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2013

Vers une approche globale de la complexité et de la diversité des mobilités des ménages

Compte rendu: Philippe Gerber, Samuel Carpentier, Mobilités et Modes de Vie. Vers une Recomposition de l’Habiter
Jean-Pierre Lévy
Bibliographical reference

Philippe Gerber, Samuel Carpentier. 2013. Mobilités et Modes de Vie. Vers une Recomposition de l’Habiter. Rennes, PUR.

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Credits: PUR

1Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité de nombreux travaux développés depuis une quinzaine d’années visant à aborder la mobilité de façon globale, en associant notamment les mouvements quotidiens et résidentiels des individus. Cette relation a été généralement mobilisée pour étudier les pratiques spatiales et leurs impacts sur les recompositions socio-territoriales. L’originalité de l’ouvrage édité par P. Gerber et S. Carpentier est de les associer aux modes d’habiter dont ils nous disent qu’ils seraient « en recomposition ». Selon les éditeurs, cette évolution viendrait d’une tension de plus en plus accrue des espaces de vie qui entrainerait des stratégies d’adaptation comportementale des individus à l’espace dans lequel il réside ou qu’il traverse quotidiennement. Dans ce contexte, l’articulation entre les deux mobilités constituerait une ressource susceptible d’atténuer cette tension, tout autant qu’une notion permettant de comprendre les stratégies et les pratiques spatiales. En d’autres termes, l’ouvrage défend l’idée que la mobilité est tout autant une ressource sociale et spatiale qu’une rupture dans la vie des individus, une transaction entre les positions sociales et les positions spatiales, une compétence individuelle qui provoquerait une inégalité entre les individus dans leurs capacités à s’adapter à ces évolutions structurelles. Pour défendre la réalité de ces hypothèses complexes, les auteurs s’appuient sur huit communications réparties dans trois parties.

2La première partie intitulée « Modes de vie, construction de l’habiter » propose deux études : l’une portant sur les modes de vie et la mobilité des familles suisses (Thomas, Pattaroni, Kaufmann) ; l’autre proposant une approche psychologique des mobilités résidentielles, des parcours professionnels et des déplacements quotidiens de personnes habitant le centre-ville de Tours (Martouzet). Ces deux contributions s’attachent à comprendre comment se définissent les arbitrages entre les choix de localisations résidentielles et le lieu de travail. Elles s’accordent pour considérer les mobilités comme un système de lieux défini par les trajets quotidiens des citadins. La mobilité est ici considérée comme l’enjeu central de la vie familiale, dans lequel le logement primerait sur le travail. En d’autres termes, le mode de vie résidentiel conditionne la mobilité quotidienne et cette dernière intervient peu dans la construction de l’habiter. Il apparaît que, si la spatialité des individus se construit avec le déplacement quotidien, le rapport à la proximité se construit quant à lui à partir des expériences, de l’univers familial et des qualités du lieu de résidence (sensibles, sociales, et fonctionnelles).

3La seconde partie associe les positions spatiales aux positions sociales des individus et met en évidence les processus par lesquels les mobilités amplifient les vulnérabilités sociales des familles. Trois cas de figures sont mobilisés pour illustrer ces mécanismes : la situation contrainte des mères seules avec enfant(s) en Bretagne (Leray et Séchet) ; les pratiques de l’espace urbain des jeunes précaires dans trois quartiers d’Istanbul (Meissonnier) ; les espaces de vie des jeunes vivant dans des zones urbaines sensibles franciliennes (Oppenchaim). Ces trois situations ont en commun de montrer des formes de rétractions de l’univers spatial des populations fragilisées. Certes, la confrontation des trois chapitres nous fait découvrir des univers géographiques, sociaux et familiaux, des contraintes pesant sur les individus fragilisés très contrastés, mais elle présente l’avantage de mettre en évidence le fait que le rétrécissement, comme l’ouverture vers l’extérieur, des pratiques spatiales peuvent recouvrir des significations très diverses. Ainsi, pour les familles monoparentales bretonnes, la rétraction spatiale s’accompagne d’une restriction du réseau social et favorise la marginalisation et l’exclusion sociale. Pour les jeunes stambouliotes le repli spatial peut être au contraire fondateur d’une reconstruction identitaire permettant de lutter contre des formes de stigmatisation qui s’exercent contre leur quartier. Enfin, pour les adolescents des quartiers sensibles franciliens, repli spatial et pratiques des espaces extérieurs (et notamment Paris) riment avec des projections sur leur futurs résidentiels. Les souhaits des futures localisations résidentielles (pavillonnaires de proximité, Paris ou pays d’origine) sont en adéquation avec leur attachement à leur quartier et la façon dont ils le vivent.

