la thématique de l’insertion des processus et fonctionnements naturels au sein des villes, le chapitre de Pascale Scheromm et Ophélie Robineau traite de l’agriculture urbaine à partir de deux études de cas à Montpellier et à Bobo Dioulasso. Les auteures montrent bien la place ambiguë occupée par l’agriculture sur des territoires dominés par l’urbanisation. Elles distinguent quatre types d’interfaces agricoles en ville (sites interstitiels productifs, sites agricoles sur parcellaire privé, sites sur le front d’urbanisation et zones protégées de l’urbanisation). Les deux villes sont différentes, mais la situation de l’agriculture est comparable : sous pression de l’urbanisation, sans soutien des autorités, elle demeure très ancrée spatialement. Si l’utilité écologique, économique et sociale de ces diverses formes d’agriculture ne fait pas de doute, leur place dans le projet de durabilité urbaine est à questionner. Les documents de planification spatiale, en particulier, ne font pas état d’une quelconque prise en compte de cette réalité écologique dans l’élaboration du futur des deux villes.
10Le dernier chapitre, produit par Maurice Witz, nous invite à envisager la relation de la ville à la nature à différentes échelles spatiales ainsi qu’à travers les différentes constructions sociales de la nature en ville. Par exemple, le territoire urbain comprend ses propres espaces de nature ou espaces à caractère de nature, mais il englobe également des espaces de nature se situant au-delà du seul périmètre de la ville. Par son fonctionnement, la ville interagit avec des espaces distants dont elle tire des ressources énergétiques et matérielles indispensables. Au sein de la ville proprement dite, ensuite, la nature existe sous différentes formes. Outre la manifestation spontanée de processus biologiques qui parviennent à se réaliser dans un milieu relativement hostile, la nature procède surtout de pratiques sociales « sociospontanées » ou « institutionnelles ». Ainsi la tendance semble être à une évolution techniciste et sociocentrée du rapport à la nature. Mais ce rapport est de plus en plus fragilisé du fait de genres de vie de plus en plus urbains qui laissent peu de place à une expérience de la nature « naturelle ». On observe que le désir d’une nature policée, maîtrisée, s’est donc renforcé et constitue un frein à une véritable articulation des processus de nature au sein même des espaces urbanisés. L’auteur plaide alors en faveur d’un encouragement des initiatives citoyennes pour une réappropriation des espaces et d’une nature de proximité.
11La troisième partie regroupe quatre chapitres qui abordent le thème de l’idéologie de la ville-nature. Le premier d’entre eux envisage cette idéologie à partir de textes onusiens sur le développement durable et la recherche de sa transposition à la question de la nature en ville. Selon son auteur, Edwin Zaccai, les références à la nature en ville sont assez maigres dans le corpus étudié (Rapport Brundtland, Conférences de Rio et Rio +20). Les points les plus saillants concernent l’intérêt porté à la « présence d’espaces verts sûrs dans les villes » et des préoccupations pour des formes plus écologiques d’urbanisme. L’auteur se livre alors à une analyse critique des rôles biophysique et écologique ainsi que celui symbolique et social de la nature en ville. Selon lui, la valorisation des éléments de nature en ville dépasse largement leur fonction biophysique, ce qui conduit à penser que l’injonction de nature en ville a principalement une résonnance du côté symbolique et social, mais aussi économique (à travers la valorisation immobilière).
