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2013

Comment (re)créer la rue

Compte rendu: Nicolas Soulier. Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’action
Paula Negron-Poblete
Bibliographical reference

Nicolas Soulier. 2012. Reconquérir les rues. Exemples à travers le monde et pistes d’action. Paris, ULMER.

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Credits: (C) Ulmer

1Dans ce livre, Nicolas Soulier nous offre une analyse de la rue contemporaine, ou plutôt de ce qu’elle pourrait devenir. Le point de départ est un constat fait par cet architecte-urbaniste suite à divers projets menés dans des banlieues en France : des décennies de fonctionnalisme et de régulation tous azimuts ont fini par donner toute la place aux voitures, faisant de la rue, auparavant l’espace de socialisation par excellence, un espace stérile et sans vie. En prenant appui sur des exemples dans plusieurs villes du monde, l’auteur nous présente des stratégies et des interventions d’aménagement qui ont permis de garder, voire de redonner, à la rue son rôle d’espace public.

2L’ouvrage est divisé en treize chapitres regroupés au sein de quatre parties. La première partie expose ce que Soulier appelle « le processus de stérilisation » de l’espace. Ce processus de stérilisation se déclinerait sous trois formes : la stérilisation règlementaire (chapitre 1), la stérilisation routière (chapitre 2) et la stérilisation résidentielle (chapitre 3). Le premier chapitre expose comment une règlementation trop stricte empêche toute activité spontanée dans les espaces publics ou collectifs. La recherche d’esthétique ou d’harmonie à tout prix, mais surtout une recherche constante de sécurité, auraient entraîné une organisation de l’espace public de laquelle les usagers sont exclus : « Notre habitat ne dépend plus de nous […] il est pensé, prédéfini, entretenu, administré et géré pour nous. Pour nous, et jamais par nous » (p. 28). La conséquence directe étant une perte de la rue comme espace de socialisation. Le deuxième chapitre présente les nombreuses actions mises sur pied au nom de la sécurité de la route, mais qui ont entraîné une plus grande insécurité pour les non-automobilistes. Terre-pleins, carrefours giratoires, des actions qui favorisent la vitesse et renforcent le rôle de circulation de la rue. Dans le chapitre trois, l’auteur illustre, à l’aide d’exemples tirés de sa pratique professionnelle, comment des actions prises au niveau de l’espace résidentiel contribuent aussi à sa stérilisation. Son diagnostic est sans appel. Les autorités ont trop souvent un manque total de confiance à l’égard des usagers : « Quand on n’a pas confiance, le leitmotiv n’est pas de rendre possible, mais de rendre impossible. […] On bloque les initiatives, on fige les lieux » (p. 67). Ce constat demeurera en filigrane dans la suite du livre.

3La deuxième partie de l’ouvrage expose quelques stratégies qui ont permis de créer des rues vivantes. La première stratégie (chapitre 4), adoptée dans les villes allemandes, consiste à aborder le partage de la rue à deux niveaux : la visibilité et l’accessibilité. Ce partage prend place avant tout dans la marge avant des terrains, un espace privé qui fait partie intégrante de la scène publique. Ce lieu tente de créer un lien entre riverains et passants, notamment par l’investissement des riverains dans l’aménagement du terrain, contribuant à l’ambiance générale de la rue (visibilité) et souvent en recréant des activités ouvertes au public (accessibilité). Le chapitre 5 présente la stratégie des deuxièmes chantiers, une logique de développement de la ville en deux étapes. La première étape, correspond à une construction formelle et règlementaire de l’espace, « un ouvrage non fini, volontairement incomplet et en attente de l’inconnu » (p. 97). La deuxième étape correspond à des adaptations apportées au fil du temps par les habitants eux-mêmes, et qui contribuent à modifier l’ambiance initiale des lieux, à leur donner vie. Le chapitre 6 constitue est une sorte de mise en garde sur les risques de vouloir adopter une politique « zéro risque absolu » à travers laquelle des règlements trop restrictifs auraient tendance à infantiliser les habitants. Or, l’auteur rappelle que si l’on souhaite que les gens s’approprient l’espace public de la rue, il est essentiel de faciliter les initiatives citoyennes et les projets proactifs. Le chapitre 7 est une introduction à la troisième partie. En utilisant la notion de frontage, l’auteur expose comment l’espace de la chaussée doit s’arrimer à un frontage public adjacent (trottoir, domaine public) et à un frontage privé (cour avant du terrain), pour faire de la rue un véritable espace public. Une rue animée serait conditionnelle à l’interaction entre ces deux frontages, une interaction qui n’est possible qu’avec la réalisation d’activités dans ces espaces, qui deviennent alors des frontages actifs. Débute alors un cercle vertueux : la présence de frontages actifs rend la rue attrayante et inciterait les déplacements à pied et à vélo. La hausse des déplacements actifs aurait à son tour un effet positif sur les riverains, puisque leur milieu de vie comporterait moins de nuisances, les encourageant à prendre soin de leurs frontages, et ainsi de suite. Une situation fort différente lorsque ces espaces sont occupés par les voitures, les rendant stériles et favorisant les déplacements motorisés.