4La troisième et dernière partie interroge l’éloignement résidentiel abordé autant comme un choix que comme une contrainte. Elle s’appuie sur trois chapitres : une étude de cas portant sur les nouveaux propriétaires des espaces périurbains du sud du département de l’Ardèche (Chardonnel et al.) ; une deuxième étudiant des ménages actifs ou retraités ayant choisi le double habitat, professionnel et résidentiel (Pierre) ; une troisième cherchant à éclairer le devenir des zones périurbaines à partir des contraintes énergétiques pesant sur les ménages (Desjardins). Dans ce cadre, il est intéressant de confronter les choix des ménages s’installant dans le périurbain à ceux des individus ayant opté pour le double habitat. Il en ressort la prégnance de la famille dans l’option effectuée, d’un coté par l’optimisation du temps quotidien au regard des contraintes liées au travail et dédiée aux enfants (périurbains), et d’un autre coté par une situation dans laquelle la famille se présente comme une ressource permettant de surmonter des difficultés des grandes mobilités (double habitat). Dans tous les cas de figures, le choix est d’abord justifié par rapport aux intérêts des enfants, les contraintes étant souvent minimisées (coût du foncier ou coût énergétique). Les ménages s’adaptent à l’éloignement du lieu du travail. En d’autres termes, la localisation périurbaine est davantage porteuse de raison symbolique et n’est pas réductible à une rationalité économique et encore moins environnementale.

5Parmi les qualités de cet ouvrage on relèvera la volonté des auteurs d’appuyer leur démarche sur des monographies précises qui donnent à voir une grande diversité des situations, tout en inscrivant leur recherche dans des cadres théoriques revendiqués. Les résultats présentés confortent des éléments connus par ailleurs (rôle de la famille dans les mobilités, déménagements associés au logement et peu à l’emploi, priorité donnée à la localisation du lieu de travail de la femme dans le choix de localisation résidentielle, existence d’un système de lieux, un ancrage qui ne s’oppose pas à la mobilité), tout en apportant un nouveau regard, notamment du point de vue des populations vulnérables et des divers sens donnés aux « enfermements » résidentiels. Autant d’éléments qui incitent à recommander ce livre.

6On regrettera cependant avec Gabriel Dupuy, qui en signe la postface, une faiblesse dans l’approche comparative internationale et l’homogénéité des méthodes centrées sur les approches qualitatives (à l’exception de la contribution de Nicolas Oppenchaim). On y ajoutera deux frustrations. La première concerne la question de l’habiter qui est annoncée centrale dans l’ouvrage, mais qui est finalement peu définie. Sur ce point on reprendra les judicieuses remarques de Denis Martouzet signalant que l’on est passé d’une vision heideggérienne de la notion à une approche plus sociogéographique, gommant la dimension éthique en la rendant plus commune (et donc moins précise) et atemporelle. La seconde est de ne pas situer la nécessité d’une approche globale de la mobilité associant le lieu résidentiel à celui de l’emploi dans le contexte contemporain de flexibilité et de précarité économiques, en la rendant ainsi peu lisible et moins compréhensible.

7Reste que les faiblesses de l’ouvrage sont aussi son atout. La diversité des approches monographiques, théoriques et méthodologiques rend certes difficiles une lecture transversale. Ce point est particulièrement flagrant lorsque l’on tente de mettre bout à bout les multiples typologies proposées par les auteurs. Mais, dans le même temps, le livre a le mérite de les présenter en ouvrant des perspectives comparatives et synthétiques stimulantes pour le prolongement de ce champ de recherche.

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References

Electronic reference

Jean-Pierre Lévy, Vers une approche globale de la complexité et de la diversité des mobilités des ménagesArticulo - Journal of Urban Research [Online], Book Reviews, Online since 26 December 2013, connection on 09 November 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/articulo/2346; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/articulo.2346

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About the author

Jean-Pierre Lévy

Jean-Pierre Lévy est Directeur de recherche CNRS Laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement (LAVUE, UMR CNRS 7218). Ses enseignements et ses principaux thèmes de recherche sont l’habitat et peuplement, les mobilités urbaines, les pratiques de l’habitat et de la ville, les dynamiques urbaines ainsi que les consommations énergétiques domestiques. Email: Jean-Pierre.Levy@paris-valdeseine.archi.fr

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