12Avec Thomas Mohnicke, le second chapitre aborde le cas de la Suède, avec une étude de la mise en récit des éléments de nature dans les villes suédoises par les supports de communication de la Commission pour la promotion de la Suède à l’étranger. Balayant l’histoire récente du pays en matière de développement économique et social, l’auteur analyse la stratégie de construction d’une image positive des villes en leur associant des images de nature. Ce faisant, l’auteur explique que ce mythe de la « ville naturelle » s’accorde parfaitement avec l’identité suédoise, au cœur de laquelle se situe une expérience très forte de la nature, alors que le développement récent du pays l’inscrit plutôt du côté de l’urbanisation et des villes. Le concept de ville durable apparaît alors comme une solution pour rendre cohérente l’identité suédoise (proximité de la nature) avec l’irruption de la modernité (société urbaine). C’est également à partir d’expériences en Suède, mais aussi à Amsterdam, que Théa Manola interroge l’idée de ville-nature à partir d’une analyse des paysages sensoriels dans le cadre de projets urbains « durables ». Dans ces quartiers censés réussir l’alliance entre écologie et densité urbaine, l’auteure a étudié la possibilité offerte de percevoir la nature au travers des cinq sens. A partir d’investigations qualitatives (enquêtes, observations de terrain, diagnostic urbain et paysager), elle propose une analyse critique de l’intention des concepteurs de ces nouvelles formes d’urbanisme au regard des attentes et des représentations des habitants. Elle en conclut que ces quartiers peinent encore à considérer la nature sensible et les paysages sensoriels, prisme pourtant fondateur d’un sentiment de nature dans la ville. Selon l’auteure, le souci principal demeure l’embellissement des lieux et la fonctionnalité de la nature, alors que les attentes sociales sont très fortes en matière de nature sensible. L’acception dominante concernant la durabilité est d’essence trop écologique et technique et insuffisamment humaine.
13Finalement, avec Arlette Hérat, qui a analysé le cas du quartier de la Cayolle aux portes du Parc national des Calanques à Marseille, on aborde la problématique de l’intégration des politiques publiques aux interfaces de la ville et des espaces de nature, ainsi que la plus ou moins grande prise en compte des attentes et des territorialités des habitants dans ces contextes particuliers. Son analyse tend à montrer la faible articulation de la politique de protection de la nature (qui s’applique en premier lieu sur le territoire du parc) d’une part, avec la politique d’urbanisme (qui prévaut sur les espaces urbains limitrophes) de l’autre. Alors que le parc national a été créé après la loi de 2006 instituant la notion d’aire optimale d’adhésion, cette dernière n’a pas été élaborée de manière à permettre la conception d’un espace de transition où ville et nature auraient pu s’interpénétrer. Il en résulte une tendance à la formalisation d’une limite franche entre la ville et l’espace protégé, en particulier dans ce quartier de la Cayolle où les porosités existaient et faisaient partie des pratiques des habitants. Cette évolution témoigne d’une idée de la ville-nature relativement éloignée d’une conception à la fois plus écologique et plus sociale de la ville durable. Les approches techniques de la ville, d’une part, et de l’espace naturel protégé, d’autre part, se font face et ne dialoguent pas. Du côté social, il en résulte notamment un embourgeoisement consécutif à la densification du quartier aux portes même du parc (alors que l’on aurait pu préserver des espaces ouverts), avec l’apparition de programmes immobiliers principalement destinés à des catégories sociales relativement aisées (à la recherche de certaines aménités environnementales). Selon l’auteure, les habitants de ce quartier défavorisé en sont déjà les victimes impuissantes.
14La dernière partie de l’ouvrage rassemble trois chapitres consacrés au thème de la nature ordinaire en contexte urbain. Nathalie Blanc et Lydie Laigle proposent tout d’abord un texte programmatique d’une recherche à venir concernant la durabilité urbaine appréhendée à travers l’adaptation aux changements climatiques, telle que documentée par des récits d’acteurs habitants. Les auteures justifient cette approche en faisant état de ce que les discours et les récits sur les changements climatiques sont aujourd’hui largement dominés par la science, la technique et le politique. Il y a lieu cependant de s’interroger sur les possibilités de penser l’adaptation à partir du vécu et des propositions des gens, car l’adaptation n’est pas nécessairement conçue et pensée par des spécialistes du domaine, elle est aussi et déjà en germe voire en pratique dans le quotidien et le vécu des populations. Il s’agirait alors de rechercher trois catégories de capabilités en relation avec le milieu : celle d’entretenir et de défendre son milieu pour continuer à y vivre ; celle de promouvoir des arrangements sociaux et spatiaux facilitant le vivre ensemble ; celle permettant de raffermir le rapport entre l’environnement et soi. Les auteures concluent en affirmant que le changement climatique est autant un phénomène de nature que de culture, et qu’il doit donc aussi être étudié par les sciences sociales.