4La troisième partie du livre illustre ce que pourraient devenir les frontages dans l’espace urbain. Le chapitre 8 présente nombreux exemples de frontages réussis dans divers contextes : les stoeps hollandais, les escaliers extérieurs de Montréal, les porches aux États-Unis, mais aussi des occupations minimales lorsque l’espace est restreint, comme c’est le cas au Japon. Tous ces exemples renforcent le propos initial de l’auteur : pour qu’il y ait vie dans la rue, il faut que les riverains l’occupent, s’impliquent dans son aménagement. Mais la vie dans les frontages demeure fragile, de nombreux facteurs peuvent rapidement les rendre stériles (chapitre 9), justifiant la mise en place de plusieurs actions pour les protéger. En prenant appui sur divers exemples de politiques publiques et d’actions citoyennes pour protéger et réactiver des frontages délaissés (chapitres 10 et 11), l’auteur montre que la protection de ces espaces ne peut se faire sans une collaboration entre riverains et acteurs publics.

5La dernière partie du livre est un retour sur les éléments clé exposés tout au long de l’ouvrage et condensés dans deux pistes d’action : le partage modal (chapitre 12) et le partage frontal (chapitre 13). Le partage modal de la rue implique avant tout une diminution de la vitesse de circulation, de manière à intégrer davantage les modes actifs et à inciter l’occupation des frontages privés. Le partage frontal, quant à lui, implique de donner plus d’importance aux règlements susceptibles d’affecter la nature et l’occupation de ces espaces. Les riverains doivent être considérés comme des acteurs à part entière du processus de reconquête des rues : « Une deuxième ligne de partage est à tracer, non plus dans l’espace de la rue (la ligne de frontage), mais dans les actions qui la prennent en charge, entre les directions et services des municipalités en charge de l’espace public et les autres autorités compétentes d’une part, les associations et les riverains d’autre part » (p. 270). Ce besoin de « faire confiance » pour contribuer à créer des rues animées et vivantes est une idée sur laquelle l’auteur reviendra dans son épilogue.

6Ce livre constitue un bon outil pour tous ceux qui souhaitent voir des exemples concrets de rues conviviales. Bien que l’auteur ne fasse référence qu’à quelques travaux théoriques pour appuyer ses propos, notamment ceux de Jane Jacobs, le livre apporte avant tout le regard du professionnel de l’aménagement. Même si les notions d’aménagement et de design utilisées dans ce livre ont déjà fait l’objet de nombreux travaux et études plus approfondis, il n’en demeure pas moins que ce livre a le grand mérite d’illustrer de manière remarquable l’application concrète de ces principes. A cet égard, il constitue une lecture enrichissante, notamment pour les professionnels de l’urbanisme.

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References

Electronic reference

Paula Negron-Poblete, Comment (re)créer la rueArticulo - Journal of Urban Research [Online], Book Reviews, Online since 22 December 2013, connection on 06 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/articulo/2350; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/articulo.2350

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About the author

Paula Negron-Poblete

Paula Negron-Poblete est professeure adjointe à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur les liens entre l’accessibilité et l’exclusion des populations vulnérables, au Québec et dans les métropoles latino-américaines. Elle travaille aussi sur les impacts des formes et structures urbaines sur la mobilité spatiale. Elle est membre de l’Observatoire de la mobilité durable de l’Institut d’urbanisme et du Laboratoire d’Analyse des Politiques Sociales et des Territoires de l’INRS-UCS. Email: p.negron-poblete@umontreal.ca

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