Inégalités écologiques et littoraux
Philippe Deboudt (ed.) 2010. Inégalités écologiques, territoires littoraux & développement durable. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.
Full text
Credits: © Presses U. du Septentrion
1Cet ouvrage présente les résultats d’un projet de recherche sur les inégalités écologiques dans les marges urbaines des territoires littoraux, réalisé entre 2005 et 2008 par une équipe composée de chercheurs en sciences humaines et sociales, en sciences de la nature et en droit issus d’universités et de centres de recherche français. Le projet, coordonné par Philippe Deboudt (Université de Lille 1), a été soutenu par le programme « Politiques territoriales et développement durable » (D2RT) du ministère français de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer. Le cœur de l’ouvrage porte sur les inégalités écologiques sur le littoral. Le développement durable y est subsidiaire et est d’ailleurs inscrit, sur la couverture, en police de caractère plus petite.
2Les inégalités écologiques sont un concept très polysémique qui s’est développé depuis une dizaine d’années. Par le droit, le littoral français est un espace garanti ouvert à tous. Comment cet espace jugé attractif est-il sujet à des inégalités écologiques ?
3L’ouvrage comporte trois parties. Dans la première, les auteurs ont fait l’effort préalable de définir, selon chaque discipline, les notions de territoire littoral et d’inégalités écologiques afin de mieux cerner leur sujet d’étude. Cette partie permet d’appréhender les subtilités apportées selon les points de vue de recherche. Il est cependant regrettable que ces définitions soient ici pluridisciplinaires, donc finalement juxtaposées, et non interdisciplinaires. La conclusion de cette partie tâche, en trois pages, de rassembler les différentes pistes mais c’est sans doute par un travail de définition en commun (en n’ignorant pas les désaccords) que cette partie aurait gagné une vraie force. Il faut espérer qu’elle ne soit qu’une première étape et que cet effort soit poursuivi.
4Les inégalités écologiques naissent des différences de dotations en matière d’aménités et usages écologiques ou environnementales, sur un territoire littoral divers par nature. Ce concept permettrait une vision heuristique entre le social et l’écologie, dépassant le cadre limitatif de la justice environnementale. Les écologues rappellent l’importance de distinguer les types de territoire : territoires urbains, où le rôle de l’homme est prépondérant, et territoires ruraux et littoraux, où la nature reste dominante.
5Les inégalités écologiques prennent plusieurs formes, liées aux politiques de préservation du patrimoine naturel, à l’appropriation de l’espace à haute valeur écologique, à l’exposition à des risques ou à des contraintes naturels, ainsi qu’à l’élaboration des politiques environnementales. La question de l’accès au littoral est à plusieurs reprises soulevée. Les auteurs insistent sur l’imbrication des inégalités écologiques et des inégalités sociales. Il s’agit d’un angle de recherche mieux connu depuis quelques années, exploité par exemple en 2007 dans le dossier Inégalités écologiques, inégalités sociales : interfaces, interactions, discontinuités de la revue en ligne Développement durable & territoires, qui montrait une articulation pratique entre les deux concepts jusqu’alors laborieuse en France.
6La deuxième partie illustre, de manière concrète, en quoi le territoire littoral est marqué par les inégalités écologiques. Les auteurs ont analysé six territoires au profil distinct, en Côte d’Opale, sur la Côte Bleue et à Marseille. Deux des six territoires ont été étudiés de manière interdisciplinaire par des géographes, des sociologues et des urbanistes.
7En s’appuyant sur les discours des habitants confrontés à des sources officielles, les auteurs observent des rapports à l’écologie complexes et souvent paradoxaux. Le bord de mer ne suffit pas pour faire du littoral une attraction : l’ouvrage montre bien une appropriation sociale, variable par les habitants. Cette appropriation peut aller d’une certaine réserve exprimée par des propriétaires refusant des visiteurs non désirés (calanques de la Côte Bleue), à une relative indifférence envers le site pour lui préférer le quartier (Pointe Nord au Touquet, Chemin Vert à Boulogne-sur-Mer). Les inégalités écologiques germent des contraintes du site géographique mais aussi de contraintes sociales tels que l’accès difficile à la propriété sur l’ensemble du littoral français et, de plus en plus, l’accès limité aux usages du site.
8La diversité des populations qui fréquentent le littoral multiplie les inégalités écologiques possibles. Les sciences humaines et sociales permettent une appréhension globale du phénomène, qui varie selon la distance du bord de mer et des centres-villes, la proximité des espaces naturels protégés, le discours des populations résidentes, attirées notamment par les aménités de l’environnement (pas uniquement « naturelles », comme la propreté), le moment de la journée ou de la semaine. De ce fait, les auteurs estiment que l’échelle la plus pertinente pour mesurer ces inégalités est l’échelle communale, voire infra-communale, même si les observations à d’autres échelles ne peuvent être ignorées. Ceci relève d’un projet de (micro-)société, dans des marges urbaines en forte transformation depuis les années 1980.
9La troisième partie est particulièrement stimulante. Les auteurs y militent pour une appropriation du concept d’inégalités écologiques et de méthodes d’analyse opératoires. Ce livre se veut une recherche exploratoire sur le sujet des inégalités écologiques et cette troisième partie y contribue pleinement.
10Afin de mesurer pertinemment les inégalités écologiques, les auteurs ont recensé les indicateurs relatifs à la nature qui seraient exploitables. Ils se sont rendus compte de leur très grand nombre dans les différentes disciplines scientifiques et de leur redondance. Après les avoir recensés et classés, ils concluent à l’inutilité de produire de nouveaux indicateurs. Selon eux, il convient plutôt d’utiliser les indicateurs disponibles et de favoriser leur appropriation par les acteurs.
11Les auteurs ont ensuite réfléchi à la combinaison des indicateurs permettant une analyse des inégalités écologiques. Ils sont conscients des enjeux vis-à-vis de la demande sociale, d’une certaine manière à l’origine du projet de recherche. La question des échelles apporte une difficulté supplémentaire. Ils ont donc réfléchi à une méthodologie d’analyse globale des inégalités écologiques, à partir de sept grilles d’évaluations multicritères et à l’échelle communale. Il ne reste plus qu’à l’expérimenter, comme y invitent les auteurs.
12Cet ouvrage est un plaidoyer pour que soient prises en compte les inégalités écologiques, afin de mieux comprendre et de mieux maîtriser les usages du territoire littoral. Il montre en effet que l’appropriation du concept et des méthodes d’analyse par les acteurs reste à faire. Les politiques territoriales n’ont encore que faiblement investi ce champ.
13Il faut espérer que ces résultats soient connus des élus, des acteurs et des curieux des évolutions actuelles sur le littoral, qui permettront d’améliorer encore ces travaux. Une prochaine édition de l’ouvrage devrait cependant faire l’objet d’une relecture plus approfondie, afin de corriger les doublons et autres oublis de ponctuation ou de mots, comme en page 299 où le sens d’une phrase incomplète est actuellement suspendu. Malgré ces petits défauts, cet ouvrage est une étape fructueuse du parcours de recherche sur l’écologie et l’aménagement des espaces littoraux.
References
Electronic reference
Johan Vincent, “Inégalités écologiques et littoraux”, Articulo - Journal of Urban Research [Online], Book Reviews, Online since 21 April 2010, connection on 10 November 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/articulo/1487; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/articulo.1487
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