15Le second chapitre, écrit par Carole Barthélémy avec cinq autres collaborateurs, met en avant la difficulté d’appréhender la réalité de la nature urbaine et l’intérêt de procéder de différentes manières pour y parvenir. Prenant appui sur le cas de Marseille, ce texte expose la nécessité d’investiguer plus avant la question de l’écologie de la nature en ville, ainsi que la perception et les représentations de cette nature par différentes catégories d’acteurs. Il apparaît en effet un manque de connaissances scientifiques sur les processus écologiques au sein même de la ville pour les acteurs de l’urbanisme. De même, l’emprise spatiale des éléments de nature dans la ville est relativement méconnue. Selon les auteurs, la perception de la nature par les habitants est bien réelle, mais elle concerne principalement la nature périphérique à l’espace matériellement urbanisé (les collines, les calanques, les îles). Ceci leur fait dire que la nature en ville est pour partie invisible (mais il y aurait matière à discuter de ce qui est effectivement conçu comme la nature par ces auteurs et aussi de ce qu’ils entendent par invisibilité). Les perceptions des habitants se structureraient par ailleurs selon trois paramètres : la frontière entre l’intérieur et l’extérieur de la ville ; l’accès égalitaire à la nature ; le rapport à la propreté et à la gestion de la nature. Une grande diversité de points de vue et de conceptions existe donc, rendant d’autant plus nécessaire la prise en compte de la diversité des regards et des savoirs.
16Le dernier chapitre complète le tableau en traitant des espaces dévolus à des activités de jardinage le long des voies de circulation en contexte urbain. Grégoire Chelkoff et Magali Paris considèrent ces lieux comme autant d’exemples de présence de la nature en ville, remplissant des fonctions écologiques, économiques, sociales et culturelles. En ce sens, ce sont des formes possibles de la durabilité urbaine pour autant qu’elles soient considérées et promues. Ceci suppose de mieux les connaître et de mieux comprendre leur contribution à la durabilité urbaine en général. Selon les auteurs, ces lieux peuvent parfaitement servir d’appui à l’élaboration de trame verte urbaine. Ils sont aussi et surtout des éléments participant à l’existence d’un sentiment de nature dans la ville.
17Par la diversité des thèmes et des terrains abordés, cet ouvrage constitue un recueil fort utile pour qui s’intéresse à la problématique du développement durable en contexte urbain. L’écriture est très accessible et le propos est riche de nombreuses références. Les textes exposent des réflexions clairement situées dans le temps, ce qui permet d’appréhender avec justesse l’évolution des idées et des pratiques. Les études de cas, variées et nombreuses, sont également à mettre au crédit de ce volume qui présente ainsi des éléments très concrets à l’appréciation du lecteur.
18Quelques remarques peuvent toutefois être formulées. Sur le fond, on regrettera quelques impasses et imprécisions. Ainsi, on peut s’étonner de l’absence de définition, même partielle ou relative, de la ville. Si certains auteurs ont pris soin de cadrer leur propos, ce n’est pas le cas de plusieurs autres. Il en ressort une relative difficulté à valider certaines explications, par exemple lorsque la ville est assimilée à une commune (et vice versa) ou lorsque « ville », « urbain » et « périurbain » sont employés successivement avec des significations manifestement nuancées selon les auteurs. De la même manière, l’absence de précision quant à l’acception donnée à la nature est tout aussi gênante. Dans plusieurs textes, elle ne semble relever que du domaine de la biologie, avec une tendance à laisser entendre que cette acception est tacite. Si l’on peut admettre que le vivant soit la dimension la plus perceptible de la nature en contexte urbain, on ne saurait oublier que la nature est également constituée de la sphère abiotique. La topographie, la géologie, l’hydrographie et le climat composent aussi le cadre naturel des villes tant dans leur caractère immuable (leurs positions dans l’espace ou leur « régularité ») que dans leurs dynamiques (aléas naturels tels les séismes, les inondations, les éruptions volcaniques, les glissements de terrain, les tempêtes, etc.). Ils fondent eux aussi un sentiment de nature, d’autant plus installé que les villes sont situées dans des sites géographiques remarquables ou exposés aux risques naturels. La nature sous l’angle du risque figure d’ailleurs parmi les thèmes qui auraient pu être traités par l’ouvrage. Dans le contexte des changements climatiques, mais aussi celui de la pression croissante exercée par les sociétés humaines sur les ressources naturelles et les espaces, la question des risques environnementaux avec celle de l’adaptation des sociétés urbaines aurait eu toute sa place dans une réflexion sur la nature en ville et la durabilité urbaine. Le corpus de textes ayant permis de composer cet ouvrage ne permettait peut-être pas de traiter cette dimension, mais il aurait été bienvenu que l’introduction en fasse état. Une dernière remarque de fond peut être formulée à propos de la comparaison nord-sud. Si des cas d’étude au Sud sont bien présents dans l’ouvrage (Hanoi, Sfax, Bobo Dioulasso et l’Amérique latine en général), ils ne sont pas toujours mis en regard des situations au Nord. C’est donc au lecteur de tenter une interprétation des divergences ou convergences de conceptions et de mise en œuvre de la durabilité urbaine. Sur ce point, une conclusion générale aurait certainement été utile.
19Du côté de la forme, l’ouvrage ne présente pas de faiblesse majeure. Il se lit de manière agréable et sa mise en page est bien organisée. Mais le lecteur pourra regretter une relative indigence des illustrations, peu nombreuses, alors que le thème se prêtait bien à un emploi plus systématique de l’image. Les illustrations sont aussi en noir et blanc. Ne serait-ce que pour faire passer de manière un peu plus suggestive les idées de nature supposées exister dans les images de promotion des villes suédoises, ou pour permettre une appréciation plus aisée du paysage produit par des espaces de nature en ville (La Cayolle, Bobo Dioulasso, Augustenborg, etc.), le recours à la couleur pour les photographies aurait été judicieux, car la nature n’existe pas en noir et blanc. Du côté des cartes et des graphiques, la couleur aurait également été utile, mais, s’agissant de ce type d’illustration, il faut surtout souligner un problème de lisibilité. Du fait soit de leur conception, soit de leur reproduction, ces documents sont bien souvent difficiles à lire et déchiffrer. L’exemple le plus évident en la matière concerne les cartes censées démontrer l’existence de la nature (végétale) au sein du tissu urbain marseillais. Non seulement il est quasi impossible de comprendre l’organisation spatiale des composantes de la trame verte, mais l’effet produit par la carte est que la ville est incontestablement verte (ce que l’on pourrait certainement relativiser par une application plus rigoureuse des principes de la sémiologie graphique et de la cartographie thématique). Enfin, tout au long de l’ouvrage, les illustrations sont inégalement exploitées dans les textes où elles se situent. Elles ne sont pas nommées de manière homogène (tantôt carte, tantôt figure pour une carte thématique, par exemple), voire ne sont pas numérotées. Ce ne sont pas des faiblesses qui entachent la valeur globale du livre, mais c’est quelque peu dommage au regard de la qualité des textes réunis.
20Finalement, cet ouvrage mérite amplement d’être lu et recommandé. Il séduira aussi bien un public d’étudiants, de chercheurs, de praticiens de l’aménagement urbain et de la gestion des espaces naturels, que tout citoyen intéressé par les questions d’environnement et attaché aux valeurs du vivre ensemble. Si la durabilité urbaine peut exister, elle procédera sans aucun doute d’une culture partagée de l’ensemble des possibles.
References
Electronic reference
Samuel Robert, “Le développement urbain durable en question”, Articulo - Journal of Urban Research [Online], Book Reviews, Online since 09 September 2016, connection on 06 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/articulo/3109; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/articulo.3109
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